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Décisions

CA Bordeaux, 4e ch. civ., 17 mars 2022, n° 19/03553

BORDEAUX

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Evolutive Partner (SARL)

Défendeur :

Hôtel de Lamartine (SARL), Quasard Participations (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Pignon

Conseillers :

Mme Fabry, Mme Goumilloux

Avocats :

Me Andrebe, Me Lambert

T. com. Bordeaux, du 3 mai 2010, n° 2018…

3 mai 2010

EXPOSE DU LITIGE

La société Hôtel de Lamartine exploite un fonds de commerce d'Hôtellerie à Arcachon (33).

L'intégralité des parts de la société Hôtel de Lamartine a été cédée le 26 février 2013 pour la somme de 2 400 000 euros :

- à la société Quasard participations, ayant pour gérant et associé Jean Christophe Rey, à hauteur de 80% des parts, soit 2000 actions,

- à la société Evolutive Partner ayant pour gérante et associée unique X Z, l'épouse de Jean Christophe Rey, à hauteur de 20% des parts soit 500 actions.

Jean Christophe Rey a été nommé gérant de la société Hôtel de Lamartine. Cette dernière a passé un contrat de prestation de services (management) avec la société Evolutive.

Les époux Y se sont séparés en 2016 et ont introduit une procédure de divorce.

La société Hôtel de Lamartine, gérée par M. Y, a résilié le contrat conclu avec la société Evolutive, gérée par Mme Y, le 22 août 2016 à effet à six mois.

Par courrier du 27 novembre 2017, les associés de la société Hôtel de Lamartine ont été convoqués à une assemblée générale extraordinaire fixée au 15 décembre 2017 dont l'ordre du jour portait sur l'augmentation du capital social :

- par incorporation de réserves à hauteur d'égal montant et fixation de la valeur nominale unitaire de la part à 15,25 euros,

- par la création de parts nouvelles sur la base d'une valorisation à 200 euros,

- par incorporation de la prime d'émission et évaluation de la part nominale unitaire à 16 heures.

A la réception de cette convocation, le conseil de la société Evolutive Partner écrivait au gérant de la société Hôtel de Lamartine pour émettre des réserves sur cette augmentation de capital.

Par ordonnance du 13 décembre 2017, le président du tribunal de commerce de Bordeaux, saisi par la société Evolutive, autorisait celle-ci à mandater un huissier de justice afin d'assister à l'assemblée générale extraordinaire et d'en dresser un procès-verbal.

Lors de l'assemblée générale extraordinaire du 15 décembre 2017, l'augmentation du capital était votée, malgré l'opposition de la société Evolutive Partner, cette dernière se trouvant par la suite détentrice de 500 parts sociales et la société Quasard participations de 14 000 parts sociales.

Soutenant que cette augmentation de capital avait été votée dans le seul but de lui nuire de façon à diminuer de manière significative le pourcentage de sa participation dans la société Hôtel de Lamartine ( qui est ainsi passée de 20% à 3,4%) , la société Evolutive Partner a fait assigner les sociétés Quasard participations et Hôtel de Lamartine devant le tribunal de commerce de Bordeaux aux fins de voir juger que l'augmentation de capital votée le 15 décembre 2017 était constitutive d'un abus de majorité de la société Quasard Participation, de voir annuler l'intégralité des résolutions votées lors de l'assemblée générale extraordinaire du 15 décembre 2017 et de voir condamner la société Quasard à lui verser des dommages et intérêts à hauteur de 20 000 euros.

Par jugement contradictoire du 3 mai 2019, le tribunal de commerce de Bordeaux a :

- débouté les parties de l'ensemble de leurs demandes,

- dit n'y avoir lieu à faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la société Evolutive Partner aux dépens.

Par déclaration du 24 juin 2019 complétée par une déclaration en date du 3 juillet 2019, la société Evolutive partner a interjeté appel de cette décision énumérant expressément les chefs critiqués et intimant les sociétés Hôtel de Lamartine et Quasard participations.

PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Par conclusions déposées en dernier lieu le 12 janvier 2022 par RPVA, auxquelles il convient de se reporter pour le détail des moyens et arguments, la société Evolutive Partner demande à la cour de :

- déclarer la société Evolutive partner recevable et bien fondée en appel,

- réformer en toutes ses dispositions le jugement du tribunal de commerce de Bordeaux du 4 mai 2019, sauf en ce qu'il a débouté les défenderesses de leurs demandes reconventionnelles fondées sur l'abus du droit d'agir et sur l'article 700 du code de procédure civile ;

- statuant à nouveau :

- à titre principal,

- dire et juger que l'augmentation de capital votée le 15 décembre 2017 est constitutive d'un abus de majorité de la société Quasard participations,

- annuler l'intégralité des résolutions votées lors de l'assemblée générale de la société Hôtel de Lamartine le 15 décembre 2017,

- condamner la société Quasard participations à payer à la société Evolutive partner une indemnité de 20 000 euros sur le fondement de l'article 1382 du code civil,

- condamner la société Quasard participations à payer à la société Evolutive partner une indemnité de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens,

- déclarer le jugement opposable à la société Hôtel de Lamartine,

- à titre subsidiaire,

- désigner tel expert qu'il plaira à la Cour avec pour mission de :

* entendre les parties et tout sachant dont l'audition lui paraitra utile pour l'accomplissement de sa mission,

* se faire remettre toute la documentation par les parties,

* décrire les circonstances dans lesquelles est survenue l'augmentation de capital de la société Hôtel de Lamartine du 15 décembre 2017 en termes de besoins, d'objectifs et de calendrier,

* donner son avis sur la valorisation des parts sociales de la société Hôtel de Lamartine retenue pour l'augmentation de capital votée le 15 décembre 2017,

* donner son avis sur les investissements postérieurement réalisés consécutivement à l'augmentation de capital,

* identifier les irrégularités éventuellement commises,

* fournir tous éléments techniques et de fait de nature à permettre à la juridiction saisie de déterminer le préjudice éventuellement subi par la société Evolutive partner,

* émettre un rapport définitif dans les trois mois où il aura été saisi de sa mission.

- surseoir à statuer dans l'attente du dépôt du rapport de l'expert judiciaire,

- en tout état de cause,

- débouter la société Quasard participations de l'intégralité de ses demandes, en tant qu'irrecevables et mal fondées,

- dire et juger que dans l'hypothèse où, à défaut de règlement spontané des condamnations prononcées dans la décision à intervenir, l'exécution forcée devra être réalisée par l'intermédiaire d'un huissier, le montant des sommes par lui retenues en application de l'article 10 du décret du 8 mars 2001, portant modification du décret du 12 décembre 1996 n°96/1080, devra être supporté par le débiteur.

La société Evolutive Partner soutient qu'il n'y avait pas de cause légitime à cette augmentation de capital qui est intervenue, à l'initiative de M. Y, dans le seul but de diluer les parts de la société Evolutive Partner, détenue par son épouse avec laquelle il était en procédure de divorce.

Elle fait valoir que :

- d'importants travaux étaient déjà intervenus en 2015 et 2016 pour 1 600 000 euros,

- aucun programme de développement sérieux et détaillé n'avait été communiqué aux actionnaires avant l'assemblée générale, ni même le jour de celle-ci,

- que le motif invoqué de renforcement des fonds propres n'est pas régulier dans la mesure où seulement 600 000 euros sur les 2 400 000 euros d'augmentation du capital ont été libérés, le surplus étant libérés par compensation avec une créance de l'associé majoritaire ou libérables plus tard,

- que le contexte économique était favorable à l'emprunt,

- que l'expert-comptable consulté confirme que l'augmentation de capital a essentiellement servi à rembourser le compte courant associé de l'associé majoritaire,

Elle ajoute que l'augmentation de capital a été organisée de façon à ce que l'associé minoritaire ne puisse y participer; qu'elle aurait pu intervenir en plusieurs étapes, après qu'une étude sur la faisabilité des travaux ait été organisée, et qu'il s'agit en réalité d'un détournement de la procédure d'augmentation du capital.

Enfin, selon la société Evolutive Partner, la volonté de lui nuire est établie par :

- une valorisation des parts retenue bien inférieure à la valorisation réelle, qui a ensuite fait l'objet d'une décôte injustifiée de 60% ce qui a privilégié l'associé majoritaire qui projetait d'acquérir les parts,

- l'exclusion de fait de l'associée minoritaire qui n'avait pas les moyens financiers de souscrire de nouvelles parts.

Par conclusions déposées en dernier lieu le 25 janvier 2022 par RPVA, auxquelles il convient de se reporter pour le détail des moyens et arguments, les sociétés Quasard participations et Hôtel de Lamartine demandent à la cour de :

- déclarer recevable l'appel incident interjeté par les sociétés Quasard participations et Hôtel de Lamartine,

- confirmer le jugement prononcé par le Tribunal de commerce de Bordeaux le 3 mai 2019 en ce qu'il a débouté la société Evolutive partner de l'ensemble de ses demandes,

- débouter en conséquence, la société Evolutive partner de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions formulées en appel,

- juger irrecevable la demande d'expertise formulée par la société Evolutive partner,

- réformer le jugement prononcé par le Tribunal de commerce de Bordeaux le 3 mai 2019 en ce qu'il a les sociétés Quasard participations et Hôtel de Lamartine de leurs demandes,

- et en conséquence :

- condamner reconventionnellement, la société Evolutive partner au paiement de la somme de 10.000 euros au bénéfice de chacun des défendeurs, à savoir les sociétés Quasard participations et Hôtel de Lamartine, en réparation du préjudice causé par son abus de droit d'agir,

- condamner la société Evolutive partner au paiement de la somme de 20.000 euros au bénéfice de chacun des défendeurs, à savoir les sociétés Quasard participations et Hôtel de Lamartine, en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la société Evolutive partner aux entiers dépens d'instance, en ce compris ceux d'appel, les éventuels frais de procédure.

Les sociétés Quasard participations et Hôtel de Lamartine fait notamment valoir que:

- la conformité d'une opération à l'intérêt social s'apprécie en fonction du bénéfice qu'en retire la société,

- en l'espèce, l'augmentation de capital votée lors de l'assemblée générale en date du 15 décembre 2017 correspond à l'intérêt de la société puisqu'elle permet, grâce aux fonds attendus, d'une part, l'accroissement de la capacité hôtelière, la diversification de l'activité de l'hôtel et son repositionnement haut de gamme, et, d'autre part, le renforcement des capitaux propres de la société Hôtel de Lamartine,

- lors de l'assemblée générale extraordinaire en date du 15 décembre 2017, le représentant légal de la société mettait à la disposition de l'ensemble des associés un plan stratégique de développement commercial à horizon 2022, divers devis de travaux et autres correspondances bancaires, dans le but de pouvoir intégrer le réseau de la Marque «Best western signature collection»,

- à la suite de la réalisation des travaux, et à la suite du changement de management de l'hôtel, la société Hôtel de Lamartine a doublé son chiffre d'affaires

- la société Evolutive Partner avait largement le temps d'anticiper sa participation au financement de la société et a manifestement choisi de se retirer de ce projet de développement et ce, contrairement à l'intérêt de la société,

- l'annulation de l'augmentation de capital de la société Hôtel de Lamartine réalisée il y a maintenant 2 ans et planifiée il y a plus de 3 ans lors d'une assemblée générale votée à l'unanimité serait en totale contrariété de l'intérêt social, eu égard à l'importance des investissements déjà engagés.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 26 janvier 2022 et le dossier a été fixé à l'audience du 16 février 2022.

Pour un plus ample exposé des faits, des prétentions et des moyens des parties, il y a lieu de se référer au jugement entrepris et aux conclusions déposées.

MOTIFS

Est constitutive d'un abus de majorité la décision sociale prise contrairement à l'intérêt général de la société et dans l'unique dessein de favoriser les membres de la majorité des associés au détriment de la minorité.

Les deux conditions sont cumulatives.

Les associés ont été convoqués selon courrier du 27 novembre 2017 à une assemblée générale du 15 décembre 2017. Un rapport de gestion était joint à la convocation qui exposait ainsi les motifs de l'augmentation de capital soumise au vote :

'L'agrandissement de l'hôtel nécessite de nombreux investissements sans lesquels son standing et son attractivité ne pourront être maintenu.

Qui plus est, notre projet s'inscrit dans un cadre plus vaste l'amélioration des services proposés au déploiement d'une nouvelle stratégie commerciale et marketing.

Cette nouvelle stratégie vise notamment à la création de l'espace Saint Exupéry, regroupant des salles de réunion, un « wellness center » ainsi qu'un espace esthétique. Elle consiste également en l'achat et la construction immobilière nécessaire à l'accroissement de la capacité de l'hôtel de 24 à 50 chambres.

Cette démarche nécessite de recourir aux financements bancaires et à une demande évidente des établissements prêteurs de renforcement des fonds propres.

Le calendrier de nos partenaires et le déroulement des travaux nous ont donc amenés à vous proposer la présente augmentation de capital selon diverses modalités qui vont vous être exposés. »

'Les différentes étapes ont donc été planifiées sur les 5 prochaines années et en considération de devis d'ores et déjà émis. L'augmentation de capital s'élève à 2,4 Millions d'euros'.

La société Hôtel de Lamartine justifie ainsi sa volonté d'augmenter son capital par une volonté d'améliorer les services et le standing de l'hôtel par la réalisation de travaux d'amélioration et d'extension, dans le cadre d'une nouvelle stratégie commerciale et marketing, lesdits travaux ne pouvant être financés selon elle par les organismes bancaires qu'après un renforcement des fonds propres.

Il est de jurisprudence constante, contrairement à ce que soutient l'appelante, que l'abus de majorité ne peut être caractérisé par la seule intention de nuire, et notamment par le seul fait de vouloir rompre l'égalité entre les actionnaires. Il convient en effet d'établir, outre l'intention de nuire, que la décision dont il est sollicité l'annulation est contraire à l'intérêt social de la société concernée.

La décision produite par l'intimée, rendue par la Cour de cassation le 8 juillet 2015, ne vient pas contredire cette jurisprudence puisqu’elle a été prononcée dans une hypothèse où il a été jugé que l'intérêt social allégué était fictif (l'intérêt d'augmenter le capital pour financer des travaux a été jugé fictif au motif qu'il était déjà prévu, à la date de cette augmentation, de céder l'immeuble à très court terme).

L'appelante n'établit pas en l'espèce que le motif allégué au soutien de l'augmentation de capital serait contraire au capital social ou même fictif puisque l'augmentation du capital a permis :

- une augmentation des fonds propres,

- une baisse de l'endettement du fait du remboursement d'une dette importante du compte courant associé.

Or, ces critères ont nécessairement été pris en compte par les organismes bancaires lors de l'étude du dossier de financement des travaux.

Il sera en outre noté que la nécessité de prévoir des financements complémentaires pour finaliser les travaux de l'hôtel avait déjà été évoquée lors de l'assemblée générale du 27 juin 2016, même si l'ampleur des travaux n'avait pas été évoquée.

Enfin, la réalité du projet est établie par la production :

- des plans du projet,

- des justificatifs des démarches effectuées auprès de la marque Best Western pour être labelliser l'hôtel,

- de l'acquisition de 15 places de parking pour la somme de 450 000 euros pour se mettre en conformité avec le PLU dans le cadre de l'agrandissement de l'hôtel qui impose une place de parking par chambre,

- de la construction et de l'ouverture d'un SPA et d'un Business Center dans l'hôtel.

Il est ainsi démontré que la décision d'augmentation du capital répondait à l'intérêt social de la société.

Dès lors, même si l'augmentation du capital devait nécessairement avoir pour effet de diluer la participation de la société minoritaire, mise en difficulté par la résiliation de son contrat de service par l'hôtel, il n'est pas établi l'existence d'un abus de majorité.

Il n'y a pas lieu d'ordonner d'expertise.

La décision de première instance sera confirmée.

Les intimées qui n'établissent pas que l'appelante a usé de son droit d'agir en justice, à dessein de leur nuire, sera déboutée de sa demande de dommages et intérêts.

La société Evolutive Partner sera condamnée à verser la somme de 1500 euros à la société Quasard Participations et la somme de 1500 euros à la société Hôtel de Lamartine au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Elle sera condamnée aux dépens d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par décision contradictoire et en dernier ressort,

Confirme la décision rendue le 3 mai 2019 par le tribunal de commerce de Bordeaux,

Y ajoutant

Condamne la société Evolutive Partner à verser la somme de 1500 euros à la société Quasard Participations et la somme de 1500 euros à la société Hôtel de Lamartine au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société Evolutive Partner aux dépens d'appel.