CA Aix-en-Provence, ch. 3-4, 25 juillet 2019, n° 18/06074
AIX-EN-PROVENCE
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Défendeur :
Melody Beauty (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Ponsot
Conseillers :
Mme Chalbos, Mme Farssac
Avocats :
Me Le Bretton, Me Turillo
Vu le jugement du tribunal de commerce de Cannes en date du 15 mars 2018 ayant, notamment :
- débouté Mme X de sa demande de désignation d'un mandataire judiciaire,
- débouté Mme X de sa demande de condamnation in solidum de la société Melody Beauty et Mme Y à titre personnel à lui payer la somme de 25.000 euros au titre des préjudices subis,
- condamné Mme X aux dépens,
- rejeté les demandes de condamnation au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire ;
Vu la déclaration du 6 avril 2018 par laquelle Mme X a relevé appel de cette décision ;
Vu les uniques conclusions notifiées le 26 juin 2018, aux termes desquelles Mme X demande à la cour de :
au visa notamment des dispositions des articles L.223-27 alinéa 7 du code de commerce, 1240 du code civil, L.223-25 alinéa 2 du code de commerce, de la jurisprudence en la matière,
- infirmer en toutes ses dispositions le jugement du tribunal de commerce de Cannes en date du 15 mars 2018,
Statuant à nouveau,
- constater et dire que les comptes, bilans et documents de la société SARL Melody Beauty n'ont jamais été approuvés par une assemblée générale ordinaire des associés pour les exercices 2011 à 2017,
- prononcer la révocation de Mme Y de ses fonctions de gérante de la société SARL Melody Beauty en application des dispositions de l'article L.223-25 alinéa 2 du code de commerce,
- constater et dire que lesdits comptes et bilans annuels n'ont pas été déposés au greffe du tribunal de commerce de Cannes,
- désigner tel mandataire judiciaire ad hoc qu'il plaira avec notamment pour mission de convoquer une assemblée générale ordinaire ou extraordinaire des associés, avec pour ordre du jour :
1°) l'approbation des comptes relatifs aux exercices 2011 à 2017
2°) le dépôt des comptes et bilans des exercices 2011 à 2017 auprès du greffe du tribunal de commerce de Cannes
3°) la nomination d'un nouveau gérant
4°) encadrer provisoirement la gestion de la société SARL Melody Beauty
- dire et juger que le montant des honoraires du mandataire judiciaire ad hoc sera laissé in solidum à la charge de la société SARL Melody Beauty ainsi qu'à celle de Mme Y actuellement gérante, ce à titre personnel ;
- condamner in solidum la société SARL Melody Beauty représentée par sa gérante en exercice et Mme Y à titre personnel, à lui rembourser la somme de 87.800 euros réglée par elle, assortie des intérêts légaux à compter de la date de son investissement, soit le 24 juillet 2010,
- condamner in solidum la société SARL Melody Beauty représentée par sa gérante en exercice et Mme Y à titre personnel, à lui payer la somme de 25.000 euros au titre de dommages et intéréts du chef des divers préjudices subis dont ceux moral et financier,
- condamner in solidum la société SARL Melody Beauty représentée par sa gérante en exercice et Mme Y à titre personnel, au paiement de la somme de 8.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance de première instance et d'appel, ces derniers étant distraits au profit de Me Jocelyne Elda Le Bretton, avocat aux offres de droit ;
SUR CE, LA COUR,
Attendu que Mme X a constitué avec sa fille Mme Y la SARL Melody Beauty le 5 juillet 2010 au capital de 100 euros, dont Mme X détenait 48 parts, et sa fille, gérante, 52 parts ;
Que Mme Y a acquis par acte du 13 juillet 2010 un fonds artisanal d'esthétique et soins de beauté pour un prix de 71.628 euros, qu'elle a apporté à la SARL Melody Beauty par acte du 7 décembre 2010 ;
Qu'à l'issue de cette opération d'apport, le capital social a été porté à 71.728 euros, divisé en 71.728 parts réparties à raison de 48 parts à Mme X et 71.680 parts à Mme Y ;
Que faisant valoir que le fonds apporté avait été financé intégralement par ses soins, Mme X a, le 23 décembre 2016, vainement sollicité de la SARL Melody Beauty le remboursement de son avance de fonds ;
Que le 11 avril 2017 elle a sollicité et obtenu de l'expert-comptable de la société communication des bilans et comptes annuels de la société relatifs aux années 2011 à 2015, et a constaté qu'aucune créance en compte courant à son profit n'était inscrite au passif du bilan ;
Que par ordonnance du 4 mai 2017, elle a été autorisée à prendre une inscription provisoire de nantissement sur le fonds de la SARL Melody Beauty pour un montant de 80.098 euros ;
Que par acte du 28 avril 2017, Mme X a fait assigner sa fille et la SARL Melody Beauty devant le tribunal de commerce de Cannes, demandant la désignation d'un mandataire ad hoc avec pour mission de convoquer une assemblée générale ayant pour ordre du jour l'approbation des comptes des exercices 2011 à 2016 et leur dépôt au greffe, et la révocation de la gérante en exercice, et la désignation d'un nouveau gérant, et leur condamnation à lui rembourser la somme de 80.098 euros, outre 25.000 euros à titre de dommages intérêts ;
Qu'elle en a été déboutée par le jugement entrepris, dont elle a relevé appel ;
Attendu que Mme Y, avait constitué avocat en la personne de Me Choukroun, lequel est décédé en septembre 2018 ; que Me Turillo a été désigné en qualité d'administrateur de son cabinet et, à ce titre, a assuré la défense de Mme Y, avant que celle-ci le décharge de son dossier le 7 octobre 2018 ;
Que Mme Y ayant été valablement représentée, le présent arrêt sera rendu contradictoirement ;
Sur la révocation de la gérante
Attendu que Mme X fait valoir qu'aucune assemblée générale annuelle n'a jamais été tenue ni convoquée par la gérante ; que ce n'est qu'après qu'elle a pris l'initiative de la présente procédure qu'une assemblée générale s'est tenue le 30 juin 2017 ;
Qu'elle estime que cette assemblée générale n'a été convoquée que pour les besoins de la procédure et précise ne pas s'y être rendue, craignant les réactions et le comportement injurieux de sa fille ;
Qu'elle demande, en conséquence, que Mme Y soit révoquée de ses fonctions ;
Mais attendu que le seul défaut de convocation d'une assemblée générale des associés au sein d'une société familiale comportant deux associés ne constitue pas, au sens de l'article L. 223-25 du code de commerce, une cause légitime de révocation, dès lors qu'il n'est pas démontré que cette situation, tacitement acceptée par l'associée minoritaire jusqu'à ce qu'elle provoque la tenue d'une assemblée générale à laquelle elle n'a pas cru devoir participer ou se faire représenter, aurait compromis l'intérêt social ;
Que la demande de révocation de la gérante de la SARL Melody Beauty sera rejetée ;
Sur la désignation d'un mandataire judiciaire
Attendu que Mme X estime que la désignation d'un mandataire judiciaire s'avère indispensable, et devra être ordonnée en application de l'article L. 223-27, alinéa 7, du code de commerce, suivant lequel tout associé peut demander en justice la désignation d'un mandataire chargé de convoquer l'assemblée et de fixer son ordre du jour ;
Que cette désignation se justifie, selon elle, par l'absence de toute information du fait du défaut de compte rendu de gestion annuel et d'approbation des comptes sociaux, et par l'impossibilité de déterminer une majorité ;
Qu'elle considère que la gérante ne saurait, a posteriori, régulariser des diligences qu'elle n'a pas effectuées pendant plusieurs années ; qu'elle précise qu'elle a évoqué la possibilité de demander la dissolution judiciaire pour justes motifs, mais ne l'a pas demandée ; que le tribunal s'est trompé sur ce point en n'appréciant pas la réalité de ses prétentions ;
Qu'elle demande donc la désignation d'un mandataire ad hoc avec pour mission de convoquer une assemblée générale ayant pour ordre du jour :
- l'approbation des comptes relatifs aux exercices 2011 à 2017 de la société,
- le dépôt des comptes et bilans des exercices 2011 à 2017 au greffe du tribunal de commerce,
- la nomination d'un nouveau gérant ;
- encadrer provisoirement la gestion de la SARL Melody Beauty ;
Mais attendu, en premier lieu, que Mme X ayant demandé la convocation d'une assemblée générale et ayant obtenu satisfaction, elle n'est pas fondée à solliciter en justice la désignation d'un mandataire ad hoc pour y procéder ;
Qu'en tant que de besoin, si la gérante ne procédait pas à la convocation de la prochaine assemblée générale annuelle, Mme X serait fondée à demander sa tenue, et, en cas de refus, à solliciter en justice la désignation d'un mandataire ad hoc pour y procéder ;
Qu'en second lieu, le dépôt des comptes et bilans ne relevant pas de la compétence de l'assemblée générale, mais d'un acte de gestion, la réunion de l'assemblée générale des associés ne peut comporter un tel ordre du jour ;
Qu'en dernier lieu, Mme X ne saurait, sous couvert d'une demande de désignation d'un mandataire ad hoc chargé d'une mission limité à un acte ponctuel tel que la convocation d'une assemblée générale, solliciter la désignation d'un mandataire ayant en réalité une mission d'administrateur provisoire, sauf à démontrer que le fonctionnement normal de la société est compromis, ce qu'elle ne fait pas ; qu'à cet égard, Mme X peut difficilement soutenir que la répartition actuelle du capital rendrait aléatoire ou incertaine la détermination d'une majorité ;
Qu'elle sera déboutée de sa demande et le jugement confirmé de ce chef ;
Sur le remboursement d'une somme de 87.800 euros
Attendu Mme X rappelle qu'elle a entièrement financé l'acquisition du fonds de commerce, lequel devait être apporté à la société ;
Que cependant, Mme Y l'a acquis à titre personnel et l'a apporté à la société, ce qui a modifié la répartition du capital dans les proportions précédemment indiquées ;
Qu'elle estime, à la lecture de courriers produits aux débats, que des erreurs auraient été commises par le notaire, qui en conviendrait lui-même ; que cette situation n'a jamais pu être régularisée, malgré les demandes faites ;
Que la mise en demeure qu'elle a fait adresser étant demeurée sans réponse, elle a été contrainte de solliciter en justice l'autorisation de procéder à une inscription provisoire d'hypothèque sur le fonds de commerce ;
Qu'elle s'estime, en conséquence, fondée à obtenir le remboursement de la somme de 87.800 euros assortie des intérêts au taux légal à compter du 24 juillet 2010, date de son investissement ;
Attendu qu'il ressort des documents produits aux débats, et notamment de correspondances adressées par Mme D Y à son notaire puis à la chambre départementale des notaires en avril et juillet 2010, que l'intention initiale de Mme Y était que le fonds de commerce soit acquis par la société au moyen d'un financement de sa mère, Mme X, opération susceptible de s'analyser en un apport en compte courant de cette dernière ; que par suite d'un malentendu avec l'étude notariale, le fonds a été acquis par Mme D Y en son nom propre, laquelle a ensuite fait le choix d'en faire apport à la SARL Melody Beauty, et de recevoir des parts en rémunération de cet apport, dont l'effet a été de diluer Mme X dans des proportions importantes, puisqu'elle ne détient plus que 48 parts sur 71.728 au lien de 48 parts sur 100, soit 0,066 % au lieu de 48 % ;
Qu'en l'état de cette succession d'actes, il apparaît que seule Mme Y et non la SARL Melody Beauty se trouve potentiellement redevable envers Mme X des sommes ayant permis l'acquisition du fonds ;
Que, toutefois, Mme X, qui conteste que les sommes remises à sa fille l'auraient été au titre d'un de prêt, ne précise pas le fondement sur la base duquel elle forme des prétentions à l'encontre de cette dernière et moins encore à l'encontre de la SARL Melody Beauty ;
Que la cour ne pouvant se substituer à l'appelante pour déterminer le fondement de ses demandes, elle ne pourra qu'en être déboutée ;
Sur les dommages intérêts
Attendu que Mme X fait valoir qu'elle est profondément traumatisée par le fait d'avoir dû engager une procédure à l'encontre de sa fille, qu'elle avait accepté d'aider en investissant l'intégralité de son épargne, fruit de son activité ; qu'elle est à présent en difficulté financière et contrainte d'occuper de petits emplois mal rémunérés ;
Qu'elle souffre en outre de la privation de son petit fils, âgé de 13 ans, avec lequel elle entretenait des liens privilégiés, situation orchestrée, selon elle, par sa fille ;
Qu'elle réclame, l'allocation d'une somme de 25.000 euros à titre de dommages intérêts ;
Attendu qu'il est manifeste que Mme X subit les conséquences d'une succession d'opérations dont l'effet est que les sommes dont elle s'est dessaisie ne sont pas constatées par un titre juridique ou une écriture en compte, et ne sont productrices d'aucun revenu ;
Que, toutefois, il ressort des courriers adressés par Mme Y que, quelle que soit la position qu'elle a adoptée ensuite dans le courant de la procédure, elle n'a pas souhaité cette opération à l'origine, demandant vainement au notaire de remédier à ce qu'elle considérait comme une erreur, en rectifiant l'acte d'acquisition du fonds de commerce pour qu'il soit établi au nom de la société ; que les démarches entreprises vainement auprès de la chambre départementale des notaires confirment cette position ;
Que par suite, aucun fait fautif, de nature à engager sa responsabilité n'apparaît constitué à l'encontre de Mme Y ; qu'il sera observé que Mme X a consenti le 7 décembre 2010 à l 'augmentation de capital ayant permis l 'émission des 71.628 actions supplémentaires attribuées à sa fille et a également signé les statuts modifiés ;
Que, par ailleurs, Mme X ne donnant pas de fondement précis à sa demande en remboursement d'une somme de 87.800 euros, elle ne peut reprocher à sa fille et à la SARL Melody Beauty une résistance abusive l'ayant conduite à devoir engager une procédure judiciaire ;
Que le jugement soit, en conséquence, confirmé en ce qu'il a rejeté ses prétentions indemnitaires ;
Sur les dépens et les frais irrépétibles
Attendu que Mme X, qui succombe dans ses prétentions, conservera la charge de ses dépens ;
Qu'aucune considération d'équité ne justifie de faire droit à ses demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement et contradictoirement,
CONFIRME le jugement rendu le 15 mars 2018 par le tribunal de commerce de Cannes ;
REJETTE toute autre demande, et notamment celle fondée sur l'article 700 du code de procédure civile ;
DIT que Mme X conservera la charge de ses propres dépens d'appel.