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Décisions

CA Aix-en-Provence, ch. 3-4, 20 octobre 2022, n° 19/17432

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Défendeur :

Le Moulin de Velten (SCI)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Bourrel

Conseillers :

Mme Chalbos, Mme Fillioux

Avocats :

Me Culoma, Me Mahe des Portes

TGI Aix-en-Provence, du 28 oct. 2019, n°…

28 octobre 2019

Les époux [F] et les époux [C] ont constitué en 1991 une SCI dénommée Le moulin de Velten, dont chaque associé détenait 25% du capital.

M. [B] [C] était désigné en qualité de gérant.

Par acte des 16 et 19 juillet 1991, la SCI a acquis aux fins de réhabilitation un immeuble situé [Adresse 5].

Une dissension est apparue entre associés, en particulier entre M. [B] [C] et M. [S] [F].

En 1996, une procédure de divorce a été engagée entre Mme [H] [W] et M. [B] [C].

Une assemblée générale du 26 janvier 1999 désignait Mmes [X] et [H] [W] comme cogérantes en remplacement de M. [B] [C], révoqué de ses fonctions.

M. [S] [F] est décédé en [Date décès 6] 2011 et ses quatre enfants ont hérité de la nue-propriété de ses parts, leur mère de l`usufruit.

Par ordonnance du 20 août 2012, le président du tribunal de grande instance d'Aix-en-Provence saisi par les cogérantes de la SCI a désigné la SCP Bouet [E], administrateur judiciaire, en qualité de mandataire ad hoc avec mission de :

- convoquer les associés,

- établir la reddition des comptes 2010 et 2011,

- mettre au vote la vente de l'ensemble immobilier situé [Adresse 5] pour un prix de 900000 euros net vendeur,

- s'assurer du suivi de l'exécution du PV d'AGO à intervenir.

La SCP Bouet [E] réunissait le 21 janvier 2013 une assemblée générale a'n d'approuver les comptes de l'année 2010-2011, et d'autoriser la vente de l'immeuble au prix de 900 000 euros.

L'immeuble n'ayant pas trouvé acquéreur à ce prix, les cogérantes ont convoqué une nouvelle assemblée générale extraordinaire le 16 octobre 2017, qui votait la mise en vente de l'immeuble au prix de 540 000 euros net vendeur.

Une assemblée générale ordinaire du même jour votait l'affectation au compte 'report à nouveau' du bénéfice des exercices 2012 à 2016.

Par acte du 22 décembre 2017, M. [B] [C] a fait assigner la SCI Le moulin de Velten devant le tribunal de grande instance d'Aix-en-Provence aux fins d'entendre prononcer la nullité des délibérations n°1 à 3 de l'assemblée générale extraordinaire de la SCI le Moulin de Velten du 16 octobre 2017 ainsi que des délibérations n°4 à 13 de l'assemblée générale ordinaire du même jour.

Par jugement du 28 octobre 2019, le tribunal de grande instance d'Aix-en-Provence a :

- débouté M. [B] [C] de l'ensemble de ses demandes,

- condamné M. [B] [C] à payer à la SCI Velten une somme de 1000 euros pour procédure abusive et une somme de 1000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné M. [B] [C] au paiement d'une amende civile de 1000 euros,

- ordonné le retrait total de son aide juridictionnelle,

- condamné M. [B] [C] aux dépens qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Le tribunal a retenu à cet effet :

- que la mission de Maître [E], telle que définie par l'ordonnance du 20 août 2012 le désignant, avait pris fin le 21 janvier 2013, de sorte que les cogérantes avaient pu valablement convoquer une nouvelle assemblée générale le 16 octobre 2017,

- que les pièces produites en défense (mandats de vente, courriers des agences, offres d'achat, avis des domaines) démontraient l'impossibilité pour les deux agences mandatées de trouver un acquéreur sur le marché au prix de 900 000 euros et la conformité du prix de vente de 540 000 euros à la valeur vénale de l'immeuble et à l'intérêt social,

- que par ailleurs le demandeur n'expliquait pas en quoi une vente du seul actif de la société à un prix qu'il estimait inférieur au prix du marché aurait avantagé les associés majoritaires au détriment de l'associé minoritaire,

- que le demandeur ne précisait pas en quoi les résolutions autorisant le report à nouveau des bénéfices des années 2012 à 2016 était contraire à l'intérêt social, alors que l'argument soutenu en défense d'avoir à constituer une réserve pour faire face aux frais et dysfonctionnements liés à la mésentente des associés était au contraire recevable,

- que les contestations du demandeur n'étaient motivées que par son opposition systématique aux associés majoritaires, illustrée par la production de plus de 75 procédures engagées par lui contre la SCI ou ses membres, que l'action était fautive et préjudiciable à la SCI en ce qu'elle alourdissait son fonctionnement en retardant les décisions prises la concernant,

- qu'en application de l'article 51 de la loi du 10 juillet 1991, la reconnaissance du caractère abusif de la procédure entraînait le retrait total de l'aide juridictionnelle.

M. [C] a interjeté appel de cette décision le 14 novembre 2019.

Par conclusions déposées et notifiées le 2 juillet 2020, l'appelant demande à la cour, vu l'article 1833 du code civil, de réformer en toutes ses dispositions le jugement entrepris et de :

- dire et juger que les résolutions n°1 de l'assemblée générale extraordinaire des associés de la SCI Le moulin de Velten du 16 octobre 2017 ayant notamment autorisé la mise en vente de l'immeuble sis [Adresse 5] cadastré section A parcelle [Cadastre 3] et [Cadastre 4] moyennant un prix net vendeur de 540000 euros suite à l'offre faite par MM [I] [Y] et [V] sont contraires à l'intérêt social de ladite société,

- dire et juger que les résolutions n°2 et 3 de l'assemblée générale extraordinaire des associés de la SCI Le Moulin de Velten du 16 octobre 2017 sont également contraires à l'intérêt social de ladite société,

- dire et juger que les résolutions n°4 à 13 de l'assemblée générale extraordinaire des associés de la SCI Le moulin de Velten du 16 octobre 2017 sont contraires à l'intérêt social de ladite société,

- en conséquence, prononcer la nullité des délibérations n°1,2 et 3 de l'assemblée générale extraordinaire des associés de la SCI Le Moulin de Velten du 16 octobre 2017 ayant notamment autorisé la mise en vente de l'immeuble sis [Adresse 5] cadastré section A parcelle [Cadastre 3] et [Cadastre 4] moyennant un prix net vendeur de 540000 euros suite à l'offre faite par MM [I] [Y] et [V],

- prononcer la nullité des délibérations n°4 à 13 de l'assemblée générale extraordinaire des associés de la SCI Le moulin de Velten du 16 octobre 2017,

- débouter la SCI Le moulin de Velten de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

- condamner la SCI Le moulin de Velten à payer à M. [C] la somme de 3000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Par conclusions déposées et notifiées le 2 avril 2020, la SCI Le moulin de Velten demande à la cour, vu les articles 1833, 1241 du code civil, 32-1 du code de procédure civile, 50 et 51 de la loi du 10 juillet 1991, de :

- confirmer le jugement rendu le 28 octobre 2019 par le tribunal de grande instance d'Aix-en-Provence en toutes ses dispositions sauf sur le montant des dommages et intérêts alloués à la SCI au titre de la procédure abusive,

- réformant sur ce point, condamner M. [B] [C] à verser à la SCI Le moulin de Velten la somme de 10000 euros de dommages et intérêts au titre de la procédure abusive,

- à titre subsidiaire, confirmer la décision dont appel sur ce point,

- en toute hypothèse, condamner M. [B] [C] à verser à la SCI Le moulin de Velten la somme de 5000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles d'appel ainsi qu'aux entiers dépens, en ce compris ceux à venir de signification, dépens distraits en application de l'article 699 du code de procédure civile auprès de la SCP Chabas & associés qui en fait l'avance,

- prononcer une amende civile à l'encontre de M. [B] [C] pour la procédure née de l'appel,

- ordonner le retrait de l'aide juridictionnelle au bénéfice de M. [B] [C] pour la présente cause d'appel,

- débouter M. [B] [C] de toutes demandes contraires aux présentes et de toutes ses demandes, fins et conclusions.

La procédure a été clôturée le 30 août 2022.

MOTIFS :

Sur la demande d'annulation des délibérations n°1, 2 et 3 de l'assemblée générale extraordinaire du 16 octobre 2017 :

Aux termes de ces délibérations, les associés ont voté la mise en vente de l'immeuble au prix net vendeur de 540000 euros suite à l'offre faite par MM. [I] [Y] et [V] et donné pouvoir aux cogérantes de signer le compromis de vente et l'acte définitif et accomplir toutes formalités nécessaires.

M. [C] soutient en premier lieu qu'en l'état de la mission confiée à la SCP Bouet Gillibert par ordonnance du 20 août 2012, les cogérantes étaient dessaisies du pouvoir de convoquer une assemblée générale sur une décision relevant de la mission du mandataire ad hoc.

La mission confiée à la SCP Bouet Gillibert était de convoquer les associés, établir la reddition des comptes 2010 et 2011, mettre au vote la vente de l'ensemble immobilier situé [Adresse 5] pour un prix de 900000 euros net vendeur, s'assurer du suivi de l'exécution du PV d'AGO à intervenir.

Dès lors que l'assemblée générale convoquée par le mandataire ad hoc s'est effectivement tenue le 21 janvier 2013 et qu'il est justifié par l'intimée que l'immeuble a été mis en vente au prix de 900000 euros, notamment suivant mandat confié à l'agence Century 21 Aline immobilier le 4 février 2013, le premier juge a retenu à juste titre que le mandat confié à la SCP [E] Bouet avait pris fin, ainsi que le confirme Maître [A] [E] par courriel du 25 mars 2019, et que les cogérantes ont pu valablement convoquer une assemblée générale le 16 octobre 2017.

Le moyen sera en conséquence écarté.

L'appelant prétend en second lieu que la décision de mise en vente de l'immeuble au prix de 540000 euros est contraire à l'intérêt social et caractérise un abus de majorité.

L'associé qui poursuit l'annulation d'une décision d'assemblée générale sur le fondement de l'abus de majorité doit démontrer d'une part que la décision est contraire à l'intérêt général de la société et d'autre part qu'elle est prise dans l'unique dessein de favoriser les associés majoritaires au détriment des associés minoritaires.

Le principe de la vente de l'actif immobilier de la SCI n'est pas remis en cause par M. [C] qui s'oppose cependant à une vente à un prix qu'il qualifie de vil, se prévalant d'un rapport d'évaluation de l'immeuble établi à sa demande le 22 novembre 2017 par le cabinet Bonfort qui retient une valeur vénale de marché de 900000 euros.

Ainsi que le relève à juste titre le premier juge, cette évaluation, effectuée sur simple visite extérieure, sans tenir compte de l'état des appartements, des travaux de rénovation à effectuer et de la disponibilité des locaux à la location, n'est pas pertinente, alors que les pièces produites par la SCI, en particulier les mandats de vente confiés aux agences Century 21 et Orpi, les courriers de ces agences, les offres d'achat reçues, l'avis des domaines, démontrent l'impossibilité pour les deux agences mandatées, malgré les diligences entreprises, de trouver un acquéreur sur le marché au prix de 900 000 euros compte tenu de la situation de l'immeuble dans un secteur peu prisé de la ville, des dégradations et intrusions dont il fait l'objet, de la nécessité d'effectuer des travaux de rénovation pour un coût supérieur aux revenus annuel, la meilleure offre reçue étant celle de MM. [I] [Y] et [V] au prix de 570000 euros soit 540000 euros hors frais d'agence.

Ces circonstances ne permettent pas de considérer que le vote portant sur la vente de l'immeuble à ce prix serait contraire à l'intérêt social.

M. [C] ne démontre par ailleurs aucunement en quoi une telle décision favoriserait les associés majoritaires à son détriment.

Le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu'il a débouté M. [C] de sa demande tendant à l'annulation des délibérations n°1,2 et 3 de l'assemblée générale extraordinaire du 16 octobre 2017.

Sur la demande d'annulation des délibérations n°4 à 13 de l'assemblée générale ordinaire du 16 octobre 2017 :

Aux termes de ces résolutions, les associés autorisent l'affectation au compte 'report à nouveau' du bénéfice des exercices 2012 à 2016, approuvent les comptes et donnent quitus aux gérantes de leur gestion.

Alors que le rapport de la gérance fait état de la fragilité de la trésorerie de la SCI, insuffisante à couvrir les frais élevés auxquels elle doit faire face, notamment en raison des nombreuses procédures engagées par M. [C], ce dernier ne précise pas en quoi la constitution d'une telle réserve serait susceptible de porter atteinte à l'intérêt de la société.

Le jugement sera également confirmé en ce qu'il a rejeté ce chef de demande.

Sur les autres demandes :

Le tribunal a parfaitement caractérisé, par des considérations que la cour reprend à son compte, le caractère abusif et dilatoire de l'action introduite par M. [C], animé par une volonté d'opposition systématique aux associés majoritaires que sont son ex-épouse, son ex-belle-soeur et les enfants de cette dernière, contre lesquels il multiplie les contentieux.

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné M. [C] à une amende civile de 1000 euros ainsi qu'au paiement de dommages et intérêts au profit de la SCI Le Moulin de Velten, le premier juge ayant justement évalué à 1000 euros, en l'absence de justificatifs spécifiques, la réparation du préjudice constitué par l'entrave causée au fonctionnement de la société et à l'exécution des décisions la concernant.

Le retrait de l'aide juridictionnelle accordée à M. [C] en première instance n'est que la stricte application des dispositions de l'article 51 de la loi du 10 juillet 1991 aux termes desquelles la juridiction saisie prononce ce retrait lorsque la procédure engagée par le bénéficiaire a été jugée dilatoire ou abusive.

Au regard des sanctions prononcées contre M. [C] en première instance, c'est sans commettre d'abus que ce dernier a exercé son droit de recours, sans qu'il y ait lieu à nouvelle condamnation à amende civile et/ou à dommages et intérêts.

Partie succombante, M. [C] sera condamné aux dépens ainsi qu'au paiement d'une indemnité pour frais irrépétibles, s'ajoutant à celle prononcée à juste titre en première instance.

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, contradictoirement,

Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

Condamne M. [B] [C] à payer à la SCI Le moulin de Velten la somme de 4000 euros d'indemnité pour frais irrépétibles exposés en appel,

Déboute les parties du surplus de leurs demandes,

Condamne M. [B] [C] aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.