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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 9, 27 janvier 2022, n° 20/16881

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Saint Fiacre Participation (SARL)

Défendeur :

Gautier Investissement (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Mollat

Conseillers :

Mme Rohart, Mme Coricon

Avocats :

Me Courtecuisse, Me Charton, Me Garcia

T. com. Paris, du 9 oct. 2020, n° 201905…

9 octobre 2020

La société GSD Gestion a été créée en janvier 1992 et exerce une activité de gestion de portefeuille de valeurs mobilières disposant de l'agrément de l'Autorité des marchés financiers. Elle est présidée par M. D Z.

La société Saint Fiacre Participations, détenue par 19 conseillers en gestion de patrimoine, est entrée au capital en 2008 et détient 200 000 actions sur les 2 millions qui composent le capital.

M. et Mme Z sont usufruitiers de 380 000 actions, leurs deux enfants en étant les nu propriétaires. Le couple détient également indirectement, par le biais de leur société Z B, 1 012 000 actions.

La société GSD Gestion a été assigné devant le tribunal de grande instance de Paris par les consorts A dans le cadre d'une action en responsabilité, qui se solda par une transaction conclue le 29 octobre 2014 par laquelle la société GSD Gestion a versé 2 900 000 euros aux consorts A.

Une augmentation de capital par émission d'actions nouvelles était décidée par le conseil d'administration du 23 septembre 2014. L'augmentation de capital d'un montant de 1,3 million d'euros était entérinée par l'assemblée générale extraordinaire du 10 octobre 2014.

Parallèlement à cette procédure, l'AMF diligenta une procédure de contrôle de la société GSD Gestion qui donna lieu, le 3 mai 2021, à une amende de 150 000 euros. Le conseil d'Etat a porté l'amende, en appel, à la somme de 300 000 euros, et a condamné M. D Z à une amende de 30 000 euros, et M. G Z, directeur général, à une amende de 15 000 euros.

Le capital faisait ensuite l'objet d'une réduction lors de l'assemblée générale extraordinaire du 26 mai 2015.

Par acte du 4 octobre 2019, la société Saint Fiacre Participations assignait la société Z B et les époux Z sur le fondement de l'abus de majorité, demandant la somme de 567 728, 50 euros à titre de dommages et intérêts.

Par jugement du 9 octobre 2020, le tribunal de commerce de Paris a déclaré la société Saint Fiacre Participations irrecevables en ses demandes à l'encontre des époux Z, l'a déboutée de ses demandes envers la société Z B, la condamnée à payer à chaque intimé la somme de 15 000 euros pour procédure abusive, outre une indemnité de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

La société Saint Fiacre Participations a interjeté appel de cette décision par déclaration du 23 novembre 2020.

Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 17 novembre 2021, la société Saint Fiacre Participations demande à la cour de :

- la DÉCLARER recevable et bien fondée en son appel,

Y faisant droit :

- JUGER qu'elle est recevable à agir à l'encontre de M. D Z et de Mme E Z, et de la société Z B ;

- JUGER que l'assemblée générale extraordinaire en date du 10 octobre 2014 est constitutive d'un abus de majorité commis par M. et Mme Z, et la société Z B,

- JUGER l'existence d'un préjudice subi par elle en raison de cet abus de majorité,

En conséquence :

- INFIRMER le jugement déféré en ce qu'il :

- L'a dit irrecevables en ses demandes à l'encontre de M. D Z et Mme E Z,

- L'a déboutée de ses demandes à l'encontre de la SARL GAUTIER INVESTISSEMENT,

- L'a condamnée à payer à M. D Z, Mme E Z et la SARL GAUTIER INVESTISSEMENT chacun la somme de 15 000 euros pour procédure abusive,

- L'a condamnée à payer à M. D Z, Mme E Z et la SARL GAUTIER INVESTISSEMENT la somme totale de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du CPC,

- L'a condamnée aux dépens de première instance,

Et, statuant de nouveau :

- Condamner in solidum M. et Mme Z ainsi que la société Z B à lui verser la somme de 567 728,50 euros à titre de dommages et intérêts,

En tout état de cause :

- Débouter M. et Mme Z ainsi que la société Z B de l'ensemble de leurs demandes, fins et prétentions ;

- Condamner in solidum M. et Mme Z ainsi que la société Z B à lui verser la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

Dans leurs dernières conclusions notifiées par voie électronique le 12 novembre 2021, la société Z B, Mme E Z et M. D Z demandent à la cour de :

- Confirmer intégralement le jugement du tribunal de commerce de Paris,

- Déclarer irrecevables les demandes de la société Saint Fiacre Participation envers M. D Z et envers Mme E Z,

- Débouter la société Saint Fiacre Participation de toutes ses demandes envers la société Z B,

Subsidiairement

- Débouter la société Saint Fiacre Participation de toutes ses demandes envers eux,

- Condamner la société Saint Fiacre Participation à leur payer la somme à chacun de 15.000 euros à titre de dommages intérêts pour procédure abusive,

En tout état de cause,

- Condamner la société Saint Fiacre Participation à leur payer une somme additionnelle à chacun de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

- Condamner la société Saint Fiacre Participation aux entiers dépens de la procédure, à recouvrer par la Selarl ANTELIS GARCIA AVOCATS, Avocats au barreau de Paris, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

SUR CE,

Sur la recevabilité des demandes de la société Saint Fiacre Participations à l'encontre de M. D Z et Mme E Z

La société Saint Fiacre fait valoir qu'aux termes des dispositions de l'article L. 233-3 du code de commerce, toute personne physique ou morale est présumée exercer un contrôle sur une société lorsqu'elle détient directement ou indirectement plus de 40% des droits de vote et qu'aucun autre associé ne détient une fraction supérieure à la sienne.

Elle explique qu'en l'espèce, à la date du vote contesté, M. et Mme Z détenaient indirectement en pleine propriété 50,6 % du capital, puisqu'ils sont actionnaires majoritaires de la société Z B, et directement 19% en usufruit ; qu'ils détenaient ainsi une majorité de contrôle au sens des dispositions précitées sur la société GSD gestion ; qu'en outre les nu propriétaires des 19% sont les enfants de M. et Mme Z qui sont donc nécessairement influencés par la position de leurs parents. Elle estime donc que la famille Z exerce une action de concert pour décider de la stratégie de la société GSD Gestion, et qu'elle constitue un bloc majoritaire qui représente 72% du capital, soit plus des deux tiers requis par l'article 31 des statuts concernant les votes en assemblée générale extraordinaire ; que la famille Z contrôle également l'ensemble des organes de la société, D Z étant président directeur général, E Z administrateur, G Z directeur général et Y Z administrateur.

Elle en conclut être recevable à agir à l'encontre de M. et Mme Z sur le fondement de l'abus de majorité.

M. et Mme Z soutiennent qu'ils n'avaient pas de droit de vote lors de l'assemblée générale extraordinaire du 10 octobre 2014, étant usufruitiers alors que l'article 13.2 de statuts de la société GSD Gestion réserve le droit de votre des assemblées générales extraordinaires au nu propriétaire, soit leurs deux enfants en l'espèce. Ils précisent qu’ils étayent présents, étant pour l'un président du conseil d'administration, et pour l'autre administrateur.

Ils soulignent que le gérant de la société Saint Fiacre Participation était également présent, qu'il assurait les fonctions de scrutateur et a voté en faveur de l'augmentation de capital aujourd'hui contestée.

Ils estiment que la jurisprudence isolée de la cour d'appel d'Aix en Provence produite par l'appelante n'est pas pertinente dans la présente instance, l'associé majoritaire s'étant dans l'espèce de l'arrêt abstenu de voter, ce qui n'est pas le cas ici, et l'associé minoritaire avait voté contre, ce qui n'est pas non plus le cas, l'augmentation de capital ayant été adoptée à l'unanimité.

Aux termes de l'article L. 233-3 du code de commerce : 'Toute personne, physique ou morale, est considérée, pour l'application des sections 2 et 4 du présent chapitre, comme en contrôlant une autre : : 1° Lorsqu'elle détient directement ou indirectement une fraction du capital lui conférant la majorité des droits de vote dans les assemblées générales de cette société (...)'. Les sections 2 et 4 de ce chapitre traitent des notifications et des informations relatives aux sociétés dont les actions sont cotées et des participations réciproques.

Par suite, cette définition du contrôle ne trouve pas à s'appliquer en l'espèce. Il appartient donc à l'appelante, qui allègue une majorité de contrôle de la part des intimés dont M. et Mme Z, de l'établir afin de justifier d'un intérêt à agir à leur encontre.

Or il est constant, et d'ailleurs non contesté, que les époux Z n'ont pas participé au vote en litige concernant l'augmentation de capital de la société GSD Gestion, l'article 31 des statuts de la société réservant le droit de vote en assemblée générale extraordinaire, seule compétente pour décider d'une augmentation de capital, aux nu propriétaires, ce que ne sont pas les époux Z personnellement.

Par suite, ils ne peuvent faire partie, à titre personnel, d'une quelconque majorité de contrôle ou d'un bloc majoritaire ayant mené, lors du vote en litige, une action de concert.

Il y a donc lieu de confirmer le jugement qui a déclaré les demandes de la société Saint Fiacre Participations, dirigées contre les époux Z à titre personnel irrecevables, pour défaut d'intérêt à agir.

Sur l'abus de majorité de M. Z, Mme Z et la société Z C

La société Saint Fiacre participations fait valoir que deux conditions sont nécessaires pour qualifier un abus de majorité, à savoir que la résolution en litige doit être contraire à l'intérêt social et doit nuire aux intérêts des associés minoritaires et favoriser ceux des associés majoritaires.

Elle estime que le bloc majoritaire qu'elle a caractérisé ci-dessus a voté une résolution contraire à l'intérêt général de la société, l'augmentation de capital n'étant pas nécessaire ni indispensable à l'indemnisation des consorts A ; que d'autres options s'ouvraient à la société, comme un apport en compte courant d'associé, qui aurait pu faire ensuite l'objet d'un abandon avec une clause de retour à meilleure fortune, ou une convention de blocage. Elle s'étonne que M. et Mme Z aient procédé à des apports en compte courant au sein de leur société Z B mais n'aient pas voulu le faire au profit de la société GDS Gestion.

Elle explique que cette augmentation de capital avait pour but la dilution des associés minoritaires et qu'en tout état de cause, une augmentation de 963 260 euros aurait été suffisante.

Elle estime qu'il y a eu une rupture d'égalité s'agissant des conditions d'émissions des titres, car elle n'avait pas les capacités financières d'y souscrire, et qu'elle avait perdu confiance en la société GSD Gestion ; qu'aucun des autres associés de la société GDS Gestion n'y a d'ailleurs souscrit.

La société Z F fait valoir qu'elle ne détenait, au jour de l'assemblée générale extraordinaire en litige, que 1 012 000 actions sur les 2 000 000 actions composant le capital social, soit 50,60 %, alors que l'article 31 des statuts de la société GSD Gestion prévoit que l'assemblée générale extraordinaire "statue à la majorité des deux tiers des voix dont disposent les actionnaires présents ou représentés, y compris les actionnaires ayant voté par correspondance', soit 1 133 400 actions sur les 1 700 100 actions présentes ou représentées ce jour-là. Elle indique que c'est à juste titre que les premiers juges ont écarté l'existence d'un abus de majorité au motif que la société Z C ne détenait pas la majorité. Elle souligne que les décisions contestées ont été adoptées à l'unanimité, avec le concours des voix de la société Saint Fiacre Participations.

Elle ajoute que l'augmentation de capital était justifiée par l'intérêt social de GSD Gestion, qui devait pouvoir verser la somme transigée aux époux A sans perdre l'agrément de l'AMF, basé sur un niveau de fonds propres minimum défini règlementairement (125 000 euros ou le quart des frais généraux annuels de l'exercice précédent, soit en l'espèce

262 750 euros).

Elle indique qu'il ne peut résulter pour la société Saint Fiacre Participations de préjudice résultant des condamnations prononcées par l'AMF et la Conseil d'Etat dans la mesure où ces condamnations ne visent pas les défendeurs dans la présente instance, sauf M. D Z, mais que tout action en responsabilité serait prescrite.

Il apparaît que le capital de la société GSD Gestion était détenu, à la date du 10 octobre 2014, jour de l'assemblée générale extraordinaire, à 50,6 % en pleine propriété par la société Z B, à 9,5 % en usufruit par M. G Z, et à 9,5% en usufruit par Mme X ne Z, ce qui leur donnait 69,6% des droits de vote ce jour-là, soit plus des deux tiers requis par les statuts pour adopter une résolution.

Cependant, pour étayer le fait que la société Z B, M. G Z et Mme Y Z aient agi de concert, l'appelante se contente de souligner qu'ils appartiennent tous à la même famille, la société Z B étant majoritairement détenue par les parents de M. G Z et Mme Y Z. Cette circonstance est néanmoins insuffisante pour établir une intention commune de voter dans le même sens, d'autant plus qu'en l'espèce, la résolution en litige a été adoptée à l'unanimité, démontrant ainsi que tous les actionnaires, et pas seulement la famille Z, étaient favorables à l'augmentation de capital proposée.

Par suite, en l'absence de démonstration de l'existence d'un bloc de majorité, aucun abus ne peut être qualifié.

Surabondamment la cour relève que la contrariété à l'intérêt social n'est pas établie, l'augmentation du capital d'une société afin de lui permettre de continuer à respecter des seuils réglementairement définis pour exercer son activité ne révélant aucun acte préjudiciable pour elle, que l'atteinte aux droits des associés minoritaires ne l'est pas plus, ceux-ci ayant eu la possibilité de souscrire à l'augmentation de capital proposée et ainsi de conserver leur fraction de détention dans ledit capital et qu'en tout état de cause, l'appelante, composée de professionnels avertis, a voté en faveur de ce projet dont elle ne peut faire croire aujourd'hui que les consorts Z lui en avaient caché le sens et la teneur.

Par suite, et sans qu'il soit besoin d'examiner les chefs de préjudice développés par l'appelante, aucune faute n'étant caractérisée, il y a lieu de confirmer le jugement attaqué.

Sur le caractère abusif de la procédure engagée par la société Saint Fiacre Participations

Les intimés estiment que la société Saint Fiacre Participations agit de mauvaise foi, utilisant la voie de l'abus de majorité car les autres actions sont prescrites, assignant volontairement les époux Z alors qu'elle sait qu'ils ne sont qu'usufruitiers de leurs actions et contestant des résolutions pour lesquelles elle a favorablement voté. Les époux Z soulignent avoir apporté 1 300 000 euros à la société GSD Gestion sur leurs deniers personnels, pour sauver la société, et qu'aucun placement financier ne garantir un dividende annuel. Ils soulignent une stratégie de dénigrement.

La société Saint fiacre conteste sa condamnation par les premiers juges à payer la somme de 15 000 euros aux intimés. Elle estime qu'elle est libre de choisir le fondement sur lequel elle assigne, que le tribunal ne peut donc lui reprocher de ne pas avoir agi sur le fondement des vices du consentement. Elle ajoute que D Z en sa qualité de président directeur général a fait croire aux actionnaires que la société n'aurait rien à payer aux consorts A, et que lorsqu'elle s'est rendu compte de la supercherie, son action en vice du consentement était prescrite, de même que celle en responsabilité à l'encontre des dirigeants.

Elle rappelle qu'elle a voté les résolutions en litige sur la base de mensonges, ayant été induite en erreur sur le fait qu'elle ne serait pas diluée.

Enfin, elle reproche aux premiers juges d'avoir souligné la tardiveté de son action, alors qu'elle a été victime de manipulation.

C'est par des motifs pertinents que les premiers juges ont retenu que la société Saint Fiacre Participations avait abusé de son droit d'agir en justice en introduisant la présente action à l'encontre des intimés, et l'ont condamné à leur payer chacun la somme de 15 000 à titre de dommages et intérêts.

Il y a donc lieu de confirmer cette condamnation, sans qu'il soit nécessaire d'allouer des dommages et intérêts supplémentaires en cause d'appel.

Sur les demandes formées au titre de l'article 700 du code de procédure civile

La société Saint Fiacre Participations demande à ce titre la condamnation des intimés à lui verser la somme de 10 000 euros.

Les intimés demandent la condamnation de la société Saint Fiacre Participation à leur verser une somme de 5 000 euros chacun sur ce fondement.

Il y a lieu de condamner la société Saint Fiacre Participations, qui succombent en ses demandes, à payer à chaque intimé la somme de 5 000 euros.

PAR CES MOTIFS

Confirme le jugement attaqué,

Y ajoutant,

Condamne la société Saint Fiacre Participations à payer la somme de 5 000 à chacun des intimés, soit M. D Z, Mme E Z et la société Z C, sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Rejette les autres demandes,

Condamne la société Saint Fiacre Participations aux dépens d'appel.