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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 2, 3 octobre 2014, n° 13/21736

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Chicken's Chicots Production (SARL)

Défendeur :

Télévision Française 1 (Sté), TF1 Production (Sté), Black Dynamite Production (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Aimar

Conseillers :

Mme Nerot, Mme Renard

Avocats :

Me Perreten, Me Sprung, Me Pillot, Me Barsikian, Me Brotons

TGI Paris, 3e ch. 3e sect., du 16 nov. 2…

16 novembre 2012

Par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile

Signé par Mme Marie-Christine AIMAR, Présidente, et par Mme Carole TREJAUT, Greffière, à laquelle la minute du présent arrêt a été remise par la magistrate signataire.

Vu les articles 455 et 954 du code de procédure civile,

Vu le jugement contradictoire du 16 novembre 2012 rendu par le tribunal de grande instance de Paris (3ème chambre 3ème section),

Vu l'appel interjeté le 14 janvier 2013 par la S.A.R.L. Chicken's Chicots Production,

Vu les dernières conclusions de la S.A.R.L. Chicken's Chicots Production, appelante, en date du 4 juin 2014,

Vu les dernières conclusions de la société Télévision Française 1, ci-après TF1, et de la société TF1 Production, intimées en date du 18 juin 2014,

Vu les dernières conclusions de la SAS Black Dynamite Production en date du 18 juin 2014,

Vu l'ordonnance de clôture en date du 19 juin 2014,

SUR CE, LA COUR,

Il est expressément renvoyé pour un plus ample exposé des faits de la cause et de la procédure à la décision entreprise et aux écritures des parties,

Il sera simplement rappelé que :

La société Chicken's Chicots Production est une société de production audio-visuelle membre du syndicat des producteurs indépendants.

La société Chicken' Chicots Production indique avoir obtenu en exclusivité les droits de captation et de diffusion de l'édition 2010 du festival 'Les Rendez-Vous de Terres Neuves' co-produit par le groupe de rock alternatif Noir Désir et l'association 'les Sangliers sont lâchés' qui s'est tenu les 1ers et 2 octobre 2010 à Bègles. Elle précise que ce festival revêtait une importance particulière pour elle étant donné que c'est à cette occasion que le chanteur Bertrand Cantat devait faire sa première apparition sur scène depuis sa sortie de prison, avec le groupe Eiffel.

Elle expose qu'à partir des images captées, elle a réalisé un reportage à la demande de Noir Désir Musique afin de promouvoir l'édition 2010 du festival 'Les Rendez-Vous des Terres Neuves', qui a été mis en ligne sur le site Dailymotion le 4 octobre 2010.

Quelques jours plus tard elle déclare avoir constaté que des images de son reportage avaient été reprises dans une rubrique de l'émission '50 minutes inside', magazine d'information consacré à l'actualité des personnes célèbres, produite par la société TF1 Production, diffusée sur la chaîne de télévision TF1 les 9 et 16 octobre 2010, avant d'être mises en ligne sur internet.

La société Chicken's Chicots Production a, selon lettre du 18 janvier 2011, mis en demeure les sociétés TF1 et TF1 Production d'avoir à réparer le dommage causé par l'utilisation de ces images sans autorisation.

Les sociétés TF1 lui ont répondu le 25 janvier 2011 qu'elles n'avaient pas pris part à la réalisation du reportage commandé à la société Black Dynamite Production qui les garantissait contre tout recours.

La société Black Dynamite Production est une société de production ayant une activité de producteur d'émissions et de producteur exécutif de reportages destinés à d'autres producteur et/ou diffuseurs. C'est dans ce dernier cadre qu'elle a réalisé un reportage de 6 minutes 45 sur le chanteur Bertrand Cantat pour la société TF1 Production.

C'est dans ces circonstances que la société' Chicken's Chicots Production a, selon actes d'huissier des 18 et 22 mars 2011, fait assigner les sociétés TF1, TF1 Production et Black Dynamite Production, en contrefaçon de droits d'auteur, fondée sur le livre I du code de la propriété, devant le tribunal de grande instance de Paris .

Suivant jugement dont appel, le tribunal a essentiellement :

- déclaré irrecevables les demandes formées par la société Chicken's Chicots Production au titre de la contrefaçon de droits d'auteur,

- condamné la société Chicken's Chicots Production à verser la somme de 1.500 euros à chacune des sociétés TF1, TF1 Production et Black Dynamite sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

En cause d'appel la S.A.R.L. Chicken's Chicots Production appelante demande essentiellement dans ses dernières écritures du 4 juin 2014 de :

- infirmer le jugement déféré,

- la déclarer recevable et bien fondée en ses demandes,

- à titre principal, dire et juger que les sociétés intimées se sont rendues coupables d'actes de contrefaçon à son préjudice,

- à titre subsidiaire, dire que les sociétés intimées ont violé ses droits patrimoniaux de vidéogramme,

- condamner solidairement les sociétés intimées à lui payer la somme de 50.000 euros en réparation de l'ensemble de ses préjudices,

- ordonner la publication du jugement à intervenir (sic),

- débouter l'ensemble des demandes des sociétés intimées,

- ordonner l'exécution provisoire de la décision (sic),

- condamner solidairement les sociétés intimées à lui payer la somme de 10.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Les sociétés Télévision Française 1 et TF1 Production, intimées, s'opposent aux prétentions de la société appelante, et pour l'essentiel, demandent dans leurs dernières écritures du 18 juin 2014 de :

- déclarer irrecevable la nouvelle demande formée par la société Chicken's Chicots Production au titre de la prétendue atteinte à ses droits de producteur de vidéogramme,

- confirmer le jugement en ce qu'il a déclaré irrecevable la société Chicken's Chicots Production en ses demandes au titre de la contrefaçon de droits d'auteur,

- subsidiairement, déclarer la société Chicken's Chicots Production irrecevable à agir pour défaut de qualité à agir,

- très subsidiairement, la débouter de l'ensemble de ses demandes,

- à titre infiniment subsidiaire, condamner la société TF1 Production à garantir la société TF1 et condamner la société Black Dynamite Production à garantir la société TF1 Production de toutes condamnations prononcées à leur encontre,

- condamner tout succombant à payer à chacune des sociétés TF1 et TF1 Production une somme de 10.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

La société Black Dynamite Production, intimée, demande dans ses dernières écritures du 18 juin 2014 de :

- confirmer le jugement en ce qu'il a déclaré la société Chicken's Chicots Production irrecevable à agir en contrefaçon de droits d'auteur,

- subsidiairement, déclarer la société Chicken's Chicots Production irrecevable à agir pour défaut de qualité à agir,

- déclarer irrecevable la demande nouvelle formée au titre de ses droits d'auteur de vidéogramme,

- subsidiairement, la débouter de l'ensemble de ses demandes

- condamner la société Chicken's Chicots Production à lui payer la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Sur l'action principale en contrefaçon de droits d'auteur,

* Sur la recevabilité de l'action,

Il convient d'examiner, préalablement à l'appréciation du caractère original des images du reportage qui constitue une question de fond, la recevabilité de l'action, à ce titre.

Les sociétés intimées soulèvent l'irrecevabilité de la demande en contrefaçon de droit d'auteur de la captation d'images qu'elle qualifie d'oeuvre audiovisuelle au motif qu'elle ne démontre pas de façon pertinente venir aux droits des auteurs de cette oeuvre de l'esprit, faute de rapporter la preuve qu'une ou des personnes physiques, lesquelles seules peuvent revendiquer la qualité d'auteur en application de l'article L 113-7 du code de la propriété intellectuelle lui auraient cédé leurs droits patrimoniaux, aucun contrat liant le producteur aux auteurs n'étant communiqué. Elles ajoutent qu'elle ne peut, de plus, invoquer un droit moral incessible.

Cependant la société appelante se fonde sur les dispositions de l'article L 132-24 alinéa 1 du code de la propriété intellectuelle qui prévoit 'le contrat qui lie le producteur aux auteurs d'une oeuvre audiovisuelle, autres que l'auteur de la composition musicale avec ou sans paroles, emporte, sauf clause contraire et sans préjudice des droits reconnus à l'auteur par les dispositions des articles L 111-3, L 121-4, L 121-5, L 122-1 à L 122-7, L 123-7, L 131-2 à L 131-7, L 132-4 et L 132-7, cession au profit du producteur des droits exclusifs d'exploitation de l'oeuvre audiovisuelle.

La société Chicken's Chicots Production qui a exploité à son nom, de façon non équivoque, le reportage litigieux comportant son logo, sans que les ou les auteurs revendiquent un quelconque droit sur celle-ci bénéficie de cette présomption de titularité des droits patrimoniaux qui n'est contredite par aucun élément contraire.

Il s'ensuit que sa demande est recevable au titre de son action au titre du droit d'auteur.

* Sur le fond,

Aux termes de l'article L 112-2 du code de la propriété intellectuelle sont considérées comme oeuvre de l'esprit au sens du présent code ...6° les oeuvres cinématographiques et autres oeuvres consistant dans des séquences animées d'images, sonorisées ou non, dénommées ensemble oeuvres audiovisuelle.

L'oeuvre audiovisuelle bénéficie de la protection conférée aux oeuvres de l'esprit c'est à dire sans formalité dès lors qu'elle présente un caractère original.

La société Chicken's Chicots Production soutient que le 'clip live' réalisé par elle à partir des images du concert du groupe Eiffel avec Bertrand Cantat à l'occasion du festival 'Les Rendrez-Vous de Terres Neuves' revêt un caractère original car elle a fait le choix de filmer le concert depuis la fosse, parmi les spectateurs, afin de plonger le spectateur dans l'ambiance du concert, par le positionnement de plusieurs caméras dans la salle afin de filmer la scène sous différents angles avec différents focus adaptés pour mieux rendre compte du concert et de son accueil par le public, par le choix de filmer le public. Elle ajoute que cette originalité ressort également du choix technique et artistique opéré lors du montage, par la synchronisation de l'enchaînement des images sur le rythme de la musique et poursuit en indiquant que le tout atteste d'une composition originale propre à sa ligne éditoriale qui se distingue des autres de scènes de concert filmées.

Cependant si l'exclusivité obtenue selon la société Chicken's Chicots Production qui est confirmée par le courrier de la directrice de 'l'association les sangliers sont lâchés' et l'extrait d'un article de presse, pour filmer les images de ce concert, en fait un produit audiovisuel particulier, l'ensemble de celui-ci, visionné par la cour, ne revêt pas, comme le soutiennent les sociétés intimées, un caractère original manifestant la personnalité de son producteur car le placement de plusieurs cameras dans la salle pour filmer la scène sous plusieurs angles avec des focus différents et le fait de filmer à partir de la fosse et de filmer également le public pour en reproduire les réactions ne constituent que des pratiques usuelles pour ce genre d'événements. Rien dans le montage portant sur une succession de plans qui rendent compte de l'événement sur lesquels la piste sonore reprend la musique du concert captée, ne permet de manifester une personnalité singulière à ce reportage. Aussi c'est à bon droit que le tribunal a déclaré la société Chicken's Chicots Production n'est pas fondée à se prévaloir de la protection des droits d'auteur sur les oeuvres audio-visuelles.

Sur la protection en qualité de producteur de vidéogramme,

La société Chicken's Chicots Production sollicite en cause d'appel, à titre principal, la condamnation solidaire des sociétés intimées sur les fondement des articles L 11-1, L 112-2, L 121-1, L 121-2 et L 122-4 du code de la propriété intellectuelles à l'indemniser de ses préjudices matériel et moral résultant d'une contrefaçon de ses droits d'auteur, et, à titre subsidiaire, la condamnation solidaire des sociétés intimées, sur le fondement de l'article L 215-1 dudit code à l'indemniser du préjudice patrimonial du fait d'une atteinte à ses droits de producteur de vidéogramme, cette demande subsidiaire étant présentée pour la première fois en cause d'appel.

Les sociétés intimées soutiennent que cette dernière demande constitue une demande nouvelle irrecevable en cause d'appel.

La société Chicken's Chicots Production soutient au contraire que l'action en violation du droit voisin du producteur de vidéogramme tend aux mêmes fins que l'action en contrefaçon dans la mesure où elles visent toutes deux à sanctionner l'atteinte à un droit privatif et que sa demande en violation de droits voisins constitue une demande additionnelle en modification des prétentions antérieures.

En application de l'article 564 du code de procédure civile, à peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait.

Selon l'article 565 du code de procédure civile, les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celle soumises au premier juge même si leur fondement juridique est différent.

L'article 566 du même code prévoit que les parties peuvent expliciter les prétentions qui étaient virtuellement comprises dans les demandes et défense soumises au premier juge et ajouter à celles-ci toutes les demandes qui en sont l'accessoire, la conséquence ou le complément.

En l'espèce, l'action en violation des droits voisins du producteur de vidéogramme tend à obtenir réparation d'une atteinte distincte de celle sollicitée en première instance au titre du droit d'auteur. En effet, la première est relative à la protection des droits d'un investisseur financier fondée sur le livre II du code de la propriété intellectuelle alors que la seconde tend à protéger les droits du créateur d'une oeuvre originale fondée sur le livre premier de ce code. Ces protections pouvant d'ailleurs se cumuler si l'auteur est également le producteur.

S'agissant de droits distincts, qui ne tendent pas aux mêmes fins, la seconde n'étant pas l'accessoire, la conséquence ou le complément de la première demande, la société appelante n'est pas fondée à indiquer qu'elle formule une demande additionnelle tendant aux mêmes fins que ses demandes précédentes, l'appelante soulignant d'ailleurs, avec exactitude, que la simple fixation d'images fait naître des droits au profit de celui qui la réalise, indépendamment de toute oeuvre de l'esprit.

La société Chicken's Chicots Production est donc, s'agissant d'une demande nouvelle formée pour la première fois en cause d'appel, irrecevable à agir à ce titre.

Sur les autres demandes

L'équité commande d'allouer à chacune des sociétés intimées la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et de rejeter la demande formée de ce chef par la société appelante.

Les dépens resteront à la charge de la société appelante qui succombe et seront recouvrés par les avocats de la cause dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Confirme le jugement en ce qu'il a déclaré la société Chicken's Chicots Production irrecevable à agir au titre de la contrefaçon des droits d'auteur,

Déclare la société Chicken's Chicots Production irrecevable à agir en sa qualité de producteur de vidéogramme,

En conséquence,

Rejette l'ensemble des demandes de la société appelante,

Y ajoutant,

Condamne la société appelante à payer à chacune des sociétés intimées la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Rejette le surplus des demandes reconventionnelles,

Condamne la société appelante aux entiers dépens qui seront recouvrés par les avocats de la cause dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile.