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Décisions

CA Paris, Pôle 1 ch. 8, 1 avril 2016, n° 14/16647

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Défendeur :

Les Films du Raphia (SARL), Cinelouxor (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Dabosville

Conseillers :

Mme Louys, Mme Bouvier

TGI CC Paris, du 11 juill. 2014, n° 14/5…

11 juillet 2014

M. Jean-Marie T. réalise des films et les produit via la société SARL Les Films du Raphia, dont il est le gérant. Le 18 juillet 2004, il a réalisé un entretien filmé avec Mme Ernestine O., portant principalement sur la mémoire de son père, Ernest O., figure de la lutte pour l'indépendance du Cameroun exécuté le 15 janvier 1971.

Le 28 octobre 2009, Ernestine O. a été retrouvée morte dans des circonstances non-élucidées, la thèse privilégiée étant celle du suicide. La survenance de cet évènement a relancé l'intérêt populaire pour l'histoire de la famille O., de sorte que M. T. a pris la décision de réaliser un documentaire sur le sujet, basé sur son entretien avec la défunte.

Ce documentaire appelé "Une feuille dans le vent" a été coproduit par la société Les Films du Raphia, et l'Institut Gabonais de l'Image et du Son. Il a été diffusé en avant-première le 18 mars 2014 au cinéma Le Louxor à Paris, géré par la société SAS CINÉLOUXOR, et loué pour l'occasion par la société Les Films du Raphia.

M. Jacques D. T. époux d'Ernestine O. et de ses deux fils Boris et Ernesto D. T. (ci-après les consorts D. T.) ont sollicité le report de cette projection sans succès, et se sont fait communiquer une copie du film.

Estimant que ce film portait atteinte au droit d'auteur de la défunte et dévoilait leur vie privée sans qu'ils ne l'aient autorisé, les consorts D. T. ont tenté d'obtenir indemnisation de leur préjudice auprès de M. T. par la voie amiable puis aucun accord n'ayant été trouvé, par acte du 15 avril 2014, ont fait assigner à heure indiquée M. T., la SARL Les Films du Raphia, et la SAS CINÉLOUXOR devant le juge des référés du tribunal de grande instance de Paris , aux fins de :

- suspendre la diffusion et l'exploitation du documentaire ;

- condamner solidairement Jean-Marie T., Les Films du Raphia et CINÉLOUXOR au paiement de 40.000 euros de dommages-intérêts au titre du prétendu préjudice moral résultant de la diffusion du documentaire ;

- condamner solidairement Jean-Marie T., Les Films du Raphia et CINÉLOUXOR au paiement de 5.000 euros au titre du prétendu préjudice financier résultant de la diffusion du documentaire ;

- condamner solidairement Jean-Marie T., Les Films du Raphia et CINÉLOUXOR à consigner la somme de 50.000 euros entre les mains de Monsieur le Bâtonnier de l'ordre des avocats au barreau de Paris ;

- ordonner le retrait du documentaire, de son synopsis et de tous ses extraits sur tout support de publication, sur tout site internet, et notamment sur les sites suivants : www.camer.be, www.africa-festival.fr, www.premiere.fr, www.fidmarseille.org, www.ridm.qc.ca, www.clapnoir.org ;

- ordonner la publication de la décision à intervenir dans un quotidien national aux frais de Jean-Marie T., Les Films du Raphia et CINÉLOUXOR, outre frais et dépens.

Par ordonnance contradictoire du 11 juillet 2014, le juge des référés du tribunal de grande instance de Paris , retenant notamment que dans l'assignation introductive d'instance, MM. Jacques et Ernesto D. T. mentionnent comme seule adresse "[...]" ce qui n'est pas une indication suffisamment précise s'agissant d'une ville de 70 000 habitants ; que M. Boris D. T. mentionne comme seule adresse "Canada" ; que ces mentions insuffisantes n'ont pas été complétées à l'audience ; que l'absence d'indication du domicile des demandeurs cause grief aux défendeurs en ce qu'elle ne leur permet pas de signifier et d'exécuter la décision ; qu'une élection de domicile au cabinet de leur conseil ne fait pas disparaitre ce grief puisque la signification et l'exécution demeurent impossible ; a :

- déclaré nulles les assignations délivrées à Jean-Marie T., la société Les Films du Raphia et la société CINÉLOUXOR ;

- condamné in solidum Jacques, Emesto et Boris D. T. à payer à Jean-Marie T. et la société Les Films du Raphia la somme de 2.000 euros et à la société CINÉLOUXOR une somme identique sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

M. Jacques D. T. a relevé appel de cette décision par déclaration d'appel reçue le 25 juillet 2014 et enregistrée sous le numéro RG 14/16047. MM. Boris et Ernesto D. T. ont relevé appel de ladite décision par déclaration d'appel reçue le 31 juillet 2014 et enregistrée sous le numéro RG 14/16647 . Les deux affaires ont été jointes sous le numéro RG 14/16647.

Les appelants par leurs dernières conclusions, régulièrement transmises le 28 janvier 2016, demandent à la cour de :

- réformer l'ordonnance de référé du tribunal de grande instance de PARIS du 11 juillet 2014 sous le n°14/54541

Et statuant à nouveau :

- dire et Juger que la diffusion du film « une feuille dans le vent » sans autorisation des ayants droits, constitue une violation de la vie privée des consorts D. T. ;

- dire et juger que la diffusion de ce film sans autorisation constitue une atteinte au droit d'auteur de la défunte Ernestine O. et de ses ayants droits ;

- condamner solidairement les sociétés Les Films du Raphia, CINÉLOUXOR et Monsieur Jean Marie T. à 40.000euros au titre de dommages et intérêts pour préjudice moral ;

- condamner solidairement les sociétés Les Films du Raphia, CINÉLOUXOR et Monsieur Jean Marie T. à 50.000euros au titre du préjudice financier ;

- condamner solidairement les sociétés Les Films du Raphia, CINÉLOUXOR et Monsieur Jean Marie T. à verser à chacun des demandeurs, la somme de 3.000euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- les condamner aux entiers dépens.

Sur la réformation de l'ordonnance en ce qu'elle a déclaré nulle leur assignation pour défaut de mention du domicile, ils font valoir :

- que cette ordonnance est insuffisamment motivée au regard de l'article 455 du code de procédure civile ; qu'en effet le juge s'est basé sur des faits inexacts pour motiver sa décision ; qu'il a retenu de manière péremptoire que la ville de Foumbot compte 70 000 habitants, qu'elle aurait un code postal et que ses rues auraient une dénomination ; qu'il n'existe pas de code postal au Cameroun et les rues n'ont généralement pas de nom, comme cela ressort des attestations du sous-préfet de la ville, versées aux débats ;

- que le premier juge a commis une erreur de droit en retenant que le domicile des demandeurs tel qu'indiqué dans l'assignation était incomplet ; qu'il précise la commune et la boîte postale comme cela se fait au Cameroun, pays dans lequel il n'existe ni nom ni numéro de rue ; qu'il ressort par ailleurs de l'article 751 du code de procédure civile qu'en constituant avocat, les appelants ont élu domicile en son Cabinet ;

Sur leurs demandes, les appelants soutiennent :

- qu'ils ont subi une atteinte à leur vie privée ; que l'article 9 du code civil protège la vie privée et donne tous pouvoirs au juge pour la défendre ; qu'en l'espèce le film "Une feuille dans le vent" évoque régulièrement le mari et les enfants d'Ernestine O., notamment la difficulté pour ces enfants de se construire sans avoir connu leur célèbre grand-père ; que les consorts D. T. n'ont jamais consenti à ce que leur histoire personnelle soit révélée au cinéma ; que le simple fait que la vidéo ait été tournée au domicile familial en présence des consorts D. T. porte atteinte à leur vie privée ;

- qu'Ernestine O. dont ils sont les ayants-droits a subi une atteinte à ses droits d'auteur ; que la jurisprudence retient régulièrement que la qualité d'auteur d'une oeuvre collaborative doit être reconnue à la personne dont les déclarations fournissent la substance d'un livre de souvenirs ; que cette position est transposable à l'espèce dans la mesure où le film se base sur le récit de sa vie par Mme O. ; qu'il ne s'agit pas d'une simple interview mais de la matière principale d'un film ;

que par ailleurs Mme O. ne se borne pas à répondre aux questions mais a organisé l'entretien et préparé certaines questions ; qu'elle a apporté son expertise de journaliste professionnelle ; qu'il s'agit donc à ce titre d'une interview protégeable au titre du droit d'auteur parce qu'originale ; que pourtant la SARL Les Films du Raphia ne justifie pas avoir signé un contrat de production audiovisuelle avec la défunte, alors que l'article L.132-24 du code de la propriété intellectuelle impose une cession expresse de ses droits par l'auteur pour que le producteur puisse jouir paisiblement des droits d'exploitation de l'oeuvre audiovisuelle ; que cette société exploite donc les droits du film en violation des droits d'auteur de Mme O., et encourt les peines prévues aux articles L.335-3 et 4 du code de la propriété intellectuelle ; qu'elle n'a même pas averti les appelants de son intention de diffuser le film ;

- que les intimés sont responsables de ces préjudices ; que la société Les Films du Raphia et M. T. ont commis une faute en ce qu'ils ont procédé à l'interview et l'ont détourné afin d'en faire un film, et l'exploiter sans autorisation préalable de la défunte ni de ses ayants-droits ; que la société CINÉLOUXOR a commis une faute en acceptant de diffuser ce film sans rechercher s'il disposait des autorisations nécessaires, et en percevant les droits d'entrée afférents en méconnaissance des droits des appelants ; qu'ils ont subi un préjudice résidant dans le renforcement de leur souffrance liée au décès de Mme O., en ce que cet événement a fait l'objet d'une exploitation médiatique sans leur consentement ; que l'exploitation mercantile d'informations relatives à un défunt est source de responsabilité.

Monsieur Jean-Marie T. et la SARL Les Films du Raphia, intimés, et appelants incidents, par leurs dernières conclusions régulièrement transmises le 4 février 2016, demandent à la cour de :

A titre liminaire :

- constater que les actes d'appel de Messieurs Jacques, Boris et Ernesto D. T.T. ne portent aucune indication de leur domicile personnel ;

- constater que les conclusions de Messieurs Jacques, Boris et Ernesto D. T. ont été régularisées après expiration du délai prévu à l'article 908 du Code de procédure civile ;

En conséquence :

- prononcer la nullité des actes d'appel de Messieurs Jacques, Boris et Ernesto D. T. ;

- prononcer la caducité des actes d'appel de Messieurs Jacques, Boris et Ernesto D. T. ;

A titre principal :

- confirmer l'ordonnance du 11 juillet 2014 rendue par le Tribunal de grande instance de Paris en ce qu'elle a prononcé la nullité de l'assignation de Messieurs Jacques, Boris et Ernesto D. T. ;

Statuant à nouveau :

- débouter Messieurs Jacques, Boris et Ernesto D. T. de l'ensemble de leurs demandes et prétentions en réformation de l'ordonnance du 11 juillet 2014 ;

A titre subsidiaire :

- se déclarer incompétente pour statuer sur les demandes de Messieurs Jacques, Boris et Ernesto D. T. visant au paiement de dommages et intérêts ;

En conséquence :

- rejeter l'ensemble des demandes de Messieurs Jacques, Boris et Ernesto D. T. visant au paiement de dommages et intérêts ;

A titre infiniment subsidiaire :

- déclarer irrecevables pour défaut d'intérêt et de qualité à agir les demandes de Messieurs Jacques, Boris et Ernesto D. T. au titre de la prétendue atteinte au droit à la vie privée et au droit à l'image d'Ernestine O. ;

- déclarer irrecevables pour défaut d'intérêt et de qualité à agir les demandes de Messieurs Jacques, Boris et Ernesto D. T. au titre de la prétendue atteinte aux droits d'auteurs d'Ernestine O. ;

- juger que le documentaire « Une feuille dans le vent » ne porte aucunement atteinte à la vie privée et au droit à l'image d'Ernestine O. ;

- juger que le documentaire « Une feuille dans le vent » ne porte aucunement atteinte à la vie privée et au droit à l'image de Messieurs Jacques, Boris et Ernesto D. T. ; - juger que Madame Ernestine O. ne détient aucun droit d'auteur sur le documentaire « Une feuille dans le vent » ;

- juger que la procédure intentée par Messieurs Jacques, Boris et Ernesto D. T. à l'encontre de Monsieur Jean-Marie T. et de la société Les Films du Raphia est abusive ;

En conséquence et en tout état de cause :

- débouter Messieurs Jacques, Boris et Ernesto D. T. de l'intégralité de leurs demandes au titre de la prétendue atteinte à la vie privée et au droit à l'image d'Ernestine O. ;

- débouter Messieurs Jacques, Boris et Ernesto D. T. de l'intégralité de leurs demandes au titre de la prétendue atteinte à leur vie privée et à leur image ;

- débouter Messieurs Jacques, Boris et Ernesto D. T. de l'intégralité de leurs demandes au titre de la prétendue contrefaçon des droits d'auteur d'Ernestine O. ;

- condamner solidairement Messieurs Jacques, Boris et Ernesto D. T. à verser à Jean-Marie T. et Les Films du Raphia 10.000 euros pour procédure abusive ;

- condamner solidairement Messieurs Jacques, Boris et Ernesto D. T. à verser à Jean-Marie T. et Les Films du Raphia 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner Messieurs Jacques, Boris et Ernesto D. T. aux entiers dépens.

Sur l'irrégularité et l'irrecevabilité des actes d'appel, ils font valoir :

- que l'article 901 du code de procédure civile liste les mentions qui doivent figurer dans une déclaration d'appel à peine de nullité de l'acte pour vice de forme ; que la cour de cassation estime que la mention du domicile n'est pas valable si elle se limite à une élection de domicile au cabinet de l'avocat de l'appelant, et qu'elle fait grief si elle nuit à l'exécution du jugement déféré ; que les appelants ne précisent pas leurs domiciles personnels dans les déclarations d'appel et se contentent d'élire domicile chez leur avocat ; qu'en l'absence de domicile personnel les intimés n'ont pu signifier l'ordonnance querellée ; qu'ils n'ont donc pu obtenir un titre revêtu de l'exécution provisoire ; que les actes d'appel sont donc nuls ;

- que les appelants n'ont pas conclu dans les délais posés par les articles 908 et 911-2 du code de procédure civile ; que leurs appels sont donc caducs.

Sur la confirmation de l'ordonnance querellée, ils font valoir :

- que l'ordonnance dont appel est suffisamment motivée ; qu'elle a pris en compte les justifications des consorts D. T. s'agissant de la mention incomplète de leur domicile ; qu'ils ont même été invités à apporter des précisions supplémentaires à l'audience ce qu'ils n'ont pas fait ; que les appelants confondent donc bien fonder et motivation ;

- que l'ordonnance dont appel est bien fondée ; qu'il relève des articles 56 et 648 du code de procédure civile ainsi que d'une jurisprudence constante que la mention du domicile personnel du demandeur doit être mentionnée dans l'assignation sous peine de nullité et que, lorsque le demandeur est domicilié en milieu urbain, cette mention doit préciser le nom et le numéro de la rue ; que la ville de Foumbot est une zone urbaine ; qu'il n'est pas allégué que Boris D. T. ne demeure pas en zone urbaine au Canada ;

Sur l'incompétence de la Cour pour juger des demandes de dommages et intérêts des consorts D. T., les intimés font valoir que les demandes de dommages et intérêts des appelants supposent toutes d'interpréter des questions de fond, ce qui excède les pouvoirs du juge des référés.

Sur l'irrecevabilité des demandes des appelants, ils font valoir :

- que les demandes relatives au droit à l'image et à la vie privée de Mme O. sont irrecevables dans la mesure ou le droit d'agir pour le respect de la vie privée et du droit à l'image garantit par l'article 9 du Code civil s'éteint au décès de la personne concernée et n'est pas transmis à ses héritiers ; que les héritiers peuvent uniquement agir dans le cadre d'une atteinte à la mémoire ou au respect dû au mort ; qu'une telle atteinte n'est pas alléguée en l'espèce ; qu'il est simplement fait état de la révélation de faits intimes, sans en contester la véracité, ce qui ne suffit pas à caractériser l'atteinte à la mémoire de la défunte ; qu'au contraire le but du documentaire est de lui rendre hommage, comme en témoignent les critiques du film ;

- que c'est à tort que les appelants exposent que le film porte atteinte à leur propre droit à la vie privée et à l'image ; que Mme O. n'évoque jamais son mari Jacques D. T. dans le documentaire ; qu'elle parle très brièvement de ses enfants à la fin du documentaire ; que ces propos, intégralement retranscrits, ne portent pas atteinte à leur vie privée ; qu'ils font simplement état de leur curiosité s'agissant de leurs origines, et de l'impossibilité dans laquelle se trouve leur mère de leur répondre, en raison des lacunes de l'Histoire collective camerounaise ; que les enfants ne semblent pas regretter l'existence de ce film puisque Ernesto D. T. le liste parmi ses films favoris sur les réseaux sociaux, et que Boris D. T. a envoyé une lettre de remerciements à M. T. ; qu'il semble donc que leur père soit seul à l'origine de la procédure ;

- que le documentaire ne viole pas non plus les droits d'auteur de Mme O. ; que la cour de cassation considère que la personne qui se contente d'apparaître dans un documentaire évoquant sa vie n'en a pas la qualité d'auteur ; que les appelants, qui ont la charge de prouver les faits qu'ils allèguent, n'établissent pas que Mme O. ait joué un rôle actif dans la réalisation de l'interview ; qu'au contraire Mme O. s'est contentée de répondre aux questions, sans participer à l'élaboration du film ; qu'en tout état de cause les demandes des consorts D. T. de ce chef sont irrecevables en ce qu'ils n'établissent pas leur qualité d'ayant-droit de Mme O., et en ce que leur soeur Kathleen n'est pas partie à l'instance alors que l'article L.113-3 du code de la propriété intellectuelle dispose que l'ensemble des cotitulaires de droits d'auteur doivent être parties à toute procédure qu'ils initient sur le fondement de ces droits d'auteur ;

- que les consorts D. T. n'ont subi aucun préjudice ; que leurs prétentions s'agissant de l'atteinte à la vie privée et à l'image de Mme O. aux droits de laquelle ils viennent ne sont pas reprises dans le dispositif de leurs conclusions ; que la cour ne peut donc pas statuer sur ces demandes, conformément à l'article 954 du code de procédure civile ; que les demandes relatives à l'atteinte à leur vie privée et à leur image sont irrecevables ; qu'à considérer qu'elles soient jugées recevables, aucun document ne justifie l'évaluation qu'ils font de leur préjudice ; que leurs demandes sont déraisonnables en ce qu'elles s'élèvent à 93.000 euros alors que la diffusion du documentaire a généré une recette de 188.78 euros TTC.

Sur leurs demandes reconventionnelles, les intimés font valoir que la procédure est abusive et que les demandes des appelants sont irrecevables et démesurées.

La SAS CINÉLOUXOR, intimée, dans ses dernières conclusions régulièrement transmises le 29 janvier 2016, demande à la cour de :

A titre principal :

- constater que les actes d'appel et les conclusions de Messieurs Jacques, Boris et Ernesto D. T. ne comportent pas l'indication de leur domicile réel ainsi que pour les actes d'appel :

* pour Monsieur Jacques D. T. sa date de naissance, sa profession et sa nationalité,

* pour Monsieur Ernesto D. T. sa date et lieu de naissance et sa profession,

* pour Monsieur Boris D. T. sa profession ;

En conséquence :

- prononcer la nullité de leurs actes d'appel ;

A défaut, au visa de l'article 526 du CPC,

- prononcer la radiation de l'affaire dès lors que la décision querellée n'a pas été exécutée ;

A titre subsidiaire :

- confirmer l'ordonnance entreprise ayant annulé l'assignation de première instance ;

A titre infiniment subsidiaire :

- débouter comme étant irrecevables, faute d'intérêt à agir, les consorts D. T. en leurs demandes visant la société CINÉLOUXOR au titre d'une prétendue atteinte à la vie privée de leur mère et épouse ;

- débouter comme étant irrecevables au visa de l'article L.113-3 du code de la propriété intellectuelle , les consorts D. T. en leurs demandes visant la société CINÉLOUXOR au titre d'une prétendue atteinte aux droits d'auteurs de leur mère et épouse ;

- constater que les appelants n'établissent pas la preuve des faits d'atteinte à la vie privée et de contrefaçon, qu'ils allèguent ;

- constater que les appelants n'établissent pas la prétendue qualité d'auteur de leur mère et épouse qu'ils revendiquent ;

- constater les nombreuses contestations sérieuses opposées par la concluante ;

En conséquence :

- dire n'y avoir lieu à référé ;

- prononcer la mise hors de cause de la société CINÉLOUXOR du présent litige ;

- si par extraordinaire, la cour prononçait une quelconque condamnation à l'encontre de la société CINÉLOUXOR, condamner conjointement M. T. et la société les Films du Raphia à la relever indemne et à la garantir de toutes condamnations ;

En tout état de cause :

- condamner solidairement les consorts D. T. au paiement de la somme de 4.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner les consorts D. T. au paiement des entiers dépens d'appel ;

Sur la nullité des actes d'appel et la radiation de l'affaire, l'intimée fait valoir :

- que les actes d'appel sont nuls en ce que les appelants se bornent à élire domicile chez leur avocat, alors que la cour de cassation considère dans ce cas que la déclaration d'appel encourt la nullité ; que différents renseignements les concernant font défaut dans la déclaration d'appel ; que ce vice de forme a causé grief à l'intimée qui n'a pu signifier et faire exécuter la décision de première instance ;

- que malgré les demandes répétées de l'intimée, les appelants n'ont pas exécuté leur condamnation à paiement au titre de l'article 700 du code de procédure civile ; que leur appel encourt donc la radiation au titre de l'article 526 du code de procédure civile.

Sur la confirmation de l'ordonnance en ce qu'elle a prononcé la nullité de l'assignation délivrée par les consorts D. T., l'intimée soutient qu'il résulte des articles 56, 648 et 752 du code de procédure civile qu'une assignation devant le tribunal de grande instance doit mentionner les domicile et nationalité du requérant, à peine de nullité ; que cette nullité doit faire grief ; que ce grief réside dans l'impossibilité pour le défendeur de faire exécuter la décision à intervenir ; que l'assignation délivrée par les consorts D. T. ne contient pas l'adresse de Boris D. T., ni la nationalité de Ernesto D. T. ; que l'adresse de Jacques et Ernesto D. T. est incomplète en ce qu'elle ne contient que la mention d'une ville et d'une boîte postale, alors qu'en milieu urbain, il ressort de la jurisprudence et de la doctrine que la mention du nom de la rue et d'un numéro de rue est nécessaire ; que ces omissions ont causé grief à l'intimée qui n'a pu signifier l'ordonnance dont appel et la faire exécuter ;

Sur le mal fondé des demandes des consorts D. T., l'intimée indique :

- qu'ils n'ont pas qualité à agir sur le fondement de l'article 9 du code civil au nom de feu Mme O. ; que la cour de cassation considère en effet que cet intérêt est personnel, s'éteint à la mort de la personne concernée et ne se transmet pas à ses héritiers ; que les consorts D. T. ne justifient pas être héritiers de Mme O. ; que Mme O. était déjà décédée lorsque le film a été diffusé ;

- que leur soeur Kathleen n'est pas partie à l'instance alors que l'article L.113-3 du code de la propriété intellectuelle dispose que l'ensemble des cotitulaires de droits d'auteur doivent être parties à toute procédure qu'ils initient sur le fondement de ces droits d'auteur ;

- qu'ils n'apportent aucune preuve établissant les griefs de leur propre violation de vie privée et tout fait de complicité de contrefaçon ; que les pièces qu'ils versent au débat montrent seulement que la société Cinelouxor a diffusé un film faisant intervenir leur mère ; que Jacques D. T. n'est pas cité dans le film et que Boris et Ernesto D. T. ne sont cités que très brièvement et de manière anodine ;

- qu'il n'existe aucun péril imminent ou trouble manifestement illicite justifiant qu'il soit procédé par la voie des référés ; qu'il existe de nombreuses contestations justifiant que le litige relève du pouvoir d'appréciation du juge du fond, la meilleure preuve en étant que les appelants sollicitent des dommages et intérêts qui ne peuvent être accordés que par le juge du fond ;

- que les appelants n'apportent pas la preuve de la qualité d'auteur de Mme O. ; qu'ils allèguent du fait que celle-ci a donné des directives quant à la tenue de l'interview sans le justifier ; que cette allégation est antinomique avec les demandes concernant l'atteinte à la vie privée de leur mère, dans la mesure ou si elle a donné des directives, elle a nécessairement consenti à la captation de l'interview ; qu'en vertu des articles L111-1 et L132-24 du code de la propriété intellectuelle , M. T. en sa qualité de réalisateur du film est présumé en être l'auteur, et la société Les Films du Raphia en sa qualité de producteur est présumée titulaire des droits d'exploitation ; que ces personnes avaient donc toute légitimité pour solliciter l'intimée afin de réserver le cinéma pour l'avant-première du film ;

que Mme O. a nécessairement donné son consentement, au moins tacite, à la diffusion de l'interview, en ce qu'elle connaissait le fonctionnement de l'industrie audiovisuelle de par sa profession de journaliste, et en ce qu'elle savait que M. T. est un cinéaste spécialisé dans les documentaires sur l'histoire africaine ;

- que sa responsabilité ne peut être mise en oeuvre ; que la société Les Films du Raphia est présumée titulaire des droits d'exploitation du film ; qu'elle dispose du visa d'exploitation prévu par l'article L211-1 du code du cinéma et de l'image animée ; que l'obtention d'un visa d'exploitation suppose de justifier des droits d'exploitation lors de la demande préalable d'immatriculation au registre public de la cinématographie et de l'audiovisuel du film ; que la société CINÉLOUXOR n'a donc commis aucune faute ;

- que la demande de condamnation de l'intimée au paiement de la somme de 95.000 euros pour préjudice moral est mal fondée en raison de l'absence de faute de l'intimée et de l'absence de lien de causalité avec le préjudice ; qu'elle relève du pouvoir du seul juge du fond ; qu'elle est démesurée par rapport aux 118,78 euros de recettes qu'a généré la diffusion du film.

SUR CE

Sur la nullité des déclarations d'appel et l'irrecevabilité des conclusions des consorts D. T. :

En application de l'article 901 du code de procédure civile, la déclaration d'appel est faite, à peine de nullité, par acte contenant notamment les mentions prescrites par l'article 58 du même code ;

Conformément à l'article 58 du code de procédure civile, la déclaration de saisine de la juridiction contient à peine de nullité, pour les personnes physiques, l'indication des noms, prénoms, profession, domicile, nationalité, date et lieu de naissance du demandeur ;

La nullité ainsi encourue en raison de l'inexactitude de l'adresse indiquée sur l'acte de saisine de la juridiction est une nullité pour vice de forme qui, en application de l'article 114, alinéa 2, du code de procédure civile, ne peut être prononcée qu'à charge pour celui l'invoque de prouver le grief que lui cause l'irrégularité ;

Conformément à l'article 115 du code de procédure civile, la nullité est couverte par la régularisation ultérieure de l'acte si aucune forclusion n'est intervenue et si la régularisation ne laisse subsister aucun grief ;

En application de ce texte, la régularisation de l'acte d'appel doit nécessairement intervenir pendant le délai légal de la saisine de la cour d'appel.

En l'espèce il n'est pas justifié de la signification de la décision attaquée, la société CINELOUXOR reconnaissant page 9 de ses conclusions ne pas avoir fait procéder à la signification de l'ordonnance de sorte que le délai d'appel n'a pas courue.

Aux termes des dispositions des articles 960 et 961 du code de procédure civile, les conclusions des parties contiennent à peine d'irrecevabilité si la partie est une personne physique ses nom, prénom, profession, domicile, nationalité, date et lieu de naissance.

Les intimés soulèvent la nullité des actes d'appels qui ne contiendraient aucune indication sur le domicile des appelants, ni la date de naissance la profession et la nationalité de M. Jacques D. T., ni la date et lieu de naissance et profession de M. Ernesto D. T., ni la profession de M. Boris D. T., ni leur domicile s'agissant d'une domiciliation chez leur avocat.

Cependant les conclusions des consorts D. T. comportent toutes les indications pour leur date et lieu de naissance, leur profession ou leur qualité d'étudiant et leur nationalité.

S'agissant de leur domicile, ainsi que le soutiennent les intimé, les actes d'appel mentionnent une domiciliation des consorts D. T. chez leur conseil [...] alors qu'ils doivent mentionner le domicile personnel des appelants.

Cependant, dans leurs conclusions, les appelants se domicilient pour M. Jacques D. T. à [...], pour M. Ernesto D. T. à FOUMBOT chez son père et pour Boris D. T. à Montréal CANADA.

La cour relève que M. Boris D. T. n'a pas régularisé la déclaration d'appel, la simple mention « Montreal CANADA » ne pouvant être considérée comme le domicile de ce dernier.

Les intimés justifient du grief que leur cause l'inexactitude avérée de la mention du domicile dans l'acte d'appel en ce qu'elle nuit à l'exécution de l'ordonnance déférée à la cour d'appel et au recouvrement de la somme à laquelle a été condamné M. Boris D. T..

Il se déduit de l'ensemble de ces énonciations et constatations qu'il convient de déclarer nulle la déclaration d'appel du 31 juillet 2014 et partant, irrecevable l'appel principal interjeté par M. Boris D. T. ;

S'agissant de MM. Jacques et Ernesto D. T., ils justifient par une attestation du sous-préfet de FOUMBOT en date du 4 août 2014 que dans cette ville d'environ 70 000 habitants les adresses des citoyens n'ont pas de code postal ni de numéro de rue et « qu'il n'existe effectivement qu'un système de boite postale ».

Les intimés ne justifient pas avoir vainement tenté de signifier la décision attaquée à l'adresse indiquée par MM. Jacques et Ernesto D. T. de sorte qu'ils ne peuvent utilement soutenir la fausseté de cette adresse et la nullité des déclarations d'appel.

Il y a donc lieu de les débouter de leur exception de nullité desdites déclarations. Les appels de MM. Jacques et Ernesto D. T. sont donc recevables ainsi que leurs conclusions reprenant la même adresse.

Sur la caducité des déclarations d'appel :

Selon l'article 908 du code de procédure civile, à peine de caducité de la déclaration d'appel relevée d'office, l'appelant dispose d'un délai de trois mois à compter de la déclaration d'appel pour conclure.

En l'espèce, s'agissant d'une procédure de référé en application de l'article 905 du code de procédure civile, les délais des articles 908 et suivants du même code de sont pas applicables.

La SARL LES FILMS DU RAPHIA et M. Jean-Marie T. doivent être déboutés de leur demande de caducité d'appel.

Sur la radiation de l'appel en application de l'article 526 du code de procédure civile :

Aux termes des dispositions de l'article 526 du code de procédure civile, lorsque l'exécution provisoire est de droit ou a été ordonnée, le premier président ou dès qu'il est saisi le conseiller de la mise en état peut en cas d'appel décider à la demande de l'intimé et après avoir recueilli les observations des parties la radiation du rôle de l'affaire.

En l'espèce, en application de l'article 905 du code de procédure civile, aucun conseiller de la mise en état n'est nommé en procédure de référé de sorte que seul le premier président est compétent pour statuer sur la demande fondée sur les dispositions de l'article 526 susvisé.

La SAS CINELOUXOR est donc irrecevable en sa demande.

Sur la nullité des assignations devant le premier juge :

Dans les assignations délivrées aux intimés, MM. Jacques et Ernesto D. T. se domicilient à FOUBOT CAMEROUN BP164 soit l'adresse reprise dans leurs conclusions devant la cour régularisant leur déclaration d'appel.

Dès lors il convient de se référer aux développements précédents sur cette adresse dont il n'est pas justifié qu'elle ne correspond pas au domicile des appelants de sorte que l'ordonnance attaquée doit être infirmée en ce qu'elle a déclaré nulles les assignations délivrées à M. Jean-Marie T., la SARL LES FILMS DU RAFFIA et la SAS CINELOUXOR.

Sur le principal :

. L’atteinte à la vie privée des consorts D. T. :

Il résulte des dispositions des articles 9 du code civil et 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales que toute personne, quelle que soit sa notoriété, a droit au respect de sa vie privée et est fondée à en obtenir la protection en fixant elle-même ce qui peut être divulgué par voie de presse ; en outre, elle dispose sur son image, attribut de sa personnalité et sur l'utilisation qui en est faite d'un droit exclusif, qui lui permet de s'opposer à sa diffusion sauf son autorisation ;

Aux termes des dispositions de l'article 809 alinéa 2 du code de procédure civile, dans le cas ou l'obligation n'est pas sérieusement contestable, le président du tribunal de grande instance peut accorder une provision au créancier ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire.

Si le droit au respect de la vie privée s'éteint au décès de la personne concernée et n'est dès lors pas transmissible, la publication d'une image contraire à la dignité humaine portant atteinte à la mémoire de la personne décédée ou au respect dû au mort et dès lors, à la vie privée de ses proches est de nature à caractériser une violation de l'article 9 du code civil et de causer à ces derniers un préjudice personnel.

Cependant, si les appelants soutiennent que des images ou informations seraient attentatoires à la mémoire d'Ernestine O. (pages 7 et 8 de leurs conclusions) aucune demande n'est formulée dans le dispositif de leurs conclusions au titre de l'atteinte à la vie privée d'Ernestine O. alors qu'aux termes des dispositions de l'article 954 du code de procédure civile, la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif.

En l'espèce, le film « une feuille dans le vent » qui dure 54 mn a été tourné avec l'autorisation d'Ernestine O. ce qui n'est d'ailleurs pas contesté par les appelants qui revendiquent dans leur conclusions sa qualité de co-auteur du documentaire.

Les appelants ne démontrent pas quelles images ou informations seraient attentatoires à leur vie privée, se contentant d'une pétition de principe sur deux demi pages (pages 7 et 8 de leurs conclusions)

Ernestine O. est constamment filmée assise sur le perron d'une maison dont on ignore s'il s'agit du domicile familial ce qui n'est nullement précisé et lorsqu'elle n'est pas elle-même à l'écran, sont diffusées des images d'archives, des photographies d'archives, des dessins illustrant les commentaires sur l'histoire de la colonisation du Cameroun et sur les luttes indépendantistes, des images de la vie camerounaise (marchés, coiffeur etc). Elle évoque la rencontre de ses parents, son enfance très malheureuse chez une tante maternelle au Ghana puis chez sa mère, enfin ses recherches pour connaître l'histoire de son père, pour conclure sur sa douleur de n'être que comme une feuille sans pouvoir se raccrocher à une branche nourricière.

Ainsi que le font observer M. T. et la société LES FILMS DU RAPHIA le film documentaire reproduit les propos d'Ernestine O. sans les déformer, il constitue un hommage poignant à son père ; à travers ce témoignage, M. T. s'interroge sur les conséquences de l'absence de repères historiques et identitaires, sur les individus et sur les peuples, établissant un parallèle entre l'histoire personnelle d'Ernestine O. et celle du Cameroun ainsi que l'ont relevé de nombreux critiques de films.

Contredisant l'affirmation des appelants selon laquelle ce film serait une atteinte « à la vie de privée de son mari et de ses enfants qui y sont cités de manière insistante » (page 7) , aucune image de MM. Jacques et Ernesto D. T., de la demeure familiale n'est diffusée. MM. Jacques et Ernesto D. T. n'apparaissent jamais à l'écran, Ernestine D. T. ne parlant jamais de son mariage et ne prononçant jamais le nom de son époux.

S'agissant de ses deux fils, Ernestine O. les évoque, surtout l'aîné dont elle ne prononce pas le prénom , mais seulement de la 47ème minute à la 49ème minute du film pour dire son incapacité à répondre lorsque celui-ci évoque ce grand père dont la seule photographie qu'elle possède est une photographie ou ce dernier apparaît menotté et elle déplore l'absence de tout livre d'histoire relatant cette période de la vie de son pays. Il ne peut être soutenu qu'Ernestine O. évoque « longuement la souffrance et le traumatisme de ses enfants mineurs » (page 8). Elle ne fait nullement état de « railleries » dont ses enfants seraient l'objet à l'école comme le soutiennent les appelants.

La page facebook d'Ernesto D. T. relate qu'un de ses deux films favoris est « une feuille dans le vent » (pièce 10 de M. T.).

Le documentaire a été tourné avec l'accord d'Ernestine O. pour la reproduction de son image et des propos puisqu'elle savait pertinemment que ses propos étaient destinés à être diffusés et écoutés ( rushes du films communiqué par M. T. pièces 17 A et 17B : M. T. lui demande de ne pas parler avec un chewing-gum dans la bouche pour les gens qui vont l'écouter) ce que confirment d'ailleurs les appelants en revendiquant une violation du droit d'auteur de cette dernière.

Aucune violation à la vie privée de MM. Jacques et Ernesto D. T. n'est relevée dans ce documentaire de sorte que ces derniers doivent être déboutés de dommages et intérêts au titre de leur préjudice moral étant observé que leur demande ne saurait être admise à hauteur de référé qu'à titre provisionnel.

. L'atteinte au droit d'auteur d'Ernestine O.

Selon l'article L 113-2 du code de la propriété intellectuelle invoqué par les appelants est dite de collaboration l'oeuvre à la création de laquelle ont concouru plusieurs personnes physiques.

L'article L 113-7 du même code précise qu'ont la qualité d'auteur d'une œuvre audiovisuelle la ou les personnes physiques qui réalisent la création intellectuelle de cette œuvre et énumère un certain nombre de coauteurs présumés.

La qualité de co-auteur suppose une participation personnelle à la création de l'oeuvre, un travail créatif concerté et conduit en commun par plusieurs auteurs.

Tel n'est pas le cas d'une personne interviewée sauf à démontrer que le choix des questions et la composition de l'interview révèlent l'empreinte d'un style personnel, que la personne a contribué activement à la conception intellectuelle, à la composition même de l'oeuvre audiovisuelle prise en son ensemble, aux opérations de tournage et de montage.

Les appelants soutiennent que tel serait le cas en l'espèce, qu'Ernestine O. serait intervenue « dans la conception de la vidéo en donnant des directives ayant permis sa réalisation » pages 9 à 11, en fournissant la substance du film basé sur son interview, qu'il s'agit de son histoire, qu'elle serait à l'initiative de cet interview, ayant choisi le lieu de tournage dans son domicile familial, qu'elle a participé à la préparation et au choix des questions.

Les appelants ne versent aucune pièce à l'appui de leurs affirmations se contentant de reproduire dans leurs conclusions un catalogue de jurisprudences dont ils estiment qu'elles ont vocation à s'appliquer en l'espèce. Ils ne démontrent pas qu'Ernestine O. s'était réservé le droit d'agir ou d'intervenir dans le déroulé de l'interview, qu'elle avait donné des directives précises et avait contribué à l'écriture des questions. Il résulte de deux commentaires du documentaire parus sur internet lors de la parution du film documentaire que la rencontre entre M. T. et Ernestine O. serait d'ailleurs le fruit du hasard (pièces T. n°13 et 14)

Il faut rappeler que l'interview d'Ernestine O. a eu lieu en 2004, qu'elle est décédée en 2009 et que le film « une feuille dans le vent » n'a été réalisé qu'en 2013. Il ne peut être soutenu qu'Ernestine O. a eu l'initiative de ce film ni même de l'interview, ni qu'elle ait participé au montage ou même au cadrage de son interview, le film comportant des nombreux commentaires en voix off de M. T. sur des images d'archives, des photographies anciennes, des dessins, des images réalisées et choisies par M. T. pour illustrer ses propos.

Il résulte de ce qui précède que les appelants ne démontrent pas qu'Ernestine O. doit être considérée comme coauteur du film documentaire « une feuille dans le vent » d'autant plus qu'ils ne justifient pas être les seuls ayants-droits de cette dernière puisqu'outre M. Boris D. T. dont l'appel a été déclaré irrecevable, Ernestine D. T. aurait eu également une fille qui n'est pas dans la procédure (pièce n°5 des intimés).

Ils doivent donc être déboutés de leur demande de dommages et intérêts au titre de leur préjudice financier outre que leur demande ne pourrait être admise à hauteur de référé qu'à titre provisionnel.

Il n'y a pas lieu de faire droit aux demandes de « constat » des intimés dès lors qu'une constatation n'emporte pas de conséquences juridiques.

La SARL LES FILMS DU RAPHIA et M. Jean-Marie T. réclament la somme de 10.000 euros pour procédure abusive.

L'exercice d'une action en justice de même que la défense à une telle action constitue en principe un droit et ne dégénère en abus pouvant donner lieu à l'octroi de dommages-intérêts que dans le cas de malice, mauvaise foi ou erreur grossière équipollente au dol ; en l'espèce, un tel comportement de la part de MM. Jacques et Ernesto D. T. n'est pas suffisamment caractérisé ; la demande des intimés est rejetée ;

L'équité commande de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile dans les termes du présent dispositif.

PAR CES MOTIFS

Déclare nulle la déclaration d'appel du 16 octobre 2014 et irrecevable en conséquence l'appel principal formé par M. Boris D. T.,

Déboute M. Jean-Marie T., la SARL Les Films du Raphia et la La SAS CINÉLOUXOR, de leur exception de nullité des déclarations d'appel de MM. Jacques et Ernesto D. T.,

Déclare recevables les appels de MM. Jacques et Ernesto D. T.,

Déclare irrecevable la demande de la SAS CINELOUXOR fondée sur les dispositions de l'article 526 du code de procédure civile,

Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 908 du code de procédure civile,

Infirme l'ordonnance attaquée en toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau,

Déboute M. Jean-Marie T., la SARL LES FILMS DU RAPHIA et La SAS CINÉLOUXOR de leurs exceptions de nullité des assignations délivrées à la requête de MM. Jacques et Ernesto D. T.,

Dit n'y avoir violation de la vie privée de MM. Jacques et Ernesto D. T. dans le film « une feuille dans le vent »,

Dit qu'Ernestine O. n'est pas co-auteur du film « une feuille dans le vent »,

Déboute MM. Jacques et Ernesto D. T. de leurs demandes de dommages et intérêts tant au titre de leur préjudice moral que financier,

Déboute La SARL LES FILMS DU RAPHIA et M. Jean-Marie T. de leur demande en dommages et intérêts pour procédure abusive,

Condamne in solidum MM. Jacques et Ernesto D. T. à verser la somme de 3.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile à M. Jean-Marie T. et la SARL LES FILMS DU RAPHIA d'une part et à la SAS CINELOUXOR d'autre part.

Condamne in solidum MM. Jacques et Ernesto D. T. aux dépens de première instance et d'appel.