CA Paris, Pôle 1 ch. 3, 25 octobre 2016, n° 15/24111
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Défendeur :
We Are The Oracle (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Roy-Zenati
Conseillers :
Mme Quentin De Gromard, Mme Grivel
La société 'We are the oracle' (dite Wato), qui exerce une activité de conseil en relations publiques et communication, a, à l'occasion de l'organisation d'un événement dénommé "Venise sous Paris ", fait appel à la société Savoir Faire Production et à M. Gauthier F., avec lesquels elle avait déjà collaboré pour deux précédents projets de 'teaser', pour réaliser un petit film vidéo promotionnel. Cette vidéo a été publiée sur les comptes Facebook, Instagram et Vimeo de la société Wato à compter du 27 octobre 2015. Cette vidéo ayant été supprimée de son profil à la suite d'une demande émanant de M. F. auprès des réseaux sociaux, la société Wato a été autorisée par ordonnance présidentielle du 5 novembre 2015 à assigner d'heure à heure M. F. devant le juge des référés du tribunal de grande instance de Paris.
Par ordonnance de référé du 19 novembre 2015, le tribunal de grande instance de Paris a :
- enjoint à Monsieur F. de faire les démarches nécessaires auprès de Facebook, Instagram et Viemo pour faire restaurer le teaser "Venise sous Paris " sur les pages de profil de la société Wato, et ce dans un délai de 24 heures à compter de la signification de l'ordonnance, et de justifier de ces démarches auprès de la société Wato dans le même délai, sous astreinte de 500 euros par jour de retard, l'astreinte courant sur un mois ;
- fait interdiction à Monsieur F. de faire une demande de retrait de la vidéo litigieuse auprès de tous autres réseaux sociaux ;
- débouté Monsieur F. de toutes ses demandes reconventionnelles ;
- condamné Monsieur F. à payer à la société Wato la somme de 3500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.
Par acte du 30 novembre 2015, M. F. a interjeté appel de cette décision.
Par ses conclusions du 5 septembre 2016, il demande à la cour :
- d'annuler l'ordonnance et à défaut de la réformer, et, en conséquence, de débouter la société Wato de toutes ses demandes ;
- de dire et juger qu'il apporte des éléments concordants tendant à démontrer qu'il a accompli une mission de réalisateur sur le film querellé ;
- de le dire et juger investi des droits afférents au statut de réalisateur sur les courts métrages Underwater II, Cube et Venise sous Paris ;
- de lui donner acte qu'il s'engage à transférer ses droits en contrepartie d'une juste rémunération, - de condamner la société Wato à lui verser la somme de 2 500 € à titre provisionnel sur ladite rémunération,
- à défaut, de renvoyer les parties sur ce point à mieux se pourvoir devant les juges du fond ;
- de condamner la société Wato à lui payer la somme de 5000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel.
Il fait valoir :
- que le fait qu'il s'affranchisse d'une astreinte en exécutant par anticipation ne saurait le rendre irrecevable à exercer une voie de recours dès lors que cela n'équivaut nullement à un acquiescement ; ce d'autant qu'une ordonnance de référé est exécutoire nonobstant appel, et que son exécution conditionne au contraire la recevabilité de ce dernier ;
- que ses demandes formées en appel ne sont pas nouvelles dans la mesure où elles reprennent les conclusions versées en première instance, même si l'ordonnance n'en fait pas état ;
- que sa qualité de réalisateur n'est pas exclusive de celle d'auteur de M. Foulque J., président de la société Wato, dès lors qu'un coauteur peut s'opposer à la diffusion d'une œuvre opérée en violation de ses droits, au même titre qu'un auteur unique ;
- qu'il a bien effectué une mission de réalisation dans la mesure où il s'est livré à tous les actes caractérisant la mission d'un réalisateur, à savoir : être présent sur les plateaux, diriger les acteurs et figurants et superviser à des degrés divers le montage et la sélection des rushes, ainsi qu'il résulte des témoignages produits ;
- qu'il a droit à une provision, conformément aux engagements verbaux de M. J., à valoir sur la rémunération de ses droits d'auteur qu'il est prêt à céder, dès lors que s'était créée une véritable société de fait autour de ce projet, dans les conditions de l'article 1832 du Code civil, le court métrage « Venise sous Paris » étant donc une œuvre de collaboration dont il est réalisateur ;
- que si les droits sont présumés cédés au titre de l'article L.132-24 du code de la propriété intellectuelle, cette disposition n'est que supplétive et qu'au vu de l'accord d'entreprise conclu verbalement entre les parties, cette disposition ne trouve pas application dès lors que, si tel était le cas, cela reviendrait à dire qu'il a travaillé bénévolement et accepté de céder ses droits sans aucune contrepartie ;
- que l'analyse de la volonté contractuelle des parties et des témoignages constituait en soi une contestation sérieuse ne relevant pas de la compétence du juge des référés.
Par ses conclusions du 5 septembre 2016, la société Wato demande à la cour de :
à titre principal,
- dire et juger que M. F. a acquiescé à ses demandes et en conséquence, déclarer irrecevable l'appel en application des dispositions de l'article 408 du Code de procédure civile ;
à titre subsidiaire,
- dire et juger que les demandes formées par M. F. et visant à faire reconnaître ses prétendus droits de réalisateur sur les vidéos Underwater II et Cube constituent des prétentions nouvelles et en conséquence, les déclarer irrecevables ;
- confirmer l'ordonnance rendue en toutes ses dispositions ;
- condamner de surcroît M. F. au paiement de la somme de 1068,09 euros restant due au titre du décompte de première instance, sous astreinte de 500 euros par jour de retard, et celle de 5000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile au titre de la procédure d'appel, avec exécution provisoire ;
- condamner M. F. aux entiers dépens, dont distraction au profit de Maître Géraldine S., conformément à l'article 699 du Code de procédure civile.
Elle fait valoir que M. F. a acquiescé à ses demandes, conformément à l'article 408 du code de procédure civile, en rétablissant la diffusion de la vidéo litigieuse sur les réseaux sociaux avant même que le Président ne rende son ordonnance, reconnaissant ainsi leur bien-fondé de manière évidente et sans équivoque par email officiel en date du 18 novembre 2015.
Elle considère en tout cas que la demande formée par M. F. tendant à faire reconnaître ses droits de réalisateur sur les courts métrages Underwater II et Cube, réalisés en 2014 pour des soirées qui n'ont aucun lien avec l'événement 'Venise à Paris ', est irrecevable dès lors qu'elle constitue une prétention nouvelle en cause d'appel.
Elle soutient enfin, en tout état de cause, qu'exploitant, jusqu'à la date de son retrait, le teaser litigieux sur les réseaux sociaux, elle était donc présumée être titulaire sur l'oeuvre du droit de propriété incorporelle d'auteur, présomption que ne renverse pas M. F. qui ne s'est jamais vu confier aucune mission de réalisation du teaser dans le cadre du projet « Venise sous Paris », ainsi qu'il ressort clairement des devis et factures émis par la société Savoir Faire Production et des témoignages produits, selon lesquels cette société a été engagée pour des missions de production exécutive et le rôle de M. F. s'est limité à de simples conseils de prises de vue. Elle ajoute qu'au demeurant, quel qu'ait été le rôle de M. F., l'ensemble des droits d'exploitation sont automatiquement cédés au producteur à titre exclusif en application de l'article L.132-24 du code de la propriété intellectuelle, si bien que le retrait du teaser «Venise sous Paris » est intervenu en violation de ses droits dans le seul but de lui nuire et lui causait donc un trouble manifestement illicite qu'il convenait de faire cesser.
Elle considère en conséquence que M. F. ne parvient pas à démontrer qu'il détient des droits d'auteur sur la vidéo litigieuse justifiant qu'il lui soit versé une juste rémunération, ce qui caractérise l'existence d'une contestation sérieuse entraînant le rejet de ses demandes reconventionnelles.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions et développées lors de l'audience des débats.
MOTIFS
Attendu en premier lieu, sur la recevabilité de l'appel, qu'aux termes de l'article 408 du code de procédure civile, l'acquiescement à la demande emporte reconnaissance du bien-fondé des prétentions de l'adversaire et renonciation à l'action ; que selon l'article 409 du même code, l'acquiescement au jugement emporte soumission aux chefs de celui-ci et renonciation aux voies de recours ; que si, en application de l'article 410, l'acquiescement peut être explicite ou tacite, il doit toujours être certain, c'est-à-dire résulter d'actes démontrant avec évidence et sans équivoque l'intention de la partie à laquelle on l'oppose d'accepter le bien-fondé de l'action ou du jugement ;
Attendu qu'en l'espèce, la société Wato considère qu'il y a eu acquiescement à sa demande du fait du rétablissement de la diffusion de la vidéo "Venise sous Paris " à l'initiative de Monsieur F. dès le 18 novembre 2015, soit la veille du prononcé de l'ordonnance de référé ; que cependant, cette exécution anticipée de la demande, alors que le défendeur l'avait contestée à l'audience en soulevant notamment l'existence d'une contestation sérieuse et en formant une demande reconventionnelle, et alors qu'elle était assortie d'une demande d'astreinte à compter du prononcé de l'ordonnance particulièrement dissuasive, ne peut valoir acquiescement non équivoque aux prétentions de la demanderesse, le courriel officiel par lequel le conseil de Monsieur F. annonçait à son contradicteur cette exécution se contentant d'indiquer que son client avait, 'sans attendre la décision du tribunal', rétabli la diffusion et considérait donc les demandes 'comme exécutées', sans y acquiescer pour autant ; que l'appel est donc recevable ;
Attendu ensuite qu'en application de l'article 464 du code de procédure civile, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions à peine d'irrecevabilité soulevée d'office ; qu'en l'espèce, il résulte de la comparaison des conclusions de Monsieur F. en première instance, telles qu'elles ont été d'ailleurs correctement rapportées au jugement, et de celles déposées en appel, que l'appelant demande à la cour de dire qu'il est investi des droits afférents au statut de réalisateur sur les courts métrages Underwater II et Cube, alors que ces deux précédentes vidéos n'étaient nullement en cause en première instance ; que cette demande nouvelle est donc irrecevable ;
Attendu enfin, sur la demande principale, que par application de l'article 809 alinéa 1 du code de procédure civile, le président du tribunal de grande instance peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite ;
Attendu que le dommage imminent s'entend du « dommage qui n'est pas encore réalisé, mais qui se produira sûrement si la situation présente doit se perpétuer » et le trouble manifestement illicite résulte de « toute perturbation résultant d'un fait qui directement ou indirectement constitue une violation évidente de la règle de droit » ;
Attendu qu'en l'espèce, la société Wato soutient que le retrait de la vidéo litigieuse de son profil sur les réseaux sociaux à la demande de Monsieur F. constituait un trouble manifestement illicite commis en violation de ses droits ;
Attendu qu'aux termes de l'article L.132-23 du code de la propriété intellectuelle, le producteur d'une oeuvre audiovisuelle est la personne physique ou morale qui prend l'initiative et la responsabilité de la réalisation de l'oeuvre ; qu'il n'est pas contesté en l'espèce que la société Wato a la qualité de producteur de la vidéo publicitaire 'Venise sous Paris ', étant l'unique initiateur de ce projet ; que pour autant, elle ne peut invoquer à son profit la présomption posée par l'article L.132-24, selon lequel le contrat qui lie le producteur aux auteurs d'une oeuvre audiovisuelle emporte, sauf clause contraire et sans préjudice des droits reconnus à l'auteur par les articles L.111-3, L.121-4, L.121-5, L.122-1 à L.122-7, L.123-7, L.131-2 à L.131-7, L.132-4 et L.132-7, cession au profit du producteur des droits exclusifs d'exploitation de l'oeuvre audiovisuelle, dès lors que précisément l'article L.131-2 visé par ce texte exige en matière de production audiovisuelle que la cession des droits d'auteur soit constatée par écrit, ce qui n'a pas été le cas en l'espèce ; que Monsieur F. ne peut donc être présumé avoir cédé ses éventuels droits d'auteur à la société Wato, en l'absence de rémunération fixée par écrit dans les conditions prévues par le code de la propriété intellectuelle ;
Attendu en revanche qu'est dite collective, selon l'article L.113-2 du code de la propriété intellectuelle, l'oeuvre créée sur l'initiative d'une personne physique et morale qui la divulgue sous sa direction et son nom et dans laquelle la contribution personnelle des divers auteurs participant à son élaboration se fond dans l'ensemble en vue duquel elle est conçue ; qu'en application de l'article L.113-5, l'oeuvre collective est, sauf preuve contraire, la propriété de la personne physique ou morale sous le nom de laquelle elle est divulguée, cette personne étant investie des droits d'auteur ; que Monsieur F. ne conteste pas que la vidéo litigieuse a été créée sur la seule initiative de la société Wato qui y avait intérêt pour annoncer 'l'évènement' des soirées qu'elle envisageait d'organiser, et que Monsieur J., gérant de Wato, a lui-même contribué ainsi que son épouse à sa réalisation ; que sa contribution personnelle s'est ainsi fondue dans l'ensemble de la création ; qu'il en résulte qu'indépendamment de sa qualité ou non de réalisateur de l'oeuvre litigieuse et donc de coauteur au sens de l'article L.113-7, qu'il n'établit pas avec l'évidence requise en référé au vu des attestations produites par la société Wato, celles qu'il verse lui-même aux débats concernant la réalisation des courts métrages Underwater II et Cube-, la société Wato avait le droit d'exploiter sur les réseaux sociaux la vidéo 'Venise sous Paris ', et qu'en voyant supprimer ladite vidéo publicitaire de son profil sur les réseaux sociaux, elle a subi un trouble manifestement illicite dont le premier juge a, à juste titre, ordonné la cessation ; que l'ordonnance doit être confirmée sur ce point ainsi qu'en ce qu'elle a interdit à l'intéressé de solliciter auprès de tout autre diffuseur le retrait du 'teaser'; qu'en revanche, l'astreinte ne se justifiait pas dès lors que dès le 18 novembre, la diffusion avait déjà été rétablie ;
Attendu en dernier lieu, sur la demande de Monsieur F., qu'en application de l'article 809 alinéa 2 du code de procédure civile, le président du tribunal de grande instance peut accorder une provision lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable ;
Or attendu que l'appelant reconnaît lui-même que l'analyse et l'interprétation de la volonté contractuelle des parties et des témoignages produits de part et d'autre ne relèvent pas des pouvoirs du juge des référés, juge de l'évidence ; qu'ainsi, même si l'article L.131-2 précité exige que la preuve de la cession des droits d'auteur soit rapportée par écrit et qu'en l'absence d'écrit, Monsieur F. est présumé ne pas avoir cédé de droits d'auteur, il reste que cette qualité même devra être tranchée par le juge du fond déjà saisi ; qu'il en est de même a fortiori de la fixation de la rémunération de sa collaboration et/ou de la cession de ses droits en l'absence d'accord écrit, la Cour ne pouvant en référé accorder une provision à valoir sur celle-ci en vertu d'accords verbaux dont il n'est produit aucune preuve devant elle ; que l'ordonnance doit être également confirmée qui a rejeté sa demande sur ce point ;
Et attendu que les circonstances de la cause ne justifient pas qu'il soit fait application de l'article 700 du code de procédure civile ; que le jugement sera infirmé sur ce point, la demande de solde de compte à ce titre de l'intimée étant dès lors sans fondement ;
PAR CES MOTIFS
Déclare recevable l'appel de Monsieur Gauthier F. ;
Confirme l'ordonnance attaquée, sauf en ce qui concerne l'astreinte et l'indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Statuant de nouveau sur ces points,
Dit n'y avoir lieu à astreinte et à application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Y ajoutant,
Déclare les demandes nouvelles relatives aux courts métrages 'Underwater II' et 'Cube' irrecevables ;
Condamne Monsieur Gauthier F. aux dépens d'appel, avec distraction au profit de Me Géraldine S. en application de l'article 699 du code de procédure civile.