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Décisions

Cass. crim., 12 décembre 2000, n° 00-83.852

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Cotte

Rapporteur :

Mme Caron

Avocat général :

M. Di Guardia

Avocat :

Me Thouin-Palat

Rennes, ch. d'acc., du 18 mai 2000

18 mai 2000

IRRECEVABILITE et CASSATION PARTIELLE sur les pourvois formés par :

- X... Christian,

- X... Jean-François,

contre l'arrêt de la chambre d'accusation de la cour d'appel de Rennes, en date du 18 mai 2000, qui, dans l'information suivie contre eux du chef de vols avec arme, a rejeté leur requête en annulation d'actes de la procédure.

LA COUR,

Vu l'ordonnance du président de la chambre criminelle du 14 juin 2000 prescrivant l'examen immédiat du pourvoi formé par avoué le 26 mai 2000 ;

Joignant les pourvois en raison de la connexité ;

Sur la recevabilité des pourvois formés par les demandeurs au greffe de la maison d'arrêt ;

Attendu que les demandeurs, ayant épuisé, par l'exercice qu'ils en avaient fait, le droit de se pourvoir contre l'arrêt attaqué, étaient irrecevables à se pourvoir à nouveau contre le même arrêt ; que seul est recevable le pourvoi formé par l'intermédiaire d'un avoué le 26 mai 2000 au greffe de la chambre d'accusation ;

Vu le mémoire ampliatif commun aux 2 demandeurs ;

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation de l'article 199 du Code de procédure pénale :

" en ce qu'il résulte des mentions de l'arrêt (page 3, dernier alinéa) que Me Novion, avocat des mis en examen, Christian et Jean-François X... lesquels n'étaient pas présents aux débats n'a pas eu la parole en dernier ;

" alors qu'il se déduit des dispositions de l'article 199 du Code de procédure pénale et des principes généraux du droit que, devant la chambre d'accusation, le conseil du mis en examen qui a demandé à présenter des observations sommaires doit, à peine de nullité, avoir la parole en dernier " ;

Attendu qu'il ressort des mentions de l'arrêt attaqué que les avocats des 3 personnes mises en examen ont eu la parole les derniers ;

Attendu qu'en cet état, et dès lors qu'aucun ordre n'est prescrit pour l'audition de diverses personnes mises en examen ou de leurs avocats, fussent-elles requérantes en annulation d'actes de la procédure, il a été satisfait aux dispositions de l'article 199 du Code de procédure pénale ;

D'où il suit que le moyen doit être écarté ;

Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation de l'article 63-1 du Code de procédure pénale :

" en ce que l'arrêt attaqué a rejeté la requête en nullité de procédure présentée par Jean-François X... ;

" aux motifs que le placement d'une personne en garde à vue est une prérogative de l'officier de police judiciaire qui, lorsqu'il décide de cette mesure, a l'obligation de notifier immédiatement à la personne concernée les droits résultant des articles 63-1, 63-2, 63-3 et 63-4 du Code de procédure pénale ; qu'il résulte de la procédure, qu'agissant sur commission rogatoire du juge d'instruction de Saint-Malo, les gendarmes se sont présentés le 9 octobre 1998 à 7 heures au domicile de Jean-François X... à Saint-Christoly-de-Blaye (33) où, en sa présence, conformément aux dispositions des articles 94 et suivants du Code de procédure pénale, ils ont procédé à une perquisition et à la saisie de divers objets (cote D 119) ; qu'une perquisition n'exige pas, pour sa régularité, le placement en garde à vue de la personne au domicile de laquelle elle est faite ; que ces opérations s'étant terminées à 9 heures, Jean-François X... a été ramené à la section Recherche de la gendarmerie de Bordeaux où lui ont été notifiés à 10 heures et avant toute audition, son placement en garde à vue et les droits y afférents (cote D 121) ; qu'il apparaît ainsi que l'heure qui s'est écoulée entre son interpellation à la fin de la perquisition et le moment où ses droits lui ont été notifiés avec son placement en garde à vue correspond au temps strictement nécessaire au transport dans les locaux de la gendarmerie ; que la circonstance que les enquêteurs aient fixé, dans son intérêt, le point de départ de cette mesure à 7 heures, heure à laquelle ils se sont présentés chez lui pour perquisitionner, n'est pas susceptible de modifier l'étendue de ses droits ;

" 1° alors que, la chambre d'accusation ne pouvait, sans se contredire, énoncer, d'une part, que Jean-François X... avait été placé en garde à vue "à la fin de la perquisition" soit à 9 heures, et, d'autre part, que les enquêteurs avaient eux-mêmes fixé "le point de départ de cette mesure à 7 heures" ;

" 2° alors que, si la personne est informée qu'une mesure de garde à vue est prise à son encontre dès le début d'une perquisition, l'officier de police judiciaire a le devoir de lui notifier immédiatement les droits attachés à ce placement en garde à vue, tout retard injustifié portant nécessairement atteinte aux intérêts de la partie qu'elle concerne ; qu'il résulte des propres énonciations de l'arrêt que Jean-François X... avait été placé en garde à vue dès le début de la perquisition effectuée à son domicile, soit à 7 heures ; qu'en déclarant, dès lors, non tardive la notification de ses droits de gardé à vue, effectuée à 10 heures, la chambre d'accusation a violé le texte susvisé ;

" 3° alors que, et en toute hypothèse, l'officier de police judiciaire, ou, sous son contrôle, l'agent de police judiciaire, a le devoir de notifier immédiatement les droits attachés au placement en garde à vue, et tout retard dans la mise en oeuvre de cette obligation, non justifié par une circonstance insurmontable, porte nécessairement atteinte aux intérêts de la personne concernée ; qu'en déclarant non tardive la notification des droits intervenue à 10 heures, soit 1 heure après le placement en garde à vue prétendument intervenu à 9 heures, la chambre d'accusation, qui n'a pas justifié d'une circonstance insurmontable insusceptible d'avoir empêché la notification immédiate desdits droits, a privé sa décision de base légale au regard du texte susvisé " ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué qu'une perquisition a eu lieu le 9 octobre 1998 à partir de 7 heures au domicile de Jean-François X... ; que cette mesure, effectuée en présence de l'intéressé, a pris fin à 9 heures ; que Jean-François X... a alors été conduit dans les locaux de la gendarmerie, où son placement en garde à vue et les droits attachés à cette mesure lui ont été notifiés à 10 heures ;

Attendu que, pour dire n'y avoir lieu à annulation d'actes de la procédure, la chambre d'accusation énonce qu'une perquisition n'exige pas, pour sa régularité, le placement en garde à vue de la personne au domicile de laquelle elle est faite ; que les juges ajoutent que l'heure qui s'est écoulée entre son interpellation à la fin de la perquisition et le moment où ses droits lui ont été notifiés avec son placement en garde à vue correspond au temps strictement nécessaire au transport dans les locaux de gendarmerie ;

Attendu qu'en l'état de ces énonciations, et dès lors qu'il n'importe que la durée de la garde à vue, intervenue à l'issue de la perquisition, ait été, dans l'intérêt de la personne concernée, calculée à compter du début de ces opérations, la chambre d'accusation a justifié sa décision ;

D'où il suit que le moyen ne peut être accueilli ;

Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles 105, 154, 170 et 802 du Code de procédure pénale, ensemble violation de l'article 6.1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales :

" en ce que l'arrêt attaqué a rejeté la requête en nullité présentée par Christian X... ;

" aux motifs que "lorsque les gendarmes ont placé Christian X... en garde à vue (le 9 octobre 1998 : arrêt page 5) pour les nécessités de l'exécution de la commission rogatoire en application de l'article 154 du Code de procédure pénale et l'ont entendu comme témoin (cote D 115), les renseignements recueillis sur son compte, et notamment son passé judiciaire, son inactivité professionnelle, son manque d'argent à l'époque des vols à main armée, l'embellie financière au décours des vols, l'aide financière apportée par lui à sa famille, ses contacts avec ses frères et Julio Y..., et la location de véhicules par l'intermédiaire de son fils, constituaient des éléments disparates manifestement insuffisants pour caractériser les indices graves et concordants d'une participation aux vols qualifiés sur lesquels les gendarmes enquêtaient ; qu'ils avaient le devoir, avant de le mettre en cause, de vérifier, en procédant notamment à son audition, l'existence de tels indices ; que, loin de porter atteinte à ses intérêts, ce devoir a pour objet de garantir un procès équitable ; que ce moyen est mal fondé" ;

" alors qu'il résultait des propres énonciations de l'arrêt (page 4, in fine et page 5, in limine) que, depuis le 28 mai 1998, date à laquelle les enquêteurs qui, au vu d'une photo anthropométrique rapprochée des clichés des auteurs potentiels des vols, s'étaient transportés au centre de détention de Eysses, où était précédemment incarcéré Christian X..., avaient noté "des similitudes sur le modus operandi de l'époque (1988 et 1989) et celui de la présente enquête", il existait à l'encontre dudit demandeur des indices graves et concordants de participation aux vols qualifiés objet de cette enquête ; qu'en déclarant le contraire, quand elle avait constaté que Christian X... avait été placé en garde à vue dès son interpellation le 9 octobre 1998, la chambre d'accusation qui n'a, au demeurant, pas répondu aux chefs péremptoires du mémoire du demandeur, faisant notamment valoir que, dès le mois de mai 1998, il avait été "reconnu par 3 personnes de l'administration pénitentiaire" et qu'en raison de ces "lourdes charges", les gendarmes avaient placé sa concubine et l'ensemble des membres de sa famille sur écoutes téléphoniques, la chambre d'accusation n'a pas légalement justifié sa décision " ;

Attendu que, pour écarter la demande d'annulation présentée par Christian X..., alléguant une mise en examen tardive, la chambre d'accusation prononce par les motifs repris au moyen ;

Attendu qu'en statuant ainsi, la juridiction de second degré a justifié sa décision au regard, tant de l'article 105 du Code de procédure pénale que de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme ;

D'où il suit que le moyen doit être écarté ;

Sur le quatrième moyen de cassation, pris de la violation des articles 81, 114, 145, alinéa 7, 170 et 802 du Code de procédure pénale, 6.1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble violation des droits de la défense :

" en ce que l'arrêt attaqué a rejeté la requête en nullité formée par Christian et Jean-François X... ;

" aux motifs que, par commission rogatoire du 15 octobre 1998, le juge d'instruction de Saint-Malo a chargé les services de gendarmerie de mettre en place un dispositif d'interception des conversations tenues lors des parloirs accordés aux proches de Christian et Jean-François X... détenus dans les maisons d'arrêt de Ploemeur et de Rennes, et de reproduire sur procès-verbaux les renseignements intéressant l'enquête en cours (cote D 442) ; que, si la confidentialité des entretiens et de la correspondance des détenus avec leurs avocats est garantie, il ressort des dispositions des articles D 406 et D 407 du Code de procédure pénale que les conversations des détenus avec leur famille durant les visites au parloir doivent avoir lieu en la présence de personnel pénitentiaire, lequel doit pouvoir entendre et comprendre la conversation qui doit se dérouler en français ; que les usagers de ces parloirs, qui sont informés des conditions dans lesquelles s'effectuent ces visites, n'ignorent donc pas l'absence de confidentialité des paroles prononcées et qui peuvent d'ailleurs être rapportées par le personnel pénitentiaire qui, de la même manière, exerce un strict contrôle de la correspondance échangée entre les détenus et leur famille, certaines lettres pouvant être adressées au juge d'instruction pour son information ; qu'ainsi, l'enregistrement sur instruction du magistrat des conversations tenues dans ces parloirs relève de ce pouvoir de contrôle prévu par la loi et n'excède pas les pouvoirs que le juge tient de l'article 81 du Code de procédure pénale ; que de tels enregistrements ne constituent nullement des auditions déguisées puisque la personne mise en examen ne répond pas à des questions qui lui sont posées dans le cadre de l'instruction, mais échange librement et en toute connaissance de cause avec ses proches des propos soumis à surveillance, ce qui exclut nécessairement toute atteinte à la vie privée ; qu'ils ne portent donc pas atteinte aux droits de la défense prévus par l'article 114 du Code de procédure pénale et ne violent pas les dispositions de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme ;

" alors que l'enregistrement effectué de manière clandestine par un policier agissant dans l'exercice de ses fonctions, des propos tenus par une personne mise en examen, élude les règles de procédure et compromet les droits de la défense " ;

Attendu que, pour écarter la nullité, tirée de l'irrégularité de la commission rogatoire prescrivant l'interception des conversations tenues au parloir de la maison d'arrêt par Christian et Jean-François X... avec leurs proches, titulaires d'un permis de visite, l'arrêt prononce par les motifs reproduits au moyen ;

Attendu qu'en cet état, la chambre d'accusation a justifié sa décision ;

Qu'en effet, l'écoute et l'enregistrement des conversations tenues par la personne mise en examen au parloir de la maison d'arrêt, qui sont soumises de droit à la surveillance du personnel pénitentiaire, ne constituent pas, au sens de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, une ingérence dans l'exercice du droit au respect de la vie privée, du domicile et de la correspondance ; que ces mesures peuvent être prescrites par le juge d'instruction, en application des articles 81, alinéa 1er, 151 et 152 du Code de procédure pénale, pourvu qu'elles aient lieu, comme en l'espèce, sous son contrôle et dans des conditions ne portant pas atteinte aux droits de la défense ;

D'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;

Mais sur le cinquième moyen de cassation, pris de la violation des articles 81, 170 et 302 du Code de procédure pénale, 6.1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble violation des droits de la défense :

" en ce que l'arrêt attaqué a rejeté la requête en nullité formée par Christian et Jean-François X... ;

" aux motifs que le juge d'instruction a commis M. A. de J..., hypnologue et sophrologue, expert non inscrit sur une liste mais spécialement désigné en raison de ses compétences et expériences particulières en ce domaine ayant pour origine sa participation à plusieurs missions d'expertises judiciaires, pour procéder à la mise sous hypnose de M. Dominique Z..., gendarme à la brigade motorisée de Dinan, en présence des enquêteurs de la section de recherches de Rennes chargés d'acter les déclarations du témoin ; que l'expert ainsi désigné a prêté serment, effectué ses opérations le jour fixé et déposé son rapport (tome 3, cotes D 60 à D 62) ; que le témoin concerné a préalablement donné son accord ; que les gendarmes ont dressé procès-verbal de leurs opérations réalisées sur commission rogatoire (cotes D 99 à D 108) ; que l'hypnose n'est pas un procédé interdit mais représente actuellement une technique encore expérimentale à laquelle les chercheurs s'intéressent et qui fait l'objet d'études notamment par les médecins en matière d'anesthésie ; que le recours à cette méthode pour entendre un témoin afin de tenter d'activer sa mémoire sur un fait précis ne peut être considéré comme attentatoire à la personne que si elle est utilisée à son insu ; qu'en toute hypothèse, si l'efficacité d'une telle technique, mise en oeuvre dans des conditions normales de forme, peut être discutée, l'audition ainsi réalisée n'est pas irrégulière et n'a pas eu pour effet de porter atteinte aux intérêts des mis en examen ;

" alors que l'audition d'un témoin sous hypnose élude les règles de procédure et compromet les droits de la défense, même si elle est pratiquée avec l'accord de l'intéressé " ;

Vu les articles 81, 101 à 109 du Code de procédure pénale ;

Attendu que, si le juge d'instruction peut procéder ou faire procéder à tous actes d'information utiles à la manifestation de la vérité, encore faut-il qu'il se conforme aux dispositions légales relatives au mode d'administration des preuves ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure que le juge d'instruction a fait procéder, sur commission rogatoire, à l'audition, par les gendarmes, d'un témoin qui a été placé, avec son consentement, sous hypnose par un expert désigné par ce magistrat ;

Attendu que, pour dire n'y avoir lieu à annulation, l'arrêt énonce que l'audition ainsi réalisée n'est pas irrégulière et qu'elle n'a pas eu pour effet de porter atteinte aux intérêts des personnes mises en examen ;

Mais attendu qu'en statuant ainsi, alors que la violation des dispositions légales relatives au mode d'administration des preuves compromet l'exercice des droits de la défense, la chambre d'accusation a méconnu le principe ci-dessus énoncé ;

D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ;

Par ces motifs :

I. Sur les pourvois formés par Christian X... et Jean-François X... au greffe de la maison d'arrêt :

Les DECLARE IRRECEVABLES ;

II. Sur le pourvoi formé par avoué, le 26 mai 2000, au greffe de la chambre d'accusation au nom de Christian X... et de Jean-François X... :

CASSE ET ANNULE, l'arrêt susvisé de la chambre d'accusation de la cour d'appel de Rennes, en date du 18 mai 2000, en ce qu'il a rejeté la requête en annulation des actes de la procédure relatifs à l'audition sous hypnose du témoin Dominique Z..., toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée :

RENVOIE la cause et les parties devant la chambre d'accusation de la cour d'appel d'Angers.