CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 15 mars 2023, n° 21/13320
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
La Poste (SA)
Défendeur :
Itinsell France (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Avocats :
Me Minier, Me Baechlin, Me Feroldi
La société Itinsell France (ci-après dénommée la société Itinsell), créée en 2008, a pour activité le commerce de gros d'ordinateurs, d'équipements informatiques périphériques et de logiciels. Son activité est essentiellement tournée vers la détection d'incidents d'acheminement de colis pour le compte d'entreprises.
A partir de l'hypothèse selon laquelle les coûts internes exposés pour les demandes de dédommagements sont systématiquement supérieurs à l'indemnisation versée par les transporteurs de colis en cas de manquement à leurs obligations, cette société a développé un logiciel de gestion automatisée des litiges transports dénommé iTrack, lequel permet le contrôle à grande échelle des acheminements de colis (suivi au nom et pour le compte de ses clients indépendamment du transporteur utilisé, des livraisons, d'une part, et des procédures d'indemnisation prévues dans les contrats conclus avec les transporteurs en cas de retard dans la livraison, de colis endommagé ou de perte, d'autre part).
La société La Poste, à travers sa marque commerciale « ColiPoste » gère un service de prise en charge, de transport et livraison de colis pour des expéditeurs professionnels, notamment dans un délai dont l'absence de respect ouvre droit à une indemnité pour «'défaut de qualité du service ».
Itinsell intervient auprès de la La Poste pour le contrôle des expéditions et la gestion des réclamations pour donner suite à des incidents de livraison pour le compte de ses clients. Elle se rémunère par un pourcentage sur l'indemnisation finalement obtenue par le client expéditeur.
Itinsell considère que La Poste pratique une politique systématique d'obstruction pour empêcher son développement et, en particulier, s'abstient de traiter un grand nombre des réclamations qu'elle a transmises.
Plusieurs procédures ont opposé La Poste à la société Itinsell. Un arrêt définitif n°10/12944 de cette cour du 15 octobre 2015 répare le préjudice subi par Itinsell à raison du refus de La Poste de recevoir courant 2008 ses réclamations pour compte de tiers. Un arrêt définitif n°19/17035 du 22 janvier 2021 déboute Itinsell de l'intégralité de ses demandes, et notamment celle relative aux dommages et intérêts sollicités au titre de la perte de chance pour Itinsell de recevoir la commission qui lui était due sur les réclamations présentées du 1er janvier 2009 au 30 septembre 2013.
Par acte du 1er février 2019, la société Itinsell a assigné la société La Poste devant le tribunal de commerce de Paris pour obtenir des dommages-intérêts pour actes de concurrence déloyale et/ou un abus de position dominante de la société La Poste au détriment de la société Itinsell sur la période du 1e février 2014 au 1e février 2019': -Sur le marché de la livraison de colis B2C (business to consumer / de l'entreprise au consommateur) ; -Sur le marché connexe du conseil aux e-commerçants dans le cadre des prestations de livraison de colis.
Par jugement du 12 juillet 2021, le tribunal de commerce de Paris a':
-Dit les demandes recevables';
-Condamné la SA La Poste à payer à la société Itinsell la somme de 2'071'969 € à titre d'indemnités en réparation de son préjudice';
-Condamné la SA La Poste à payer à la société Itinsell la somme de 20'000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile';
-Condamné la SA La Poste aux dépens dont ceux à recouvrer par le greffe liquidés à la somme de 74,50 € dont 12,20 € de TVA';
-Ordonné l'exécution provisoire. Par déclaration reçue au greffe de la Cour le 22 juillet 2021, la société La Poste a interjeté appel de ce jugement. Aux termes de ses dernières conclusions, déposées et notifiées le 9 décembre 2022, la société La Poste demande à la Cour de':
-Réformer, informer ou annuler tous les chefs du jugement portant griefs à l'appelante ainsi que ceux qui en dépendent et particulièrement en ce qu'il a :
*Dit les demandes de la société Itinsell recevables,
*Condamné la SA La Poste à payer à la société Itinsell la somme de 2'071 969 Euros à titre d'indemnités en réparation de son préjudice,
*Condamné la SA La Poste à payer à la société Itinsell la somme de 20'000 euros au titre de l'article 700 outre les dépens dont ceux à recouvrer par le greffe liquidés à la somme de 74.50 euros,
*Ordonné l'exécution provisoire';
En conséquence': Vu l'article 122 du code de procédure civile et l'article 1355 du code civil,
-déclarer irrecevables les demandes de la Société Itinsell, en ce qu'elles sont fondées sur des faits qui échappent à l'objet du présent litige car antérieurs à la période litigieuse, et/ou déjà jugées par le tribunal de commerce de Paris et la Cour d'appel de Paris';
Vu l'article 122 du code de procédure civile, les articles L. 7, L. 8 et L. 10 du code des postes et des communications électroniques et l'article 19 de la convention postale universelle, -déclarer irrecevables comme prescrites les demandes relatives à des colis nationaux dont la date de dépôt est antérieure de plus d'un an à l'assignation du 1er février 2019, ainsi que les demandes relatives à des colis internationaux dont la date de dépôt est antérieure de plus de six mois à l'assignation du 1er février 2019 ; Vu les articles 31, 32 et 122 du code de procédure civile, -déclarer irrecevables pour défaut d'intérêt à agir les demandes de réparation d'un préjudice prétendument subi par la Société Itincell, parce que né de l'inexécution par ses cocontractants de leurs obligations contractuelles, auxquelles La Poste n'est pas partie et dont elle n'est pas débitrice ;
Vu l'article 122 du code de procédure civile,
-déclarer irrecevables les demandes fondées sur des faits imputés et reprochés à une personne tierce à la procédure, distincte de La Poste car dotée d'une personnalité juridique autonome, et dont La Poste ne saurait répondre ;
Vu l'article 910-4 du code de procédure civile,
-déclarer irrecevable faute d'avoir été faite dans les conclusions du 19/01/2022 (conclusions 909 du CPC) la demande d'Itinsell aux fins de rectification d'erreur matérielle tendant à la condamnation La Poste au paiement la somme de 3 816 710 € ; -déclarer irrecevable faute d'avoir été faite dans les conclusions du 19/01/2022 (conclusions 909 du CPC) la prétendue fin de non-recevoir des conclusions de La Poste ;
Écarter des débats les pièces adverses n° 3, 5, 6, et 7, versées en violation d'une obligation de confidentialité ; Vu les articles 1240 et suivants du code civil, -Débouter Itinsell, La Poste n'ayant commis aucune faute de nature à engager sa responsabilité :
*aucun abus de position dominante ne pouvant se déduire ni des allégations d'Itinsell, ni d'aucune décision de l'Autorité de la concurrence,
*aucun des faits reprochés ne pouvant caractériser un acte de concurrence déloyale ou quelque autre faute civile ; Vu l'article 9 du code de procédure civile, -Débouter ITINSELL qui ne démontre pas avoir subi de préjudice certain :
*Qu'au contraire, son préjudice de manque à gagner est incertain du fait que les conditions d'obtention du gain prétendument perdu ne sont pas réunies,
*Qu'au contraire également, son préjudice de perte de chance de conquérir des parts de marché est incertain, rien ne démontrant qu' Itinsell était promise au succès ambitionné dans son business plan ; -Débouter Itinsell en l'absence d'adéquation entre les faits reprochés et les prétendus préjudices dont il est demandé réparation :
*Aucun gain n'ayant pu être manqué à défaut pour Itinsell de démontrer qu'elle était destinée à 32 % du résultat des réclamations par elles engagées,
*Aucune part de marché n'ayant pu être perdue autrement que par l'effet d'une saine concurrence ; En conséquence, -Débouter la société Itinsell de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions, faute pour elle de démontrer l'existence d'une faute de La Poste, d'un préjudice par elle subi et d'un lien de causalité entre les deux'; -Condamner la société Itinsell à la somme de 25 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la procédure d'appel outre les entiers dépens.
Aux termes de ses dernières conclusions, déposées et notifiées le 7 décembre 2022, la société Itinsell demande à la Cour de':
Vu notamment l'article L. 420-2 du code de commerce, Vu notamment l'article 1240 (anciennement 1382) du code civil,
Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a':
- dit les demandes de la société Itinsell recevables ;
- retenu la pratique de la société La Poste tenant à ne pas traiter, ou avec retard, une partie des réclamations que la société Itinsell lui a transmise ;
- jugé que cette pratique constitue une faute, au sens de l'article 1240 du code civil, engageant la responsabilité délictuelle de La Poste à l'égard de la société Itinsell ;
- condamné la société La Poste à payer à la société Itinsell la somme de 2.071.969 euros à titre d'indemnités en réparation du préjudice subi de cette pratique fautive et y ajouter la somme de 3 816 710 euros résultant de l'erreur matérielle du tribunal ;
- condamné la société La Poste à payer à la société Itinsell la somme de 20.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné la société La Poste aux dépens dont ceux à recouvrer par le greffe liquidés à la somme de 74,50 € dont 12,20 € de TVA ;
- ordonné l'exécution provisoire nonobstant appel et sans caution ;
Infirmer et réformer le jugement entrepris en ce qu'il a':
- rejeté les autres pratiques illicites et/ou déloyales commises par La Poste à l'encontre de ITinSell ;
- rejeté la perte de chance de la société Itinsell de développer sa clientèle en raison des pratiques illicites et/ou déloyales de La Poste ;
-Juger comme irrecevables les conclusions de La Poste en ce qu'elles violent les articles 542 et 954 du code de procédure civile ; Statuant à nouveau,
-Constater que la société La Poste a commis d'autres pratiques illicites et/ou déloyales au sens de l'article L. 420-2 du code de commerce, au détriment de la société Itinsell France ;
-Juger que ces pratiques illicites et/ou déloyales constituent des fautes au sens de l'article 1240 du code civil, engageant la responsabilité délictuelle de la société La Poste à l'égard de la société Itinsell France ;
En conséquence,
-Condamner la société La Poste à payer à la société Itinsell France une somme de 28.769.927 millions d'euros (à parfaire en cours de procédure) en réparation des autres préjudices subis par cette dernière à raison des pratiques illicites et/ou déloyales commises par la société La Poste ;
-Débouter la société La Poste de l'intégralité de ses demandes ; En tout état de cause, -Condamner la société La Poste à payer à la société Itinsell France, une somme de 20.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
-Condamner la société La Poste aux entiers dépens de première instance et d'appel, en ce compris les frais d'expertise.
MOTIVATION La Cour se réfère, pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens échangés et des prétentions des parties, à la décision déférée et aux dernières conclusions échangées en appel.
Sur les fins de non-recevoir
Sur l'irrecevabilité des demandes en raison de l'autorité de chose jugée Exposé du moyen :
La Poste fait valoir, en premier lieu, que les demandes formulées par la société Itinsell dans la présente affaire ont déjà été examinées dans les deux arrêts de la cour d'appel de Paris n°10/12944 du 14 juin 2013 et n°19/17035 du 22 janvier 2021. Elle soutient que la triple identité est caractérisée': il s'agirait des mêmes parties (la société Itinsell contre la société La Poste), de la même cause (les éléments de faits ont déjà été soulevés devant d'autres juges) et le même objet (la réparation de préjudices nés d'agissements prétendument anticoncurrentiels). Elle considère que l'examen comparé des conclusions d'Itinsell en date du 9 juillet 2020 (dans l'affaire RG 19/17035 ' pièce La Poste n°38) et des conclusions d'Itinsell 2022 dans la présente procédure permet de constater l'identité des fautes et des faits allégués. Elle ajoute que le pourvoi formé par Itinsell dans l'affaire n°19/17035 a été rejeté par arrêt de la Cour de cassation du 19 octobre 2022 après un rapport particulièrement motivé qu'elle produit (pièce La Poste n°35).
Elle soutient, en second lieu, que la société Itinsell a volontairement divisé son action en périodes chronologiques et formé ainsi deux instances différentes simultanées ayant le même objet. Elle avance que l'intimée disposait de tous les éléments pour soumettre dans le cadre de la «'précédente procédure'» (initiée par une assignation du 30 décembre 2013 et toujours en cours lorsque le tribunal de Paris a été à nouveau saisi par assignation du 1er février 2019) les demandes formées dans l'actuelle procédure. Elle estime que l'intégralité des demandes de la société Itinsell doit être rejetée pour avoir choisi délibérément de diviser ses demandes. Itinsell conteste cette analyse et précise, en premier lieu : -Que les différentes actions qu'elle a intentées ne présentent pas le même objet puisque la procédure n°19/17035 visait la réparation des préjudices causés par la société La Poste entre janvier 2009 et septembre 2013 alors que la présente procédure vise l'indemnisation des préjudices causés par la société La Poste de janvier 2014 à 2019, soit ceux causés au cours des cinq années précédant la délivrance de l'assignation, étant de surcroît observé que la cour d'appel a limité l'objet de sa condamnation à une période de temps spécifique et qu'en conséquence les actions ont bien des objets différents ;
-Que la présente action porte sur des faits postérieurs et nouveaux à ceux ayant fait l'objet de la précédente procédure, que ces éléments nouveaux n'ont jamais été contestés en fait et en droit et qu'alors une identité de cause ne peut pas non plus être caractérisée. Itinsell répond, en second lieu, que la Cour de cassation a refusé de consacrer un principe de concentration des demandes, bien qu'elle considère qu'il incombe au demandeur de présenter dès l'instance relative à la première demande l'ensemble des moyens qu'il estime de nature à fonder celle -ci (Cass. 2e civ, 26 mai 2011, n°10-16.735)
Réponse de la Cour :
L'objet des litiges précédents, au regard du dispositif de l'arrêt n°19/17035 du 22 janvier 2021 et du dispositif de l'arrêt n°10/12944 du 14 juin 2013 éclairé par les motifs décisifs en précisant la portée, portait sur la période de réclamations non traitées par La Poste antérieure au 30 septembre 2013.
L'autorité de chose jugée, qui suppose en application de l'article 1355 du code civil cumulativement une identité de cause, d'objet et de partie, ne peut en conséquence s'attacher à la présente action qui a pour objet le non traitement des réclamations portant sur la période de réclamations, alléguées comme non traitées par La Poste, s'étendant du 1e février 2014 au 1e février 2019.
Au surplus, s'il incombe au demandeur de présenter dès l'instance relative à la première demande l'ensemble des moyens qu'il estime de nature à fonder celle-ci, il n'est pas tenu de présenter dans la même instance toutes les demandes fondées sur les mêmes faits (Cass. 2e civ, 26 mai 2011, n°10-16.735).
La fin de non-recevoir ne peut donc être accueillie.
Sur le défaut d'intérêt à agir
Exposé du moyen : La Poste fait valoir que la société Itinsell demande 30% du total des indemnisations au titre des réclamations clients alléguées comme non-traitées par la société La Poste entre le 1e février 2014 et le 1e février 2019, en raison selon elle de l'inexécution (éventuelle) d'un contrat entre ses clients et La Poste, alors que ces sommes sont dues aux clients de la société La Poste et non à la société Itinsell. En outre, la société Itinsell ne peut pas réclamer sa commission sur l'éventuelle indemnité due au client au titre de la clause pénale et elle est donc irrecevable faute d'intérêt légitime. Itinsell répond que peu importe que ses clients n'aient pas initié de recours à l'encontre de La Poste, cette dernière engageant sa responsabilité délictuelle à raison des fautes extra-contractuelles commises à l'encontre d'Itinsell et résultant de la mise en place de pratiques illicites et/ou déloyales qui justifient l'intérêt à agir de la société Itinsell.
Réponse de la Cour :
C'est à raison que le tribunal a retenu, dans le jugement attaqué, que l'action a pour objet, non pas le paiement des indemnités contractuelles de retard éventuellement dues par La Poste à des expéditeurs, mais la réparation du préjudice subi par Itinsell du fait de pratiques fondant son action sur la responsabilité délictuelle de La Poste et s'agissant de laquelle elle justifie d'un intérêt à agir.
La fin de non-recevoir ne peut donc être accueillie.
Sur la prescription
Exposé du moyen :
La Poste fait valoir que les articles 7, 8 et 10 du code des postes et des communications électroniques prévoient que la responsabilité du prestataire de service postal pour avarie, perte ou retard dans la livraison est prescrite au bout d'un an à compter du lendemain du jour du dépôt des envois nationaux et de six mois pour les envois internationaux. Elle observe que le présent litige repose en partie sur des réclamations concernant des colis dont il est prétendu qu'ils sont perdus, livrés avec avarie ou retard et en déduit que sont recevables les seules réclamations concernant des envois nationaux déposés à compter du 31 janvier 2018 et du 31 juillet 2018 pour les envois internationaux. Une minorité des envois litigieux est postérieure au 31 janvier 2018, si bien que l'action serait prescrite. Elle ajoute que ce même code prévoit un délai de prescription d'un an tant pour les actions contractuelles que délictuelles. Itinsell répond que les dispositions citées par la société La Poste ne sont pas applicables puisque les demandes ne se rapportent ni à des pertes et avaries de colis, ni à des retards de distribution mais à la constatation de pratiques anticoncurrentielles. Il s'en suit que c'est la prescription quinquennale de droit commun qui doit s'appliquer.
Réponse de la Cour :
La présente action porte sur des fautes délictuelles imputées La Poste par un tiers au contrat à raison des agissements auxquels Itinsell impute une perte de chance de chiffre d'affaires. Or l'article 2224 du code civil dispose que les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître, les faits lui permettant de l'exercer. La fin de non-recevoir ne peut donc être accueillie. Sur l'irrecevabilité des demandes pour des faits imputables à un tiers
Exposé du moyen :
La Poste fait valoir que la société Itinsell soumet des faits qui sont imputables à une société tierce, la société Chronopost, et que ces demandes doivent donc être déclarées irrecevables. Itinsell conteste cette analyse.
Réponse de la Cour :
Si Itinsell allègue en l'espèce que des pratiques illicites et/ou déloyales ont été mises en œuvre par le groupe La Poste et notamment la société Chronopost, force est de constater qu'elle ne formule aucune demande à ce titre mais seulement des demandes indemnitaires en réparation des fautes délictuelles commises par la société La Poste. La fin de non-recevoir ne peut donc être accueillie.
Sur l'irrecevabilité des conclusions de la société La Poste
Exposé du moyen : Itinsell prétend que les premières écritures de La Poste, laquelle sollicitait l'annulation de tous les chefs du jugement lui portant grief, ne lui permettaient pas d'identifier l'objet de son appel et de présenter utilement sa défense. La Poste invoquait selon elle indistinctement les fins de non-recevoir qu'elle ne contestait cependant pas dans l'énoncé des chefs de jugement critiqués et l'ensemble des fautes qui lui sont reprochées par la société Itinsell, soit même celles que le tribunal avait, dans son jugement, écartées à son bénéfice. Itinsell ajoute que les articles 914 et 542 du code de procédure civile permettent à la Cour de relever d'office l'irrecevabilité des conclusions de l'appelant en ce qu'elles ne critiquent pas le jugement rendu par le tribunal de commerce.
La Poste répond que cette demande est irrecevable et infondée. Elle fait valoir que ce grief ne figure pas dans le dispositif des premières écritures de la société Itinsell en date du 19 janvier 2022 et se heurte au principe de concentration des demandes en cause d'appel de l'article 910-4 du code de procédure civile. Elle ajoute avoir, contrairement à ce qui est allégué, critiqué le jugement du tribunal de commerce dès ses premières conclusions.
Réponse de la Cour : Il n'est pas démontré qu'en l'espèce, la Poste s'est abstenue de présenter, dès les conclusions mentionnées aux articles 905-2 et 908 à 910 du code de procédure civile, l'ensemble de ses prétentions sur le fond, si bien que l'irrecevabilité sollicitée ne peut prononcée.
Sur l'irrecevabilité de la demande «'en rectification d'erreur matérielle'
Exposé du moyen : La Poste fait valoir que par ses conclusions du 7 décembre 2022, la société Itinsell a formé une demande nouvelle concernant une prétendue erreur matérielle du tribunal, qui aurait oublié de condamner La Poste au paiement de la somme de 3 816 710 euros, laquelle doit être déclarée irrecevable.
Réponse de la Cour : Force est de constater que la demande d'Itinsel aux fins «'d'ajouter la somme de 3 816 710 euros résultant de l'erreur matérielle du tribunal'», formulée pour la première fois dans ses dernières écritures, n'est pas justifiée par une réponse aux conclusions et pièces adverses et qu'elle ne vise pas à faire juger les questions nées, postérieurement aux premières conclusions, de l'intervention d'un tiers ou de la survenance ou de la révélation d'un fait. Cette demande est dès lors irrecevable en application des articles 909 et 910-4 du code de procédure civile.
Sur les moyens de défense au fond
Itinsell prétend que La Poste a commis, à à titre principal, un abus de position dominante en mettant en place une politique de boycott des services d'Itinsell, laquelle prend la forme de pratiques de découragement systématique des clients et de sanctions financières qui constituent selon elle des pratiques d'éviction.
Dans un premier temps, elle cite les paragraphes 156 à 160 de la décision de l'Autorité de la concurrence n°11-MC-01 de laquelle il ressort que La Poste occupe une position dominante sur le marché de la livraison standard de colis B2C puisqu'en 2009, elle aurait traité plus de 70 % des volumes de colis soit une part correspondante en chiffre d'affaires comprise entre 70 et 80 %, étant entendu que cette position est de surcroît renforcée par son maillage territorial national et sa qualité d'opérateur historique. Itinsell ajoute que selon le Document de référence de La Poste 2017, elle détient toujours 60 % de parts de marché. Dans un deuxième temps, s'appuyant sur les paragraphes 103 et 105 de l'avis n°12-A20 de l'Autorité de la concurrence, sur les résultats de l'enquête IFOP/Itinsell réalisée auprès des e-commerçants en avril 2016 (pièce Itinsell n°1), sur les articles L. 216-1 et suivants du code de la consommation tels qu'issus de la loi n°2014-344 du 17 mars 2014, et sur le développement de marchés comparables en Europe (sur lesquels interviennent des acteurs tels que MetaPack et Hypaship au Royaume-Uni, Xlogics et Parcellab en Allemagne, Gsped en Italie), Itinsell considère qu'il existe un marché pertinent du conseil aux e-commerçants dans le cadre des prestations de livraison de colis. Dans un troisième temps, elle fait valoir que la connexité entre les deux marchés résulte tout à la fois de la similitude des agents économiques présents sur ces marchés, de l'effet mécanique des flux financiers versés par La Poste ou d'autres transporteurs de colis sur le marché des pratiques illicites ou déloyales, et de la circonstance qu'Itinsell intervient, en tant que mandataire de ses clients, directement sur le marché de la livraison de colis B2C dominé par la Poste. Itinsell soutient que les pratiques de discrimination mises en place par la société La Poste entraînent un recul du nombre d'entreprises ayant recours à ses services. Elle ajoute que certains de ses anciens clients résilient leur contrat en invoquant comme explication la campagne de boycott mise en oeuvre par La Poste à l'égard d'Itinsell et les remises tarifaires discriminatoires, octroyées ou perdues, par les clients de La Poste. Elle en déduit que l'effet d'éviction souhaité par la La Poste s'est bien réalisé, son chiffre d'affaires étant passé de plus de un million d'euros en 2015 à moins de 150 000 euros en 2022. Les pratiques de La Poste auraient un objet et des effets anticoncurrentiels visant à empêcher l'émergence d'un nouveau marché, celui du conseil aux e-commerçants dans le cadre des prestations de livraison de colis. Or, le service qu'elle propose favorise les consommateurs et pousse le secteur de la livraison à améliorer sa qualité et ses coûts.
Itinsell prétend, enfin, que les pratiques qu'elle dénonce peuvent être sanctionnées sur le fondement des articles L.420-2 du code de commerce et/ou 102 du TFUE et doivent l'être sur le fondement de l'article 1240 du code civil, les pratiques anticoncurrentielles et/ou les actes de concurrence déloyale constituant des fautes engageant la responsabilité délictuelle de La Poste.
En réponse, La Poste objecte, tout d'abord, que l'ADLC, saisie sur le fondement de l'abus de position dominante, ne s'est pas prononcée car Itinsell a retiré les demandes dont elle l'avait saisie en 2013. La Poste ajoute qu'aucun fait constitutif d'abus de position dominante n'est prouvé. Elle conteste, ensuite, avoir commis quelque faute que ce soit, étant entendu par ailleurs qu'Itinsell ne justifie pas, selon elle, d'un mandat opposable et ne démontre pas avoir subi un préjudice trouvant sa cause dans les faits reprochés.
- Sur les pratiques discriminatoires, les entraves abusives et le dénigrement allégués
Exposé du moyen : Itinsell, fait état en premier lieu de remises commerciales discriminatoires, et soutient que La Poste est intervenue à plusieurs reprises auprès de ses clients communs avec Itinsell, leur enjoignant de renoncer aux services de cette dernière, sous peine de se voir retirer les ristournes habituellement octroyées aux grands comptes de La Poste ou en contrepartie de remises plus importantes. Elle prétend que l'existence d'une remise commerciale ou l'octroi de meilleures conditions tarifaires en contrepartie du renoncement à toute réclamation en cas d'incident de livraison démontre que la société La Poste a conscience des coûts que pourraient générer l'activité de la société Itinsell et a donc mis en oeuvre une politique de boycott afin de conserver son niveau de marge. Elle ajoute qu'elle n'est soumise à aucune obligation légale de confidentialité et que si certains des emails qu'elle produit à l'appui sont antérieurs à 2014, ce n'est pas le cas de toutes les pièces.
Itinsell, fait état en deuxième lieu d'une surfacturation discriminatoire (qu'elle appelle «'taxe Itinsell'»), et soutient que dans le but de la boycotter et de l'exclure, La Poste a mis en place une politique de surfacturation de ses clients ayant recours aux services d'Itinsell en imposant des frais de compte de 150 € par an la première année plus 49 € par compte chaque année suivante et une facturation supplémentaire de 0,90 € par colis lorsque le client formule une réclamation par un autre canal de communication que le logiciel ColiView, alors même que l'indemnisation moyenne par colis est de 4,35 €.
Elle précise que bien que cette tarification s'applique à tous les clients de La Poste ayant recours, ou non, aux services d'Itinsell, en pratique ces surfacturations visent les clients d'Itinsell, ce qui a conduit beaucoup d'entre eux à résilier le contrat les liant à Itinsell.
Itinsell soutient, en troisième lieu, que La Poste a mis en place une politique d'indemnisation discriminatoire en cas d'incidents de livraison visant spécifiquement les clients de la société Itinsell et ayant pour objet de décourager ses clients d'avoir recours aux services de la société Itinsell en refusant de verser les dédommagements à certains clients d'Itinsell, au seul motif qu'ils ont contracté avec cette dernière.
Au titre, en quatrième lieu, des entraves abusives dans l'exercice et le développement de la société Itinsell, cette dernière prétend tout d'abord que La Poste aurait donné des conseils à ses clients pour rompre le contrat les liant à Itinsell en leur indiquant de changer leur code d'accès à leur Espace Client. Elle considère qu'il ne s'agissait pas d'un acte isolé et que ce comportement participe à l'abus de la position dominante de la société La Poste. Itinsell soutient, ensuite, que La Poste l'a bloqué (plus d'accès aux serveurs informatiques) afin qu'elle ne puisse plus exercer le mandat conclu avec ses clients, accéder aux données et traiter les réclamations. Elle dit avoir été contrainte de trouver des mesures de contournement dont la conséquence a été le ralentissement de la vitesse des traitements informatiques et l'investissement dans des ressources serveurs. Elle soutient, enfin, que La Poste a supprimé le logiciel iTrack d'Itinsell des postes informatiques de ses clients lors d'intervention de préposé de la société La Poste dans les locaux d'une société.
Elle considère que cette désinstallation constitue une entrave abusive à l'exercice par Itinsell de son activité, caractérisant une pratique de boycott de la part de La Poste.
Itinsell soutient, en cinquième lieu, que La Poste, par le biais de sa branche Services-Courrier-Colis, a mis en place une politique de dénigrement des activités d'Itinsell, s'inscrivant dans la stratégie de boycott. Elle prétend que La Poste a fait pression sur les clients d'Itinsell afin qu'ils mettent fin à leur contrat en dénigrant le logiciel iTrack, qualifié de « lourdeur administrative ». Elle ajoute que les pratiques illicites et/ou déloyales de La Poste ont été reprises par Chronopost, une filiale du groupe, qui aurait mis en œuvre une campagne de dénigrement par le biais d'un PowerPoint (pièce Itinsel n°10), afin d'inciter les clients de la société Chronopost à ne pas avoir recours aux services d'Itinsell.
Elle soutient qu'il s'agit donc de pratiques généralisées au groupe La Poste.
La Poste répond, s'agissant en premier lieu de remises commerciales discriminatoires alléguées, qu'Itinsell lui reproche d'offrir des tarifs différenciés à ses clients selon qu'ils ont, ou non, recours à ses services. Elle estime que les courriers versés par Itinsell à ce propos sont soumis à une obligation de confidentialité et doivent donc être écartés des débats, que leur valeur est relative puisqu'ils émanent de clients en litige avec La Poste et donc acquis à la cause d'Itinsell et que les propositions tarifaires de La Poste sont conditionnées par des considérations qui échappent à la société Itinsell. Elle ajoute que certains courriers, antérieurs au 1e février 2014, ont été versés à l'occasion de l'affaire précédente et sont prescrits. Elle soutient enfin qu'en admettant même que les cinq clients évoqués par Itinsell dans ses écritures se soient vu incités à ne pas faire appel à Itinsel, ce chiffre est à mettre en relation avec les 1 700 clients revendiqués par Itinsel et les 35 500 entreprises clientes de la Poste.
La Poste répond, s'agissant en deuxième lieu de la surfacturation discriminatoire alléguée, qu'Itinsell ne rapporte pas la preuve de l'existence de frais de mandat qu'elle imposerait. Elle ajoute que la somme de 49 € réclamée reste modique et ne peut dissuader le client de faire gérer sa réclamation par un mandataire. Elle précise que ce prix est de nature contractuelle et qu'il n'a donc pas été imposé aux clients. La Poste soutient qu'en revanche, elle-même a dû supporter les coûts de gestion des mandats jusqu'à ce que la société Itinsell change de logiciel et utilise Coliview. La Poste estime que ce n'est pas une prétendue taxe qui a fait perdre ses clients à la société Itinsell mais l'existence d'un autre logiciel, Coliview, qui est selon elle plus performant. Elle en déduit n'avoir pratiqué aucune politique discriminatoire à l'encontre de la société Itinsell ou ses clients.
La Poste, s'agissant en troisième lieu de l'allégation d'indemnisations discriminatoires, fait valoir que depuis l'utilisation du logiciel Coliview en 2014, les réclamations sont faites sans que la société La Poste n'en connaisse l'origine, ce qui empêche un traitement différencié. Elle soutient que de nombreuses réclamations ne sont pas traitées parce qu'elles ne sont pas justifiées puisque certaines réclamations sont faites automatiquement, en doublon et réitérées lorsque la réponse ne convient pas à la société Itinsell. La Poste conteste tout acte déloyal. Elle ajoute qu'elle ne fait pas pression sur les clients pour qu'ils adhérent à une indemnisation forfaitaire plutôt qu'au portage de réclamations individuelles puisque ce choix est laissé à la discrétion du client.
Au titre, en quatrième lieu, des entraves abusives dans l'exercice et le développement de la société Itinsell, La Poste fait valoir, tout d'abord, que la proposition d'alternative aux logiciels d'Itinsell ne constitue pas un acte de concurrence déloyale mais seulement une incitation commerciale acceptable dans un contexte concurrentiel, le logiciel proposé étant substituable aux services de la société Itinsell. Elle ajoute, ensuite, que les faits allégués sont anciens, prescrits et ont déjà été jugés par l'arrêt déjà cité du 21 janvier 2021 de la cour d'appel de Paris comme ne démontrant aucune faute La Poste ajoute que le prétendu blocage n'a pas empêché Itinsell d'exercer son activité et dément en tout état de cause l'existence d'un tel blocage. La Poste fait valoir,enfin, que l'éventuelle désinstallation du logiciel de la société Itinsell ne serait pas volontaire et qu'elle aurait simplement pu réinstaller ledit logiciel. Elle conteste tout politique d'éviction. S'agissant, en cinquième lieu, des pratiques de dénigrement alléguées, La Poste répond qu'elle n'a pas volontairement complexifié le processus de réclamation et qu'elle n'a pas mis en place des obstacles techniques à la mission de la société Itinsell. Elle considère que la mise en avant de son logiciel ColiView face au logiciel d'Itinsell, iTrack, est un acte normal de concurrence et elle soutient n'avoir jamais mis en cause, directement ou indirectement, la société Itinsell. Elle conteste avoir fait preuve d'agressivité vis-à-vis d'Itinsell. Elle ajoute ne pas être responsable d'une éventuelle politique de dénigrement ou de faits de harcèlement judiciaire au sein de sa filiale Chronopost, les deux sociétés étant indépendantes l'une de l'autre. Un tel reproche lui paraît en tout hypothèse malvenu, Itinsell s'étant montrée particulièrement procédurière à l'égard de La Poste (outre les contentieux déjà évoqués, saisine du tribunal judiciaire de Paris en 2009, du médiateur de la Poste, de l'Autorité de régulation des communication électroniques et des postes (ARCEP), référé d'heure à heure devant le tribunal de commerce de Lyon en février 2014, saisine du juge de l'exécution en avril 2014...)
Réponse de la Cour :
S'agissant, tout d'abord, des pratiques discriminatoires alléguées, il n'est pas établi que la Poste ait menacé d'une quelconque façon des clients s'ils avaient recours aux services d'Itinsell. Quelques courriels produits aux débats (pièces Itinsell n°6 à 8) montrent que la Poste a pu inciter ses clients à ne pas faire appel à des tiers intermédiaires, sans les nommer, car le fait que des intermédiaires interviennent oblige la Poste à adapter son process de traitement des réclamations ce qui entraîne un coût intermédiaire la contraignant à revoir ses conditions tarifaires et l'a conduit à rédiger de nouvelles conditions générales de vente. Force est de constater que pour autant, ces échanges ne mettent pas en cause Itinsell. En outre, la production (sous les n°3 et 4) des pièces du 7 septembre 2009 et du 4 février 2010 dépourvue de toute portée utile.
Il n'est pas utilement contesté que La Poste a perfectionné son site Coliview pour en faire un outil gratuit de suivi des expéditions et que, quand bien même celui-ci concurrencerait des prestataires de services extérieurs et que la Poste inciterait ses clients à l'utiliser de préférence (iTrack étant devenu, par comparaison, plus complexe à utiliser), une telle incitation, dans un contexte de libre concurrence, sans copie ni pillage d'un savoir-faire ou d'un droit de propriété intellectuelle, ne peut constituer une faute.
La circonstance que La Poste propose une ristourne sur le prix des acheminements forfaitaires de colis, sous la condition que le client s'engage à ne pas faire de réclamations, constitue une démarche commerciale dépourvue de nature déloyale.
L'existence de frais de gestion annuels pour l'enregistrement et la gestion administrative d'une déclaration de mandataire par ColiPoste ne peut pas non plus être assimilé à une surfacturation discriminatoire. Depuis la mise en place de Colivew en 2014, les réclamations portées à la connaissance de La Poste par ce canal de communication sont prises en compte sans que cet opérateur n'en connaisse l'origine, si bien qu'un traitement différencié n'est pas possible. La Cour retient, en conséquence, que les allégations de mise en place de remises commerciales discriminatoires, de surfacturation discriminatoire et de politique d'indemnisation discriminatoire ne sont pas démontrées.
S'agissant, ensuite, des supposées entraves abusives dans l'exercice et le développement des activités d'itinsell, aucun document n'est rapporté par Itinsell pour prouver que ce blocage, déjà critiqué lors de précédentes procédures, a été répété par La Poste. Itinsell ne démontre pas non plus que La Poste a procédé à la désinstallation de son logiciel chez certains de ses clients. La Cour constate que dans son précédent arrêt du 22 janvier 2021, elle avait déjà écarté la faute par obstruction à l'activité de la société Itinsell en retenant que les constatations de l'huissier ne permettent pas de caractériser les difficultés d'accès invoquées. La production en l'espèce de ces pièces, dénommées par Itinsell «'constats d'huissier sur le blacklistage'», qui sont datées du 26 octobre 2009 et du 18 mai 2010 soit avant la période litigieuse, est ainsi à plusieurs titres dépourvue de toute portée utile. C'est en vain qu'Itinsell fait par ailleurs état, dans ses écritures, de la modification par la Poste de la présentation des informations de suivi des colis disponibles sur coliposte.net et colissimo.fr afin qu'elles figurent sous la forme d'images, dès lors qu'elle se contente de produire à l'appui une pièce (n°28) datée du 2 octobre 2013, soit antérieure à la période visée au cas présent.
De plus, la circonstance qu'un commercial de la Poste ait pu écrire à Montresandco, cliente d'Itinsell, qu'un de ses clients avait arrêté son mandataire en modifiant ses accès privatifs de son Espace Client (pièce Itinsell n°18) ne peut, par ellemême, valoir démonstration de la mise en œuvre de barrières administratives par un opérateur dominant, comme allégué.
S'agissant, enfin, des allégations de dénigrement s'inscrivant dans la stratégie de boycott, il n'apparaît pas, à la lecture des pièces n° 22, 29 et 30 auxquelles Itinsell renvoie dans ses écritures, que les faits relatés puissent caractériser un dénigrement, étant par ailleurs rappelé que Chronopost n'est pas dans la cause. Il s'en suit que qu'aucun des faits générateurs des différents préjudices allégués au titre des pratiques discriminatoires, des entraves abusives et du dénigrement invoquées ne peut être retenu.
- Sur l'absence de traitement d'une partie des réclamations exercées pour le compte de tiers
Exposé du moyen : Itinsell soutient que La Poste n'a pas correctement traité l'intégralité des réclamations qui lui sont faites et qu'il s'agit d'une faute au regard de l'article 18.1.2 de ses propres conditions générales de vente (CGV). Elle affirme que La Poste refuse purement et simplement pour certains clients, d'accorder une indemnisation lorsque les demandes émanent d'Itinsell et qu'elle diffère volontairement les réponses apportées aux demandes de réclamation déposées par Itinsell pour le compte de ses clients. La circonstance que La Poste n'a pas traité ou avec retard une partie des réclamations qu'Itinsell lui a transmises caractérise selon elle une pratique illicite et/ou déloyale sur le fondement de l'article L.420-2 du code de commerce et constitue une faute au regard de l'article 1240 du code civil, engageant la responsabilité délictuelle de la société La Poste.
Au soutien de sa demande d'indemnisation d'un montant de 28 769 927 euros, lequel correspond selon elle, au chiffre d'affaires manqué par Itinsell à raison des pratiques fautives de La Poste, Itinsell fait valoir, en premier lieu, que selon les chiffres publics communiqués en 2021 par l'ARCEP, le volume de colis a augmenté de plus de 50 % entre 2017 et 2021. Elle estime, ensuite, le nombre de colis qu'elle aurait été susceptible de traiter en tenant compte (i) du nombre de colis traités par La Poste tel qu'il ressort des données publiées par cette entreprise, et (ii) de l'estimation de la part de marché d'Itinsell tel qu'elle ressort de son business plan. Elle applique ensuite à ce nombre de colis le taux de retard publié par La Poste elle-même, permettant d'évaluer le nombre de colis pour lesquels Itinsell aurait pu former une demande d'indemnisation. En se fondant sur (i) une indemnisation moyenne par colis de 4, 35 euros et (ii) un taux de facturation moyen de 32 %, Itinsell calcule enfin le chiffre d'affaires qu'elle aurait pu réaliser sur la période 2014-2018, et le compare au chiffre d'affaires effectivement réalisé sur la même période.
Itinsell précise enfin, suite au moyen de défense présenté par La Poste tenant à l'opposabilité du mandat consenti à Itinsell, que lorsqu'un e-commerçant souscrit à une offre portant sur l'utilisation d'iTrack, il octroie dans le même temps mandat à la société Itinsell pour agir en son nom, dans le cadre notamment des demandes d'indemnisation déposées auprès des transporteurs de colis. Il s'en suit qu'Itinsell agit en qualité de mandataire et non en qualité de commissionnaire.
La Poste fait valoir en réponse, tout d'abord, qu'Itinsell n'a jamais justifié du mandat la liant à ses clients. Elle ajoute n'avoir jamais reçu de procuration permettant à cette dernière de lui soumettre les réclamations de ses clients et n'avoir aucune information sur l'étendue des prétendus mandats. Ces derniers ne lui étant pas opposables, il s'agirait plutôt de contrats de commission, Itinsell agissant en son propre nom, qui n'est pas celui de son commettant. La Poste soutient, ensuite, qu'il appartient à la société Itinsell de faire la démonstration que les faits reprochés représentent individuellement des fautes, ce qu'elle ne fait pas. Lorsque Itinsell n'obtient pas une réponse positive dans un délai de 15 jours, elle considère que sa réclamation est «'non traitée'». Par ailleurs, elle forme des réclamations dès que son système de détection a identifié ce qu'il estime être une anomalie, étant observé que le coût marginal de chaque réclamation est, pour elle, nul. La Poste fait valoir qu'il est arrivé à de nombreuses reprises qu'un colis soit bien arrivé, mais qu'en l'absence par exemple d'une des données de flashage, Itinsell forme automatiquement une réclamation, laquelle est renouvelée à plusieurs reprises par plusieurs canaux si Itinsell n'obtient pas la réponse qu'elle a promis à ses clients, avec les économies consécutives. La Poste ajoute que les résultats d'une enquête menée en juin 2016 montrent que les demandes d'indemnisation pour perte sont formées concernant des colis qui sont pourtant bien arrivés à destination (pièce La Poste n°20).
Elle relève, enfin, qu'Itinsell ne produit aucune pièce financière ou comptable à l'appui du chiffrage de son préjudice. Réponse de la Cour : Alors que La Poste, doit traiter les demandes d'indemnisation sous 15 jours (article 1.2 des CGV), Itinsell produit des courriels ou correspondances de quelques clients desquels il s'infère que cet opérateur paraît avoir mis en oeuvre une procédure complexe de réponse aux demandes d'indemnisation d'entreprises ayant opté pour déléguer à un tiers cette tâche.
Cependant, si cette procédure ralentit certainement le processus, Itinsell doit démontrer que les méthodes de La Poste lui causent un préjudice, eu égard aux réclamations qu'elle lui a transmises. L'existence de ces réclamations et leur éligibilité au remboursement doit en effet être prouvée par le demandeur. Or, force est de constater que les seules pièces versées aux débats recensant les réclamations formées par Itinsell au nom de ses clients (pièces La Poste n°27 et 28- pièce Itinsell n°27) visent des périodes de temps comprises entre 2008 et 2013.
Il n'est produit aucun document, ne serait-ce que par exemple des captures d'écran permettant décrire le mécanisme de souscription à une offre portant sur l'utilisation d'iTrack. Aucune précision n'est apportée quant à l'étendue du mandat consenti, ni quant aux clients -et notamment les grands comptes- concernés aux dates litigieuses. Itinsell fait par ailleurs valoir qu'une cinquantaine de procédures ont été lancées contre La Poste par ses propres clients pour les mêmes raisons qui opposent cette dernière à Itinsell, à savoir le non-traitement ou le mauvais traitement des réclamations. Elle ajoute, à titre d'exemple, que SFR a mis en demeure La Poste, en mars 2015, de lui verser la somme de 730 350 euros résultant de la non-indemnisation de réclamations pour lesquelles La Poste aurait reconnu sa responsabilité (pièce Itinsell n°43). Il ne peut cependant être tiré de cette information aucun élément utile à la solution de présent litige, lequel présuppose la démonstration, qui fait défaut en l'espèce, d'un lien contractuel entre Itinsell et des clients précisément identifiés lui ayant donné mandat.
La Cour avait déjà, dans l'arrêt définitif n°19/17035 du 22 janvier 2021, caractérisé l'obligation de La Poste de répondre aux réclamations portées par des mandats, et retenu l'absence de faute en l'absence de mandat, étant entendu que la tolérance de La Poste a pu faire preuve antérieurement en la matière n'est pas assimilable à la reconnaissance d'un droit. Or, alors qu'il appartient à Itinsell de démonter l'existence de ces réclamations et leur éligibilité au remboursement, aucun élément de preuve n'est produit au cas présent par Itinsell au soutien de ses prétentions. La démonstration de l'existence du fait générateur de responsabilité, laquelle est un préalable indispensable, fait défaut, et c'est en conséquence à tort que le tribunal a considéré comme acquise la faute de la Poste tenant à l'absence de traitement d'une partie des réclamations.
Il ne pouvait, comme il l'a fait, constater cette carence probatoire, puis retenir qu'il ne disposait pas d'éléments permettant de considérer que les chiffres avancés par Itinsell devaient être différents de ceux de la période antérieure, alors que le jugement du 5 juillet 2019, auquel il se referait implicitement pour aboutir à cette conclusion, avait été infirmé sur ce point par l'arrêt n°19/17035 du 22 janvier 2021 précité.
A titre surabondant, la Cour retient que le chiffrage du préjudice allégué repose de surcroît sur des hypothèses qui ne sont en aucune façon étayées. La société Itensell sera déboutée de sa demande de dommages-intérêts et le jugement sera en conséquence infirmé en ce qu'il a condamné La Poste à verser la somme de 2 071 969 euros en réparation de son préjudice. Sur les dépens, les frais irrépétibles et l'exécution provisoire Le jugement sera infirmé en ce qu'il a condamné La Poste aux dépens de première instance et à payer la somme de 20 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile. Itinsell, qui succombe en toutes ses prétentions, sera condamnée aux dépens. Il serait inéquitable de laisser à la charge de La Poste les frais irrépétibles qu'elle a contraintes d'exposer pour faire valoir ses droits en justice. Itinsell sera en conséquence condamnée à verser à La Poste la somme de 25 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile. La Cour retient que l'exécution provisoire a été ordonnée en l'espèce sur le fondement de l'ancien article 515 du code de procédure civile alors applicable, comme le tribunal en avait la faculté. La demande d'infirmation de ce chef de dispositif est sans objet.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire.
Déclare irrecevable la demande en rectification d'erreur matérielle formulée par la société Itinsell dans ses dernières écritures';
Rejette les autres fins de non recevoir présentées ; Infirme le jugement du tribunal en ses dispositions qui lui sont soumises, mais seulement en ce qu'il a : -Condamné la SA La Poste à payer à la société Itinsell la somme de 2 071 969 euros à titre d'indemnités en réparation de son préjudice,
-Condamné la SA La Poste à payer à la société Itinsell la somme de 20 000 euros au titre de l'article 700 outre les dépens dont ceux à recouvrer par le greffe liquidés à la somme de 74.50 euros,
Statuant de nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant, Déboute la société Itinsell de sa demande de dommages et intérêts ; Condamne la société Itinsell à payer à la société La Poste la somme de 25 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la société Itinsell aux dépens.