Cass. com., 15 mars 2023, n° 21-18.324
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Vigneau
Rapporteur :
Mme Lefeuvre
Avocat général :
M. Crocq
Avocats :
SCP Spinosi, SCP Gaschignard, Loiseau et Massignon
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Rennes, 15 juin 2021), par un protocole d'accord du 14 décembre 2004, la société Vectora, associée unique de la société par actions simplifiée Larzul, et la société Française de gastronomie (la société FDG), associée unique de la société UGMA, ont convenu, d'une part, d'une augmentation du capital de la société Larzul réservée à la société UGMA, par voie d'apport en nature de son fonds de commerce ainsi qu'à la société FDG par voie d'apport en numéraire, d'autre part, de l'acquisition, par la société FDG auprès de la société Vectora, d'actions de la société Larzul. Par des délibérations du 30 décembre 2004, la société Vectora a approuvé l'opération d'apport du fonds de commerce à la société Larzul et l'augmentation de capital subséquente.
2. Par un acte du 31 janvier 2005, la société Vectora a cédé un certain nombre d'actions de la société Larzul à la société FDG.
3. Un arrêt irrévocable du 24 janvier 2012 a annulé les délibérations de la société Vectora du 30 décembre 2004 et a constaté la caducité du traité d'apport du 14 décembre 2004.
4. Soutenant qu'elle avait été privée de ses droits d'associé depuis le 3 avril 2012, la société FDG a assigné la société Larzul en annulation de toutes les assemblées générales ordinaires et extraordinaires de cette société et de toutes les décisions collectives en résultant à compter de cette date.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en ses première et deuxième branches, ci-après annexé
5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le moyen, pris en ses troisième et quatrième branches, en ce qu'il fait grief à l'arrêt de déclarer recevables les demandes de la société FDG tendant à l'annulation des délibérations de l'assemblée générale de la société Larzul postérieures à la date du 19 janvier 2013
Enoncé du moyen
6. La société Larzul fait grief à l'arrêt de déclarer recevables les demandes de la société FDG tendant à l'annulation des délibérations de son assemblée générale postérieures à la date du 19 janvier 2013 ainsi que le solde de ses demandes, alors :
« 3°/ que la nullité des actes ou délibérations pris par les organes d'une société commerciale ne peut résulter que de la violation d'une disposition impérative du livre II du code de commerce ou des lois qui régissent les contrats ; que pour prononcer l'annulation de toutes les délibérations de l'assemblée générale ordinaire et extraordinaire de la société par actions simplifiée Larzul postérieures à la date du 19 janvier 2013, la cour d'appel retient que ces délibérations ont été prises en méconnaissance du droit de la société FDG de participer à ces assemblées et de prendre part au vote résultant des articles L. 223-28 et L. 223-29 du code de commerce ; qu'en statuant ainsi, sur le fondement de dispositions applicables aux seules sociétés à responsabilité limitée, et non aux sociétés par actions simplifiées, la cour d'appel a violé l'article L. 235-1 du code de commerce et les articles L. 223-28 et L. 223-29 du même code par fausse application ;
4°/ que la nullité des actes ou délibérations pris par les organes d'une société commerciale ne peut résulter que de la violation d'une disposition impérative du livre II du code de commerce ou des lois qui régissent les contrats ; que la violation des dispositions statutaires qui, dans les sociétés par actions simplifiées, fixent les conditions dans lesquelles la société est dirigée, déterminent les décisions qui doivent être prises collectivement par les associés, et prévoient les formes et conditions, notamment de vote, dans lesquelles les décisions collectives sont adoptées, n'est pas sanctionnée par la nullité ; qu'en annulant toutes les délibérations de l'assemblée générale ordinaire et extraordinaire de la société par actions simplifiée Larzul postérieures à la date du 19 janvier 2013, sans constater que ces décisions étaient de celles qui auraient dû être prises collectivement par les associés en vertu d'une disposition impérative du livre II du code de commerce applicable aux sociétés par actions simplifiées, et non pas seulement d'une disposition statutaire, la cour d'appel a violé les articles L. 227-5, L. 227-9 et L. 235-1 du code de commerce. »
Réponse de la Cour
7. Les motifs critiqués ne fondent pas le chef de dispositif attaqué. Le moyen est donc inopérant.
Sur le moyen, pris en sa quatrième branche, en ce qu'il fait grief à l'arrêt de prononcer l'annulation des délibérations de l'assemblée générale ordinaire et extraordinaire de la société Larzul postérieures à la date du 19 janvier 2013 et de rejeter les demandes de cette société
8. La société Larzul fait grief à l'arrêt de prononcer l'annulation des délibérations de l'assemblée générale ordinaire et extraordinaire postérieures à la date du 19 janvier 2013 et de rejeter ses demandes, alors « que la nullité des actes ou délibérations pris par les organes d'une société commerciale ne peut résulter que de la violation d'une disposition impérative du livre II du code de commerce ou des lois qui régissent les contrats ; que la violation des dispositions statutaires qui, dans les sociétés par actions simplifiées, fixent les conditions dans lesquelles la société est dirigée, déterminent les décisions qui doivent être prises collectivement par les associés, et prévoient les formes et conditions, notamment de vote, dans lesquelles les décisions collectives sont adoptées, n'est pas sanctionnée par la nullité ; qu'en annulant toutes les délibérations de l'assemblée générale ordinaire et extraordinaire de la société par actions simplifiée Larzul postérieures à la date du 19 janvier 2013, sans constater que ces décisions étaient de celles qui auraient dû être prises collectivement par les associés en vertu d'une disposition impérative du livre II du code de commerce applicable aux sociétés par actions simplifiées, et non pas seulement d'une disposition statutaire, la cour d'appel a violé les articles L. 227-5, L. 227-9 et L. 235-1 du code de commerce. »
Réponse de la Cour
9. En vertu de l'alinéa 1er de l'article L. 227-9 du code de commerce, les statuts d'une société par actions simplifiée déterminent les décisions qui doivent être prises collectivement par les associés dans les formes et conditions qu'ils prévoient.
10. Selon l'alinéa 2, les attributions dévolues aux assemblées générales des sociétés anonymes en certaines matières sont, dans les conditions fixées par les statuts, exercées collectivement par les associés.
11. Aux termes de l'alinéa 4, les décisions prises en violation des dispositions de cet article peuvent être annulées à la demande de tout intéressé.
12. La chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation juge de façon constante qu'il résulte de l'article L. 235-1, alinéa 2, du code de commerce que la nullité des actes ou délibérations pris par les organes d'une société commerciale ne peut résulter que de la violation d'une disposition impérative du livre II du même code ou des lois qui régissent les contrats et que sous réserve des cas dans lesquels il a été fait usage de la faculté, ouverte par une disposition impérative, d'aménager conventionnellement la règle posée par celle-ci, le non-respect des stipulations contenues dans les statuts ou dans le règlement intérieur n'est pas sanctionné par la nullité (Com., 18 mai 2010, pourvoi n° 09-14.855, Bull. 2010, IV, n° 93).
13. Elle a appliqué cette jurisprudence aux décisions prises en violation des règles statutaires définissant, en application de l'article L. 227-9, alinéa 1er, du code de commerce, le champ des décisions collectives dans les sociétés par actions simplifiées en jugeant que la nullité des actes ou délibérations pris par les organes d'une société commerciale ne peut résulter que de la violation d'une disposition impérative du livre II du code de commerce ou des lois qui régissent les contrats (Com., 26 avril 2017, pourvoi n° 14-13.554).
14. Certes, la disposition statutaire qui réserve, dans ces sociétés, certaines décisions à la collectivité des associés, n'aménage aucune disposition impérative, tirant au contraire parti de la liberté que l'article L. 227-9, alinéa 1er, laisse aux rédacteurs des statuts.
15. Cependant, l'organisation et le fonctionnement de la société par actions simplifiée relèvent essentiellement de la liberté statutaire. Il en découle que le respect des dispositions statutaires qui, conformément à l'article L. 227-9, alinéa 1er, du code de commerce, déterminent les décisions qui doivent être prises collectivement par les associés et les formes et conditions dans lesquelles elles doivent l'être, est essentiel au bon fonctionnement de la société et à la sécurité de ses actes. Or, les limitations apportées par cette jurisprudence à la possibilité de voir sanctionner par la nullité la méconnaissance de ces dispositions statutaires conduisent à ce que leur violation ne puisse être sanctionnée.
16. Ces considérations conduisent la Cour à juger désormais que l'alinéa 4 de l'article L. 227-9 du code de commerce, institué afin de compléter, pour les sociétés par actions simplifiées, le régime de droit commun des nullités des actes ou délibérations des sociétés, tel qu'il résulte de l'article L. 235-1, alinéa 2, du code de commerce, doit être lu comme visant les décisions prises en violation de clauses statutaires stipulées en application du premier alinéa et permettant, lorsque cette violation est de nature à influer sur le résultat du processus de décision, à tout intéressé d'en poursuivre l'annulation.
17. Le moyen, qui postule le contraire, n'est donc pas fondé.
Mais sur le moyen, pris en sa troisième branche, en ce qu'il fait grief à l'arrêt de prononcer l'annulation des délibérations de l'assemblée générale ordinaire et extraordinaire de la société Larzul postérieures à la date du 19 janvier 2013 et de rejeter les demandes de cette société
Enoncé du moyen
18. La société Larzul fait grief à l'arrêt de prononcer l'annulation des délibérations de l'assemblée générale ordinaire et extraordinaire postérieures à la date du 19 janvier 2013 et de rejeter ses demandes, alors « que la nullité des actes ou délibérations pris par les organes d'une société commerciale ne peut résulter que de la violation d'une disposition impérative du livre II du code de commerce ou des lois qui régissent les contrats ; que pour prononcer l'annulation de toutes les délibérations de l'assemblée générale ordinaire et extraordinaire de la société par actions simplifiée Larzul postérieures à la date du 19 janvier 2013, la cour d'appel retient que ces délibérations ont été prises en méconnaissance du droit de la société FDG de participer à ces assemblées et de prendre part au vote résultant des articles L. 223-28 et L. 223-29 du code de commerce ; qu'en statuant ainsi, sur le fondement de dispositions applicables aux seules sociétés à responsabilité limitée, et non aux sociétés par actions simplifiées, la cour d'appel a violé l'article L. 235-1 du code de commerce et les articles L. 223-28 et L. 223-29 du même code par fausse application. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 235-1, alinéa 2, du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019, L. 223-28 et L. 223-29 du même code :
19. Il résulte du premier de ces textes que la nullité des actes ou délibérations pris par les organes d'une société commerciale ne peut résulter que de la violation d'une disposition impérative du livre II du même code ou des lois qui régissent les contrats.
20. Pour annuler les délibérations de l'assemblée générale ordinaire et extraordinaire de la société Larzul postérieures à la date du 19 janvier 2013, l'arrêt retient que la qualité d'associé de la société FDG n'a pas disparu et qu'ont été prises des décisions selon des mécanismes violant les dispositions d'ordre public des articles L. 223-28 et L. 223-29 du code de commerce, notamment, celle établissant que chaque associé a droit de participer aux décisions et dispose d'un nombre de voix égal à celui des parts qu'il possède.
21. En statuant ainsi, alors que les articles L. 223-28 et L. 223-29 du code de commerce ne sont pas applicables aux sociétés par actions simplifiées, la cour d'appel a violé les textes susvisés, les deux derniers par fausse application.
Portée et conséquences de la cassation
22. La cassation prononcée sur le moyen, pris en sa troisième branche, entraîne la cassation, par voie de conséquence, du chef de dispositif accordant à la société Larzul un délai de six mois courant à compter de la signification de l'arrêt pour procéder à la régularisation des décisions annulées, selon des modalités conformes aux droits statutaires d'associé de la société FDG, qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le dernier grief, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il prononce l'annulation des délibérations de l'assemblée générale ordinaire et extraordinaire de la société Larzul postérieures à la date du 19 janvier 2013, en ce qu'il rejette la demande de dommages et intérêts de la société Larzul, en ce qu'il accorde à la société Larzul un délai de six mois courant à compter de la signification de l'arrêt pour procéder à la régularisation des décisions annulées, selon des modalités conformes aux droits statutaires d'associé de la société Française de gastronomie et en ce qu'il statue sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 15 juin 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Rennes ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Angers.