CA Paris, Pôle 5 ch. 7, 26 septembre 2019, n° 18/15781
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Orange (SA)
Défendeur :
Free (SAS), Arcep
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Mollard
Conseillers :
M. Douvreleur, Mme Tréard
Avocats :
Me Boccon Gibod, Me Limbour, Me Teytaud, Me Fréget, Me Delannoy
Vu la décision de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes n° 2018-0569- RDPI du 17 mai 2018 se prononçant sur une demande de règlement de différend opposant la société Free et la société Orange ;
Vu la déclaration de recours déposée par la société Orange au greffe de la cour le 29 juin 2018 ;
Vu l'exposé complet des moyens et les conclusions déposés par la société Orange au greffe de la cour, respectivement, les 30 juillet 2018 et 13 mars 2019 ;
Vu les observations et les conclusions en duplique déposées par la société Free au greffe de la cour, respectivement, les 12 décembre 2018 et 30 avril 2019 ;
Vu les observations de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes déposées au greffe de la cour le 4 février 2019 ;
Vu l'avis écrit du ministère public en date du 22 mai 2019, communiqué le même jour aux sociétés Orange et Free, ainsi qu'à l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes ;
Après avoir entendu à l'audience publique du 23 mai 2019 en leurs observations orales le conseil de la société Orange, le conseil de la société Free, le conseil de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes et le ministère public, les parties ayant été mises en mesure de répliquer ;
FAITS ET PROCÉDURE
1.Afin de répondre à la croissance constante des besoins de très haut débit, les principaux opérateurs nationaux de communications électroniques ont, à partir de 2006, engagé la réalisation d'une infrastructure de boucle locale nouvelle en fibre optique jusqu'à l'abonné, appelée FttH (« Fiber to the Home » : « Fibre optique jusqu'au domicile »).
2.Les pouvoirs publics ayant fixé l'objectif d'un « très haut débit pour tous » à échéance de la fin de l'année 2022, le législateur est intervenu en 2008 en posant, à l'article L. 34-8-3 du code des postes et communications électroniques (ci après le « CPCE »), le principe dit de « mutualisation » de la partie terminale des réseaux FttH, afin de créer un cadre favorable à leur développement. Ce principe vise, en effet, à garantir l 'accès de la partie terminale des réseaux FttH, qu'il n'est pas économiquement viable de répliquer, à l'ensemble des opérateurs, comme c'est le cas sur le réseau téléphonique, et, ainsi, à éviter les situations de monopole sur le marché de détail, dans lesquelles l'opérateur ayant installé le réseau serait seul en capacité structurelle de proposer ses services aux utilisateurs finals. La mutualisation repose ainsi sur le partage de la ligne installée par le premier opérateur (appelé « opérateur d'immeuble » en zones très denses et « opérateur d'infrastructure » en zones moins denses), depuis un point de son réseau désigné comme le « point de mutualisation » jusqu'aux utilisateurs finals. L'opérateur qui en bénéficie participe au financement de la ligne, dans le cadre d'un dispositif dit de « cofinancement » dont les conditions tarifaires sont fixées par le contrat d'accès. L'accès peut être accordé dès l'origine, lors du déploiement effectif du réseau, ou après que celui ci a été installé, de sorte que le cofinancement sera opéré ab initio dans le premier cas et a posteriori dans le second.
3.Pour garantir l'effectivité du principe de mutualisation, l'article 34-8-3 du CPCE prévoit que l'accès à la partie terminale du réseau doit être assuré « dans des conditions transparentes et non discriminatoires » et permettre « le raccordement effectif d'opérateurs tiers, à des conditions économiques, techniques et d'accessibilité raisonnables ». L'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ci après l' « X ») a précisé ces principes par deux décisions réglementaires relatives aux modalités d'accès aux réseaux de fibre optique. C'est ainsi qu'elle a adopté, s'agissant des zones très denses, la décision n° 2009-1106 du 22 décembre 2009 précisant, en application des articles L. 34-8 et L. 34-8-3 du code des postes et des communications électroniques, les modalités de l'accès aux lignes de communications électroniques à très haut débit en fibre optique et les cas dans lesquels le point de mutualisation peut se situer dans les limites de la propriété privée (ci après la « décision du 22 décembre 2009 ») et, s'agissant des zones moins denses, la décision n° 2010-1312 du 14 septembre 2010 précisant les modalités de l'accès aux lignes de communications électroniques à très haut débit en fibre optique sur l'ensemble du territoire à l'exception des zones très denses (ci après la « décision du 14 septembre 2010 »). Ces décisions ont prévu, en particulier, que les conditions tarifaires de l'accès devaient être raisonnables et respecter les principes d'objectivité, de pertinence, d'efficacité, de transparence et de non discrimination.
4.Conformément à ce cadre réglementaire, chaque opérateur d'infrastructure ou d'immeuble est donc soumis à une obligation d'accès passif à ses lignes FttH au profit des opérateurs commerciaux à partir du point de mutualisation. Les articles 4 de la décision du 22 décembre 2009 et 10 de la décision du 14 septembre 2010 prévoient, à cette fin, l'obligation pour l'opérateur d'immeuble ou d'infrastructure de publier, avant le déploiement de la partie terminale du réseau, une offre d'accès détaillant les conditions techniques et tarifaires de son offre de mutualisation. C'est sur la base de cette offre, destinée à garantir un traitement non discriminatoire des opérateurs et leur permettre d'obtenir les informations nécessaires à l'exercice de leurs choix, que doivent se conclure les accords de mutualisation entre opérateurs.
5.Dans les zones « très denses », qui comprennent aujourd'hui 106 communes, soit environ 5,5 millions de logements, le point de mutualisation se situe à l'interface entre les réseaux dits « horizontaux », c'est-à- dire ceux qui sont déployés en amont et en propre par chaque opérateur et le réseau dit « vertical », compris comme la partie terminale de celui ci déployée par l'opérateur d'immeuble, le partage de la fibre optique se faisant au pied d'immeuble ou à proximité immédiate.
6.Dans les zones « moins denses », qui recouvrent le reste du territoire français, soit près de 80 % de la population française, le point de mutualisation se situe plus en amont dans le réseau horizontal, afin de permettre le raccordement des lignes desservant l'ensemble des logements ou locaux situés dans la zone arrière.
7.S'agissant de ces zones moins denses, le gouvernement a lancé, en 2010, un Appel à Manifestation d'Intention d'Investissement (ci après un « AMII »), en vue de recueillir les intentions des opérateurs en matière de déploiement de réseaux à très haut débit, dans le cadre duquel la société Orange a choisi de déployer environ 90 % des lignes de cette zone, la société Free choisissant de participer à leur cofinancement.
8.En conséquence, les sociétés Orange et Free ont conclu, le 19 septembre 2016, un contrat d'accès aux lignes FttH de la zone AMII de la société Orange (ci après le « contrat litigieux »). En ce qui concerne les conditions financières du droit d'accès consenti à la société Free, ce contrat a prévu, d'une part, un tarif non récurrent, à caractère forfaitaire, ferme et définitif, et, d'autre part, un tarif récurrent consistant en une rémunération variable en fonction du nombre de lignes FttH qui lui sont affectées ; par ailleurs, il a fixé la durée d'exercice de ce droit à vingt ans, à compter de l'installation du point de mutualisation, ce droit pouvant être renouvelé à l'expiration de cette durée.
9.Le 15 novembre 2017, la société Free a saisi l'X d'une demande de règlement de différend dirigée contre la société Orange et relative au contrat litigieux. Elle a fait valoir qu'elle avait vainement demandé à la société Orange de modifier les conditions tarifaires, de durée et de renouvellement prévues par ce contrat, qu'elle juge léonines. Elle a demandé à l'X d'enjoindre à la société Orange de lui proposer, dans le délai d'un mois suivant la décision à intervenir, un avenant modifiant ledit contrat en ce qui concerne la durée des droits, les tarifs et le raccordement des éléments de réseau mobile. Plus précisément, la société Free a demandé que cet avenant prévoie :
- la modification des dispositions contractuelles relatives à la durée des droits d'accès au réseau, limitée dans le contrat litigieux à vingt ans renouvelable une fois, sous réserve des caractéristiques techniques des lignes FttH à la date du renouvellement, auditées par la société Orange un an avant l'échéance initiale (« Demande 1 : Durée des droits ») ;
- la modification des dispositions contractuelles relatives aux évolutions tarifaires et à la transparence des coûts (« Demande 2 : Tarifs »), afin, d'une part, que lui soient communiquées à la fois le lien entre les différents postes de coûts et les tarifs (« Demande 2a ») et les éléments relatifs aux coûts supportés par la société Orange (« Demande 2b ») et, d'autre part, que soit supprimé le principe de modification unilatérale des prix par la société Orange (« Demande 2c ») ;
- enfin, l'insertion dans le contrat litigieux de la possibilité d'utiliser des fibres surnuméraires pour le raccordement des stations de base mobiles, sans surcoût d'accès aux lignes déployées (« Demande 3 : Raccordement des éléments de réseau mobile »).
10.Par la décision n° 2018-0569- RDPI du 17 mai 2018 se prononçant sur une demande de règlement de différend opposant la société Free et la société Orange (ci après la « décision attaquée »), l'X a fait droit aux demandes de la société Free, dans les termes suivants :
« Article 1. La société Orange doit, à compter de la notification de la présente décision, transmettre à la société Free, d'une part, dans un délai de 1 mois, un premier projet d'avenant et, d'autre part, à l'issue d'une négociation menée de bonne foi et au plus tard dans un délai de 4 mois à compter de la notification de la présente décision, un avenant au contrat d'accès aux lignes FttH d'Orange en zones moins denses d'initiative privée faisant bénéficier Free, en contrepartie de son cofinancement, d'un droit d'accès au réseau FttH d'Orange dans ces zones d'une durée définie, d'au moins 40 ans, sous réserve de la décision d'Orange de poursuivre l'exploitation technique et commerciale de son réseau FttH en zones moins denses jusqu'à cette date, dans des conditions transparentes et prévisibles, lui permettant de disposer de la visibilité adéquate au regard des investissements consentis et cohérente avec ce qui peut être observé par ailleurs sur le marché. »
« Article 2. La société Orange doit, à compter de la notification de la présente décision, transmettre à la société Free, d'une part, dans un délai de 1 mois, un premier projet d'avenant et, d'autre part, à l'issue d'une négociation menée de bonne foi et au plus tard dans un délai de 4 mois à compter de la notification de la présente décision, un avenant au contrat d'accès aux lignes FttH d'Orange en zones moins denses d'initiative privée :
- prévoyant la définition de manière explicite et transparente des liens entre les principaux tarifs du contrat (notamment le tarif de cofinancement du segment entre le point de mutualisation et le point de branchement optique, le prix de construction du raccordement final, le tarif récurrent par ligne active, le tarif récurrent de maintenance du raccordement final, les tarifs des liens entre le point de mutualisation et le n'ud de raccordement optique) et les coûts du réseau cofinancé ;
- prévoyant la transmission par la société Orange à la société Free des dépenses constatées, de façon agrégée, sous jacentes aux tarifs correspondant à chacun des trois segments de réseau (du n'ud de raccordement optique au point de mutualisation exclu ; du point de mutualisation inclus au point de branchement optique inclus ; raccordement final), en distinguant au minimum coût d'investissement, d'une part, et coût récurrent, d'autre part ; et en distinguant au sein du coût récurrent, pour le segment point de mutualisation ' point de branchement optique (PM PBO), exploitation et maintenance, location de génie civil, frais de portage financier et, le cas échéant, les principaux grands autres postes de coûts ;
- prévoyant que les éléments visés à l'alinéa précédent seront transmis annuellement par la société Orange à la société Free dans un délai cohérent avec ceux des autres productions comptables d'Orange. Ces éléments devront être transmis à Free dès 2018, à l'exception de la chronique des coûts d'investissement qui devra être transmise pour la première fois dans un délai de 3 ans à compter de la notification de la présente décision, puis annuellement. »
« Article 3. La société Orange doit, à compter de la notification de la présente décision, transmettre à la société Free, d'une part, dans un délai de 4 mois, un projet d'avenant initial et, d'autre part, à l'issue d'une négociation menée de bonne foi et au plus tard dans un délai de 7 mois à compter de la notification de la présente décision, un avenant au contrat d'accès aux lignes d'Orange en zones moins denses d'initiative privée précisant les conditions techniques et financières d'accès aux fibres surnuméraires du réseau cofinancé par Free pour le raccordement par Free des stations de base mobiles de Free Mobile, au regard de critères objectifs permettant à Orange de recouvrer au moins ses coûts, et tenant compte du fait que Free cofinance le réseau FttH. Les conditions techniques pourront prévoir que l'accès soit conditionné à la disponibilité de fibres surnuméraires, ainsi qu'un plafond maximal de fibres surnuméraires accessibles au regard du nombre de fibres cofinancées par Free. »
11.Le 29 juin 2018, la société Orange a saisi la cour d'appel de Paris d'un recours contre cette décision. Elle a, par ailleurs, déposé une demande de sursis à exécution de cette décision, que le magistrat délégué par le premier président a rejetée par ordonnance du 30 janvier 2019.
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MOTIVATION
12.À titre principal, la société Orange demande l'annulation de la décision attaquée dans son intégralité ; à titre subsidiaire, elle demande l'annulation des articles 1er et 2 de cette décision.
I. SUR LA DEMANDE PRINCIPALE EN ANNULATION DE LA DÉCISION ATTAQUÉE
13.La société Orange demande à la cour d'annuler la décision attaquée aux motifs que l'X, d'une part, s'est fondée sur des questionnaires renseignés par les sociétés Bouygues Télécom (ci après la « société Bouygues ») et SFR, concurrents et tiers au différend, et sur les procès verbaux d'audition de ces mêmes sociétés et, d'autre part, a commis des erreurs de droit et d'appréciation des faits en ce qui concerne la condition légale d'échec des négociations.
A. Sur la consultation de concurrents tiers au différend
14.Dans le cours de l'instruction de l'affaire, les rapporteurs ayant souhaité « recueillir des informations auprès des acteurs sur les conditions tarifaires de l'accès aux boucles locales optiques mutualisées » (pièce Orange n° 13), ils ont, à cette fin, établi un questionnaire portant, notamment, sur la prévisibilité et la transparence de la formation des tarifs d'accès à la fibre ainsi que sur la protection du secret des affaires lors de la transmission contractuelle d'informations aux opérateurs cofinanceurs. Ce questionnaire a été adressé aux sociétés Bouygues et SFR, qui y ont répondu et dont, par ailleurs, des représentants ont été entendus par les rapporteurs. Par courriers des 5 et 9 avril 2018, l'X a adressé copie des questionnaires renseignés par ces sociétés et des procès verbaux de leurs auditions aux sociétés Orange et Free et leur a imparti un délai pour présenter leurs éventuelles observations écrites sur ces éléments du dossier.
15.La société Orange considère qu'en consultant par voie de questionnaire les sociétés Bouygues et SFR et en procédant à l'audition de leurs représentants, l'X a méconnu les dispositions de l'article L. 38-6 du CPCE et de l'article 12 de son règlement intérieur. Elle rappelle qu'elle avait, pour cette raison, demandé que les réponses apportées à ce questionnaire et les procès verbaux d'audition soient écartés des débats, mais que l'X non seulement lui a opposé un refus, mais s'est expressément référée, dans les visas de la décision attaquée, à ces documents.
16.Devant la cour, la société Orange réitère ces critiques et demande l'annulation de la décision attaquée, aux motifs que les sociétés Bouygues et SFR étant concurrentes des parties au différend, elles ne pouvaient être ni consultées ni entendues sans qu'il soit porté atteinte aux règles du procès équitable, que l'objet de ces consultations et auditions n'entrait pas dans les prévisions de l'article L. 36-8 du CPCE, qu'en procédant à ces diligences l'X a violé le secret de l'instruction et, enfin, que les auditions ont été faites par des agents qui n'avaient pas la qualité de rapporteur.
1. Sur le principe de la consultation de concurrents tiers au différend
17.La société Orange soutient que l'article L. 36-8 du CPCE ne permet pas à l'X, dans le cadre du règlement d'un différend, de consulter, comme elle l'a fait en l'espèce, des concurrents directs des parties à ce différend. Elle invoque, d'une part, la lettre de ce texte, qui ne vise que les « consultations techniques, économiques ou juridiques, ou expertises », en considérant que cette formule exclut les consultations de concurrents, et, d'autre part, les travaux parlementaires préparatoires à la loi n° 2004-669 du 9 juillet 2004 relative aux communications électroniques et aux services de communication, d'où cet article est issu. Elle rappelle, en effet, que cette formule résulte de l'adoption d'amendements parlementaires, ce qui, selon elle, révèle que le législateur a voulu que ne puissent être entendus les opérateurs tiers au différend, afin de préserver les conditions d'un règlement équitable. Elle conclut qu'en consultant les sociétés Bouygues et SFR au mépris de cette interdiction, l'X a porté atteinte aux règles les plus élémentaires du procès équitable.
18.À l'inverse, la société Free considère qu'en consultant les sociétés Bouygues et SFR, l'X s'est strictement conformée aux pouvoirs qui lui sont octroyés par l'article L. 36-8 du CPCE. Elle fait valoir, en premier lieu, que, contrairement à ce qu'affirme la société Orange, cet article ne proscrit nullement la consultation de personnes tiers au différend puisque, s'il limite le champ rationae materiae de ces consultations aux questions « techniques, économiques ou juridiques », il ne comporte aucune limitation rationae personae. Elle ajoute qu'au demeurant, si telle avait été l'intention du législateur, cette interdiction aurait été inscrite explicitement dans la loi. En deuxième lieu, elle observe que les critiques de la société Orange reviennent à mettre en cause l'impartialité objective de l'X, en ce qu'elles supposent que pas plus les rapporteurs que le collège de cette autorité n'auraient la capacité de discernement ni l'indépendance intellectuelle et morale qui leur permettraient de distinguer, dans les observations recueillies auprès d'acteurs du marché, ce qui relève d'une opinion objective ou, au contraire, de l'expression d'intérêts subjectifs d'un concurrent. En troisième lieu, la société Free soutient que la consultation de tiers et de concurrents constitue, en réalité, une garantie d'indépendance de l'X, laquelle est protégée par le droit de l'Union européenne. En particulier, elle souligne que, dans ce domaine, toute limitation des pouvoirs de l'autorité nationale heurterait directement la directive 2002/21/CE du Parlement européen et du Conseil du 7 mars 2002 relative à un cadre réglementaire commun pour les réseaux et services de communication électronique (directive « cadre »), qui, dans son considérant 15, reconnaît le besoin des autorités de régulation nationales « de recueillir des informations auprès des acteurs du marché », « afin de s'acquitter efficacement de leurs missions ». Elle souligne, d'ailleurs, que le pouvoir de recueillir des informations auprès des acteurs du marché est largement répandu parmi les autorités de régulation, tels le Conseil supérieur de l'audiovisuel, la Commission de régulation de l'énergie et l'Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières, notamment dans le cadre de leur mission de règlement des différends. Enfin, et en quatrième lieu, la société Free fait valoir que les consultations auxquelles il a été procédé en l'espèce étaient particulièrement appropriées dès lors que le différend en cause s'inscrivait dans un cadre réglementaire, celui du déploiement de la fibre optique, qui avait fait l'objet de consultations publiques en avril 2009, juin 2010 et décembre 2015 à propos, respectivement, des conditions de mutualisation de la fibre optique, des modalités d'accès aux réseauxFttH en zones moins denses et du modèle générique de tarification de l'accès aux réseaux à très haut débit en fibre optique en dehors des zones très denses. Il était dès lors légitime, selon elle, que, pour préciser ce cadre réglementaire dans le cas d'un règlement de différend, les acteurs soient également interrogés afin d'apporter les éclairages que les rapporteurs jugeaient utiles à leur instruction.
19.L'X soutient que, contrairement à ce que prétend la société Orange, les dispositions de l'article L. 36-8 du CPCE ne restreignent pas le cercle des personnes pouvant être consultées et que cette possibilité s'étend aux tiers concurrents des parties, pourvu que soient respectés, ce qui a été le cas en l'espèce, les principes du procès équitable et le secret de l'instruction.
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20.L'article L. 36-8 du CPCE, sur la base duquel les sociétés Bouygues et SFR ont été interrogées par voie de questionnaire puis auditionnées, prévoit que l'X, saisie d'un différend, « se prononce (') après avoir (') le cas échéant, procédé à des consultations techniques, économiques ou juridiques, ou expertises respectant le secret de l'instruction du litige dans les conditions prévues par le présent code ». Il ressort de la lettre même de ces dispositions que le champ des consultations auxquelles l'X peut procéder est limité non quant à la qualité des personnes consultées, mais seulement quant à leur objet, qui ne saurait porter que sur les aspects « techniques, économiques ou juridiques » du différent dont elle est saisie. Il en résulte que la consultation de concurrents n'est pas, en tant que telle, prohibée ; elle ne l'est que si cette consultation est dépourvue de caractère technique, économique ou juridique.
21.Dès lors, la société Orange ne peut soutenir que la consultation des sociétés Bouygues et SFR était, en elle même, contraire à l'article L. 36-8 du CPCE au motif que ces sociétés sont des concurrents des parties au différend. En revanche, il conviendra, comme la cour le fera ci après, en examinant le moyen suivant de la société Orange, de s'assurer que cette consultation entrait, par son caractère technique, économique ou juridique, dans les prévisions de cet article.
22.Par ailleurs, il ressort du dossier que, comme la cour l'a relevé plus haut, les sociétés Orange et Free ont reçu copie tant des questionnaires renseignés par les sociétés Bouygues et SFR que des procès verbaux de leurs auditions et qu'elles ont été mises en mesure de présenter leurs observations écrites sur ces documents, ce que la société Orange a d'ailleurs fait par transmission du 16 avril 2018 (pièce X n° 2). C'est donc dans des conditions conformes au principe du contradictoire et aux règles du procès équitable que les sociétés Bouygues et SFR ont été consultées et entendues sur le fondement de l'article L. 36-8 du CPCE.
23.Le moyen de la société Orange est en conséquence rejeté.
2. Sur l'objet des consultations
24.La société Orange soutient que les consultations des sociétés Bouygues et SFR n'ont pas porté sur des questions « techniques, économiques ou juridiques », seules visées par l'article L. 36-8 du CPCE sur le fondement duquel il y a été procédé. Elle souligne, en effet, que ces consultations avaient pour objet, selon l'intitulé même du questionnaire adressé à ces sociétés, de « recueillir des informations auprès des acteurs sur les conditions tarifaires de l'accès aux boucles locales optiques mutualisées » et considère qu'ainsi, elles tendaient, non à éclairer techniquement ou économiquement les débats, mais à recueillir un avis subjectif sur la demande dont l'X avait été saisie par la société Free. Selon la société Orange, cela est confirmé par les demandes figurant dans le questionnaire, qui ne font état d'aucun point technique, mais élargissent à des tiers, les sociétés Bouygues et SFR, le débat initié par le différend, en sollicitant un avis sur leur propre politique d'investissement ou sur les informations qu'elles considèrent comme indispensables en ce qui concerne leurs décisions de coinvestissement. Enfin, la société Orange ajoute que les réponses apportées au questionnaire par les sociétés Bouygues et SFR tendaient, non pas à alimenter le débat technique, économique ou juridique, mais à « préempter » la solution du litige lui même, ces sociétés ayant d'ailleurs expressément formulé des demandes, par exemple, en sollicitant la communication des « grandes masses de coûts supportés par l'opérateur d'immeuble » et une « clarification du cadre réglementaire ».
25.La société Free valoir que les consultations en cause n'ont porté que sur des questions économiques et juridiques et qu'elles entraient, par conséquent, dans le champ de l'article L. 36-8 du CPCE. Elle observe, en effet, que toutes les questions posées aux sociétés Bouygues et SFR se rapportaient à la prévisibilité des tarifs d'accès aux réseaux FttH et à la transparence de la formation de ces tarifs, ces sujets relevant de considérations économiques et juridiques relatives au cofinancement de la fibre optique en zone AMII et propres, par conséquent, à éclairer les débats. À titre d'illustration, elle relève qu'il était, dans ce questionnaire, demandé aux opérateurs cofinanceurs « d'indiquer, par ordre de priorité, les informations relatives aux modalités de formation des tarifs (') qui, selon eux, sont nécessaires pour assurer la prévisibilité qu'ils considèrent indispensable à leurs décisions de coinvestissement et d'en indiquer, le cas échéant, les raisons », cette question étant intimement liée aux déterminants et incitations d'investissements, et donc à l'efficacité économique du mécanisme de cofinancement.
26.L'X soutient qu'il ressort de la lecture des questionnaires adressés aux sociétés Bouygues et SFR et des procès verbaux de leurs auditions que les consultations en cause avaient pour objet de recueillir l'avis de tiers à la procédure de règlement du différend sur les conditions économiques et juridiques du cofinancement de la fibre en zones moins denses. Elle considère, par ailleurs, qu'est indifférente la circonstance que les opérateurs consultés aient, dans leur réponse au questionnaire, formulé ce que la société Orange qualifie de « demandes », la décision attaquée n'ayant pas eu pour objet d'y répondre. L'X conclut, dans ces conditions, que, contrairement à ce que prétend la société Orange, ces consultations entraient bien dans le cadre de l'article L. 38-6 du CPCE.
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27.Ainsi que la cour l'a rappelé plus haut, les sociétés Bouygues et SFR ont été interrogées par voie de questionnaire, puis entendues dans le cadre de l'article L. 36-8 du CPCE, qui prévoit que l'X, saisie d'un différend, « se prononce (') après avoir (') le cas échéant, procédé à des consultations techniques, économiques ou juridiques, ou expertises respectant le secret de l'instruction du litige dans les conditions prévues par le présent code ».
28.Il convient donc de déterminer si ce questionnaire et ces auditions peuvent être considérés comme des consultations à caractère technique, économique ou juridique au sens de ce texte, ou s'ils en ont excédé les limites.
29.Le questionnaire adressé aux sociétés Bouygues et SFR était ainsi intitulé : « Questionnaire des rapporteurs dans le cadre de la procédure prévue à l'article L. 36-8 du code des postes et des communications électroniques ' Questions portant sur les conditions tarifaires de l'accès aux boucles locales optiques mutualisées ». L'objet en était défini par la mention introductive suivante : « L'X a été saisie d'un règlement de différend en application de l'article L. 36-8 du code des postes et des communications électroniques (CPCE). Dans le cadre de cette procédure, les rapporteurs souhaitent recueillir des informations auprès des acteurs sur les conditions tarifaires de l'accès aux boucles locales optiques mutualisées (Fiber to the Home - FttH) » (pièce Orange n° 13).
30.Suivent, après un « [r]appel du cadre réglementaire mis en place par l'X » en ce qui concerne l'accès des opérateurs tiers aux réseaux de boucle locale FttH, deux séries de questions, regroupées sous les intitulés suivants : « 2.2 Sur la prévisibilité des tarifs d'accès à la fibre et la transparence de la formation de ces tarifs » et « 2.3 Sur la protection du secret en matière commerciale et industrielle ».
31.Au titre de la première série de questions, il était, en particulier, demandé « aux opérateurs cofinanceurs (OC) de réseaux FttH d'indiquer, par ordre de priorité, les informations relatives aux modalités de formation des tarifs (tarifs de cofinancement ab initio ou a posteriori) qui, selon eux, sont nécessaires pour assurer la prévisibilité qu'ils considèrent indispensable à leurs décisions de coinvestissement et d'en indiquer, le cas échéant, les raisons » et de préciser, en particulier, si ces opérateurs devraient connaître « la manière dont sont fixés les tarifs de cofinancement récurrents et non récurrents par l'opérateur d'immeuble » et « par exemple le montant des coûts réels constatés sur la base desquels les opérateurs d'immeuble fixent leurs tarifs ».
32.Au titre de la seconde série de questions, il était demandé d'indiquer « [d]ans le cadre de la transmission contractuelle d'informations des opérateurs d'immeuble aux opérateurs cofinanceurs (') quelles sont (') les informations financières relatives au déploiement des réseaux de boucle locale FttH des opérateurs d'immeuble, et notamment les éléments de coûts dont la communication aux opérateurs cofinanceurs pourrait porter atteinte au secret des affaires et pour quelles raisons ».
33.Il ressort de la teneur de ces mentions et questions que les sociétés Bouygues et SFR ont été consultées sur des sujets directement liés au différend dont l'X était saisie ' sans que, cependant, l'objet de ce différend leur soit révélé ' et qui, portant sur les conditions économiques et juridiques du cofinancement, entraient par conséquent dans le champ de l'article L. 36-8 du CPCE.
34.Cette même conclusion s'impose en ce qui concerne les auditions des sociétés Bouygues et SFR auxquelles les rapporteurs ont procédé et dont les procès verbaux figurent au dossier (pièces Orange n° 18 et 19). Ces auditions sont, comme le questionnaire, structurées autour des thèmes de « la prévisibilité des tarifs d'accès à la fibre et [de] la transparence de la formation de ces tarifs » et de « la protection du secret en matière commerciale et industrielle », sur lesquels les sociétés entendues ont d'abord rappelé les observations qu'elles avaient précédemment faites en réponse au questionnaire.
35.Les questions qui leur ont été ensuite posées ont porté, pour l'essentiel, sur l'évolution des tarifs non récurrents, la composition des tarifs récurrents, les conditions de renouvellement du droit d'accès, le besoin de prévisibilité des sociétés entendues et les informations dont elles disposent en ce qui concerne la formation des tarifs ainsi que la portée qu'elles donnent au secret des affaires. Force est de constater que ces questions avaient toutes trait aux conditions économiques et juridiques du cofinancement et qu'elles entraient donc dans le champ des consultations prévues par l'article L. 36-8 du CPCE.
36.Enfin, c'est en vain que la société Orange fait valoir que la société Bouygues aurait, dans ses réponses au questionnaire, formulé auprès de l'X des « demandes », puisqu'à supposer que cette qualification puisse être effectivement retenue, il n'y a été nullement répondu ni lors des auditions ni dans la décision attaquée.
37.Le moyen de la société Orange est donc rejeté.
3. Sur le secret de l'instruction
38.La société Orange rappelle que l'article L. 36-8 du CPCE fait obligation à l'X, lorsqu'elle procède à des consultations ou expertises, de respecter « le secret de l'instruction du litige ». Elle considère qu'en l'espèce, il ressort des termes des courriers et questionnaires adressés aux sociétés Bouygues et SFR ainsi que des procès verbaux de leurs auditions que ce secret a été violé. Elle prétend, en effet, que l'X a divulgué à ces sociétés l'existence même du différend, sa problématique, son objet ' « les conditions tarifaires de l'accès aux boucles locales optiques mutualisées » ', ses détails ' « la prévisibilité » tarifaire et « la transparence de la formation » des tarifs ' et, enfin, l'identité d'une des parties à ce différend, à savoir la société Orange. Elle précise qu'on ne saurait justifier cette divulgation, contraire aux textes, au motif qu'elle a été mise en mesure de faire part de ses observations sur les réponses aux questionnaires et auditions des sociétés Bouygues et SFR, puisqu'elle n'invoque nullement une violation du principe du contradictoire.
39.La société Free rappelle, d'abord, que l'audience tenue dans le cadre d'une procédure de règlement de différend est, par principe, publique, sauf, comme le prévoit le règlement intérieur de l'X, demande conjointe des parties ou délibération spéciale du collège, et que la décision rendue est, en tout état de cause, publique. Elle en conclut que la seule révélation de l'existence d'un différend n'est pas contraire au secret de l'instruction. Elle affirme ensuite qu'en faisant savoir aux sociétés Bouygues et SFR que, « [d]ans le cadre de la procédure de règlement de différend en cours, les rapporteurs souhaitent recueillir des informations sur les conditions tarifaires de l'accès aux boucles locales optiques mutualisées », l'X s'est bornée, comme elle en avait l'obligation, à informer les destinataires des questionnaires en cause du cadre juridique dans lequel ceux ci leur étaient adressés. Elle soutient, par ailleurs, que l'X n'a pas dévoilé l'identité des parties au différend puisque, si la société Orange a été citée dans les consultations auxquelles il a été procédé, c'est non en sa qualité de partie au différend, mais comme opérateur « qui déploie une large majorité des lignes FttH en zone AMII ». Elle ajoute que les questions qui ont été posées aux sociétés Bouygues et SFR ont, par définition, un lien avec la procédure de règlement du différend, mais que les rapporteurs ne leur ont à aucun moment révélé les demandes des parties ni les problématiques précises soulevées. Enfin, la société Free soutient qu'à supposer avérée la violation du secret de l'instruction alléguée par la société Orange, cette circonstance ne porterait pas atteinte, par elle même, à la régularité de la décision attaquée, mais serait seulement de nature à ouvrir à la société Orange, le cas échéant, un droit à réparation du préjudice en résultant.
40.L'X soutient qu'aucune méconnaissance du secret de l'instruction ne peut lui être reprochée, puisqu'elle s'est bornée à interroger les deux autres principaux opérateurs intervenant en zone AMII sur des sujets en lien avec le différend dont elle était saisie, mais qu'elle ne les a pas informés de l'identité des parties à ce différend ni ne leur a fait savoir qu'ils étaient respectivement consultés. Elle souligne que la référence faite à l'offre tarifaire de la société Orange était parfaitement neutre et s'inscrivait dans le contexte de la zone AMII, dans laquelle le déploiement des lignes FttH est très largement le fait de cette société. Enfin, l'X relève que les parties au différend ont reçu communication des questionnaires adressés aux sociétés Bouygues et SFR, des réponses apportées par celles ci et des procès verbaux de leurs auditions, et qu'elles ont pu présenter leurs observations sur l'ensemble de ces documents, de sorte que le principe du contradictoire a été pleinement respecté.
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41.Lorsqu'elle procède, comme elle l'a fait en l'espèce, à des consultations techniques, économiques ou juridiques, l'X doit, selon l'article L. 36-8 du CPCE, respecter le « secret de l'instruction du litige » dont elle est saisie. Il en résulte qu'elle ne peut communiquer aux personnes consultées, tiers à la procédure de règlement du différend, des informations couvertes par ce secret.
42.En ce qui concerne le questionnaire, l'X a fait savoir aux sociétés Bouygues et SFR que, comme la cour l'a rappelé plus haut, il leur était adressé « dans le cadre de la procédure prévue à l'article L. 36-8 du code des postes et des communications électroniques », c'est-à- dire dans le cadre d'une procédure de règlement de différend, et a ensuite précisé que les rapporteurs souhaitaient recueillir « des informations auprès des acteurs sur les conditions tarifaires de l'accès aux boucles locales optiques mutualisées ». Ces informations, qui ne révèlent rien de la teneur du différend, ne peuvent en aucune façon être considérées comme couvertes par le secret de l'instruction, puisque des tiers à la procédure ne sauraient être utilement sollicités sans que leur soient indiqués la base juridique et l'objet de cette sollicitation.
43.Il en va de même des questions posées, dont la teneur a été rappelée plus haut, qui ne sont pas relatives aux demandes de la société Free, sur lesquelles il incombe à l'X de statuer, mais tendent à recueillir les opinions de ces sociétés et l'expression de leurs besoins d'informations lorsqu'ils envisagent de s'engager en tant que cofinanceurs.
44.En ce qui concerne les auditions, il a été indiqué aux sociétés Bouygues et SFR le cadre dans lequel elles se déroulaient et le souhait des rapporteurs de « recueillir des informations sur les conditions tarifaires de l'accès aux boucles locales optiques mutualisées », avant que ces sociétés n'exposent leurs observations et ne répondent aux questions dont la teneur a été rappelée plus haut. En revanche, ces auditions n'ont donné lieu à aucune divulgation de données propres au différend dont l'X était saisie.
45.De ces constatations, il résulte que pas plus le questionnaire adressé aux sociétés Bouygues et SFR que leurs auditions n'ont révélé à ces sociétés l'objet du différend, les demandes dont l'X était saisie et les éléments sur lesquels elles étaient fondées, ni même l'identité des parties à ce différend. À cet égard, on ne saurait voir aucune violation du secret de l'instruction dans la référence faite par le questionnaire à la société Orange dans les termes suivants : « Les rapporteurs demandent aux acteurs d'évaluer plus spécifiquement l'offre d'accès aux lignes FttH de l'opérateur Orange qui déploie une large majorité des lignes FttH en zone AMII ». En effet, il en ressort que la société Orange a été citée non en sa qualité de partie au différend, mais parce qu'elle est l'opérateur ayant déployé, en zone AMII, la grande majorité des lignes FttH, cette information étant par définition connue de tous les acteurs.
46.Il n'est, dès lors, établi aucune violation du secret de l'instruction protégé par l'article L. 36-8 du CPCE. Le moyen de la société Orange est donc rejeté.
4. Sur la conformité des auditions à l'article 12 du règlement intérieur de l'X
47.La société Orange soutient que les auditions des sociétés Bouygues et SFR ont été réalisées en méconnaissance des dispositions de l'article 12 du règlement intérieur de l'X dans la mesure où, alors que ce texte confie l'instruction de l'affaire au seul rapporteur et à son adjoint, il ressort des procès verbaux de ces auditions que des agents de l'X n'ayant pas la qualité de rapporteur y ont participé et que l'un d'entre eux a directement interrogé les sociétés Bouygues et SFR. Elle prétend que ce vice procédural a exercé une influence sur le sens de la décision attaquée, puisque celle ci est fondée, notamment, sur les auditions litigieuses, ce qu'au demeurant l'X ne conteste pas.
48.Selon la société Free, l'article 12 du règlement intérieur n'interdit pas aux rapporteurs d'être assistés d'agents de l'X lorsqu'ils procèdent à des auditions ou des consultations. Elle relève qu'en l'espèce, le questionnaire adressé aux sociétés Bouygues et SFR émanait bien des rapporteurs, lesquels ont procédé aux auditions et en ont seuls signé les procès verbaux. Elle ajoute que la circonstance qu'un agent de l'X a, dans le cours de ces auditions, posé une question, ce qu'aucun texte n'interdit, est indifférente puisque cet agent était placé sous le contrôle des rapporteurs. Enfin, elle fait valoir que quand bien même, la présence d'agents de l'X lors des auditions serait contraire à l'article 12 du règlement intérieur, ce qu'elle conteste, les dispositions de cet article ne sont pas prescrites à peine de nullité, de sorte qu'il ne saurait en résulter l'annulation de la décision attaquée.
49.L'X soutient qu'aucune disposition de son règlement intérieur ne s'oppose à ce que certains de ses agents assistent les rapporteurs dans le cadre des mesures d'instruction dès lors qu'ils sont placés sous leur contrôle et que seuls les rapporteurs signent les procès verbaux qui sont établis, et fait valoir que tel a été le cas en l'espèce. Elle ajoute qu'en tout état de cause, le Conseil d'État a jugé que le vice procédural dont serait affecté un acte administratif n'est de nature à entraîner son annulation que s'« il a été susceptible d'exercer, en l'espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou [s']il a privé les intéressés d'une garantie » et qu'en matière d'enquêtes menées par des autorités administratives, des irrégularités formelles ne peuvent entraîner l'annulation de la sanction qui s'en est suivie que si la partie sanctionnée démontre qu'elles lui ont causé « une atteinte irrémédiable aux droits de la défense ». Elle conclut qu'à supposer que la participation de ses agents aux côtés des rapporteurs soit contraire aux textes applicables, la société Orange ne démontre pas qu'il en est résulté pour elle un préjudice ou la privation d'une garantie, ou qu'elle aurait exercé une influence défavorable sur la décision.
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50.Selon l'article 12 du règlement intérieur de l'X, dont la société Orange prétend qu'il a été violé lors de l'audition des sociétés Bouygues et SFR, « [l]e rapporteur ou son adjoint peut procéder en respectant le principe du contradictoire à toute mesure d'instruction qui lui paraîtrait utile » ; en particulier, il peut « procéder à des consultations techniques, économiques ou juridiques, ou expertises en respectant le secret de l'instruction du litige ».
51.Les procès verbaux qui ont été dressés (pièces Orange n° 18 et 19) établissent que ces auditions ont été réalisées conformément à ces dispositions. En effet, il y est expressément mentionné que l'audition a été effectuée par les trois rapporteurs chargés de l'instruction de l'affaire, lesquels en ont d'abord présenté le cadre général et le contexte, ont fait part de leur souhait de recueillir des informations sur les conditions tarifaires de l'accès aux boucles locales optiques mutualisées et ont invité la société entendue à présenter ses observations sur les trois sujets de la prévisibilité des tarifs d'accès, de la transparence de leur formation et de la protection du secret, avant de poser plusieurs questions tendant à voir préciser et compléter les éléments apportés. Ces rapporteurs, enfin, ont eux mêmes conclu les auditions et en ont signé les procès verbaux.
52.Sans doute, ces auditions se sont elles déroulées en présence de quatre agents de l'X n'ayant pas la qualité de rapporteur et chargés, selon les procès verbaux, d'« assister » les rapporteurs désignés dans cette affaire. Mais, en l'absence de toute prohibition des textes, il est loisible aux rapporteurs de se faire assister d'agents de l'X dès lors qu'ils ne leur délèguent aucune de leurs prérogatives et qu'ils conservent la maîtrise et la responsabilité des auditions auxquelles ils procèdent. Tel a bien été le cas en l'espèce, puisqu'il ressort des procès verbaux que les auditions ont été menées par les seuls rapporteurs et sous leur responsabilité. À cet égard, il est indifférent que les agents non rapporteurs soient intervenus dans le cours des auditions pour demander, d'une part, à SFR « d'expliciter sa remarque sur les logements raccordables », « de donner son avis sur les informations sur les principes de formation des tarifs dont les cofinanceurs disposent aujourd'hui », de dire si elle avait fait « l'exercice d'identifier des informations (') qui pourraient faire l'objet d'une transmission (') car ne relevant pas du secret des affaires » et si elle avait « un avis différent de celui qu'elle a pu tenir à propos de la boucle local de cuivre » et, d'autre part, à Bouygues « comment l'information sur le taux de remplissage permet[- elle] d'avoir des éléments sur les composantes des tarifs de cofinancement ». En effet, ces questions ont nécessairement été posées avec l'accord des rapporteurs, responsables de l'audition, et sous leur contrôle, de sorte qu'on ne saurait y voir une violation des dispositions de l'article 12 du règlement intérieur de l'X.
53.Le moyen de la société Orange est donc rejeté.
B. Sur la condition d'échec des négociations
54.La société Orange rappelle que, selon l'article L. 36-8 du CPCE, la compétence de l'X est, en matière de règlement de différends, subordonnée à la démonstration d'un échec des négociations relatives à la conclusion ou l'exécution d'une convention d'interconnexion ou d'accès à un réseau de communications électroniques. Elle soutient que cette condition fait défaut en l'espèce, puisque, dans sa saisine, la société Free se réfère à des pièces qui concernent non pas le contrat litigieux, qu'elle a signé avec elle le 19 septembre 2016, mais un contrat signé le 31 mars 2016 par une autre société, la société Free Infrastructure, et qui font état de négociations avec celle ci en vue de l'évolution de cet autre contrat. Elle conclut que tant les parties à ces prétendues négociations que les demandes présentées dans ce cadre diffèrent de celles contenues dans la saisine ayant abouti à la décision attaquée et que, dès lors, celle ci doit être annulée, faute que la condition légale d'échec des négociations soit remplie.
55.La société Free, qui, dans sa saisine de l'X, s'est référée à trois courriers en date des 31 mars et 2 novembre 2016 et 21 juillet 2017, adressés à la société Orange, pour démontrer l'échec des négociations, convient que le premier d'entre eux émanait non d'elle même, mais de la société Free Infrastructure, sa « société s'ur », laquelle se heurtait aux mêmes difficultés qu'elle et, comme elle, réclamait à la société Orange une modification des conditions contractuelles que celle ci lui imposait. Elle souligne qu'en revanche, les deux courriers suivants émanaient bien d'elle même et visaient l'ensemble des contrats de cofinancement conclus avec la société Orange, dont celui qui a été l'objet de la saisine de l'X. Elle considère que la société Orange ayant, par deux courriers des 19 décembre 2016 et 1er septembre 2017, rejeté l'ensemble de ses demandes en refusant de faire évoluer les conditions du contrat litigieux, l'échec des négociations et, partant, l'existence d'un différend sont démontrés.
... observe que, si le courrier du 31 mars 2016 émane effectivement de la société Free Infrastructure et concerne un autre contrat que celui qui est l'objet de la demande de règlement de différend dont elle a été saisie, tel n'est pas le cas des courriers ultérieurs des 2 novembre 2016 et 21 juillet 2017, qui démontrent que les négociations menées préalablement à cette demande ont échoué. Elle fait valoir, en effet, que ces courriers étaient bien signés de la société Free ' le fait qu'ils aient été également signés de la société Free Infrastructure étant indifférent ' et qu'ils portaient sur le contrat d'accès en zones très denses et sur le contrat d'accès en zones moins denses, ce dernier contrat étant l'objet du différend dont elle a été saisie. Elle relève, par ailleurs, que la société Free demandait dans ces courriers à la société Orange de modifier le contrat litigieux quant à la durée du droit d'accès, la transparence des coûts et des tarifs et le raccordement des stations de base mobile, ces demandes de modifications contractuelles étant reprises dans sa demande de règlement de différend. Enfin, l'X ajoute que la société Orange a rejeté l'ensemble desdites demandes, par deux courriers des 19 décembre 2016 et 1er septembre 2017, de sorte que, selon elle, la condition d'échec des négociations est caractérisée.
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57.Aux termes de l'article L. 36-8 du CPCE, l'X peut être saisie du différend opposant deux parties en cas, notamment, « d'échec des négociations commerciales (') sur la conclusion ou l'exécution d'une convention d'interconnexion ou d'accès à un réseau de communications électroniques ».
58.Au cas d'espèce, il est exact que, comme le fait remarquer la société Orange, le courrier du 31 mars 2016 que la société Free a joint à sa saisine (pièce Orange n° 21) est signé d'une autre société, la société Free Infrastructure, et, s'il mentionne en objet la formule générale « Contrat d'accès aux lignes FttH d'Orange » et fait état de désaccords relatifs, en particulier, à la durée des droits, au prix de renouvellement et aux conditions d'évolution des tarifs, porte en réalité sur un contrat d'accès et de cofinancement en zones très denses, distinct par conséquent du contrat d'accès en zones moins denses qui est l'objet de cette saisine.
59.En revanche, les deux autres courriers des 2 novembre 2016 et 21 juillet 2017 que la société Free a joints à sa saisine (pièces Orange n° 22 et 23), rédigés sous le double timbre des sociétés Free Infrastructure et Free, sont signés du directeur de la réglementation de cette dernière société ; ayant pour objet « les contrats d'accès aux lignes FttH d'Orange » (courrier du 21 juillet 2017), ces courriers visent explicitement le contrat conclu « en dehors de la zone très dense » (courrier du 2 nov. 2016) que la société Free dit avoir été « contraint[e], pour desservir nos abonnés, de souscrire », autrement dit le contrat du 19 septembre 2016 qui est l'objet de la saisine de l'X.
60.Dans l'un et l'autre de ces courriers, la société Free exprime son souhait de « voir évoluer » ces contrats, « notamment en matière de durée des droits, de formation des tarifs et de raccordement des BTS » et, sur chacun de ces trois points, présente de façon précise ses demandes tendant à ce que « ' en contrepartie du cofinancement, le droit d'accès aux fibres soit cédé tant qu'Orange exploite, de manière technique et commerciale, le réseau que nous cofinançons ; ' les tarifs de cofinancement, d'exploitation, entretien et maintenance soient fixés de manière transparente et raisonnable par rapport aux coûts réels des réseaux cofinancés, et qu'Orange n'ait pas la faculté de les modifier de manière unilatérale ; ' le raccordement des BTS soit possible à partir des lignes FttH ou à tout le moins à partir des points de raccordement et de mutualisation ». La société Free demande en conséquence à Orange de lui transmettre un projet d'avenant en ce sens, « sous un mois » (courrier du 2 novembre 2016), puis « avant le 15 septembre 2017 » (courrier du 21 juillet 2017).
61.La société Orange a répondu à ces demandes, par deux courriers des 19 décembre 2016 et 1er septembre 2017 se référant expressément aux courriers de la société Free, et a refusé d'y faire droit, en exposant de façon détaillée et argumentée les motifs de son refus (pièces Free n° 7 et 9). C'est ainsi que, s'agissant de la durée et du renouvellement du droit d'accès accordé au cocontractant, elle a précisé avoir « retenu un juste équilibre des intérêts de chacun, sans pari inconsidéré sur l'avenir » et a garanti « que ces conditions de renouvellement seront définies conformément aux conditions objectives du marché » ; s'agissant des tarifs, elle a, en réponse aux demandes de la société Free, fait valoir que le contrat litigieux « permet une application simultanée et uniforme, à l'ensemble des opérateurs utilisateurs co contractants du réseau, des mêmes évolutions de tarifs » et que ces tarifs « respectent les principes d'objectivité, de pertinence, d'efficacité et de non discrimination fixés par l'X conformément au cadre réglementaire en vigueur » ; enfin, s'agissant des demandes de la société Free relatives au raccordement des stations de base mobile, elle a affirmé que le contrat litigieux « a pour seul objet de permettre le raccordement (') des clients finaux des opérateurs commerciaux, et que le raccordement de stations de base mobile n'a pas lieu de relever de ce contrat ».
62.Ces constatations démontrent qu'il existait entre les parties au contrat litigieux plusieurs points de désaccord, clairement identifiés, sur les évolutions contractuelles demandées par la société Free. Ces points de désaccord, par ailleurs, correspondent aux demandes dont cette société a saisi l'X et qu'elle a présentées sous les intitulés « Demande 1 : Durée de droits », « Demande 2 : Tarifs » et « Demande 3 : Raccordement des éléments de réseau mobile » (pièce Orange n° 8, p. 14).
63.Ces constatations caractérisent donc un échec des négociations entre les sociétés Orange et Free préalablement à la saisine par celle ci de l'X, de sorte que la condition requise par l'article L. 36-8 du CPCE est remplie.
64.Le moyen de la société Orange est donc rejeté.
II. SUR LA DEMANDE SUBSIDIAIRE EN ANNULATION DES ARTICLES 1er ET 2 DE LA DÉCISION ATTAQUÉE
65.À titre subsidiaire, la société Orange demande à la cour d'annuler les articles 1er et 2 de la décision attaquée.
A. Sur la demande d'annulation de l'article 1er de la décision attaquée
66.Les stipulations initiales du contrat litigieux, dont la société Free avait demandé la modification, fixaient à vingt ans, à compter de l'installation du point de mutualisation, la durée du droit d'accès que lui consentait la société Orange.
67.L'article 1er de la décision attaquée a porté cette durée à quarante ans « au moins », dans les termes suivants :
« Article 1. La société Orange doit, à compter de la notification de la présente décision, transmettre à la société Free, d'une part, dans un délai de 1 mois, un premier projet d'avenant et, d'autre part, à l'issue d'une négociation menée de bonne foi et au plus tard dans un délai de 4 mois à compter de la notification de la présente décision, un avenant au contrat d'accès aux lignes FttH d'Orange en zones moins denses d'initiative privée faisant bénéficier Free, en contrepartie de son cofinancement, d'un droit d'accès au réseau FttH d'Orange dans ces zones d'une durée définie, d'au moins 40 ans, sous réserve de la décision d'Orange de poursuivre l'exploitation technique et commerciale de son réseau FttH en zones moins denses jusqu'à cette date, dans des conditions transparentes et prévisibles, lui permettant de disposer de la visibilité adéquate au regard des investissements consentis et cohérente avec ce qui peut être observé par ailleurs sur le marché. »
68.La société Orange demande à la cour d'annuler cet article au motif qu'en statuant ainsi, l'X a, d'une part, méconnu la compétence et les pouvoirs qu'elle tire de l'article L. 36-8 du CPCE et, d'autre part, commis des erreurs manifestes dans l'appréciation des éléments de fait et de droit qui lui étaient soumis.
1. Sur la compétence et les pouvoirs que l'X tire de l'article 36-8 du CPCE
69.La société Orange soutient, d'une part, que l'X ne pouvait imposer une durée minimale d'exécution du contrat litigieux et, d'autre part, qu'elle ne pouvait trancher un différend purement prospectif.
a. Sur la compétence de l'X pour imposer une durée minimale d'exécution du contrat
70.La société Orange fait valoir que la compétence de l'X, qui fait exception à la compétence des juridictions de droit commun, doit s'entendre restrictivement et que l'article L. 36-8 du CPCE permet à cette autorité, non de trancher toute espèce de différend contractuel portant sur l'exécution d'une convention d'interconnexion ou d'accès, mais seulement de « précise[r] les conditions équitables, d'ordre technique et financier, dans lesquelles l'interconnexion ou l'accès doivent être assurés ». Elle souligne que la demande de la société Free tendait à modifier les stipulations du contrat litigieux relatives à la durée du droit d'accès ' fixée à vingt ans ' ainsi qu'à son renouvellement futur ; elle considère que cette demande visait, par voie de conséquence, à modifier la durée même du contrat, ce qui, selon elle, ne relève pas des conditions d'ordre technique et financier dans lesquelles l'accès est assuré. Elle conclut qu'en statuant sur cette demande, qui excédait les limites de l'article L. 36-8 précité, l'X a méconnu sa compétence et ses pouvoirs.
71.La société Free soutient que l'X, comme celle ci l'a précisé dans une précédente décision (décision n° 2010-1232 du 16 novembre 2010 se prononçant sur une demande de règlement de différend opposant les sociétés Bouygues Télécom et France Télécom) approuvée par la cour d'appel (Paris, 19 janvier 2012, RG n° 2010/24694) et la Cour de cassation (Com., 16 avril 2013, pourvoi n° 12-14.445), est compétente pour régler un différend « dès lors qu'une clause litigieuse a un lien, même indirect, avec les conditions d'exécution de la prestation d'accès », à l'exclusion des demandes « indépendantes de la prestation d'accès ». Elle relève qu'en l'espèce, la demande dont elle avait saisi l'X tendait à allonger la durée du droit d'usage qui, octroyé en contrepartie de son financement, était la contrepartie directe du prix qu'elle payait et constituait une condition nécessaire et indissociablement liée à la prestation d'accès au réseau FttH de la société Orange. Cette durée, selon la société Free, faisait donc partie intégrante des conditions d'exécution de la prestation d'accès, puisqu'elle définissait l'étendue temporelle des droits qui lui étaient conférés, et, dès lors, l'X était pleinement compétente pour se prononcer à son égard.
... souligne que la durée du droit d'accès est étroitement liée à l'effectivité de cet accès, à la préservation de la concurrence, au développement et à la valorisation de l'investissement consenti par l'opérateur commercial et qu'en conséquence, elle est fondée à connaître des stipulations contractuelles qui y sont relatives, conformément à la compétence d'attribution que lui confèrent les articles L. 36-8 et L. 34-8-3 du CPCE. Elle observe, par ailleurs, que la Commission de régulation de l'énergie, dont le Comité de règlement des différends et des sanctions est chargé, dans des conditions similaires à celles de l'article L. 36-8 du CPCE, de régler les différends relatifs à l'accès aux réseaux de transport et de distribution d'électricité et de gaz naturel, a, dans plusieurs décisions, retenu sa compétence pour ordonner la modification de stipulations contractuelles ne présentant qu'un lien indirect avec les conditions techniques et financières d'accès au réseau, puisqu'elles portaient sur la responsabilité contractuelle du gestionnaire de ce réseau, la procédure de traitement des réclamations
du client final et les effets de la survenance d'un cas de force majeure.
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73.Ainsi que le rappelle à juste titre la société Orange, l'X, quand elle intervient, comme en l'espèce, sur le fondement de l'article L. 36-8 du CPCE, ne peut statuer sur toutes les clauses de la convention d'interconnexion ou d'accès qui lui est soumise et prendre toute espèce de mesure propre à régler le différend dont elle est saisie ; sa compétence est limitée par les termes mêmes de cet article, à la précision des « conditions équitables, d'ordre technique et financier, dans lesquelles l'interconnexion ou l'accès doivent être assurés ».
74.Au cas d'espèce, l'X s'est prononcée sur la durée contractuelle du droit d'accès de la société Free, qu'elle a porté de vingt ans à « au moins » quarante ans, sous réserve de la poursuite, par la société Orange, de l'exploitation technique et commerciale du réseau.
75.Si la durée contractuelle du droit d'accès n'en constitue pas, elle même, l'une des conditions d'ordre technique et financier, elle leur est directement liée puisque, ainsi que l'observe la société Free, elle est la contrepartie du prix payé par l'opérateur bénéficiaire de cet accès, pour le financement de la prestation qui lui est fournie.
76.Dès lors, l'X était fondée, sans excéder les limites de sa compétence, à vérifier le caractère équitable de la clause du contrat litigieux relative à cette durée et, à la suite de cet examen, à en ordonner les modifications nécessaires au rétablissement de l'équité, au respect de laquelle l'article L. 36-8 du CPCE la charge de veiller.
77.Le moyen de la société Orange est donc rejeté.
b. Sur le caractère prospectif du différend
78.La société Orange fait valoir que l'X n'était pas compétente pour statuer sur la demande de la société Free en ce que celle ci portait, non sur l'exécution d'un contrat en cours, mais sur un litige futur et hypothétique concernant les modalités de renouvellement, dans vingt ans, de la prestation d'accès. Elle rappelle que l'article 3 du contrat litigieux confère à la société Free un droit acquis au renouvellement du droit d'accès, à des conditions exogènes et objectives qui en garantissent la pérennité. Dès lors, selon elle, il n'entrait pas dans la compétence de l'X de répondre, à titre préventif, à la demande de la société Free, laquelle consistait à anticiper un différend non encore né et qui n'était susceptible d'émerger éventuellement que dans un avenir lointain.
79.La société Free soutient, à l'inverse, que le désaccord qui l'oppose à la société Orange, loin d'être purement prospectif comme celle ci le prétend, est né et actuel puisqu'il porte sur la durée du droit d'accès figurant dans le contrat litigieux, qu'elle souhaite voir alignée sur la durée d'exploitation technique et commerciale du réseau.
... souligne que, dès l'origine de ses discussions avec la société Orange, la société Free a demandé à bénéficier d'une durée d'accès égale à la durée d'exploitation technique et commerciale du réseau et que le différend dont elle a été saisie a porté sur le bénéfice d'une durée plus longue et moins hypothétique que celle fixée par le contrat litigieux. Aussi fait elle valoir que le risque, qu'invoque la société Free, de non renouvellement du droit d'accès à l'issue de la durée de vingt ans prévue par ce contrat ne relève pas d'un différend qui ne serait pas encore matérialisé, mais démontre la fragilité du droit qui lui est contractuellement accordé, faute de visibilité sur le principe et les conditions du renouvellement de ce droit, et caractérise ainsi un différend né et actuel.
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81.Selon les termes de sa saisine, la société Free a demandé « en contrepartie de [son] cofinancement dans les boucles locales optiques déployées par Orange sur fonds privés, à disposer d'un droit d'accès au réseau d'une durée égale à la durée d'exploitation technique et commerciale du réseau » (décision attaquée, p. 2), en faisant valoir, en particulier, qu'elle ne disposait d'aucune garantie de renouvellement de ce droit à l'expiration de la durée de vingt ans contractuellement prévue.
82.Il en résulte que, contrairement à ce que prétend la société Orange, la société Free n'a pas demandé à l'X de trancher, par anticipation, le différend qui aurait été susceptible d'apparaître, à l'expiration de la durée contractuelle du droit d'accès, en ce qui concerne le renouvellement de celui ci. Sa demande, en revanche, procédait du constat actuel que les stipulations contractuelles d'ores et déjà applicables ne garantissaient pas que son droit d'accès serait aligné sur la durée d'exploitation et tendait, en conséquence, à y remédier. Dès lors, loin d'anticiper un différend hypothétique et lointain, cette demande tendait à ce que l'X tranche le différend né et actuel l'opposant à la société Orange en ce qui concerne les conditions contractuelles du droit d'accès qui lui était consenti.
83.Le moyen de la société Orange est donc rejeté.
2. Sur les erreurs manifestes d'appréciation prétendument commises par l'X
84.La société Orange soutient que l'X a commis deux erreurs manifestes d'appréciation en ce qui concerne, d'une part, le renouvellement du droit d'accès et, d'autre part, la tarification du cofinancement ex post.
a. Sur le renouvellement du droit d'accès
85.Selon la société Orange, à supposer qu'elle ait été compétente, c'est, en tout état de cause, à tort que l'X a affirmé, dans la décision attaquée, que « les conditions du renouvellement du droit d'accès prévues par le contrat sont imprécises » et que « Free se trouve dans une situation d'incertitude sur le principe même du renouvellement de ses droits ainsi que sur les modalités de ce renouvellement ».
86.Elle soutient, à l'inverse, que le renouvellement du droit d'accès est d'ores et déjà garanti, à des conditions aussi précises que possible, par le contrat litigieux, dont l'article 3 stipule qu'« [a]u terme de la durée initiale du Droit Réel Temporaire ou du droit de jouissance sur les Lignes FttH ('), Orange accorde à l'Opérateur une prolongation de son droit pour une durée qui est objectivement déterminée au regard de la durée de vie technique résiduelle du Cablâge FttH (...) ». Elle souligne que la lettre même de ces stipulations exclut tout aléa quant au principe du renouvellement, à la condition, naturelle, que les caractéristiques techniques des câblages FttH le permettent, ce qui répond à la demande de la société Free visant à disposer d'un droit d'accès d'une durée égale à la durée d'exploitation technique et commerciale du réseau. Elle considère qu'ainsi, les conditions de renouvellement du droit d'accès sont connues et dépendent de causes exogènes et objectives, de sorte que, si la durée de vie technique résiduelle du câblage FttH le permet, la société Free bénéficiera alors mécaniquement d'un droit à renouvellement ; si, en revanche, ces conditions ne sont pas remplies, la société Free, pas plus que la société Orange ni aucun autre opérateur cofinanceur, ne bénéficieront d'un droit à renouvellement, le réseau n'offrant plus les caractéristiques nécessaires à son exploitation.
87.Enfin, la société Orange conteste la comparaison faite par l'X avec les clauses contractuelles applicables au renouvellement du droit d'accès dans les poches de haute densité des zones très denses, lesquelles prévoient qu'un droit « d'une durée de quinze ans, renouvelable » est accordé « automatiquement ». Elle fait valoir, en effet, que cette disparité dans les conditions de renouvellement du droit d'accès est due à la différence de durée prévisible des infrastructures dans les deux types de zones : c'est ainsi qu'elle souligne que dans les zones très denses, ce droit est concédé au niveau de chaque immeuble, à l'intérieur desquels est situé le point de mutualisation, de sorte qu'en cas d'altération et de dépose d'une ligne FttH, il est possible de mettre un terme au droit conféré à l'opérateur cofinanceur dans ce seul immeuble, sans remettre en cause l'accès aux lignes des autres immeubles ; dans les zones moins denses, en revanche, le droit d'accès est concédé au niveau, non d'un immeuble, mais d'une zone entière et il en résulte que le périmètre de ce droit est susceptible de ne pas être identique lors du renouvellement, ce qui empêche de lui donner un caractère automatique.
88.La société Free prétend, à l'inverse, qu'il ressort de la simple lecture des stipulations de l'article 3 du contrat litigieux que le renouvellement du droit d'accès n'est pas « automatique » et qu'il dépend, non de causes exogènes et objectives, mais principalement de la société Orange.
89.En effet, elle observe, en premier lieu, que la prolongation du droit d'accès n'est accordée que si les caractéristiques techniques des câblages FttH le permettent, et que cette condition est constatée au vu d'un audit réalisé, non par un tiers présentant des garanties d'impartialité, mais par la société Orange elle même.
90.Elle souligne, en deuxième lieu, que les stipulations de l'article 3 du contrat litigieux sont atypiques par rapport à celles figurant dans le contrat d'accès aux lignes FttH pour les zones très denses, qui confèrent au cofinanceur un droit au renouvellement plus précisément défini et automatique. À cet égard, la société Free récuse les explications, qu'elle juge de mauvaise foi, par lesquelles la société Orange justifie cette différence de régime en ce qui concerne le renouvellement du droit d'accès dans les zones très denses et dans les zones moins denses.
91.En troisième lieu, la société Free estime que ces stipulations ' selon lesquelles la durée du droit renouvelé est « objectivement déterminée au regard de la durée de vie technique résiduelle du Câblage FttH dans son ensemble » ' sont floues et manquent de précision en ce qui concerne le sens de la formule « objectivement déterminée », la mesure dans laquelle la durée du droit sera corrélée à la durée de vie technique résiduelle du câblage et la portion de ce câblage sur laquelle cette durée de vie sera déterminée.
92.En dernier lieu, la société Free considère qu'en ce qui concerne la tarification applicable en cas de renouvellement, le contrat litigieux, qui fait état, de façon imprécise, d'une « tarification assise sur l'ensemble des coûts à venir et afférents au Câblage FttH, notamment les coûts liés à son exploitation, à sa maintenance et à sa mise à niveau éventuelle », ne lui procure pas la visibilité qui lui est nécessaire et dont l'X a souligné l'importance à plusieurs reprises afin de favoriser le développement de la fibre optique. Elle observe, en effet, que selon ces stipulations, le renouvellement peut donner lieu à une adaptation du tarif ou à une tarification ad hoc qui est, selon elle, injustifiée.
... soutient que, contrairement à ce que prétend la société Orange, il ne résulte des stipulations du contrat litigieux aucune automaticité du renouvellement du droit d'accès de la société Free. Elle souligne, à cet égard, que ce renouvellement est subordonné à un audit qui sera réalisé par la société Orange et que dans cette attente, soit pendant près de dix neuf ans, la société Free sera dans l'incertitude tant quant au principe d'un tel renouvellement que quant à ses modalités. Elle observe qu'au demeurant, si le contrat litigieux devait être compris comme prévoyant un renouvellement automatique, ainsi que le prétend la société Orange, celle ci n'aurait alors aucun grief à formuler contre la décision attaquée, qui se borne à en clarifier la rédaction. Par ailleurs, l'X relève que l'offre de la société Orange en zones très denses accorde automatiquement un renouvellement du droit d'accès à l'issue de sa durée initiale, et elle considère que les explications que la société Orange fournit pour justifier cette disparité ne sont pas convaincantes. Elle observe ainsi que, si le droit d'accès s'exerce, dans les zones très denses, au niveau de l'immeuble ou à proximité immédiate et, dans les zones moins denses, plus en amont dans le réseau, la société Orange
n'explique pas en quoi le renouvellement automatique prévu dans le premier cas n'est pas reproductible dans le second dès lors qu'il serait subordonné à la poursuite de l'exploitation technique et commerciale du réseau. Elle conclut que, contrairement à ce que lui reproche la société Orange, elle n'a donc commis aucune erreur manifeste d'appréciation en considérant, dans la décision attaquée, que la durée initiale du droit d'accès et les conditions contractuelles de son renouvellement ne permettaient pas de satisfaire aux « besoins de visibilité et de transparence sur la durée des droits d'usage » de la société Free.
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... a fondé la prolongation, à au moins quarante ans, de la durée du droit d'accès de la société Free sur le constat, notamment, que « [l]es stipulations contractuelles actuelles ne sont donc pas suffisamment précises pour considérer que la prolongation du droit d'accès est actuellement garantie pour Free » et qu'il en résultait que cette société ne disposait pas d'une visibilité et d'une prévisibilité suffisantes sur la durée effective de son droit.
95.Les stipulations en cause, qui figurent à l'article 3 de l'annexe ZMD 3 du contrat litigieux sont ainsi rédigées : « Au terme de la durée initiale du Droit Réel Temporaire ou du droit de jouissance sur les Lignes FttH composées d'un Cablâge d'immeuble tiers, si l'ensemble des caractéristiques techniques des Câblages FttH à cette date, telles qu'auditées par Orange, le permet, Orange accorde à l'Opérateur une prolongation de son droit pour une durée qui est objectivement déterminée au regard de la durée de vie technique résiduelle du Câblage FttH dans son ensemble ('). L'éventuelle prolongation du droit de l'Opérateur fait l'objet d'une tarification assise sur l'ensemble des coûts à venir et afférents au Câblage FttH (') » (pièce Orange n° 1).
96.Ainsi que l'X l'a relevé, ces stipulations sont, au regard des besoins de visibilité et de prévisibilité de la société Free, insuffisamment précises, puisque le renouvellement du droit d'accès se trouve subordonné aux résultats d'un audit, réalisé par la seule société Orange et dépourvu de tout caractère contradictoire, dont ne sont fixés ni les méthodes et modalités ni le moment de la réalisation. Quant à la durée de l'éventuel renouvellement, elle est tout autant imprécise, dans la mesure où les stipulations du contrat se bornent à prévoir qu'elle sera « objectivement déterminée », sans, cependant, donner d'indication sur sa corrélation à la durée de vie résiduelle du câblage.
97.Aussi est ce sans commettre d'erreur d'appréciation que l'X a considéré que les conditions contractuelles du renouvellement du droit d'accès n'étaient, quant à son principe même et quant à ses modalités, pas suffisamment précises eu égard au besoin de visibilité de la société Free sur la durée effective de ce droit.
b. Sur la tarification du cofinancement ex post
98.Le contrat litigieux prévoit qu'en cas de cofinancement a posteriori ' c'est-à- dire lorsque l'accès est accordé alors que le réseau est déjà installé ', le tarif non récurrent dû est calculé en appliquant au tarif non récurrent ab initio un coefficient, dit coefficient « ex post » (article 1-8 des Conditions particulières du Contrat d'accès, pièce Orange n° 1). Ce coefficient est déterminé compte tenu du délai écoulé entre la mise à disposition du point de mutualisation et l'entrée en cofinancement. La société Orange a soutenu, devant l'X, que l'allongement de la durée du droit d'accès remettrait en cause mécaniquement l'application de ce coefficient ; dans la décision attaquée, l'X a, cependant, écarté cet argument en considérant que la société Orange n'avait pas rapporté la preuve des conséquences qu'elle alléguait.
99.Selon la société Orange, l'X a, ce faisant, commis une erreur manifeste d'appréciation. Elle soutient, à l'inverse, que son modèle tarifaire repose sur une correspondance entre la durée des droits accordés et l'horizon économique du projet. En effet, elle fait valoir que les coefficients ex post ont été déterminés de façon à permettre d'égaliser les perspectives de revenus entre opérateurs commerciaux arrivant au moment du déploiement et ceux arrivant tardivement sur un marché mature, en prenant en compte le taux d'actualisation, l'horizon temporel de retour sur investissement et les durées des droits d'usage concédés ; dès lors, la prolongation des droits d'accès de vingt à quarante ans, qui porte également de vingt à quarante ans l'horizon temporel de retour sur investissement des opérateurs commerciaux, conduit nécessairement, selon elle, à augmenter les coefficients ex post.
100.La société Orange ajoute que la structure tarifaire résultant de la position de l'X, qui consiste à maintenir les coefficients ex post actuels alors que les droits d'accès passent de vingt à quarante ans, conduirait à distordre le modèle économique et à pratiquer des mesures discriminatoires entre opérateurs commerciaux, puisque la durée du droit d'usage désormais octroyée serait automatiquement augmentée de vingt ans.
101.La société Free fait valoir, à titre liminaire, que, contrairement à ce que prétend la société Orange, la décision attaquée ne lui interdit aucunement de modifier sa courbe de coefficients ex post, dès lors qu'elle en démontrerait la nécessité et justifierait que cette modification respecte les modalités tarifaires applicables. Elle souligne ensuite que l'argumentation de la société Orange est contradictoire avec celle qu'elle développe à propos du renouvellement du droit d'accès, puisque, si ce renouvellement était, ainsi qu'elle l'affirme, « automatique », elle aurait nécessairement pris en compte, pour établir ses coefficients ex post, une durée du droit de quarante ans. Elle observe, enfin, que le calcul des coefficients ex post est fondé, non sur la durée des droits d'usage dont il est décorrélé, mais sur l' « horizon économique du projet », de sorte qu'une modification éventuelle de cette durée est sans impact sur les coefficients ; elle souligne, à cet égard, que la société Orange applique les mêmes coefficients dans ses offres d'accès en zones très denses et en zones moins denses, alors que la durée initiale des droits d'accès est différente et s'établit à trente ans pour les premières et vingt ans pour les secondes. Elle conclut que, dans ces conditions, l'X a pu estimer, sans commettre d'erreur manifeste d'appréciation, qu'en l'absence de démonstration circonstanciée de la société Orange, le coefficient ex post ne devait pas être nécessairement modifié en cas d'évolution de la durée des droits accordés aux opérateurs commerciaux.
102.L'X soutient, en premier lieu, que l'argument de la société Orange manque en fait, puisque la décision attaquée n'a pas affirmé que la prolongation de la durée initiale était sans conséquence sur le coefficient ex post, tel qu'il a été établi sur la base d'une durée initiale de vingt ans, pas plus qu'elle n'a « proposé » de maintenir le coefficient actuel, comme l'affirme à tort la requérante dans ses écritures. Elle souligne qu'en revanche, la décision attaquée a constaté que la société Orange ne faisait pas la démonstration circonstanciée que la courbe ex post devait nécessairement être modifiée en cas d'évolution de la durée des droits accordés aux opérateurs commerciaux. Elle précise, enfin, que, si la société Orange décidait de modifier sa courbe de coefficients ex post, elle devrait alors en démontrer la nécessité et justifier que cette modification respecte les modalités tarifaires prévues à l'article 9 de la décision du 14 septembre 2010, lesquelles tiennent, en particulier, au caractère raisonnable des nouveaux coefficients retenus au regard du risque effectif qu'elle a supporté comme primo investisseur.
103.En deuxième lieu, l'X fait valoir que cet argument est inopérant puisqu'à supposer même qu'il faille modifier les coefficients ex post, on ne voit pas pourquoi cela aurait dû entraîner, pour ce motif, le rejet de la demande de Free.
104.Enfin, et en troisième lieu, l'X considère que l'argument de la société Orange selon lequel la prolongation d'une durée des droits de vingt à quarante ans sans faire évoluer les coefficients ex post conduirait à créer un « biais discriminatoire évident entre opérateurs commerciaux » est lacunaire et requerrait une analyse au cas par cas suivant la situation de chaque opérateur commercial, laquelle n'a pas été faite.
***
105.L'X a, dans la décision attaquée, expressément répondu à l'argument invoqué par la société Orange pour s'opposer à l'allongement de la durée du droit d'accès réclamé par la société Free, argument selon lequel cet allongement serait de nature à remettre en cause « toute la logique de définition des coefficients ex post » prévus dans le contrat litigieux . Elle a ainsi relevé que la société Orange « n'a pas démontré en l'état la nécessité de modifier la courbe ex post dès lors que la durée des droits évolue » (décision attaquée, p. 36) et qu'en « en l'absence de démonstration circonstanciée, il n'apparaît pas que la courbe ex post doive nécessairement être modifiée en cas d'évolution de la durée des droits accordés aux opérateurs commerciaux » (décision attaquée, p. 38).
106.De la lettre même de cette motivation, il ressort que le moyen que la société Orange soutient, selon lequel l'X a commis une erreur manifeste d'appréciation en considérant que l'allongement de la durée du droit d'accès n'aurait pas de conséquence sur l'application des coefficients ex post, manque en fait. En effet, l'X s'est bornée à constater que la société Orange ne faisait pas la démonstration que la modification de ces coefficients était une conséquence nécessaire de l'allongement de la durée auquel il devait être procédé par voie d'avenant.
107.L'X n'a pas davantage interdit à la société Orange de modifier, le cas échéant, les coefficients ex post, une telle modification pouvant par exemple être opérée dans le cadre de l'avenant dont la décision attaquée a imposé la conclusion, étant observé qu'il lui appartiendrait alors, d'une part, d'en démontrer la nécessité et, d'autre part, de respecter les modalités tarifaires prévues par la décision du 14 septembre 2010, selon lesquelles « les conditions tarifaires de l'accès au point de mutualisation doivent être raisonnables et respecter les principes de non discrimination, d'objectivité, de pertinence et d'efficacité. Les conditions tarifaires de l'accès au point de mutualisation doivent correspondre à une prise en charge d'une part équitable des coûts d'installation des lignes et des ressources associées. »
108.Enfin, ainsi que le relève à juste titre l'X, le moyen est inopérant, puisque la société Orange n'explique pas en quoi, à supposer avérée la nécessité de modifier les coefficients ex post du fait de l'allongement de la durée du droit d'accès, cette circonstance aurait dû entraîner le rejet de la demande de la société Free tendant à cet allongement.
109.Le moyen de la société Orange est donc rejeté.
B. Sur la demande d'annulation de l'article 2 de la décision attaquée
110.L'article 2 de la décision attaquée, dont la société Orange demande l'annulation, est ainsi rédigé :
« Article 2. La société Orange doit, à compter de la notification de la présente décision, transmettre à la société Free, d'une part, dans un délai de 1 mois, un premier projet d'avenant et, d'autre part, à l'issue d'une négociation menée de bonne foi et au plus tard dans un délai de 4 mois à compter de la notification de la présente décision, un avenant au contrat d'accès aux lignes FttH d'Orange en zones moins denses d'initiative privée :
- prévoyant la définition de manière explicite et transparente des liens entre les principaux tarifs du contrat (notamment le tarif de cofinancement du segment entre le point de mutualisation et le point de branchement optique, le prix de construction du raccordement final, le tarif récurrent par ligne active, le tarif récurrent de maintenance du raccordement final, les tarifs des liens entre le point de mutualisation et le n'ud de raccordement optique) et les coûts du réseau cofinancé ;
- prévoyant la transmission par la société Orange à la société Free des dépenses constatées, de façon agrégée, sous jacentes aux tarifs correspondant à chacun des trois segments de réseau (du n'ud de raccordement optique au point de mutualisation exclu ; du point de mutualisation inclus au point de branchement optique inclus ; raccordement final), en distinguant au minimum coût d'investissement, d'une part, et coût récurrent, d'autre part ; et en distinguant au sein du coût récurrent, pour le segment point de mutualisation ' point de branchement optique (PM PBO), exploitation et maintenance, location de génie civil, frais de portage financier et, le cas échéant, les principaux grands autres postes de coûts ;
- prévoyant que les éléments visés à l'alinéa précédent seront transmis annuellement par la société Orange à la société Free dans un délai cohérent avec ceux des autres productions comptables d'Orange. Ces éléments devront être transmis à Free dès 2018, à l'exception de la chronique des coûts d'investissement qui devra être transmise pour la première fois dans un délai de 3 ans à compter de la notification de la présente décision, puis annuellement. »
111.La société Orange soutient que cet article est illégal et doit être annulé en ce que l'X a violé, d'une part, la compétence et les pouvoirs qu'elle tient de l'article L. 36-8 du CPCE et, d'autre part, les principes et objectifs de la régulation.
1. Sur la violation de l'article L. 36-8 du CPCE a. Sur la condition d'échec de négociations
112.La société Orange soutient que les courriers que la société Free lui a adressés avant de saisir l'X de sa demande de règlement du différend ont porté sur des postes de coûts à chaque fois différents. C'est ainsi qu'elle relève que la société Free Infrastructure ' qui, au demeurant, est une société distincte de la société Free ' a demandé, dans son courrier du 2 novembre 2016, à connaître, en particulier, « le nombre de tranches non cofinancées », mais n'a pas repris cette demande dans son courrier suivant du 21 juillet 2017, lequel a porté sur de nouveaux postes de coûts, relatifs notamment aux dépenses de sous traitance, coûts de pilotage interne, dépenses d'investissement (annuel et cumulé depuis le début du projet), dépenses d'exploitation, frais de portage financier de la part non cofinancée, location du génie civil, ainsi que sur la ventilation des coûts en « pilotage interne » et « dépense de sous traitance ». Elle ajoute que ces demandes ne figuraient pas plus dans la saisine de l'X, que la société Free avait ainsi libellée : « Nous demandons (') à connaître les liens entre les principaux tarifs du contrat et les coûts du réseau que nous cofinançons ; nous souhaitons que le contrat définisse, de manière explicite et transparente, les principaux postes de coûts sous jacents à cs tarifs et la méthode pour évaluer ces coûts (coûts constatés, coûts moyens projetés dans la durée sur la base d'hypothèses à expliciter, etc.) ». La société Orange considère, dès lors, que les demandes qui lui avaient été présentées par ces courriers ne correspondant pas à celles exposées dans la saisine ultérieure aux fins de règlement de différend, la condition légale d'échec de négociations fait défaut et qu'en conséquence l'X était incompétente.
113.La société Free fait valoir que la condition d'échec des négociations est remplie dès lors qu'il est démontré que les questions évoquées dans le cadre du règlement du différend ont été effectivement débattues en vain et sont restées sans réponse satisfaisante. Elle considère que tel est le cas en l'espèce, puisque, comme l'X l'a relevé dans la décision attaquée, aucune solution n'a été trouvée quant à la détermination des conditions techniques et tarifaires de l'accès au réseau FttH, malgré des échanges réguliers entre les parties, et que les courriers antérieurs à la saisine de l'X formulaient des demandes identiques à celles contenues dans cette saisine et qui ont été explicitement rejetées par la société Orange. C'est ainsi qu'elle expose qu'en dépit de ses protestations quant aux dispositions que la société Orange entendait lui appliquer, elle a été contrainte de souscrire au contrat litigieux, dont elle n'a cessé de réclamer la modification, en particulier par ses courriers des 2 novembre 2016 et 21 juillet 2017, qui abordaient tous deux les conditions d'accès, les tarifs de cofinancement et le raccordement des BTS, comme elle l'a fait ensuite devant l'X. À cet égard, elle soutient que le fait que les postes de coût dont il est fait état dans ces deux courriers et dans la saisine ne soient pas tous les mêmes est sans incidence, puisqu'ils ne sont mentionnés qu'à titre d'exemple et que, dans tous les cas, la demande est identique et a le même objet, à savoir la définition de manière explicite et transparente des principaux postes de coûts sous jacents aux tarifs du contrat litigieux.
114.Selon l'X, qui rappelle que, dans ses observations relatives à la demande principale d'annulation, elle a déjà répondu au moyen ici développé, la société Orange a une vision exagérément restrictive de la condition d'échec des négociations et exige, à tort, de l'auteur de la saisine qu'il ait repris à l'identique dans chacun des courriers préalables à cette saisine le détail précis de sa demande. Elle soutient qu'en l'espèce, il ressort de l'examen comparé des termes de ces courriers et de la saisine que chacune des demandes qui lui avaient été présentées avait fait l'objet, entre les parties, de négociations ayant échoué. Elle conclut que le moyen de la société Orange, fondé sur une prétendue absence d'échec des négociations, manque en fait.
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115.Par l'article 2 de la décision attaquée, dont la société Orange demande l'annulation, l'X a statué sur les demandes que la société Free a, dans sa saisine, présentées sous l'intitulé « Demande 2 : Tarifs » et regroupées en trois séries de demandes relatives, respectivement, aux « liens entre les principaux tarifs du contrat et les coûts du réseau que nous cofinançons (') » (« Demande 2.a »), à « la transmission à intervalles périodiques des grandes masses des dépenses réelles constatées pour la construction et l'exploitation du réseau cofinancé et pour les trois segments de réseau (') » (« Demande 2.b ») et à l'abandon du « principe de modification unilatérale de prix par Orange (') au profit d'une clause de discussion réciproque (') » (« Demande 2.c »).
116.Force est de constater que ces mêmes demandes avaient été, antérieurement à la saisine de l'X, présentées et explicitées par la société Free dans les courriers des 2 novembre 2016 et 21 juillet 2017 qu'elle avait adressés à la société Orange.
117.Ainsi, dans ces courriers, la société Free avait demandé à connaître « les coûts du réseau que nous cofinançons » (courrier du 2 novembre 2016) et, plus précisément, « les liens entre les principaux tarifs du contrat et les coûts du réseau que nous cofinançons » et qu'à cette fin, « le contrat définisse, de manière explicite et transparente, les principaux postes de coûts sous jacents à ces tarifs, la part de chacun de ces postes de coûts dans leur formation, et la méthode retenue pour évaluer ces coûts » (courrier du 21 juillet 2017).
118.La société Free a, par ailleurs, demandé que soit prévue « la transmission à intervalles périodiques [d]es grands masses des coûts pertinents afin que nous soyons en mesure de nous assurer de la bonne corrélation entre coûts et tarifs » (courrier du 2 novembre 2016) et « des grands masses des dépenses réelles constatées pour la construction et l'exploitation du réseau cofinancé » (courrier du 21 juillet 2017).
119.Enfin, s'agissant des évolutions tarifaires, la société Free a demandé qu'elles procèdent d'un « commun accord entre les parties » (courrier du 2 novembre 2016) et que « le principe de modification unilatérale de prix par Orange soit supprimé au profit d'une clause de discussion réciproque » (courrier du 21 juillet 2017).
120.Ces différentes demandes sont donc identiques à celles dont la société Free a saisi l'X, à la suite du refus d'y faire droit que la société Orange a opposé dans ses courriers des 19 décembre 2016 et 1er septembre 2017. À cet égard, il est indifférent que la société Free n'ait pas, dans ses courriers des 2 novembre 2016 et 21 juillet 2017, fait état des mêmes postes de coûts. En effet, ces postes ne sont mentionnés qu'à titre d'exemple, à l'appui de la demande de la société Free. Ainsi, le courrier du 2 novembre 2016 indique que les grandes masses de coûts, dont la société Free demande la transmission périodique, « pourraient être notamment : les coûts d'investissement et de construction du réseau, le nombre de tranches non cofinancées, les coûts de portage financiers attachés, les coûts de location du génie civil, les coûts d'exploitation et de maintenance, les coûts communs et commerciaux » (souligné par la cour). De la même façon, le courrier du 21 juillet 2017, après avoir exposé le souhait de la société Free que le contrat litigieux définisse, de manière explicite et transparente, les principaux postes de coûts sous jacents aux tarifs, ajoute « par exemple : dépenses de sous traitance, coûts de pilotage internes, dépenses d'investissement (annuel et cumulé depuis le début du projet), dépenses d'exploitation, frais de portage financier de la part non cofinancée, location du génie civil » (souligné par la cour). Il importe donc peu que les postes de coûts ainsi cités ne soient pas strictement identiques, dès lors que, dans l'un et l'autre courrier, ils viennent illustrer les mêmes demandes tendant à la transparence des coûts sous jacents aux tarifs, que la société Free a vainement présentées à la société Orange avant d'en saisir l'X.
121.Il en résulte que la condition d'échec des négociations, prévue par l'article L. 36-8 du CPCE, était remplie en l'espèce ; le moyen de la société Orange est donc rejeté.
b. Sur la compétence de l'X pour statuer, dans le cadre d'un règlement de différend, sur les coûts supportés par la société Orange pour fournir la prestation d'accès
122.La société Orange rappelle que, selon l'article L. 36-8 du CPCE, la compétence de l'X est limitée aux « conditions équitables, d'ordre technique et financier, dans lesquelles l'interconnexion ou l'accès doivent être assurés ». Elle soutient que la demande de la société Free portait, non sur les conditions financières ou techniques de l'accès, mais sur la connaissance des coûts supportés par la société Orange pour fournir la prestation d'accès, de sorte que, faute d'entrer dans les prévisions de ce texte, elle ne relevait pas de la compétence de l'X.
123.La société Free souligne que, comme elle l'a précédemment fait valoir, l'X est compétente pour régler les différends relatifs aux conventions d'accès à un réseau FttH lorsque ces différends portent sur des clauses contractuelles ayant un lien, même indirect, avec les conditions d'exécution de la prestation d'accès. Elle considère qu'en l'espèce, ses demandes relatives à l'établissement d'un lien explicite et transparent entre les tarifs et les coûts et à la transmission des grandes masses des dépenses réelles constatées sont intrinsèquement liées aux conditions financières de l'accès, dès lors que la connaissance par elle de ces éléments, en réduisant l'asymétrie d'information avec la société Orange, conditionne la possibilité d'un débat sur les évolutions tarifaires qui peuvent être décidées unilatéralement par cette dernière société. Elle en conclut que ses demandes relèvent avec évidence des modalités financières de l'accès au réseau FttH de la société Orange et qu'en conséquence, l'X était compétente pour en connaître.
124.L'X fait valoir que, comme elle l'a rappelé dans la décision attaquée, la compétence qu'elle tire de l'article 36-8 du CPCE s'étend aux clauses contractuelles qui présentent un lien, même indirect, avec les conditions d'exécution de la prestation d'accès, et notamment avec les modalités financières de cet accès. Elle soutient qu'au cas d'espèce, les coûts sous jacents aux tarifs d'accès pratiqués par la société Orange et les liens entre ces coûts et lesdits tarifs déterminent bien les conditions financières de l'accès et qu'elle était donc compétente pour statuer sur les demandes de la société Free.
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125.Si les dispositions de l'article 2 de la décision attaquée ne portent pas sur les tarifs d'accès aux lignes FttH de la société Orange eux mêmes, elles n'en traitent pas moins, directement, des conditions financières de cet accès, dont il incombe à l'X de vérifier le caractère équitable.
126.En effet, l'X a, par cet article, ordonné la mise en place d'un dispositif contractuel de transparence des coûts sous jacents aux tarifs et de définition des liens entre ces coûts et ces tarifs. Les coûts sous jacents étant l'un des déterminants des tarifs, ce dispositif est directement lié aux conditions financières de l'offre, dont il tend à garantir le caractère équitable, et entre par conséquent dans le champ de l'article L. 36-8 du CPCE.
127.Le moyen de la société Orange est donc rejeté.
2. Sur la violation des principes et objectifs de la régulation a. Sur la mise en œuvre erronée d'une corrélation entre les tarifs et les coûts
128.La société Orange fait valoir que pas plus l'article L. 34-8-3 du CPCE que la décision du 14 septembre 2010, qui en complète les dispositions en ce qui concerne l'accès aux lignes FttH, n'imposent d'obligation de corrélation entre les tarifs et les coûts, ni même d'obligation d'orientation des tarifs vers les coûts. Elle rappelle, en effet, que le premier de ces textes prévoit que l'accès aux lignes FttH est fourni « à des conditions économiques, techniques et d'accessibilité raisonnables » et que, selon le second, les conditions tarifaires de cet accès « doivent être raisonnables et respecter les principes de non discrimination, d'objectivité, de pertinence et d'efficacité ». Elle invoque plusieurs précédentes décisions de règlement de différends (décision n° 10-0742 du 1er juillet 2010 se prononçant sur une demande de règlement de différend opposant les sociétés Mobius et La Réunion Numérique ; décision n° 14-0192 du 13 février 2014 se prononçant sur une demande de règlement de différend opposant les sociétés Oméa Télécom et Orange) dans lesquelles l'X aurait, selon elle, affirmé qu'une prestation d'accès est soumise à une obligation de tarif raisonnable, l'appréciation de ce dernier caractère ne pouvant se réduire à l'évaluation des coûts supportés par l'opérateur fournissant la prestation d'accès. Elle en conclut qu'elle n'est soumise qu'à une obligation de tarif raisonnable, mais nullement à l'obligation d'établir un lien entre les tarifs et les coûts qu'elle supporte.
129.Or, selon elle, c'est au mépris de ces principes que l'X a introduit un mécanisme de corrélation entre les tarifs du contrat litigieux et les coûts sous jacents en imposant, à l'article 2 de la décision attaquée, la transmission d'un avenant à ce contrat « prévoyant la définition de manière explicite et transparente des liens entre les principaux tarifs du contrat (') et les coûts du réseau cofinancé » et, de surcroît, a confié à un opérateur tiers, la société Free, le pouvoir de vérifier cette corrélation.
130.La société Free soutient que, contrairement à ce que prétend la société Orange, la décision attaquée ne pose aucun principe d'orientation des tarifs d'accès aux lignes FttH vers les coûts de déploiement du réseau, ni de corrélation entre ceux ci, mais lui impose seulement de définir de manière explicite et transparente les liens entre ces tarifs et les coûts qu'elle supporte. Dès lors, selon la société Free, la décision attaquée ne limite aucunement la liberté de la société Orange d'établir les tarifs et le mécanisme de tarification qu'elle souhaite, sous le contrôle des l'X et des juridictions compétentes. Elle souligne qu'au demeurant, si le contrat litigieux est bien soumis à une « forme d'obligation de corrélation » entre les coûts et les tarifs, cela résulte, non de la décision attaquée, mais de l'article 1.10 de ce contrat, rédigé par la société Orange, lequel stipule que « si les coûts évoluent à la hausse, les prix forfaitaires du cofinancement ab initio (') peuvent être réévalués annuellement ('). Dans le cas d'une évolution exceptionnelle des coûts, Orange peut procéder à une augmentation des tarifs de cofinancement ('). En cas d'évolution des coûts à la baisse, Orange peut répercuter tout ou partie des baisses de coûts constatées sur les tarifs ». La société Free considère, en conséquence, que ledit contrat lui même lie étroitement son engagement financier aux coûts supportés par la société Orange, de sorte que la décision attaquée, en prévoyant une meilleure information sur les liens entre les tarifs et ces coûts, poursuit le même objectif et ne fait que tirer les conséquences de la stipulation dudit contrat.
131.Enfin, la société Free soutient qu'en tout état de cause, le cadre réglementaire prévoit explicitement un lien entre les tarifs d'accès à un réseau FttH et les coûts supportés par l'opérateur offrant cet accès. Elle rappelle ainsi que l'article L. 34-8-3 du CPCE impose aux opérateurs d'immeuble de fournir un accès à leur réseau FttH « dans des conditions transparentes et non discriminatoires en un point (') permettant le raccordement effectif d'opérateurs tiers, à des conditions économiques, techniques et d'accessibilité raisonnables » et que ces dispositions, s'agissant en particulier du caractère « raisonnable » des conditions économiques du raccordement, ont été complétées et précisées par les décisions des 22 décembre 2009 et 14 septembre 2010 relatives aux modalités de l'accès aux lignes de communication électronique à très haut débit en fibre optique, qui, l'une et l'autre, évoquent explicitement le lien qui doit unir les tarifs et les coûts.
132.La société Free considère que le cadre réglementaire établit donc très distinctement un lien entre les tarifs d'accès au réseau FttH et les coûts de déploiement de celui ci, de sorte que ces tarifs ne peuvent pas être déconnectés des coûts et que leur caractère raisonnable résulte de la part équitable des coûts sous jacents supportés par l'opérateur cofinanceur.
133.L'X fait valoir, en premier lieu, que le cadre réglementaire, issu de ses décisions des 22 décembre 2009 et 14 septembre 2010, s'il n'impose pas d'orientation des tarifs vers les coûts, établit en revanche, de façon explicite, un lien entre ces tarifs et ces coûts. En second lieu, elle soutient que l'exigence d'un lien, résultant du cadre réglementaire, entre les coûts et les tarifs ne crée pas, par elle même, d'obligation d'orientation vers les coûts, comme le prétend à tort la société Orange, et n'est pas en contradiction avec les précédents que celle ci invoque. Elle souligne que la société Orange reste libre de la construction de son tarif, pourvu que celui ci demeure raisonnable et respecte les principes de non discrimination, d'objectivité, de pertinence et d'efficacité.
***
134.Les tarifs que la société Orange fixe dans le contrat d'accès qu'elle propose aux autres opérateurs doivent garantir le caractère raisonnable des conditions économiques d'accès à ses lignes locales FttH et respecter les principes de non discrimination, d'objectivité, de pertinence et d'efficacité. En revanche, il n'est pas contesté que la société Orange n'est soumise à aucune obligation de corrélation entre ses tarifs et les coûts qu'elle supporte, ni d'orientation vers ces coûts.
135.Pour autant, on ne saurait en conclure, comme le fait la société Orange, à l'absence de tout lien entre les tarifs et les coûts dont il pourrait être déduit que la décision attaquée, en imposant une obligation d'explicitation et de transparence, a méconnu les principes posés, en particulier, par l'article L. 34-8-3 du CPCE.
136.Au contraire, ce lien résulte directement du cadre réglementaire de l'accès aux boucles locales et du cofinancement, qui, comme le font valoir à juste titre l'X et la société Free, l'a expressément consacré à plusieurs reprises. C'est ainsi que, dans le cadre du financement ab initio, la décision du 22 décembre 2009 prévoit une prise en charge équitable des coûts ayant vocation à être partagés par l'ensemble des opérateurs et que, dans le cadre du financement a posteriori, cette même décision pose le principe d'un partage des coûts. Elle prévoit, par ailleurs, que la tarification doit pouvoir être « justifiée à partir d'éléments de coûts clairs et opposables » et qu'il convient que « l'opérateur d'immeuble ne fasse pas supporter des coûts indus ou excessifs aux opérateurs tiers ». Ces principes sont expressément repris dans la décision du 14 septembre 2010, relative aux zones moins denses, laquelle, en particulier, prévoit que les conditions tarifaires d'accès « doivent correspondre à une prise en charge d'une part équitable des coûts ».
137.De surcroît, il convient de constater que le contrat d'accès que la société Orange propose aux opérateurs en vue du cofinancement instaure lui même un lien entre les tarifs et le coûts. En effet, d'une part, il institue la possibilité d'une réévaluation des tarifs « si les coûts évoluent à la hausse » ou « dans le cas d'une évolution exceptionnelle des coûts » et, d'autre part, prévoit qu' en cas d'« évolution des coûts à la baisse, Orange peut répercuter tout ou partie des baisses de coûts constatées sur les tarifs » (article 1. 10 des conditions particulières).
138.C'est donc en pleine cohérence avec ce contexte réglementaire et contractuel, et conformément aux principes ci dessus rappelés, que la décision attaquée a ordonné l'adoption par les parties d'un avenant au contrat litigieux prévoyant, d'une part, la définition de manière explicite et transparente, des liens entre les principaux tarifs du contrat et les coûts et, d'autre part, la transmission à la société Free des dépenses constatées, de façon agrégée, sous jacentes aux tarifs.
139.Ce dispositif ne saurait être considéré comme posant des obligations de corrélation entre les tarifs et les coûts ou d'orientation des tarifs vers les coûts, avec lesquelles il ne se confond pas. En particulier, il ne restreint pas la liberté de la société Orange de déterminer ses tarifs, sous réserve du respect des conditions générales prévues par l'article L. 34-8-3 du CPCE et les décisions des 22 décembre 2009 et 14 septembre 2010, auxquelles l'article 2 de la décision attaquée n'ajoute rien ni n'apporte de modifications.
140.Le moyen de la société Orange est donc rejeté.
b. Sur le déni par l'X de sa compétence
141.La société Orange rappelle que le contrôle du secteur des communications électroniques incombe au seul régulateur et que l'opérateur d'infrastructures n'a d'obligation de transparence qu'à l'égard de celui ci. Or, selon elle, en prévoyant que les dépenses constatées sous jacentes aux tarifs seront transmises à la société Free, l'article 2 de la décision attaquée confie l'analyse et le contrôle de ses coûts à l'un de ses concurrents et permettra ainsi à celui ci de contrôler a posteriori la corrélation entre les coûts constatés et les tarifs proposés, en violation manifeste des principes fondamentaux de la régulation, puisqu'un tel contrôle ne peut relever que du régulateur lui même.
142.La société Free conteste ce moyen et soutient que la décision attaquée ne lui confère aucun pouvoir de contrôle, mais vise simplement à réduire l'asymétrie d'information entre la société Orange, propriétaire de l'infrastructure, et elle même, cofinanceur, en ce qui concerne l'évolution des tarifs qui lui sont imposés unilatéralement. Elle souligne que les éléments chiffrés sur ses dépenses constatées que la société Orange devra lui communiquer sont très généraux et agrégés, géographiquement et par grands postes de coûts, de sorte qu'ils ne contiennent aucun détail permettant d'opérer une analyse des coûts de la société Orange. En revanche, selon la société Free, l'X conserve seule son pouvoir de contrôle des coûts des opérateurs d'infrastructures, dont l'exercice suppose la communication d'éléments très détaillés ; elle se réfère, en particulier, à un courrier du 13 juillet 2018 (pièce Orange n° 29) par lequel l'X, dans le cadre de sa mission générale de contrôle, a demandé à la société Orange de lui transmettre l'« historique annuel des données comptables constatées » et la « description de la méthodologie comptable employée », en ce compris « les clés d'allocation utilisées (définition et valeurs) ». Elle souligne que le niveau de détail ainsi exigé par l'X dans ce cadre est sans comparaison avec celui des données dont la communication est imposée par l'article 2 de la décision attaquée.
143.L'X soutient que l'article 2 de la décision attaquée n'a ni pour objet ni pour effet d'abandonner à la société Free sa compétence de contrôle du respect des obligations tarifaires de la société Orange en tant qu'opérateur d'infrastructures. Elle affirme que ce contrôle porte sur des éléments plus détaillés que ceux dont la décision attaquée impose la transmission, comme en atteste le courrier précité du 13 juillet 2018 qu'elle a adressé à la société Orange, ainsi qu'un autre courrier du 27 décembre 2017 (pièce X n° 4), et qui ont conduit à la transmission de plusieurs dizaines de données et d'informations relatives à la méthodologie comptable employée. L'X expose qu'il en résulte que la société Orange est soumise à deux obligations distinctes, qui ne se confondent pas et n'entraînent aucun transfert de compétence, consistant, pour la première, à tenir une comptabilité détaillée de ses coûts entrant dans l'établissement de son offre tarifaire afin de permettre à l'X d'exercer son contrôle et, pour la seconde, à communiquer périodiquement à la société Free des éléments chiffrés agrégés pour donner à celle ci la visibilité et la prévisibilité nécessaires sur ses propres charges d'investissement à long terme.
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144.Dans le cadre de sa mission générale de régulation, il incombe à l'X d'exercer un contrôle des tarifs des opérateurs d'infrastructures, afin d'en vérifier la conformité aux principes ci dessus rappelés. À cette fin, ces opérateurs doivent, selon les décisions des 22 décembre 2009 et 14 septembre 2010, mettre à jour et tenir à la disposition de cette autorité des informations relatives aux coûts « présentant un degré de détail suffisant pour permettre le contrôle par l'Autorité du respect des obligations tarifaires qui lui incombent » ; c'est en application de ces dispositions que l'X a, par courriers des 27 décembre 2017 et 13 juillet 2018, présenté à la société Orange les demandes dont il est fait état devant la cour.
145.Il convient donc de déterminer si, comme le prétend la société Orange, les obligations de transmission d'informations prévues par l'article 2 de la décision attaquée ont pour effet de mettre la société Free en état d'exercer un contrôle équivalent à celui incombant au régulateur. À cet égard, il résulte des termes mêmes de cet article que tel n'est pas le cas.
146.En effet, et en premier lieu, les deux dispositifs se distinguent par leur objet. C'est ainsi que le contrôle des coûts qu'exerce l'X relève, comme la cour vient de la rappeler, du contrôle tarifaire qui lui incombe et a pour objet de vérifier que les conditions tarifaires de l'accès aux lignes FttH sont, comme le prévoit la décision du 14 septembre 2010, raisonnables et respectent les principes d'objectivité, de pertinence, d'efficacité, de transparence et de non discrimination. En revanche, l'article 2 de la décision attaquée a pour objet, en remédiant à l'asymétrie d'information entre la société Orange, propriétaire de l'infrastructure, et la société Free, cofinanceur, de procurer à celle ci des éléments de coûts lui permettant d'anticiper raisonnablement l'évolution des tarifs et de satisfaire ainsi à son besoin légitime de visibilité et de prévisibilité.
147.En second lieu, ces dispositifs se distinguent aussi par leur portée, dans la mesure où le niveau de détail des informations en cause n'est pas le même. En effet, les informations que la société Orange doit fournir au titre de l'article 2 de la décision attaquée sont agrégées géographiquement, puisqu'elles recouvrent toute la zone AMII, et par grands postes de coûts, en distinguant coûts d'investissement et coûts récurrents et, au sein de ceux ci, coûts d'exploitation, de maintenance, de génie civil, de portage financier et les principaux grands autres postes de coûts.
148.En revanche, la société Orange doit, au titre de ses obligations réglementaires, tenir et mettre à la disposition de l'X une comptabilité précise de tous les coûts entrant dans l'établissement de son offre tarifaire et le niveau de détail des informations ainsi requises est infiniment plus élevé que celui des informations relevant de l'article 2 de la décision attaquée. En témoignent les deux demandes qu'à ce titre l'X a adressées à la société Orange par ses courriers des 27 décembre 2017 (pièce X n° 4) et 13 juillet 2018 (pièce Orange n° 29) relatifs, respectivement, aux coûts de raccordement final et aux coûts de déploiement et d'exploitation des boucles optiques.
149.S'agissant du raccordement final, l'X a, par son courrier du 27 décembre 2017, demandé à la société Orange de renseigner une typologie des postes de coûts nécessaires à la réalisation de cette opération, se présentant sous la forme d'un tableau Excel composé de 30 lignes et 12 colonnes, ainsi que de fournir les bordereaux de prix unitaires utilisés auprès de ses sous traitants et ses cahiers des charges techniques. Par leur nombre, leur nature et leur précision, les informations ainsi demandées ne sont en rien comparables à celles que la société Orange doit transmettre à la société Free en application de l'article 2 de la décision attaquée. En effet, cet article prévoit, s'agissant des mêmes coûts de raccordement final sous jacents aux tarifs, que devront être communiquées les dépenses constatées, de façon agrégée, « en distinguant au minimum coût d'investissement, d'une part, et coût récurrent, d'autre part », soit deux données chiffrées par an.
150.S'agissant du déploiement et de l'exploitation des boucles optiques, l'X a, par le courrier du 13 juillet 2018, demandé à la société Orange « l'historique annuel des données comptables constatées concernant les activités de déploiement et d'exploitation de boucles locales optiques mutualisées dont Orange est propriétaire », accompagné d'une « description de la méthodologie comptable employée, précisant en particulier les clés d'allocation utilisées ». Les données comptables demandées doivent, au sein a minima de trois segments [du n'ud de raccordement optique au point de mutualisation exclu (NRO PM) ; du point de mutualisation inclus au point de branchement optique inclus (PM PBO) ; et le raccordement final (PBO PTO)], distinguer les dépenses d'investissement et les dépenses d'exploitation. Les premières, « restituées sous forme de chroniques en valeur brute jusqu'à la dernière année disponible », être présentées « selon la durée d'amortissement comptable des actifs sous jacents » et, « d'une part, avant prise en compte des cofinancements, d'autre part, nettes des cofinancements », et comprendre, pour chaque année, le chiffre d'affaires correspondant aux tarifs non récurrents en subdivisant ce chiffre d'affaires entre cessions internes correspondant aux cofinancements par Orange et cofinancements par des opérateurs tiers. Les secondes doivent être subdivisées en dépenses de location du génie civil, d'exploitation et de maintenance du réseau, dépenses relevant d'autres coûts et de coûts communs et distinguer, au sein de chacune de ces catégories, les dépenses relevant des frais de personnel, des charges externes hors fiscalité et des charges fiscales. Enfin, l'X demande la communication des unités d'œuvre correspondant à ces dépenses et comprenant, pour chaque année, au titre des dépenses d'investissement, le nombre de points de mutualisation construits au 31 décembre, le nombre de locaux programmés au 31 décembre, le nombre de locaux raccordables au 31 décembre et, au titre des dépenses d'exploitation, le nombre moyen de fibres actives dans l'année, la moyenne annuelle du nombre de logements programmés, le volume moyen de génie civil occupé par le segment NRO PM.
151.Ainsi que le souligne l'X dans ses observations, il est ainsi demandé à la société Orange, s'agissant des dépenses d'exploitation, de produire plusieurs dizaines de données, alors que l'article 2 de la décision attaquée prévoit seulement la transmission à la société Free, sur l'ensemble de la zone AMII, des dépenses constatées, de façon agrégée, correspondant au coût récurrent, en distinguant en son sein les sous postes « exploitation et maintenance, location de génie civil, frais de portage financier et, le cas échéant, les principaux grands autres postes de coûts ».
152.De ces constatations, il résulte que les obligations réglementaires et celles prévues par l'article 2 de la décision attaquée ne se confondent pas et qu'en prévoyant que la société Orange transmettrait certaines informations à la société Free, l'X n'a nullement délégué à celle-ci son pouvoir de contrôle.
c. Sur la violation du secret des affaires
153.La société Orange rappelle que l'article L. 36-8 du CPCE oblige l'X à s'assurer, dans le cadre du règlement d'un différend, qu'aucune information relevant du secret des affaires ne sera divulguée. Elle observe, par ailleurs, que la décision attaquée est intervenue peu de temps avant l'adoption de la loi n° 2018-670 du 30 juillet 2018 relative à la protection du secret des affaires, qui a introduit dans le code de commerce un nouvel article spécifiquement dédié à la protection du secret des affaires. Enfin, elle affirme que, conformément à ces principes, la présente cour a, dans le cadre de certains récents contentieux, rappelé la nécessaire confidentialité qui s'attache à sa propre comptabilité réglementaire et, partant, à ses coûts, et que le Conseil d'État a jugé que ses coûts étaient couverts par le secret des affaires et ne pouvaient être transmis à un tiers.
154.Elle soutient qu'en violation du secret des affaires ainsi consacré, l'article 2 de la décision attaquée organise « un canal permanent de divulgation d'informations sensibles à Free concernant son principal concurrent », puisqu'il l'oblige à transmettre annuellement à la société Free ses « dépenses constatées, de façon agrégée, sous-jacentes aux tarifs correspondant à chacun des trois segments de réseau (…), en distinguant au minimum coût d'investissement, d'une part, et coût récurrent, d'autre part (…) et en distinguant au sein du coût récurrent, pour le segment point de mutualisation ' point de branchement optique, exploitation et maintenance, location de génie civil, frais de portage financier et, le cas échéant, les principaux grands autres postes de coûts ». La société Orange ajoute que les obligations ainsi créées ne manqueront pas de s'appliquer à tous les opérateurs d'infrastructures, s'ils présentent à l'X une demande analogue à celle de la société Free, de sorte qu'ils disposeront alors d'une vision de l'ensemble des coûts des uns et des autres, de nature à fausser durablement et de manière irréversible le fonctionnement concurrentiel du marché, et notamment les conditions dans lesquelles chacun des opérateurs déployant une infrastructure FttH fait appel à des sous-traitants. La transparence instaurée par la décision attaquée est donc, selon la société Orange, contraire à la loi et au principe même de la concurrence, qui figure parmi les objectifs que, selon l'article L. 32-1 du CPCE, l'X doit poursuivre.
155.La société Orange fait par ailleurs valoir que c'est à tort que l'X invoque, pour considérer que seul le « détail » des coûts serait protégé par le secret des affaires, un arrêt rendu le 21 avril 2017 par le Conseil d'État (Soc. FM Projet, req. n° 394606), dont elle détournerait le sens. Enfin, elle soutient qu'on ne saurait lui reprocher, comme le fait l'X, de ne pas démontrer in concreto en quoi la divulgation des informations en cause lui causerait un préjudice, puisque, pour faire cette démonstration, elle devrait nécessairement, compte tenu du caractère contradictoire de la procédure, dévoiler à la société Free des informations confidentielles.
156.En dernier lieu, la société Orange fait valoir que ses coûts étant portés à la connaissance de la société Free, celle-ci pourra, par soustraction de ses tarifs qui sont publics, en déduire la marge qu'elle réalise. Elle sera ainsi en mesure, selon la société Orange, de prendre parti, en lieu et ..., sur le caractère raisonnable du tarif d'accès et, en outre, de divulguer cette information à d'autres opérateurs, entraînant ainsi un effet similaire à celui d'une entente anticoncurrentielle.
157.La société Free rejette les critiques de la société Orange et soutient que la décision attaquée ne porte aucune atteinte au secret des affaires.
158.En premier lieu, elle fait valoir que les données de coût dont la transmission est demandée, au nombre de six à partir de 2018 et de neuf à partir de 2021, sont fortement agrégées, puisqu'elles couvrent l'ensemble de la zone AMII dans laquelle la société Orange déploie ses infrastructures, sans sous segmentation géographique et sans décomposition selon les typologies de territoire, et que ne doivent être communiquées que les grandes masses de dépenses.
159.En deuxième lieu, elle rappelle que le champ géographique de ces données est strictement limité et porte sur l'ensemble de la zone AMII, dans laquelle il n'existe pas de concurrence sur le déploiement du réseau FttH.
160.En troisième lieu, la société Free estime que ces données n'ont, au regard de la protection du secret des affaires, aucun caractère sensible, compte tenu de leur niveau d'agrégation. En effet, elle souligne que les agrégats sont « vagues » et constitués de sous-ensembles comprenant de très nombreux postes de coûts relatifs à l'installation, à partir de 2018, de 3,6 millions de prises puis, à partir de 2021, de 11,1 millions de prises sur l'ensemble de la zone AMII, et qu'ils regroupent ainsi des centaines de postes distincts issus de la comptabilité réglementaire de la société Orange, qui eux-mêmes regroupent des dizaines de milliers de postes de coûts distincts. Elle considère qu'il est, dans ces conditions, impossible de tirer de ces données quelque enseignement que ce soit sur la stratégie de déploiement de la société Orange, ou sur sa stratégie financière, industrielle ou commerciale. À cet égard, elle observe que la société Orange se borne à affirmer que la divulgation de ces données « permettra à chacun de déduire (…) les tarifs [de ses] sous-traitants », sans étayer cette affirmation d'aucun élément de preuve et sans expliquer par quel mécanisme de déduction ces données agrégées pourraient permettre de reconstituer ses coûts ; elle rappelle sur ce point que le magistrat délégué par le premier président, saisi d'une demande de sursis à exécution de la décision attaquée, a, dans son ordonnance de rejet du 30 janvier 2019, jugé que la société Orange « ne démontr[ait] pas concrètement comment et quel secret des affaires (stratégie commerciale de la société, coût de revient de telle prestation, brevet,...) pourrait être affecté par la divulgation de ces grandes masses de coûts, étant précisé qu'il s'agit de postes de dépenses très larges, agrégées géographiquement au niveau de la zone AMII (...) », et elle considère que la société Orange n'a toujours pas fait cette démonstration. Enfin, la société Free conteste que la société Orange se trouve, comme elle le prétend, dans l'impossibilité d'apporter la preuve in concreto du dommage qui résulterait de la communication, telle que prévue par la décision attaquée, des données agrégées et elle soutient que ce dommage est, en réalité, inexistant.
161.En quatrième lieu, la société Free rappelle qu'aux termes de la décision attaquée, les données en cause ne doivent être transmises qu'à elle seule et n'ont pas vocation à être transmises à un autre opérateur. Elle considère, à cet égard, qu'en acceptant un cofinancement, la société Orange a nécessairement consenti à communiquer certaines données, dans la mesure où le partage, jusqu'à un certain degré, d'informations relatives aux charges de construction et d'exploitation d'un réseau est consubstantielle à la conclusion d'une convention de cofinancement de ce même réseau avec des tiers.
162.Enfin, elle juge la décision attaquée parfaitement conforme au droit de la concurrence en ce que les échanges d'informations entre entreprises ne sont pas interdits per se et que la société Orange ne démontre aucun effet restrictif de concurrence.
163.L'X rappelle que la définition des liens entre les tarifs et les coûts sous jacents du réseau ainsi que la transmission périodique des dépenses constatées ne sont exigées par l'article 2 de la décision attaquée que sous forme agrégée, pour l'ensemble de la zone AMII, et en indiquant les montant globaux du coût d'investissement et du coût d'exploitation ainsi que, pour le coût récurrent du segment PM PBO seulement, le montant global des postes exploitation et maintenance, location du génie civil, frais de portage financier et, le cas échéant, des autres grands postes de coûts. Il en résulte, selon elle, que le nombre de valeurs que la société Orange doit communiquer chaque année à la société Free s'élève actuellement à six et qu'il sera porté à neuf à partir de 2021. Elle soutient que cette communication, nécessaire à la prévisibilité dont a besoin la société Free, ne porte pas atteinte au secret des affaires de la société Orange. Elle fait valoir, à cet égard, que les informations à communiquer en application de l'article 2 de la décision attaquée sont substantiellement moins précises et moins détaillées que celles qui peuvent être demandées aux opérateurs sur la base des décisions des 22 décembre 2009 et 14 septembre 2010. Elle ajoute que la société Orange ne fait pas la démonstration concrète des conséquences que cette communication emporterait sur l'équilibre concurrentiel ou de l'atteinte qui serait porté à un secret ou un intérêt protégé. Sur le dernier point, elle conteste l'affirmation de la société Orange selon laquelle la société Free pourrait connaître les données et les coûts relatifs à ses relations avec ses sous-traitants ; elle soutient, à l'inverse, qu'il sera impossible à la société Free de déduire de telles informations des données qui lui seront communiquées en application de l'article 2 de la décision attaquée.
164.La cour a relevé, plus haut, qu'à l'inverse des données que tout opérateur doit tenir à la disposition de l'X pour les besoins de sa mission de contrôle tarifaire, les informations que la société Orange doit communiquer annuellement à la société Free en application de la décision attaquée se caractérisent par leur très fort degré d'agrégation, tant géographique que par postes de dépenses, de sorte qu'elles ne représentent que six valeurs et, à partir de 2021, neuf valeurs.
165.En ce qui concerne les coûts d'exploitation, ainsi que l'X l'a relevé dans la décision attaquée, les informations à communiquer ne dévoilent pas, compte tenu de leur haut degré d'agrégation, d'informations sur la stratégie de déploiement de lignes FttH de la société Orange, ni d'éléments sur son niveau d'activité, sa stratégie financière, industrielle ou commerciale.
166.En ce qui concerne les coûts d'investissement, les informations à communiquer ne portent que sur leur montant global, totalement agrégé, sur chacun des trois segments du réseau de lignes FttH, sans que soit exigé aucun autre détail sur les détails de ces coûts tenant, par exemple, aux coûts de chacun des équipements, aux coûts de main d'oeuvre, aux coûts de réalisation de chacun élément d'infrastructure ou aux coûts des études.
167.La société Orange ne peut donc valablement soutenir que l'obligation qui lui est imposée de transmettre ces informations à la société Free porterait atteinte au secret des affaires.
168.À cet égard, elle n'apporte pas d'élément probant à l'appui de son affirmation selon laquelle ces informations permettraient à la société Free de connaître les coûts et conditions dans lesquelles elle fait appel à la sous-traitance. À l'inverse, ainsi que l'observe l'X, par leur caractère fortement agrégé, les données relatives aux dépenses d'exploitation et de maintenance, qui portent sur l'ensemble de la zone AMII, ne permettent nullement d'en déduire les coûts de sous-traitance qui en sont une composante, faute de connaître la proportion dans laquelle il y est fait appel, ni de connaître les conditions individuelles négociées entre la société Orange et ses sous-traitants.
169.Dès lors, et contrairement à ce que prétend la société Orange, force est de constater que la décision attaquée n'instaure pas une transparence généralisée et, pour cette raison, n'est en rien susceptible de porter atteinte à l'équilibre concurrentiel du marché ou d'emporter un effet restrictif de concurrence.
170.Enfin, c'est en vain que la société Orange soutient que le Conseil d'État aurait jugé que ses coûts, en tant qu'opérateur, seraient couverts par le secret des affaires et, en conséquence, ne pourraient être transmis à un tiers. En effet, dans l'arrêt qu'elle invoque, le Conseil d'État a approuvé le tribunal administratif de Paris d'avoir jugé qu'étaient protégés par le secret industriel et commercial des documents « relatifs au détail des coûts » permettant à l'opérateur de déterminer les prix de ses offres de gros (C. E., 21 avril 2017, Sté FM Projet, n° 394606), alors que, précisément, les informations à communiquer dans la présente affaire n'ont, comme la cour l'a établi, aucun caractère détaillé.
171.Le moyen de la société Orange est donc rejeté, ainsi, en conséquence, que son recours.
III. SUR LES DÉPENS ET LA DEMANDE DE CONDAMNATION AU TITRE DE L'ARTICLE 700 DU CODE DE PROCÉDURE CIVILE
172.L'équité ne commande pas de faire application de l'article 700 du code de procédure civile.
173.La société Orange, qui succombe, est condamnée aux dépens.
PAR CES MOTIFS
REJETTE le recours formé par la société Orange contre la décision de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes n° 2018-0569- RDPI du 17 mai 2018 se prononçant sur une demande de règlement de différend opposant la société Free et la société Orange ;
REJETTE les demandes de condamnation au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE la société Orange aux dépens de l'instance.