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Décisions

Cass. crim., 16 juin 2015, n° 14-87.878

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Guérin

Rapporteur :

M. Bellenger

Avocat général :

M. Cordier

Avocat :

SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel

ch. instr. Poitiers, du 4 nov. 2014

4 novembre 2014

Vu l'ordonnance du président de la chambre criminelle, en date du 30 mars 2015, prescrivant l'examen immédiat du pourvoi ;

Vu le mémoire produit ;

Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 5 et 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, préliminaire, 62-2, 63-1, 174, 803, 591 à 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale et violation de la loi ;

" en ce que l'arrêt n'a que partiellement fait droit à la requête en nullité, n'ordonnant que la cancellation partielle du procès-verbal d'audition de garde à vue et d'interrogatoire de première comparution et rejetant l'annulation intégrale de ces procès-verbaux ;

" aux motifs qu'au cours de sa déposition initiale retranscrite sur procès-verbal daté du 21 novembre 2013, Mme Carine Y...a accusé son conjoint d'avoir notamment commis des actes qu'elle a qualifiés de " sodomies forcées ", de " viol filmé ", de rapports sexuels tolérés et non voulus ; que ces faits ont été relatés dans un contexte de conflit conjugal ; que leur dénonciation n'était étayée par aucun commencement de preuve objectif, contrairement aux faits de violences qui auraient été en partie commis en présence d'une enfant du couple et aux faits de menaces qui auraient notamment été commis à l'aide d'un appareil téléphonique, qu'au regard de leur gravité il ne saurait être reproché aux enquêteurs d'avoir sursis à leur notification et à l'enregistrement des interrogatoires dans l'attente de l'obtention d'un commencement de preuve ; que lors de ses interrogatoires de garde à vue, M. X...a nié avoir contraint son épouse à subir des actes de pénétration sexuelle, qu'au cours du premier de ces interrogatoires qui s'est déroulé de 8 heures 35 à 11 heures ; qu'il a toutefois reconnu qu'il avait une fois renoncé à poursuivre un acte de sodomie après avoir constaté qu'elle poussait des petits cris et surtout qu'elle pleurait, que cet aveu d'un début de pénétration anale confortait les accusations formulées par la plaignante et imposait qu'une mesure de placement en garde à vue supplétive soit immédiatement notifiée au gardé à vue afin qu'il bénéficie de la plénitude de ses droits et soit en mesure d'effectuer un choix éclairé sur les modalités de leur exercice ; que cette nécessité paraît avoir été justement perçue par le procureur de la République ; qu'il est en effet mentionné en page 3 du procès-verbal de déroulement de la garde à vue : " Le 6 décembre 2013 à 12 heures, nous avisons le magistrat de permanence en la personne de Mme Ahras Soraya. Il nous est donné comme instruction de basculer la garde à vue en audition-filmée " ; que tous les interrogatoires réalisés à compter du 6 décembre 2013 à 12 heures l'ont été en violation des dispositions de l'alinéa 3, de l'article 6, de la Convention européenne des droits de l'homme et de l'article 63-1 du code de procédure pénale ; qu'ils sont entachés de nullité ; que la partie du procès-verbal d'interrogatoire coté D15 commençant en page 5 par la phrase : " le 6 décembre 2013 à 15 heures, entendons de nouveau M. X...Philippe en audition filmée qui nous déclare ", se terminant en page 11 par la phrase : " réponse : des fois, il est arrivé que ce soit sur elle, mais je ne pense pas dans le film " sera cancellée ; que la partie du procès-verbal viciée n'est pas le seul support de la mise en examen de M. X...; que la seule référence faite par le juge d'instruction à une partie du procès-verbal d'interrogatoire frappé de nullité est contenue dans une question retranscrite en page 4 du procès-verbal de première comparution sous la forme : " vous avez reconnu lui avoir adressé des messages plutôt menaçants " ; que l'ensemble de la question et la réponse apportée par M. X...seront cancellées ; qu'il s'agit du texte commençant par : " le juge à la personne : la plupart de ses propos sont confirmés par vos déclarations, en ce que par exemple : ... ", se terminant par : " elle était d'accord, même pour le dernier film " » ; qu'aucune autre pièce de procédure n'est entachée de nullité ou ne procède des pièces entachées de nullité ;

" 1°) alors que la personne placée en garde à vue est immédiatement informée par un officier de police judiciaire ou, sous le contrôle de celui-ci, par un agent de police judiciaire, dans une langue qu'elle comprend, le cas échéant au moyen de formulaires écrits de la nature et de la date présumée de l'infraction qu'elle est soupçonnée d'avoir commise ou tenté de commettre ; qu'en retenant qu'il ne saurait, être reproché aux enquêteurs d'avoir sursis à la notification du chef de viol et à l'enregistrement des interrogatoires dans l'attente de l'obtention d'un commencement de preuve tandis que la notification de la qualification de viol découlait de l'existence de simples raisons plausibles de soupçonner qu'elle a commis ou tenté de commettre un crime ou un délit puni d'une peine d'emprisonnement, la chambre de l'instruction a méconnu les articles 5, § 2, de la Convention européenne des droits de l'homme, 62-2 et 63-1 du code de procédure pénale ;

" 2°) alors que, lorsqu'une irrégularité constitue une cause de nullité de la procédure, doivent être annulés les actes affectés par cette irrégularité et ceux dont ils sont le support nécessaire ; qu'en se bornant à canceller les interrogatoires réalisés à compter du 6 décembre 2013 à 12 heures et la partie du procès-verbal d'interrogatoire coté D15 commençant en page 5 par la phrase : " le 6 décembre 2013 à 15 heures, entendons de nouveau M. X...Philippe en audition filmée qui nous déclare ", se terminant en page 11 par la phrase : " réponse : des fois, il est arrivé que ce soit sur elle, mais je ne pense pas dans le film ", la chambre de l'instruction a méconnu la portée légale de ses constatations en méconnaissance des articles 174 et 802 du code de procédure pénale ; "

Vu l'article 63-1 du code de procédure pénale dans sa rédaction alors en vigueur ;

Attendu que, selon ce texte, la personne placée en garde à vue est immédiatement informée de la nature et de la date présumée de l'infraction qu'elle est soupçonnée d'avoir commise ou tenté de commettre ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure que, suite à des mains-courantes et à la plainte de son épouse pour des violences, menaces et viols, M. X...a été placé en garde à vue pour violence habituelles sur conjoint et menaces de mort aggravées ; qu'il a renoncé à l'assistance d'un avocat ; qu'à l'issue d'une première audition, ses déclarations ultérieures ont été enregistrées sur instruction du parquet sans qu'il lui ait été notifié une mesure de garde à vue pour les faits de viols aggravés ; que, mis en examen pour l'ensemble des chefs susvisés, M. X...a présenté une requête en annulation de la procédure aux motifs qu'il n'avait pas été immédiatement informé des faits de nature criminelle dénoncés dans la plainte ;

Attendu que, pour rejeter cette requête, l'arrêt énonce qu'après une première audition qui confortait les accusations de viol de la plaignante jusqu'alors non étayées, les déclarations ultérieures effectuées sans une nouvelle notification de la garde à vue pour viol sont entachées de nullité et que la partie du procès-verbal viciée n'est pas le seul support de la mise en examen de M. X...; qu'il y a lieu de canceller, dans cet interrogatoire, la seule question faisant référence à l'audition en garde à vue annulée et la réponse apportée par M. X...à cette question ;
Mais attendu qu'en statuant ainsi, alors qu'il existait, dès le début de la garde à vue, une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner que la personne faisant l'objet de cette mesure avait également commis un viol ou tenté de le commettre, et que le défaut d'information de cette infraction a porté atteinte aux intérêts de la personne concernée, la chambre de l'instruction a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé ;

D'où il suit que la cassation est encourue ;

Par ces motifs :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Poitiers, en date du 4 novembre 2014, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi,

RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Bordeaux à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil.