Cass. ass. plén., 15 avril 2011, n° 10-17.049
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Lamanda
Rapporteur :
Mme Bardy
Avocat général :
Mme Petit
Avocats :
Me Bouthors, SCP Masse-Dessen et Thouvenin
Attendu que les Etats adhérents à cette Convention sont tenus de respecter les décisions de la Cour européenne des droits de l'homme, sans attendre d'être attaqués devant elle ni d'avoir modifié leur législation ; que, pour que le droit à un procès équitable consacré par l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales soit effectif et concret, il faut, en règle générale, que la personne placée en garde à vue puisse bénéficier de l'assistance d'un avocat dès le début de la mesure et pendant ses interrogatoires ;
Attendu, selon l'ordonnance attaquée rendue par le premier président d'une cour d'appel et les pièces de la procédure, que Mme X..., de nationalité comorienne en situation irrégulière en France, a été placée en garde à vue le 1er mars 2010 à compter de 11 heures 30 ; qu'elle a demandé à s'entretenir avec un avocat dès le début de la mesure ; qu'elle a été entendue par les fonctionnaires de police de 12 heures 30 à 13 heures 15 ; qu'elle s'est entretenue avec un avocat de 14 heures 10 à 14 heures 30 ; que le préfet du Rhône lui a notifié un arrêté de reconduite à la frontière et une décision de placement en rétention le même jour à 15 heures 30 ; qu'il a saisi un juge des libertés et de la détention d'une demande de prolongation de la rétention pour une durée maximale de 15 jours à compter du 3 mars 2010 à 15 heures 30 ; qu'ayant interjeté appel de l'ordonnance du juge des libertés et de la détention qui avait accueilli la demande, Mme X....a soutenu qu'elle n'avait pas bénéficié de l'assistance d'un avocat dès le début de la garde à vue et durant son interrogatoire par les fonctionnaires de police ;
Attendu que pour prolonger la rétention, l'ordonnance retient que les arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme ne lient que les Etats directement concernés par les recours sur lesquels elle statue, que ceux invoqués par l'appelante ne concernent pas l'Etat français, que la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales n'impose pas que toute personne interpellée ne puisse être entendue qu'en présence de son avocat et que la garde à vue, menée conformément aux dispositions actuelles du code de procédure pénale, ne saurait être déclarée irrégulière ;
Qu'en statuant ainsi alors que Mme X.... n'avait eu accès à un avocat qu'après son interrogatoire, le premier président a violé les textes susvisés ;
Vu l'article L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire ;
Et attendu que les délais légaux de rétention étant expirés, il ne reste plus rien à juger ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs ;
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'ordonnance rendue, entre les parties, le 5 mars 2010 par le premier président de la cour d'appel de Lyon ;
Dit n'y avoir lieu à renvoi ;
Laisse les dépens à la charge du Trésor public ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de Mme X... ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'ordonnance cassée ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, siégeant en assemblée plénière, et prononcé par le premier président en son audience publique du quinze avril deux mille onze.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt.
Moyen produit par Me Bouthors, avocat aux Conseils, pour Mme X....
Le moyen reproche à l'ordonnance confirmative attaquée d'avoir validé la procédure, en considérant réguliers tant le contrôle d'identité, que la garde à vue et le maintien en rétention administrative de la requérante ;
aux motifs qu'il résulte de la procédure que Madame X... a été placée en rétention administrative le 1er mars 2010 à 15h30 ; que le juge des libertés et de la détention du Tribunal de grande instance de Lyon a prolongé cette mesure pour une durée de 15 jours par ordonnance du 3 mars 2010 ; que les arrêts de la Cour européenne des droits de l'Homme ne lient que les Etats directement visés par le recours et qu'en l'espèce la requérante invoque des arrêts concernant la Turquie et non la France; qu'en l'état la Convention européenne des droits de l'Homme n'impose pas que toute personne interpellée ne puisse être entendue qu'en présence de son avocat ; qu'en outre, en application de l'article 78-2 du Code de procédure pénale, X... était susceptible de fournir des renseignements utiles à l'enquête concernant Y...; que le contrôle d'identité est ainsi régulier ; qu'enfin, l'appelante a indiqué à l'audience entendre solliciter la reconnaissance de sa nationalité française, au motif qu'elle a été reconnue par son père de nationalité française ; qu'il en résulte qu'elle n'entend pas se soumettre à la mesure d'éloignement ;
1°) alors qu'aux termes de l'article 78-2 al.2 du Code de procédure pénale, des agents de police judiciaire agissant dans le cadre d'une enquête préliminaire sous le contrôle d'un officier de police judiciaire, peuvent inviter à justifier de son identité une personne à l'égard de laquelle existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu'elle est susceptible de fournir des renseignements utiles à l'enquête en cas de crime ou délit ; que ni l'ordonnance attaquée ni les pièces de la procédure ne circonstancient concrètement l'existence de pareil soupçon ; qu'en procédant abstraitement par voie de pure affirmation, la décision attaquée n'établit pas que les conditions de l'article 78-2 du Code de procédure pénale soient en l'espèce réunies, méconnaissant ainsi les exigences du texte précité ensemble l'article 66 de la Constitution ;
2°) alors qu'aux termes de l'article 6§1 de la Cour européenne des droits de l'Homme et au regard du principe général des droits de la défense, droit essentiel du procès équitable, l'effectivité d'un procès équitable exige, notamment, que la personne mise en garde à vue soit assistée d'un avocat dès son premier interrogatoire ; que la requérante n'a bénéficié de l'assistance d'un avocat qu'après son interrogatoire, de 14h10 à 14h30 ; que les exigences du procès équitable ne sont pas remplies ; que les arrêts de la Cour européenne des droits de l'Homme s'imposent aux pays adhérents ayant des dispositions législatives analogues à celles censurées ; qu'en se déterminant à la faveur d'une erreur sur la portée normative des textes précités, la Cour a commis une erreur de droit ;
3°) alors qu'aux termes de l'article L.552-4 CESEDA, l'assignation à résidence est subordonnée à deux conditions, d'une part la disposition par l'étranger de garanties de représentation effectives et, d'autre part, la remise au service de gendarmerie ou de police de documents d'identité ; qu'aucune de ces deux conditions n'a été envisagée par l'ordonnance attaquée, alors même, en particulier, que les garanties de représentation de la requérante étaient effectives ; qu'en se déterminant par un motif inopérant sur le souhait de la requérante de rester sur le territoire national entendu à tort comme manifestant une opposition à la mesure d'éloignement, l'ordonnance a derechef méconnu le texte susvisé.