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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5-7, 3 février 2011, n° 2010/24436

PARIS

Ordonnance

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

NC Numericable (SA), Numericable (SAS)

Défendeur :

France Télécom (SA), Arcep

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Tardif

Avocats :

Me Mortemard de Boisse, Me Limbour, Me Simonel

CA Paris n° 2010/24436

2 février 2011

Numéricable est un câblo-opérateur dont le réseau de câbles coaxiaux est déployé, à la fois, dans les infrastructures de génie civil (fourreaux, chambres, en particulier) qu'il possède et dans celles sur lesquelles il dispose de droits d'usage de longue durée (infrastructures appartenant notamment à France Télécom), aux termes de contrats de cession du réseau câblé qui ont conservé à France Télécom la propriété des infrastructures de génie civil au sein desquelles les réseaux câblés cédés sont déployés.

Numéricable utilise ces infrastructures pour, progressivement, remplacer le câble coaxial par de la fibre optique. France Télécom a élaboré une offre d'accès aux installations du génie civil pour les réseaux Fttx (dite GC Fttx), qui a connu plusieurs évolutions.

Numéricable n'y a pas souscrit et n'a pas souhaité se prêter à une modification des contrats de cession.

France Télécom a, le 7 juillet 2010, engagé une procédure de règlement de différend aux fins qu'il soit enjoint à la société NC Numéricable d'accepter, dans un délai d'un mois, une mise en conformité avec l'offre GC Ftxx.

Par sa décision n° 2010-1779 du 4 novembre 2010, l'ARCEP a :

(i) imposé que, dans le cadre des opérations de déploiement et de maintenance de réseaux en fibre optique, réalisées par les sociétés Numéricable SAS et NC Numéricable, en application des contrats de cession objet de la (...) saisine de la société France Télécom, des modalités opérationnelles d'accès aux infrastructures de génie civil prévues dans ces contrats relatifs :

- aux déclarations précédant toute intervention sur le génie civil de France Télécom,

- aux principes généraux des commandes,

- à la fourniture de la documentation préalable,

- à la phase d'études,

- à la commande d'accès,

- à la phase de travaux,

- aux prestations complémentaires pendant la phase étude et/ou la phase travaux, à l’exception de la prestation d'accompagnement pour accéder aux chambres sécurisées,

- à la maintenance,

[soient] mises en conformité avec les modalités opérationnelles prévues dans l’offre d’accès aux installations de génie civil de France Telecom pour les réseaux Fttx ;

(ii) fixé à deux mois à compter de sa notification le délai dans lequel la Décision devait être mise en application ;

(iii) rejeté le surplus des conclusions de France Télécom.

Par un recours auprès de la Cour d'appel de Paris, enregistré le 8 décembre 2010, Numéricable demande l'annulation de la Décision.

Numéricable a parallèlement saisi le Premier président de la Cour d'appel de Paris d'une demande de sursis à exécution de la Décision, déposée le 20 décembre 2010, le délai d'exécution de la Décision expirant le 8 janvier 2011.

La société France Telecom dénie les « conséquences excessives » invoquées par les sociétés NUMERICABLE et conclut au refus de surseoir à l'exécution de la Décision.

L'ARCEP et Monsieur le Procureur Général ont conclu.

LE DELEGUE DU PREMIER PRESIDENT

Attendu qu’il est énoncé par le deuxième alinéa de l'article L. 36-8-III du CPCE que le recours n'est pas suspensif ; que toutefois, le sursis à exécution de la décision peut être ordonné, si celle-ci est susceptible d'entraîner des conséquences manifestement excessives ou s'il est survenu, postérieurement à sa notification, des faits nouveaux d'une exceptionnelle gravité ;

Attendu que selon les explications données par les parties, dès 2009, il est apparu nécessaire pour France Télécom, gestionnaire des infrastructures de génie civil, de rationaliser les interventions de Numéricable dans son génie civil et d'assurer un partage équitable de cette ressource rare avec les autres opérateurs ;

Qu'il faut rappeler à ce sujet que France Telecom ne saurait entretenir ou consentir à quiconque un avantage sur un marché concurrentiel, sans encourir éventuellement une sanction de l'Autorité compétente ;

Que France Télécom a donc souhaité faire évoluer certaines des clauses contenues dans les Contrats de cession ; que Numéricable ne peut, à ce stade, critiquer que la méthode et les termes de cette renégociation, mais, sous toutes réserves de son argumentation future, pas le principe ;

Attendu que la Décision a fait droit, en partie, à cette demande en s'attachant à examiner son caractère nécessaire et proportionné au regard de la situation de Numéricable et des clauses des contrats de cession ;

Attendu que Numéricable n'allègue pas que des faits nouveaux d'une exceptionnelle gravité seraient survenus postérieurement à la Décision ;

Qu'elle invoque des conséquences manifestement excessives, qu'entraînerait la Décision ;

Attendu qu'après avoir critiqué le fond de la Décision, ce que la procédure de sursis ne lui permet pas en raison du principe d’exécution immédiate, les sociétés NUMERICABLE soutiennent notamment que la Décision de l'ARCEP ne peut pas être exécutée dans le délai imparti, car les modifications imposées sont profondes, elles exigent la mise en place de processus de développement et d'adaptation, de nouveaux outils de commande d'études et de travaux, que les efforts considérables fournis par les requérantes pour y procéder n'ont pas permis de satisfaire ; que les requérantes observent d'ailleurs que les délais habituellement accordés par l'ARCEP dans d'autres cas comparables sont sensiblement plus longs ; que par ailleurs, les sociétés NUMERICABLE affirment que l'exécution de la Décision aurait de graves conséquences sur la pérennité, les commandes étant bloquées pendant le délai d'adaptation et des pertes de chiffre d'affaires, des pertes d'exploitation et la perte de subvention étant dès à présent à déplorer, et jusqu'à ce que l'arrêt au fond soit rendu par la cour d'appel ;

Mais attendu que comme le fait observer l'ARCEP dans ses écritures devant le Premier président, une exécution sans délai n'était pas la demande de France Télécom et tel n'est pas l'objet de la Décision, dont les termes principaux ont été rappelés en tête des présentes ;

Qu'il appartenait à Numéricable de se rapprocher de France Telecom pour négocier un délai raisonnable de transition, ce qu'elle ne démontre pas avoir fait ;

Que loin de prendre cette précaution, NUMERICABLE a forcé France Télécom à saisir l'ARCEP, a saisi elle-même la Cour plus d'un mois après la décision et a saisi le Premier président quelques jours avant Noël ;

Attendu, sur les effets de la Décision, que Numéricable ne peut démontrer que la modification contractuelle imposée par la Décision aura des conséquences négatives irréversibles sur sa situation ;

Que la signature et l'exécution d'avenants ne sont certes pas des dispositions de moyen et long terme et laisseraient à une éventuelle annulation de la Décision une large potentialité d'effets concrets ;

Que l'allégation complémentaire de Numéricable selon laquelle il ne peut exécuter la Décision sans la fourniture par France Télécom des plans du déploiement des réseaux cédés dans son génie civil, ne relève pas de la procédure du sursis à exécution, dont le champ est strictement limité par la notion de « circonstances exceptionnelles » ;

Que de même, les adaptations, humaines et matérielles, que Numéricable devra mettre en oeuvre en son sein, ne relèvent pas de circonstances exceptionnelles ou irréversibles mais constituent au contraire la conséquence la plus ordinaire d'une modification contractuelle dans une immédiateté qu'a voulue le législateur ;

Qu'enfin, lorsque Numéricable allègue la prétendue perte de chiffre d'affaires pour un montant de 82 millions d'euros, non seulement elle ne le démontre pas, mais en outre elle ne dit pas en quoi l'action en réparation dont elle disposerait en cas d’annulation de la Décision, ne suffirait pas à redresser efficacement la situation née de l'exécution immédiate ;

PAR CES MOTIFS

Rejette la demande de Numéricable tendant à ce que soit ordonné le sursis à exécution de la décision de l'ARCEP n° 2010-1179 en date du 4 novembre 2010.