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Décisions

Cass. com., 22 mars 2023, n° 21-22.741

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Africa Food Distribution (Sté)

Défendeur :

Pierson Export (SA), Hoogwegt International BV (Sté), BGFIBank Europe (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Vigneau

Rapporteur :

Mme Bellino

Avocats :

SCP L. Poulet-Odent, SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés

T. com. Paris, du 8 juill. 2019

8 juillet 2019

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris 19 mai 2021), le 26 avril 2013, la société Africa Food Distribution (la société AFD), qui a pour activité la distribution de produits alimentaires au Cameroun, a signé un accord tripartite avec la société Hoogwegt International BV (la société Hoogwegt), spécialisée dans le négoce de produits laitiers, et la société Pierson Export (la société Pierson), négociant opérant en Afrique, également distributeur de la société Hoogwegt, aux termes duquel cette dernière a consenti à la société AFD, sur le territoire du Cameroun, une exclusivité de distribution du lait en poudre de marque LP acheté par elle auprès de la coopérative irlandaise TMC qui le produit, la société AFD s'engageant sur un quota d'achat mensuel de 75 mt.

2. Le contrat a été tacitement renouvelé pour l'année 2014. Le 2 janvier 2015, un nouveau contrat a été signé par les parties avec une augmentation du quota d'achat à 78 mt par mois.

3. A compter de l'été 2014, les ventes de lait de marque LP par la société AFD ont décliné et celle-ci s'est plainte que des concurrents proposaient également ce produit au Cameroun.

4. Le 9 décembre 2015, la société Hoogwegt a informé la société AFD que le contrat tripartite ne serait pas renouvelé.

5. La société AFD a assigné la société Pierson en paiement de dommages et intérêts pour violation de son engagement d'exclusivité et rupture brutale de la relation commerciale. La société Pierson a assigné en intervention forcée la société Hoogwegt.

Examen des moyens

Sur les premier et quatrième moyens, ci-après annexés

6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le deuxième moyen

Enoncé du moyen

7. La société AFD fait grief à l'arrêt de confirmer le jugement en ce qu'il a rejeté sa demande de condamnation solidaire des sociétés Pierson et Hoogwegt à lui payer la somme de 273 189 euros en réparation de son préjudice lié à la rupture brutale des relations établies, alors :

« 1°/ que le caractère établi d'une relation commerciale est révélé par sa régularité, son caractère significatif et sa stabilité ; que la non réalisation des objectifs fixés au contrat n'est pas de nature à caractériser un manquement suffisamment grave justifiant la rupture sans préavis de la relation commerciale ; que, dès lors, la prévision d'une clause d'objectif n'est pas de nature à remettre en cause le caractère établi d'une relation commerciale ; qu'en l'espèce, pour considérer que la relation commerciale liant les sociétés Pierson, Hoogwegt et AFD n'était pas établie, la cour d'appel a relevé qu'une clause prévoyait une discussion sur la manière de continuer le contrat après le terme stipulé et autorisait la société Hoogwegt à y mettre fin à l'échéance, rendant expressément responsable la société AFD du respect des objectifs, hors le cas de force majeure ; que la cour a ensuite retenu que, la société AFD n'ayant pas atteint ses objectifs pour l'année 2015, elle "ne pouvait légitimement croire que le contrat serait reconduit pour 2016" ; qu'en statuant ainsi, cependant que la fixation d'objectifs à la charge de la société AFD n'était pas de nature à déterminer l'absence de caractère établi de la relation commerciale liant les sociétés Hoogwegt, Pierson et AFD depuis plusieurs années, ni de permettre à la société Hoogwegt de rompre la relation commerciale sans accorder à la société AFD un délai de préavis suffisant, la cour d'appel a violé l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce, dans sa version antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019 ;

2°/ que le caractère établi d'une relation commerciale est révélé par sa régularité, son caractère significatif et sa stabilité ; que l'exclusivité ou l'existence d'une relation de dépendance sont autant d'éléments permettant de déterminer le caractère établi de la relation commerciale ; qu'en déniant le caractère établi de la relation commerciale liant les sociétés Hoogwegt, Pierson et AFD parce que la clause de rendement prévue au contrat rendait précaire la relation contractuelle, de sorte que la société AFD, qui n'avait pas respecté ses objectifs pour l'année 2015, "ne pouvait légitimement croire que le contrat serait reconduit pour 2016", après avoir pourtant relevé que le contrat de distribution prévoyait que la société Hoogwegt donnait l'exclusivité à la société AFD, via la société Pierson, de la marque LP, et que la société AFD s'engageait en contrepartie à l'atteinte d'objectifs d'approvisionnement, lesquelles exclusivité et clause d'objectifs étaient de nature à déterminer le caractère établi de la relation commerciale, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, en violation de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce, dans sa version antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019. »

Réponse de la Cour

8. Après avoir relevé, par motifs propres et adoptés, que les deux contrats de distribution comportaient un objectif annuel et stipulaient, d'une part, que la réalisation de cet objectif s'entendait hors cas de force majeure, d'autre part, que « chaque 6 mois Hoogwegt International, African Food et Pierson Export vont évaluer les réalisations/objectifs et discuter comment on va continuer » ou « comment et où on va continuer », l'arrêt retient que si les contrats prévoient une discussion sur la manière de les « continuer » après le terme stipulé, ils autorisent la société Hoogwegt à y mettre fin à l'échéance et rendent expressément responsable la société AFD du respect des objectifs, hors le cas de force majeure. Il ajoute que le premier contrat du 16 avril 2013 avait une durée de 6 mois, qu'il était renouvelable selon les réalisations par rapport aux objectifs fixés et qu'il a ainsi été tacitement renouvelé pour l'année 2014, que le second contrat du 2 janvier 2015, également d'une durée déterminée de six mois, sans tacite reconduction, fixait un nouvel objectif d'achat porté de 75 mt à 78 mt par mois qui engageait la société AFD. Il relève que celle-ci ne conteste pas ne pas avoir atteint cet objectif pour 2015, que la société Hoogwegt explique, sans être valablement contredite, que les quantités achetées en 2015 n'ont été que de 308 mt, ce qui est éloigné de l'objectif contractuel et qu'une durée contractuelle de 6 mois conditionnée par un objectif de volume mensuel témoigne que les parties placent leur relation contractuelle dans un cadre précaire. L'arrêt estime que la preuve n'est pas rapportée que les sociétés Pierson et Hoogwegt aient entretenu la société AFD dans la croyance que le contrat serait renouvelé pour 2016 et retient qu'elles ne sauraient être responsables des investissements publicitaires allégués par la société AFD.

9. En l'état de ces constatations et appréciations, la cour d'appel, qui ne s'est pas fondée sur la seule présence d'une clause d'objectifs pour écarter le caractère établi de la relation commerciale, mais également sur la durée des contrats et sur la clause conditionnant la poursuite du contrat à un examen semestriel des ventes réalisées, a pu retenir, sans méconnaître les conséquences légales de ses constatations sur l'exclusivité temporaire accordée à la société AFD, que celle-ci n'avait pu légitimement croire que le contrat serait reconduit et qu'elle n'entretenait pas avec les sociétés Hoogwegt et Pierson une relation commerciale établie.

10. Le moyen, qui manque en fait dans sa première branche, n'est donc pas fondé pour le surplus.

Sur le troisième moyen

Enoncé du moyen

11. La société AFD fait grief à l'arrêt de réformer le jugement en ce qu'il a condamné la société Pierson à lui payer une indemnité de 50 000 euros au titre d'un manquement à l'obligation de bonne foi dans l'exécution du contrat signé le 28 avril 2013 et de rejeter toute demande dirigée contre la société Pierson sur ce point, alors :

« 1°/ que les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi ; qu'au titre de son obligation de bonne foi, toute partie à un contrat doit délivrer à son cocontractant, tenu dans l'ignorance, toute information qu'il sait pertinente ; que, pour débouter la société AFD de sa demande à l'encontre de la société Pierson au titre d'un manquement à son obligation de bonne foi contractuelle dans l'exécution du contrat, la cour d'appel a retenu que l'existence de flux de marchandises en cours de livraison et se rapportant à des ventes antérieures à la période d'exclusivité était prévisible pour la société AFD, de sorte que la société Pierson ne devait pas l'en informer ; qu'en statuant ainsi, cependant que la prévisibilité de l'existence de flux de marchandises en cours de livraison ne déchargeait pas la société Pierson de son obligation d'en informer la société AFD, la cour d'appel a violé l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ;

2°/ que les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi ; qu'au titre de son obligation de bonne foi, toute partie à un contrat doit délivrer à son cocontractant, tenu dans l'ignorance, toute information qu'il sait pertinente ; qu'en retenant, pour débouter la société AFD de sa demande à l'encontre de la société Pierson au titre d'un manquement à son obligation de bonne foi contractuelle dans l'exécution du contrat, que l'existence de flux de marchandises en cours de livraison et se rapportant à des ventes antérieures à la période d'exclusivité était prévisible pour la société AFD, de sorte que la société Pierson ne devait pas l'en informer, quand la clause d'exclusivité stipulée au sein du contrat de distribution du 26 avril 2013 avait pour objet d'empêcher la société AFD de subir la concurrence d'autres distributeurs approvisionnés en lait de marque LP par les sociétés Hoogwegt et Pierson et, de ce fait, rendait légitime son ignorance sur l'existence de contrats d'approvisionnement passés avec ses concurrents juste avant la conclusion du contrat de distribution du 26 avril 2013 et exécutés au cours de la période couverte par la garantie d'exclusivité, la cour d'appel a violé l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016. »

Réponse de la Cour

12. Ayant relevé que la société AFD avait pour activité la distribution de produits alimentaires au Cameroun, l'arrêt retient qu'il est établi que le lait de marque LP était distribué sur le marché camerounais par la société Pierson, négociant opérant en Afrique, avant que la société AFD ne se fasse consentir le premier contrat d'exclusivité litigieux, que les livraisons intervenues en juillet 2013 correspondaient à des contrats de vente conclus par la société Pierson antérieurement à la date d'application du contrat de distribution et que l'existence de flux de marchandises en cours de livraison et se rapportant à des ventes antérieures à la période d'exclusivité était donc prévisible pour la société AFD.

13. En l'état de ces constatations et appréciations, dont il résulte que la société AFD ne pouvait légitimement ignorer l'existence de ventes antérieures encore en cours de livraison au jour de la conclusion du contrat de distribution, l'exposant à la concurrence d'autres distributeurs au début de la période d'exclusivité consentie, la cour d'appel a pu retenir que la société Pierson n'avait pas manqué à son obligation d'information.

14. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.