Décisions

Cass. com., 22 mars 2023, n° 21-24.974

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

PARTIES

Demandeur :

Domino missions BTP

Défendeur :

Concept intérim

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Vigneau

Rapporteur :

Mme Bellino

Avocats :

SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret

Lyon, 3e ch. civ. A, du 14 oct. 2021

14 octobre 2021

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Lyon, 14 octobre 2021), la société Domino missions [Localité 4] BTP (la société Domino), spécialisée dans le travail temporaire dans le secteur du bâtiment et des travaux publics, employait dans son agence Liberté située à Lyon, M. [J] comme responsable du département bâtiment/second oeuvre et M. [X] comme attaché commercial et de recrutement, respectivement depuis les 3 janvier 2012 et 25 septembre 2014, leur contrat de travail contenant une clause de loyauté et une clause de non-concurrence.

2. Le 10 juin 2016, MM. [J] et [X] ont informé la société Domino qu'ils sollicitaient une rupture conventionnelle de leur contrat de travail, laquelle a été signée le 22 juin 2016 avec effet au 31 juillet 2016 pour M. [X], avec levée de la clause de non-concurrence post-contractuelle, et le 4 juillet 2016 avec effet au 31 août 2016 pour M. [J], avec maintien de cette clause.

3. La société Concept intérim, exploitant plusieurs agences de travail intérimaire, a créé une agence à [Localité 4], immatriculée le 9 août 2016, et embauché M. [X] en qualité de chargé d'affaires par contrat signé le 1er septembre 2016, et M. [J] en qualité de responsable d'agence par contrat signé le 5 septembre 2016.

4. Par lettres recommandées des 14 et 15 septembre 2016, se prévalant de la clause de non-concurrence inscrite dans son contrat de travail, la société Domino a respectivement mis en demeure M. [J] de cesser son activité au profit de la société Concept intérim, et cette dernière de cesser tout acte de concurrence déloyale à son encontre.

5. Puis, alléguant de faits de concurrence déloyale au motif que, depuis l'embauche de MM. [J] et [X], elle subissait un détournement coordonné et soudain de plusieurs anciens clients et intérimaires, après avoir obtenu l'autorisation de dresser un constat d'huissier de justice dans les locaux de la société Concept intérim, la société Domino a assigné cette dernière en paiement de dommages et intérêts.

Examen des moyens

Sur le second moyen, ci-après annexé

6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen, pris en sa première branche, en ce qu'il fait grief à l'arrêt de rejeter les demandes indemnitaires de la société Domino au titre de ses préjudices matériels, et en ses deuxième et troisième branches

Enoncé du moyen

7. La société Domino fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes indemnitaires au titre de ses préjudices matériels, alors :

« 1°/ qu'il s'infère nécessairement un préjudice, fût-il seulement moral, d'actes de concurrence déloyale, telle la participation fautive à la violation d'une clause de non-concurrence ; que la cour d'appel a constaté que la société Concept intérim avait commis un acte de concurrence déloyale au détriment de la société Domino en embauchant M. [J] bien que celui-ci fut lié par une clause de non-concurrence et en ne mettant pas fin à son embauche une fois avisée de cet engagement post-contractuel ; qu’en refusant cependant d’accorder la moindre indemnisation à ma société Domino au prétexte que le succès de l'action en concurrence déloyale est attaché à la démonstration d'un préjudice en lien causal avec la faute et que nul lien de causalité ne pouvait être trouvé entre ce fait unique de concurrence déloyale et un préjudice quelconque subi par la société Domino, la cour d'appel a violé l'article 1382, devenu 1240, du code civil ;

2°/ que commet une faute délictuelle celui qui, sciemment, recrute un salarié en pleine connaissance de l'obligation de non-concurrence souscrite par ce dernier au bénéfice de son ancien employeur, sans qu'il soit nécessaire d'établir à son encontre l'existence de manoeuvres déloyales ; qu'après avoir constaté que la société Concept intérim avait délibérément méconnu la clause de non-concurrence, la cour, pour exclure toute indemnisation, a retenu qu'il n'était pas démontré que la société Concept intérim avait démarché M. [J] en l'incitant à mettre un terme à son contrat de travail avec la société exposante pour le recruter le 5 septembre 2016, compromettant ainsi l'organisation de l'agence Liberté, et qu'il n'était pas reproché à M. [J] d'avoir détourné le fichier clients ; qu'en subordonnant ainsi la condamnation du tiers complice de la violation de la clause de non-concurrence à la preuve de l'existence de manoeuvres déloyales, la cour d'appel a violé l'article 1382 devenu 1240 du code civil ;

3°/ que le juge ne peut commettre de déni de justice ; qu'en refusant d'examiner la violation alléguée de l'obligation de loyauté pesant sur M. [J] et M. [X], et de rechercher si cette faute était en lien de causalité avec un ou plusieurs des préjudices allégués, la cour d'appel a violé l'article 4 du code civil. »

Réponse de la Cour

8. Après avoir relevé qu'il n'existait pas d'éléments tangibles et pertinents établissant que la société Concept intérim aurait commis des actes positifs pour détourner MM. [J] et [X] de leurs emplois en les incitant à solliciter la rupture conventionnelle de leurs contrats de travail, et, par des motifs vainement critiqués par le second moyen, qu'il n'était pas davantage démontré que la société Concept intérim aurait capté des données sur la clientèle de la société Domino par le biais de M. [X], afin de la détourner à son profit, l'arrêt retient que la société Concept intérim a commis un seul acte de concurrence déloyale, consistant à embaucher M. [J] sans vérifier s'il était tenu par une clause de non-concurrence et à ne pas mettre fin à son embauche, une fois avisée de l'engagement de non-concurrence figurant dans son contrat de travail. L'arrêt ajoute que, pour autant, aucun lien de causalité ne peut être trouvé entre ce fait de concurrence déloyale rattaché au seul salarié M. [J] et les préjudices économiques allégués, consistant en une perte de marge brute, et en un préjudice de réorganisation de l'agence Liberté, ni avec le coût des constats, ces frais d'huissier de justice devant rester à la charge de la société Domino, dès lors que les griefs de concurrence déloyale sont pour la plupart non fondés et que le seul fait de concurrence déloyale établi est sans incidence sur sa situation économique. Il retient également que le préjudice d'actualisation ne peut pas être accueilli pour les mêmes motifs.

9. En cet état, la cour d‘appel, qui n'a pas commis de déni de justice, dès lors qu'elle n'avait pas à examiner la violation alléguée de leur obligation contractuelle de loyauté par MM. [J] et [X], que ses constatations rendaient inopérante, a pu retenir, abstraction faite des motifs surabondants critiqués par la deuxième branche, que le lien de causalité entre la seule faute retenue et les préjudices matériels invoqués n'était pas établi.

10. Le moyen, inopérant en ses deuxième et troisième branches, n'est donc pas fondé pour le surplus.

Mais sur le premier moyen, pris en sa première branche, en ce qu'il fait grief à l'arrêt de rejeter les demandes indemnitaires de la société Domino au titre de son préjudice moral

Enoncé du moyen

11. La société Domino fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande indemnitaire au titre de son préjudice moral et de la condamner à verser à la société Concept intérim la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, alors « qu'il s'infère nécessairement un préjudice, fût-il seulement moral, d'actes de concurrence déloyale, telle la participation fautive à la violation d'une clause de non-concurrence ; que la cour d'appel a constaté que la société Concept intérim avait commis un acte de concurrence déloyale au détriment de la société Domino en embauchant M. [J] bien que celui-ci fut lié par une clause de non-concurrence et en ne mettant pas fin à son embauche une fois avisée de cet engagement post-contractuel ; qu’en refusant cependant d’accorder la moindre indemnisation à la société Domino au prétexte que le succès de l'action en concurrence déloyale est attaché à la démonstration d'un préjudice en lien causal avec la faute et que nul lien de causalité ne pouvait être trouvé entre ce fait unique de concurrence déloyale et un préjudice quelconque subi par la société Domino, la cour d'appel a violé l'article 1382, devenu 1240, du code civil ;

2°/ que commet une faute délictuelle celui qui, sciemment, recrute un salarié en pleine connaissance de l'obligation de non-concurrence souscrite par ce dernier au bénéfice de son ancien employeur, sans qu'il soit nécessaire d'établir à son encontre l'existence de manœuvres déloyales ; qu'après avoir constaté que la société Concept intérim avait délibérément méconnu la clause de non-concurrence, la cour, pour exclure toute indemnisation, a retenu qu'il n'était pas démontré que la société Concept intérim avait démarché M. [J] en l'incitant à mettre un terme à son contrat de travail avec la société exposante pour le recruter le 5 septembre 2016, compromettant ainsi l'organisation de l'agence Liberté, et qu'il n'était pas reproché à M. [J] d'avoir détourné le fichier clients ; qu'en subordonnant ainsi la condamnation du tiers complice de la violation de la clause de non-concurrence à la preuve de l'existence de manœuvres déloyales, la cour d'appel a violé l'article 1382 devenu 1240 du code civil ;

3°/ que le juge ne peut commettre de déni de justice ; qu'en refusant d'examiner la violation alléguée de l'obligation de loyauté pesant sur M. [J] et M. [X], et de rechercher si cette faute était en lien de causalité avec un ou plusieurs des préjudices allégués, la cour d'appel a violé l'article 4 du code civil. »

Réponse de la Cour

8. Après avoir relevé qu'il n'existait pas d'éléments tangibles et pertinents établissant que la société Concept intérim aurait commis des actes positifs pour détourner MM. [J] et [X] de leurs emplois en les incitant à solliciter la rupture conventionnelle de leurs contrats de travail, et, par des motifs vainement critiqués par le second moyen, qu'il n'était pas davantage démontré que la société Concept intérim aurait capté des données sur la clientèle de la société Domino par le biais de M. [X], afin de la détourner à son profit, l'arrêt retient que la société Concept intérim a commis un seul acte de concurrence déloyale, consistant à embaucher M. [J] sans vérifier s'il était tenu par une clause de non-concurrence et à ne pas mettre fin à son embauche, une fois avisée de l'engagement de non-concurrence figurant dans son contrat de travail. L'arrêt ajoute que, pour autant, aucun lien de causalité ne peut être trouvé entre ce fait de concurrence déloyale rattaché au seul salarié M. [J] et les préjudices économiques allégués, consistant en une perte de marge brute, et en un préjudice de réorganisation de l'agence Liberté, ni avec le coût des constats, ces frais d'huissier de justice devant rester à la charge de la société Domino, dès lors que les griefs de concurrence déloyale sont pour la plupart non fondés et que le seul fait de concurrence déloyale établi est sans incidence sur sa situation économique. Il retient également que le préjudice d'actualisation ne peut pas être accueilli pour les mêmes motifs.

9. En cet état, la cour d‘appel, qui n'a pas commis de déni de justice, dès lors qu'elle n'avait pas à examiner la violation alléguée de leur obligation contractuelle de loyauté par MM. [J] et [X], que ses constatations rendaient inopérante, a pu retenir, abstraction faite des motifs surabondants critiqués par la deuxième branche, que le lien de causalité entre la seule faute retenue et les préjudices matériels invoqués n'était pas établi.

10. Le moyen, inopérant en ses deuxième et troisième branches, n'est donc pas fondé pour le surplus.

Mais sur le premier moyen, pris en sa première branche, en ce qu'il fait grief à l'arrêt de rejeter les demandes indemnitaires de la société Domino au titre de son préjudice moral

Enoncé du moyen

11. La société Domino fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande indemnitaire au titre de son préjudice moral et de la condamner à verser à la société Concept intérim la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, alors « qu'il s'infère nécessairement un préjudice, fût-il seulement moral, d'actes de concurrence déloyale, telle la participation fautive à la violation d'une clause de non-concurrence ; que la cour d'appel a constaté que la société Concept intérim avait commis un acte de concurrence déloyale au détriment de la société Domino en embauchant M. [J] bien que celui-ci fut lié par une clause de non-concurrence et en ne mettant pas fin à son embauche une fois avisée de cet engagement post-contractuel ; qu’en refusant cependant d’accorder la moindre indemnisation à la société Domino au prétexte que le succès de l'action en concurrence déloyale est attaché à la démonstration d'un préjudice en lien causal avec la faute et que nul lien de causalité ne pouvait être trouvé entre ce fait unique de concurrence déloyale et un préjudice quelconque subi par la société Domino, la cour d'appel a violé l'article 1382, devenu 1240, du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1240 du code civil :

12. Un préjudice, fût-il seulement moral, s'infère nécessairement de la participation fautive à la violation d'une clause de non-concurrence.

13. Pour confirmer le jugement en ce qu'il a rejeté la demande de dommages et intérêts de la société Domino au titre d'un préjudice moral, l'arrêt retient que le préjudice moral, correspondant à l'atteinte à l'image de la société Domino et à la cohésion de ses équipes, n'est pas justifié par le moindre élément de preuve.

14. En statuant ainsi, alors qu'il s'inférait nécessairement de la participation de la société Concept intérim à la violation, par M. [J], de la clause de non-concurrence qu'il avait souscrite, un préjudice moral pour la société Domino, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce que, confirmant le jugement, il rejette la demande de dommages et intérêts de la société Domino missions [Localité 4] BTP au titre d'un préjudice moral et en ce qu'il statue sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 14 octobre 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon autrement composée ;

Condamne la société Concept intérim aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Concept intérim et la condamne à payer à la société Domino missions [Localité 4] BTP la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-deux mars deux mille vingt-trois.