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Décisions

CA Paris, 1re ch. H, 26 février 2008, n° 2007/14955

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Office France Marketing, Routex

Défendeur :

La Poste, Arcep

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Remenieras

Conseillers :

Mme Imbaud-Content, Mme Mouillard

Avocats :

Me Steva-Touzery, Me Calvet, Me Delannoy

CA Paris n° 2007/14955

25 février 2008

Pour préparer les envois postaux en masse (opérations de marketing direct, courriers de grandes entreprises ou d'organismes publics), La Poste a recours à des entreprises de routage qu'elle rémunère pour effectuer la mise sous pli, le tri et l’affranchissement.

C’est ainsi que l'exploitant public a confié à la société OFFICE FRANCE MARKETING (ci-après OFM) le tri, l'affranchissement, la préparation de liasses et la mise en sacs postaux de courriers de marketing direct, prestations que cette société effectue sur quatre sites situés dans la région toulousaine.

Dans ce cadre, les deux entreprises ont conclu.

- un contrat « produit POSTIMPACT » définissant les conditions de prise en charge par OFM des affranchissements et de leur paiement à La Poste,

- des contrats d'affranchissement ;

- un « contrat de préparation POSTIMPACT », défini dans son annexe I comme « le contrat signé entre La Poste et un déposant qui s'engage à déposer annuellement 30 millions de Post Impact Au tarif TS 3. La Poste achète les prestations effectuées et leur niveau de qualité, conformément aux critères définis (...) » ;

Ce contrat comprend une annexe, intitulée « charte du contrôle en entreprise » qui fixe les conditions dans lesquelles l'exploitant public vérifie le traitement du courrier par OFM.

L'article 3.1 de cette charte est ainsi rédigé :

« Le déposant s 'engage à fournir un local permettant à La Poste d'effectuer sa mission de contrôle. Ces locaux seront conformes aux règles d'hygiène et de sécurité en vigueur. L’utilisation de ces biens s 'effectuera à titre gratuit.

S'il s 'avérait que La Poste nécessite d 'autre locaux ou aménagements que ceux décrits aux présentes, elle devra en faire la demande au déposant qui pourra refuser s'il estime que ces biens ne sont pas indispensables à l’obligation qui incombe à La Poste. En cas de refus que La Poste estimerait non justifié, cette dernière serait alors en droit de résilier le présent accord dix jours après mise en demeure restée infructueuse, avec toutes les conséquences visées aux présentes ».

La charte comporte également un article 5.1, qui définit les caractéristiques de ces locaux.

L'article 8 de la convention stipule, par ailleurs, qu'en cas de non respect par OFM de l'une des obligations prévues par la charte, La Poste « se réserve le droit de ne pas opérer sa mission de contrôle avec toutes les conséquences directes que cela pourrait engendrer (notamment le refus d'accepter au départ le courrier non contrôlé), sans que sa responsabilité puisse être engagée ».

A partir du mois de mai 2006, les deux entreprises ont échangé une série de correspondances sur les conditions d'aménagement de ce local.

C'est ainsi que :

- par lettre du 19 mai 2006, La Poste, faisant suite à une réunion avec sa partenaire, lui a signalé qu'elle lui avait réclamé vainement, à plusieurs reprises, « une aire de stockage" permettant d'isoler le produit contrôlé avant son enlèvement puis, par courrier du 29 mai 2006, lui a demandé expressément de revenir sur son refus, cet aménagement étant « indispensable », en la priant de lui faire part de son accord avant le 1 er juillet 2006 ;

-  dans une lettre du 13 juin 2006, La Poste a renouvelé sa précédente demande, en lui rappelant, cette fois-ci, la clause de la charte lui réservant le droit de ne pas opérer ses missions de contrôle ;

-  aux termes d'un courrier du 23 juin 2006, OFM lui a alors répondu : « Nous allons faire le nécessaire pour que vous puissiez disposer d'un emplacement pour stocker les palettes contrôlées avant leur départ. Toutefois, nous tenons à vous signaler que, sans mauvaise volonté de notre part et en réaménageant notre aire de production, nous n'aurons pas beaucoup plus de place. (...) Selon les dispositions légales, nous ne pouvons pas non plus, comme cela a été suggéré lors d'une réunion, aménager le quai ou le parking » ;

- par lettre du 11 juillet 2006, La Poste a mis en demeure OFM d'installer dans un délai de 15 jours une zone sécurisée de stockage, en l'informant que son absence constitue un cas de non respect de ses obligations qui l'autoriserait alors à résilier la charte de plein droit et à procéder au retrait de ses locaux et à leur installation, à l'avenir, dans un autre établissement, en l'invitant, en conséquence, si elle souhaitait continuer à bénéficier de la rémunération prévue au contrat, à prendre contact avec elle ;

- par courrier du 20 juillet 2006, OFM lui a répondu qu'elle avait fait réaliser des devis mais que, compte tenu de la période, les entreprises concernées ne pourraient pas effectuer les travaux avant la rentrée et lui demandait, en conséquence, de maintenir la cellule postale dans ses locaux ;

- par lettre du 27 juillet 2006, La Poste a notifié à sa partenaire la « résiliation » de la charte en l'informant qu'elle allait quitter ses locaux le 31 juillet 2006.

Les deux entreprises ont toutefois poursuivi jusqu'au début de 2007 des discussions sur les propositions d'aménagement d'un local formulées ensuite par OFM.

C'est dans ces conditions que OFM a saisi I'ARCEP le 19 avril 2007 en lui demandant « d'intervenir auprès de La Poste pour qu'une solution visant à réintégrer la cellule postale de contrôle au sein de [ses] locaux puisse lui être imposée, si nécessaire de façon comminatoire, ce sans préjudice des dommages et intérêts qui pourront être réclamés en réparation du préjudice qui en découle pour la société OFM ».

OFM exposait que la position, abusive, de La Poste se fondait sur des stipulations contractuelles potestatives, de surcroît dans un contexte discriminatoire par rapport aux autres opérateurs concurrents et que cette situation lui causait un préjudice justifiant qu'il soit mis fin au différend dans les plus brefs délais.

Par décision no 2007 - 0635 du 19 juillet 2007, l'Autorité a décidé :

«Article 1 : La Poste devra proposer à la société OFM, dans un délai de six semaines à compter de la notification de la présente décision, un article 3-1 de I 'annexe 9 du contrat technique de préparation, comportant des conditions déterminées selon des règles objectives, conformément à I'alinéa 2 de I'article L. 2-1 du CPCE Article 2 : Le surplus des conclusions de la société OFM est rejeté ».

LA COUR

Vu le recours formé par la société OFM le 24 août 2007 par lequel cette société demande à la cour d'infirmer la décision de l'Autorité en ce qu'elle l'a déboutée de ses demandes tendant à déclarer non objectives les stipulations de l'article 5-1 de la charte de contrôle en entreprise et tendant à déclarer non fondée et discriminatoire la décision de déménagement de la cellule de contrôle intégrée de La Poste ;

Vu l'exposé complet des moyens du recours, déposé le 24 septembre 2007

Vu le mémoire en réponse, déposé le 15 novembre 2007, par lequel La Poste prie la cour:

- de déclarer irrecevable le recours de la société OFM •

- subsidiairement, de le rejeter

- de condamner OFM à lui verser une indemnité de 10 000 euros en application de I article 700 du nouveau Code de procédure civile

Vu les observations écrites de I'ARCEP, déposées le 6 décembre 2007

Vu le « mémoire de régularisation » déposé à l'audience du 9 janvier 2008 aux termes duquel la société ROUTEX, associée unique de OFM, informe la cour de la dissolution de cette société et de la transmission intégrale de son patrimoine à son profit et déclare en conséquence intervenir aux lieux et place de OFM et reprendre à son compte la procédure ;

Vu les observations écrites du ministère public, mises à la disposition des parties à l'audience et tendant au rejet du recours ;

Ouï à l'audience publique du 9 janvier 2008, en leurs observations orales, les conseils de la société OFM et de La Poste, qui ont été mis en mesure de répliquer, ainsi que celui de I'ARCEP et le ministère public en ses observations ;

SUR CE,

Sur la recevabilité du recours

Considérant que La Poste prétend que OFM n'ayant pas précisé si l'objet de son recours était la réformation ou l'annulation, ce recours, qui n'est dès lors pas conforme aux prescriptions de l'article L.5-6 du CPCE et de l'article R.11-3 du même code, est irrecevable

Mais considérant que la déclaration de recours de la société OFM visant, d'une part, une « infirmation » de la décision de l'Autorité en ce qu'elle l'a déboutée de certaines demandes et, d'autre part, « la confirmation de toutes ses autres dispositions », le recours dont la cour est saisie est nécessairement un recours en réformation,

Que, dès lors, le moyen sera rejeté ;

Sur le fond

Considérant que l'article L.5-4 du CPCE dispose :

« L 'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes peut être saisie par I'une ou par I'autre partie d 'un différend portant sur la conclusion ou I 'exécution des contrats dérogeant aux conditions générales de l'offre du service universel d'envoi de correspondances, lorsque ce différend est relatif aux règles mentionnées au deuxième alinéa de l’article L. 2-1. Elle se prononce dans un délai de quatre mois après avoir mis les parties à même de présenter leurs observations. » ;

Qu'aux termes de l'article L.2-1 du CPCE :

« Le prestataire du service universel peut conclure avec les expéditeurs d'envois de correspondance en nombre, les intermédiaires groupant les envois de correspondance de plusieurs clients ou les titulaires de l'autorisation prévue à l'article L. 3, des contrats dérogeant aux conditions générales de l’offre du service universel et incluant des tarifs spéciaux pour des services aux entreprises. Les tarifs tiennent compte des coûts évités par rapport aux conditions des services comprenant la totalité des prestations proposées.

Le prestataire détermine les tarifs et les conditions de ces prestations selon des règles objectives et non discriminatoires.

Ces contrats sont communiqués à l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes à sa demande ».

Considérant que la requérante soutient, en premier lieu, que c'est à tort que l’Autorité a décidé que l' article 5-1 de la charte présentait, au regard des critères définis par l'article L.2-l du CPCE , un caractère d'objectivité suffisant alors que, faute de définition des besoins et des exigences de La Poste pour réaliser "un exercice normal de ses activités de contrôle", qui peuvent ainsi varier d'un contractant à l'autre, cette clause comporte des dispositions laissées à l'appréciation subjective d'une partie,

Considérant que l'article 5.1 de la charte stipule :

« Les locaux et dépendances visés à I 'article 3.1 de l’article 3 ci-dessus doivent être situés au sein de l’entreprise faisant l’objet du contrôle. Ils doivent être salubres, en bon état d'entretien et comprendre un éclairage, une alimentation électrique et un chauffage suffisant.

La surface et l’implantation des locaux au sein de l’unité de production devront permettre à La Poste l’exercice normal de ses activités de contrôle et par conséquent être fixés d'un commun accord entre les parties.

Toute modification ultérieure de la surface et de l’implantation desdits locaux devra faire l’objet d'un accord exprès de La Poste. »

Considérant qu'ainsi que l'a rappelé l'Autorité lorsqu'elle a procédé à l'analyse de l'article 3-1 de la charte, dont elle a déclaré les stipulations non objectives, « la détermination des conditions d 'une prestation selon des règles objectives doit être regardée comme l’édiction, aux termes du contrat, de règles qui s 'imposent au co-contractant sans qu’elles fassent appel à une appréciation subjective de La Poste » ;

Que, concernant l'article 5-1 de la charte, c'est par des motifs pertinents, que la cour adopte, que l'Autorité a décidé que l'exigence de locaux présentant certaines caractéristiques précisément définies et dont la surface et l'implantation permettent à La Poste l'exercice normal par La Poste de ses activités de contrôle constitue une règle objective au sens de l'article L.2-1 du CPCE, car cette exigence n'implique pas le recours à une appréciation souveraine et subjective de La Poste et s'arrête strictement aux nécessités de l'exercice normal de ses activités de contrôle ;

Que la cour observe, d'une part, que la surface et l'implantation des locaux en question doivent, de toute façon, être fixés d'un commun accord entre les parties et, d'autre part, que le qualificatif « normal » qui est critiqué par la requérante, constitue pourtant un standard communément admis d'appréciation ;

Considérant que la requérante prétend, en deuxième lieu, que la décision de résiliation prise par l’exploitant public qui a conduit au déménagement du local de contrôle en application de l'article 3-1, clause déclarée non objective par l'Autorité, est irrégulière ;

Mais considérant que, nonobstant les termes employés par La Poste dans sa lettre du 27 juillet 2006, il ressort des correspondances échangées ultérieurement par les parties que La Poste qui, par courrier du 7 septembre 2006, avait précisé à sa partenaire que le déménagement devait être « provisoire » dans l'attente d'une aire de stockage sécurisée, n'a pas mis fin à leurs accords en application de l'article 3.1 de la charte et que les deux entreprises ont poursuivi leurs relations;

Qu'au surplus, l'Autorité a relevé avec pertinence qu'il n'existe pas de lien entre le caractère non objectif de cette clause et le déménagement critiqué, qui se rattache en effet à l'inexécution par OFM des stipulations de l'article 5.1 de la charte sur la mise à disposition d'un local de contrôle

Considérant que la requérante fait valoir, en troisième lieu, que les dysfonctionnements ayant conduit sa partenaire à procéder à ce déménagement ne sont pas démontrés,

Mais considérant que c'est par des appréciations pertinentes, que la cour fait siennes, que l'Autorité a constaté

- qu'au moment où La Poste a pris la décision de déplacer le local de contrôle, sa légitime demande concernant l'aménagement d'une « aire de stockage sécurisée » destinée à lui permettre, en exécution des accords conclus avec OFM, l'exercice normal de son activité de contrôle, n'avait pas été satisfaite ;

- qu'il ressortait de l'instruction conduite par les rapporteurs que OFM n'avait pas respecté des clauses du contrat de préparation POSTIMPACT concernant l'exactitude des informations portées sur les bordereaux d'expédition et concernant les délais de remise de ces bordereaux ainsi que la fourniture des spécimens préalablement aux dépôts ;

Considérant que OFM prétend, en dernier lieu, que la décision de déménagement prise par La Poste avait un caractère discriminatoire ;

Mais considérant que la requérante étant elle-même à l'origine de la situation qui a conduit La Poste à déménager provisoirement son local de contrôle, aucun comportement discriminatoire ne peut être imputé à l'exploitant public ;

Que le recours doit être rejeté

PAR CES MOTIFS

Rejette le recours,

Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

Déboute La Poste de sa demande en paiement de la somme de 10 000 euros,

Condamne la société ROUTEX aux dépens.