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Décisions

CA Aix-en-Provence, ch. 3 et 2, 24 novembre 2022, n° 21/12021

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Infirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Lis-Schaal

Conseillers :

Mme Vassail, Mme Vadrot

Avocats :

Me Atias, Me Schoukroun

TJ Grasse, du 8 juill. 2021, n° 20/00360

8 juillet 2021

La société KAB AGENCEMENT CONCEPT (ci-après KAB) a pour objet social une activité générale de peinture et de plomberie. Mme [Y] [P] en a été la gérante du 17 mai 2011 au 21 janvier 2015 date de la nomination du nouveau gérant M. [W] [C].

La société KAB a été placée en redressement judiciaire par jugement du tribunal de commerce de Cannes du 18 octobre 2016 (publié au BODACC le 31 octobre 2016) puis en liquidation judiciaire par jugement du 31 janvier 2017 ( publié au BODACC le 14 février 2017). La clôture de la procédure de liquidation judiciaire pour insuffisance d'actif par jugement du 11 septembre 2018 publié le 21 septembre 2018.

Sur autorisation du président, le comptable du Pôle de recouvrement spécialisé des Alpes Maritimes a fait assigner le 27 février 2020 [Y] [P] au visa de l'article L 267 du livre des procédures fiscales, aux fins de faire constater qu'elle était dirigeante de droit de la société KAB , que cette société a gravement méconnu et de façon répétée les obligations fiscales qui étaient les siennes , que la dette fiscale s'établit à la somme de 111 333 euros et que les inobservations graves et répétées ont rendu impossible le recouvrement de l'impôt, juger qu'elle sera tenue solidairement responsable des impositions dues par cette société et en conséquence la déclarer responsable avec la société KAB du paiement de la somme de 111 333 euros.

Par jugement du 8 juillet 2021, le tribunal judiciaire de Grasse a fait droit au visa de l'article L 267 du livre des procédures fiscales à la demande du comptable du Pôle de recouvrement spécialisé des Alpes Maritimes’ :

Dit que l'autorisation d'engager les poursuites à l'encontre de [Y] [P] a été régulièrement donnée à M. le comptable du pôle de recouvrement spécialisé des Alpes-maritimes par le directeur des finances publiques ;

Dit que l'action a été engagée dans un délai raisonnable à l'intérieur du délai de prescription quadriennale,

Dit que les créances fiscales ne sont pas prescrites’ ;

Rejette en conséquence les exceptions soulevées par la défenderesse,

Déclare le comptable du pôle de recouvrement spécialisé des Alpes-Maritimes recevable et bien-fondé en son action’ ;

Constate que la société KAB AGENCEMENT CONCEPT dont [Y] [P] était la gérante de droit a gravement méconnu et de façon répétée, ses obligations fiscales’ ;

Dit que la société, soit par son gérant, soit ensuite par l'administrateur judiciaire, avait la possibilité de contester les redressements fiscaux’ ;

Dit que [Y] [P] ne justifie pas de l'existence d'une gérance de fait exclusive de toute gestion de sa part et que pendant la période de gestion, la société a gravement méconnu et de façon répétée, ses obligations fiscales et déclaratives’ ;

Constate que la créance fiscale s'élève à la somme de 111 333 euros’ ;

Dit que les inobservations graves et répétées ont rendu impossible le recouvrement de cette créance, la procédure de liquidation judiciaire ayant été clôturé pour insuffisance d'actif’ ;

Dit que [Y] [P] est en application de l'article L 267 du livre des procédures fiscales, solidairement responsable avec la société KAB AGENCEMENT CONCEPT du paiement de la somme de 111 333 euros’ ;

La condamne solidairement avec la société KAB AGENCEMENT CONCEPT au paiement de cette somme au profit du comptable du pôle de recouvrement spécialisé des Alpes-Maritimes’ ;

La condamne aux dépens de l'instance.

[Y] [P] a interjeté appel de cette décision le 5 août 2021.

Par conclusions notifiées par le RPVA du 16 août 2022, auxquelles il est fait référence pour plus ample exposé des motifs, [Y] [P] au visa de l'article L 267 du Livre des procédures fiscales conclut':

A titre principal,

Réformer le jugement entrepris,

Statuant à nouveau,

Déclarer l'action du comptable public comme n'ayant pas été engagée dans un délai satisfaisant de l'article L 267 du Livre des procédures fiscales et comme étant par suite irrecevable’ ;

A titre subsidiaire,

Réformer partiellement le jugement entrepris,

Statuant à nouveau,

Dire et juger que les conditions d'application des dispositions de l'article L 267 du Livre des procédures fiscales ne sont pas réunies à l'encontre de Mme [P], en l'absence de manquements qui lui seraient imputables comme en l'absence de lien de causalité entre les manquements et l'impossibilité de recouvrer les impositions sur la société’ ;

Rejeter en conséquence la demande formée par le comptable public sur le fondement des dispositions précitées et juger que Mme [P] ne peut être déclarée solidairement responsable avec la société KAB AGENCEMENT CONCEPT du paiement des impositions’ ;

A titre infiniment subsidiaire,

Dire et juger que la responsabilité solidaire ne correspond pas à la totalité de la créance invoquée par le comptable public mais doit être limitée à la somme de 53 924 euros correspondant aux seuls rappels de TVA ou, en tout état de cause, à la somme de 86 652 euros’ ;

En tout état de cause,

Condamner le comptable public du Pôle de recouvrement spécialisé des Alpes-Maritimes au paiement de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du CPC ainsi qu'aux dépens’ ;

Débouter le comptable public de sa demande de condamnation de Mme [P] au visa de l'article 700 du CPC.

Elle soutient que l'action du comptable public n'a pas été introduite dans un délai satisfaisant, condition issue de la doctrine, qui peut être opposable à l'administration fiscale selon la Cour de Cassation. Ce délai suffisant doit être motivé par les juges du fond et débute à compter de la date à laquelle il est apparu que la créance fiscale ne pourrait être recouvrée à l'encontre de la personne morale.

Elle estime qu'en l'espèce, le comptable n'a pas fait diligence auprès du liquidateur aux fins de se renseigner sur le sort des créances fiscales et n'a engagé l'action que le 5 février 2020 soit 17 mois après la clôture pour insuffisance d'actif et 3 ans après l'ouverture de la procédure de liquidation judiciaire pour des rétentions de TVA portant sur les années 2012,2013 et 2014.

Le premier juge n'a pas recherché si l'action aurait pu être engagée dans de meilleurs délais à compter du jugement d'ouverture de la liquidation judiciaire soit le 31 janvier 2017 alors même que l'administration avait connaissance avant le prononcé de la clôture pour insuffisance d'actifs de la situation active et passive de la société.

Elle soutient également que sa responsabilité ne saurait être retenue dans la mesure ou les manquements aux obligations fiscales ne lui sont pas imputables et qu'il n'y a pas de lien de causalité entre les manquements constatés et l'impossibilité de recouvrer la créance fiscale de la société.

Elle rappelle avoir démissionné le 29 janvier 2015 et que la société était dirigée de fait par M. [C] qui lui a succédé.

Par conclusions notifiées par le RPVA du 22 décembre 2021, auxquelles il est fait référence pour plus ample exposé des motifs et des prétentions, le comptable du pôle de recouvrement spécialisé des Alpes- Maritimes conclut au visa de l'article L 267 du Livre des procédures fiscales':

Dire et juger que l'action a été engagée dans un délai raisonnable,

Dire et juger que Mme [P] était dirigeant de droit de la société KAB AGENCEMENT CONCEPT,

Dire et juger qu'elle ne justifie pas de l'existence d'un gérant de fait exclusif de toute gestion de sa part,

Dire et juger que, durant la période de gestion de Mme [P], la société a gravement méconnu et de façon répétée, les obligations fiscales qui étaient les siennes, entraînant une dette fiscale de 111 333 euros,

Dire et juger que lesdites inobservations, graves et répétées, ont rendu impossible le recouvrement de l'impôt,

En conséquence,

Débouter Mme [P] de l'ensemble de ses moyens, fins et conclusions,

Confirmer le jugement querellé en ce qu'il a déclaré Mme [Y] [P], en application de l'article L 267 du livre des procédures fiscales, solidairement responsable, avec la société KAB, du paiement de la somme de 111 333 euros due par cette société,

Confirmer le jugement querellé en ce qu'il a condamné Mme [P] à payer au Comptable du Pôle de recouvrement spécialisé des Alpes-Maritimes ladite somme de 111 333, 00 euros,

Y ajoutant,

Condamner Mme [P] à payer au comptable du pôle de recouvrement spécialisé des Alpes-Maritimes la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du CPC outre les entiers dépens dont distraction au profit de Me CHATENET, avocat.

L'intimé soutient que les dispositions de l'article L 267 du Livre des procédures fiscales sont réunies à l'encontre de Mme [P] et que les inobservations graves et répétées (minoration de la TVA , soustraction au paiement de l'impôt sur les sociétés sur la période du 1er janvier 2012 au 29 janvier 2015) ou les manoeuvres frauduleuses ont rendu impossible le recouvrement.

Il rappelle que selon la jurisprudence, le dirigeant ne saurait prévaloir des difficultés économiques et financières rencontrées par l'entreprise, ni même de sa volonté de sauver celle-ci.

Il fait valoir que Mme [P] exerçait bien la direction effective de la société pendant la période susvisée.

Il ajoute que le délai était bien raisonnable pour engager l'action, ce délai courant à compter du moment où le comptable a connaissance de l'impossibilité de recouvrer.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 8 septembre 2022.

Le comptable public du Pôle de recouvrement spécialisé des Alpes-Maritimes a notifié par le RPVA de nouvelles conclusions en date du 8 septembre 2022, jour de l'ordonnance de clôture.

Mme [P] a notifié de nouvelles conclusions par le RPVA en date du 15 septembre 2022.

Le comptable public a répliqué par conclusions notifiées par le RPVA du 23 septembre 2022.

SUR CE’ ;

Sur la révocation de l'ordonnance de clôture du 8 septembre 2022’ ;

Attendu que les conclusions notifiées par le RPVA des 15 et 23 septembre 2022 après l'ordonnance de clôture sans qu'aucune cause grave ne soit justifiée ni invoquée, seront déclarées irrecevables en application des articles 783 et 784 du code de procédure civile que celles du 8 septembre 2022 notifiées le 8 septembre 2022 du comptable public du Pôle de recouvrement spécialisé des Alpes-Maritimes seront écartées car ne respectant le principe du contradictoire’ ;

Sur la recevabilité de l'action du comptable public’ ;

Attendu qu'il convient de préciser qu'à hauteur de l'appel, Mme [P] ne soutient plus que l'action du comptable public n'était pas recevable au motif qu'elle n'était pas précédée d'une autorisation régulière du directeur départemental des finances publiques d'engager la procédure’ ;

Attendu que l'article L 267 du Livre des procédures fiscales dispose': «Lorsqu'un dirigeant d'une société , d'une personne morale ou de tout autre groupement est responsable des manoeuvres frauduleuses ou de l'inobservation grave et répétée des obligations fiscales qui ont rendu impossible le recouvrement des impositions et des pénalités dues par la société, la personne morale ou le groupement, ce dirigeant peut, s'il n'est pas déjà tenu au paiement des dettes sociales en application d'une autre disposition, être déclaré solidairement responsable du paiement de ces impositions et pénalités par le président du Tribunal de grande instance.'(...)»,

que Mme [P] soutient que l'assignation du comptable public à son encontre en date du 5 février 2020 sur le fondement de ce texte n'a pas été introduite dans un délai satisfaisant au sens de la jurisprudence de la Cour de Cassation qui indique que le délai raisonnable d'engagement de l'action court à compter du moment où le comptable a connaissance de l'impossibilité de recouvrer, cette information pouvant résulter soit de l'inefficacité des poursuites diligentées par le trésor, par la radiation du registre du commerce et des sociétés , soit, en cas de procédure collective, de l' irrécouvrabilité définitive d'une dette fiscale, qu'en l'espèce, le jugement d'ouverture de la liquidation judiciaire date du 31 janvier 2017 et la clôture de la procédure de liquidation judiciaire pour insuffisance d'actif du 11 septembre 2018,

que si le redressement judiciaire ouvert le 16 octobre 2016 caractérise l'état de cessation de paiement de la société, la liquidation judiciaire l'impossibilité de redressement et pouvaient encore laisser penser que le passif pouvait être réglé, la clôture de la liquidation judiciaire pour insuffisance d'actif ( et non extinction du passif comme l'écrit l'intimé), caractérise l'impossibilité définitive pour le trésor de recouvrer sa créance ou comme le dit la Cour de Cassation l' irrécouvrabilité définitive de la dette fiscale,

que le comptable public n'a engagé l'action fondée sur l'article L 267 du Livre des procédures fiscales que le 5 février 2022 ( requête aux fins d'autorisation à jour fixe) soit après un délai de 17 mois après la clôture de la liquidation judiciaire pour insuffisance d'actif ( du 11 septembre 2018) sans que cette durée ne soit justifiée,

que ce délai ne peut être qualifié de raisonnable ou de satisfaisant, d'autant que l'administration fiscale aurait pu agir dans de meilleurs délais,

qu'en effet, la Cour de cassation a précisé': «'L'action en responsabilité solidaire du dirigeant doit être engagée dans un délai satisfaisant à compter de la date à laquelle il est apparu que la créance fiscale ne pourrait être recouvrée à l'encontre de la personne morale, peu importe que la procédure collective n'ait été clôturée ou qu'aucun certificat d'irrécouvrabilité n'ait été délivré’ ; qu'en affirmant néanmoins que ce délai devait s'apprécier non par rapport au jugement d'ouverture de la liquidation judiciaire de la personne morale mais à partir, soit de la délivrance des certificats d' irrécouvrabilité, soit de la clôture des opérations pour insuffisance d'actif, la Cour d'appel a violé les termes de l'instruction n° 12 C-20688 du 6 septembre 1988 et l'article L 267 du Livre des procédures fiscales'», ( Ch. commerciale, 18 décembre 2019, n° 18-22.132 F-D), qu'en conséquence, la demande du comptable public dirigée contre Mme [P] doit être déclarée irrecevable pour tardiveté, le jugement entrepris sera infirmé;

Attendu que l'équité impose de condamner le comptable public du Pôle de recouvrement spécialisé des Alpes-Maritimes au paiement de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du CPC’ ;

PAR CES MOTIFS’ ;

La Cour statuant publiquement et contradictoirement,

Infirme le jugement entrepris,

Statuant à nouveau,

Déclare irrecevable l'action en responsabilité solidaire dirigée contre Mme [P] par le Comptable du Pôle de recouvrement spécialisé des Alpes-Maritimes sur le fondement de l'article L 267 du Livre des procédures fiscales ;

Condamne le comptable public du Pôle de recouvrement spécialisé des Alpes-Maritimes au paiement de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Le condamne aux entiers dépens.