Décisions

TUE, 10e ch. élargie, 29 mars 2023, n° T-142/21

TRIBUNAL DE L'UNION EUROPÉENNE

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Wizz Air Hungary Légiközlekedési Zrt. (Wizz Air Hungary Zrt.)

Défendeur :

Commission européenne

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Kornezov

Juges :

M. Buttigieg, Mme Kowalik-Bańczyk, M. Hesse, M. Petrlík

Avocats :

Me Vahida, Me Rating, Me Metaxas-Maranghidis

TUE n° T-142/21

28 mars 2023

LE TRIBUNAL (dixième chambre élargie),

1 Par son recours fondé sur l’article 263 TFUE, la requérante, Wizz Air Hungary Légiközlekedési Zrt. (Wizz Air Hungary Zrt.), demande l’annulation de la décision C(2020) 5830 final de la Commission, du 20 août 2020, relative à l’aide d’État SA.57026 (2020/N) – Roumanie – COVID-19 : Aide en faveur de Blue Air (ci-après la « décision attaquée »).

Antécédents du litige

2 Après une phase de pré-notification, qui avait commencé le 10 avril 2020, la Roumanie a notifié, le 18 août 2020, à la Commission européenne, conformément à l’article 108, paragraphe 3, TFUE, une mesure d’aide en faveur de la compagnie aérienne Blue Air Aviation S.A. (ci-après « Blue Air ») sous la forme d’un prêt d’un montant de 300 775 000 lei roumains (RON) (environ 62 130 000 euros) assorti d’intérêts subventionnés, garanti à 100 % par l’État roumain (ci-après la « mesure en cause »).

3 Blue Air est une compagnie aérienne privée roumaine disposant de bases aériennes en Roumanie, en Italie et à Chypre, dont les actions sont détenues à 99,99 % par la société roumaine Airline Invest SA et à 0,01 % par un citoyen américain. Son activité principale consiste en la fourniture de services de transport aérien de passagers et d’entretien des aéronefs. En 2019, Blue Air a transporté environ 4 millions de passagers et a enregistré un chiffre d’affaires d’environ 414 millions d’euros. Au mois de septembre de cette même année, cette compagnie aérienne utilisait une flotte de 23 aéronefs. Blue Air exploitait des liaisons tant nationales qu’internationales.

4 La mesure en cause concerne deux aides distinctes fondées sur deux bases juridiques différentes, chacune couvrant un montant d’aide défini, à savoir :

– une mesure d’indemnisation des dommages, fondée sur l’article 107, paragraphe 2, sous b), TFUE, d’un montant de 28 290 000 euros pour une durée de six ans, qui vise à indemniser Blue Air pour le dommage directement subi à cause de l’annulation ou de la reprogrammation de ses vols à la suite de l’instauration de restrictions en matière de déplacement, et en particulier des mesures de confinement, dans le contexte de la pandémie de COVID-19, au cours de la période comprise entre le 16 mars et le 30 juin 2020 (ci-après la « mesure d’indemnisation des dommages ») ;

– une aide au sauvetage, fondée sur l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE, lu en combinaison avec les lignes directrices concernant les aides d’État au sauvetage et à la restructuration d’entreprises en difficulté autres que les établissements financiers (JO 2014, C 249, p. 1 ; ci-après les « lignes directrices »), d’un montant de 33 840 000 euros et limitée à une durée de six mois, qui vise à couvrir partiellement les besoins urgents de liquidité de Blue Air résultant des lourdes pertes d’exploitation qu’elle a enregistrées à la suite de la pandémie de COVID-19 et à lui permettre ainsi de poursuivre ses activités tout en élaborant un plan de restructuration viable (ci-après l’« aide au sauvetage »).

[omissis]

Conclusions des parties

6 La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

– annuler la décision attaquée ;

– condamner la Commission aux dépens.

7 La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

– rejeter le recours comme non fondé ;

– condamner la requérante aux dépens.

En droit

[omissis]

Sur le premier moyen, tiré d’une application erronée de l’article 107, paragraphe 2, sous b), TFUE et d’une erreur manifeste d’appréciation relative à la proportionnalité de la mesure d’indemnisation des dommages

[omissis]

Sur la première branche du premier moyen, relative à l’évaluation des dommages causés à Blue Air

[omissis]

19 En premier lieu, il convient de relever, ainsi qu’il ressort des paragraphes 29, 30 et 93 à 96 de la décision attaquée, que la Commission a comparé, aux fins de l’évaluation des dommages, d’une part, la situation financière de Blue Air dans laquelle les dommages causés par les restrictions de voyage imposées dans le contexte de la pandémie de COVID-19 s’étaient déjà concrétisés et, d’autre part, un scénario contrefactuel qui se serait produit en l’absence desdites restrictions, lequel prenait en compte les recettes et les coûts prévus dans le budget 2020 pour la période allant du 16 mars au 30 juin 2020.

20 Or, les difficultés préexistantes à la pandémie de COVID-19 de Blue Air ont été reflétées dans ces deux scénarios. En effet, d’une part, la situation financière de Blue Air dans laquelle les dommages causés par les restrictions de voyage s’étaient déjà concrétisés correspondait aux résultats réels de Blue Air pendant la période concernée, ce qui reflétait nécessairement l’impact des difficultés préexistantes de Blue Air. D’autre part, il convient de relever, à l’instar de la Commission, et ainsi qu’il ressort de la méthodologie décrite notamment aux paragraphes 29, 30 et 93 à 96 de la décision attaquée, que le budget 2020 pour la période allant du 16 mars au 30 juin 2020, sur lequel était fondé le scénario contrefactuel, reflétait aussi l’impact des difficultés préexistantes à la pandémie de COVID-19 de Blue Air. Partant, ainsi que le relève en substance la Commission, l’impact des difficultés préexistantes ayant été reflété dans les deux scénarios, il s’ensuit, implicitement mais nécessairement, que cet impact a été neutralisé dans le calcul des dommages causés par les restrictions de voyage imposées pendant la période allant du 16 mars au 30 juin 2020 dans le contexte de la pandémie de COVID-19.

21 Le paragraphe 29 de la décision attaquée précise que les coûts éligibles pour la période allant du 16 mars au 30 juin 2020 correspondent aux dommages directement causés par les restrictions dues à la pandémie de COVID-19 à Blue Air pendant cette période. Le dommage est ainsi défini comme étant la perte de revenus résultant desdites restrictions, de laquelle sont déduits les coûts évités enregistrés par rapport aux revenus et aux coûts estimés dans le budget 2020 pour la durée de ladite période. De plus, le bénéfice net estimé dans le budget 2020 pour la même période est exclu du montant des dommages.

22 Si la requérante ne conteste pas la méthodologie ayant permis de déterminer le montant de la mesure d’indemnisation des dommages (voir point 19 ci-dessus), elle développe une argumentation relative au caractère approprié du budget 2020, tel qu’établi avant l’imposition des restrictions de voyage.

23 Ainsi, s’agissant de l’argument de la requérante selon lequel la Commission aurait dû vérifier si le budget 2020 était réaliste ou potentiellement trop optimiste, il convient de souligner que la Commission a fondé son scénario contrefactuel en prenant comme valeurs de référence pour le calcul des dommages les recettes et les coûts prévus dans le budget 2020 pour la période allant du 16 mars au 30 juin 2020, étant donné que ces valeurs permettaient, selon la Roumanie, d’établir une meilleure approximation des dommages que les revenus réels et les coûts enregistrés au cours des mois correspondants de 2019. À cet égard, il ressort des paragraphes 30 et 95 de la décision attaquée que ce choix s’explique par la volonté de tenir compte de deux facteurs. D’une part, la transformation du modèle commercial de Blue Air en transporteur aérien opérant entièrement à bas coûts a empêché celle-ci d’engendrer des revenus provenant de vols charters ou de la location d’aéronefs avec équipage, entretien et assurance compris en 2020, contrairement à ce qui s’était produit durant l’année 2019. D’autre part, le retard de livraison de six nouveaux Boeing 737-MAX a obligé Blue Air à continuer d’exploiter six aéronefs plus anciens, ce qui a réduit de 10 % la capacité moyenne estimée de sièges disponibles et de près de 10 % l’utilisation de la flotte existante, augmentant également les frais d’entretien de 25 millions d’euros par rapport à l’année 2019. Il s’ensuit que, en se fondant sur le budget 2020, la Commission a estimé les dommages à 28,57 millions d’euros, sur la base du bénéfice avant intérêt et impôts (BAII) pour la période allant du 16 mars au 30 juin 2020. Ce faisant, la Commission a adopté une approche prudente, qui a entraîné une quantification des dommages plus faible que celle qui aurait été obtenue en utilisant les résultats financiers réels des mois correspondants de 2019 comme référence étant donné que ceux-ci auraient conduit à une estimation des dommages plus élevée, évaluée à 33,51 millions d’euros sur la base du BAII.

24 À cela s’ajoute le fait que, comme cela est indiqué au paragraphe 32 de la décision attaquée, Blue Air a subi une perte de recettes d’exploitation résultant d’une diminution du nombre de vols opérés et d’un coefficient de remplissage réduit pour les quelques vols restants pour les mois de mars à juin 2020. Il y a lieu de souligner que, comme il ressort de ce même paragraphe et ainsi que l’a indiqué la Commission à l’audience, le montant des réductions de coûts a été déduit du manque à gagner. Ces réductions incluaient des coûts d’exploitation directs inférieurs, des économies de coûts indirects et des différences de coûts liées à l’amortissement, à la location avec équipage et aux pénalités. Il en est résulté des pertes nettes éligibles à une indemnisation de 28,29 millions d’euros. À cet égard, il convient de préciser que le montant de 28,57 millions d’euros, mentionné aux paragraphes 30 et 95 de la décision attaquée, constitue une étape intermédiaire dans le calcul du montant des dommages.

25 Par ailleurs, il convient de constater, ainsi qu’il ressort des paragraphes 31 et 96 de la décision attaquée, que les autorités roumaines ont exclu le bénéfice prévu dans le budget 2020 pour la période allant du 16 mars au 30 juin 2020 de l’indemnisation des dommages, ce qui signifie que l’indemnisation proposée se situait en deçà des dommages quantifiés.

26 En outre, comme le relève à juste titre la Commission dans son mémoire en défense, le nombre de passagers réellement transportés par Blue Air en janvier et en février 2020, c’est-à-dire avant l’imposition des restrictions de voyage, était très proche des estimations prévues dans le budget 2020. Cela démontre que les recettes budgétées pendant la période allant du 16 mars au 30 juin 2020 auraient également été réalistes en l’absence desdites restrictions.

27 Ainsi, force est de constater que l’allégation de la requérante relative au montant de la potentielle réduction des revenus de Blue Air en 2020 par rapport à 2019 est purement spéculative. En effet, s’agissant de l’argument selon lequel la réduction de la capacité totale et de l’utilisation des appareils pourrait entraîner une diminution du montant des revenus de Blue Air par rapport à l’année 2019, il y a lieu d’observer que, ainsi qu’il ressort des paragraphes 30 et 95 de la décision attaquée, l’impact d’une capacité de sièges disponibles réduite, d’une utilisation moindre des aéronefs et d’une augmentation des frais d’entretien a déjà été pris en compte par la Commission lors de l’examen du budget 2020.

28 Dès lors, il y a lieu de considérer que l’allégation de la requérante n’est pas étayée et n’est pas de nature à démontrer que le scénario contrefactuel fondé sur le budget 2020 et élaboré par la Commission n’était pas plausible.

29 De plus, il y a lieu de constater que, en l’espèce, même si Blue Air faisait face à des difficultés préexistantes, la requérante n’a identifié aucun poste de coûts spécifique qui, selon elle, aurait dû être exclu ou traité différemment par la Commission en raison du fait que ces coûts auraient été causés par lesdites difficultés préexistantes, et non par les restrictions de voyage imposées pendant la période allant du 16 mars au 30 juin 2020 dans le contexte de la pandémie de COVID-19.

30 Partant, il y a lieu de considérer que l’impact des difficultés préexistantes de Blue Air à la pandémie de COVID-19 ayant été reflété dans les deux scénarios susmentionnés, il s’ensuit, implicitement mais nécessairement, que cet impact a été neutralisé dans le calcul des dommages causés par les restrictions de voyage imposées pendant la période allant du 16 mars au 30 juin 2020 dans le contexte de ladite pandémie.

31 Dès lors, il y a lieu de rejeter l’argument de la requérante.

32 En deuxième lieu, s’agissant de l’argument de la requérante selon lequel la Commission a omis de s’assurer que Blue Air avait fait le nécessaire pour réduire ses coûts pendant la période allant du 16 mars au 30 juin 2020, de sorte que soient exclus de l’indemnisation des dommages non seulement les coûts évités, mais également les coûts « évitables », c’est-à-dire les coûts qu’elle aurait pu éviter, mais qu’elle a tout de même supportés, il convient de relever que, aux paragraphes 92 et 93 de la décision attaquée, la Commission a expliqué que les dommages à indemniser correspondaient à la perte de valeur ajoutée, définie comme étant la différence entre, d’une part, le manque à gagner de Blue Air, à savoir la différence entre le chiffre d’affaires qu’elle aurait pu s’attendre à réaliser, pendant la période allant du 16 mars au 30 juin 2020 sur la base du budget 2020, en l’absence des restrictions de voyage et des autres mesures de confinement liées à la pandémie de COVID-19, et le chiffre d’affaires effectivement réalisé pendant cette période, corrigé de la marge bénéficiaire de Blue Air, et, d’autre part, les coûts évités.

33 À cet égard, la Commission a défini les coûts évités comme étant ceux que Blue Air aurait exposés pendant la période allant du 16 mars au 30 juin 2020 si son activité n’avait pas été affectée par les restrictions de voyage et par les mesures de confinement liées à l’épidémie de COVID-19 et qu’elle n’avait pas eu à supporter en raison de l’annulation de ses opérations. La Commission a précisé, au paragraphe 94 de la décision attaquée, que les coûts évités concernaient, par exemple, les frais de carburant ainsi que les coûts de personnel. Elle a également expliqué que les coûts évités devaient être quantifiés en comparant les coûts prévus dans le budget 2020 et les coûts effectivement supportés par Blue Air au cours de la période allant du 16 mars au 30 juin 2020.

34 Dans ces circonstances, et contrairement à ce que fait valoir la requérante, il n’y a pas lieu de considérer que l’évaluation des coûts évités, telle qu’elle est exposée dans la décision attaquée, est opaque.

35 De plus, il convient d’observer en l’espèce que la requérante reste en défaut de préciser concrètement quels autres coûts, hormis les coûts évités déjà pris en compte, Blue Air aurait pu éviter et auraient dû, dès lors, être exclus de l’évaluation des dommages causés à celle-ci. Dans ces circonstances, le Tribunal ne peut que constater que le reproche de la requérante relatif à une prétendue omission de la Commission de tenir compte des coûts « évitables » est trop abstrait et n’est étayé d’aucune donnée concrète.

36 Partant, cet argument doit être écarté.

37 En troisième lieu, s’agissant de l’argument selon lequel la Commission a omis de tenir compte des dommages subis par d’autres compagnies aériennes, il convient tout d’abord de rappeler que, aux termes de l’article 107, paragraphe 2, sous b), TFUE, sont compatibles avec le marché intérieur les aides destinées à remédier aux dommages causés par les calamités naturelles ou par d’autres événements extraordinaires.

38 En l’espèce, la requérante ne conteste pas l’appréciation de la Commission, retenue dans la décision attaquée, selon laquelle la pandémie de COVID-19 devait être regardée comme étant un « événement extraordinaire » au sens de l’article 107, paragraphe 2, sous b), TFUE. Par ailleurs, il résulte des paragraphes 7, 86 et 87 de la décision attaquée que la pandémie de COVID-19 a conduit à l’interruption de la majeure partie du transport aérien de passagers, eu égard, notamment, aux restrictions de voyage et aux autres mesures de confinement imposées ainsi qu’à la fermeture des frontières de plusieurs États membres de l’Union, dont la Roumanie.

39 Il s’ensuit que la requérante relève, à juste titre, que Blue Air n’est pas la seule entreprise, ni la seule compagnie aérienne, à être affectée par l’événement extraordinaire en cause.

40 Toutefois, il n’en demeure pas moins, ainsi que le fait valoir, à juste titre, la Commission dans son mémoire en défense, qu’il n’existe aucune obligation, pour les États membres, d’accorder des aides destinées à remédier aux dommages causés par un événement extraordinaire au sens de l’article 107, paragraphe 2, sous b), TFUE.

41 Plus particulièrement, d’une part, si l’article 108, paragraphe 3, TFUE oblige les États membres à notifier à la Commission leurs projets en matière d’aides d’État avant leur mise à exécution, il ne les oblige pas, en revanche, à octroyer une aide (ordonnance du 30 mai 2018, Yanchev, C 481/17, non publiée, EU:C:2018:352, point 22).

42 D’autre part, une aide peut être destinée à remédier aux dommages causés par un événement extraordinaire, conformément à l’article 107, paragraphe 2, sous b), TFUE, indépendamment du fait qu’elle ne remédie pas à l’intégralité de ces dommages.

43 Par conséquent, il ne découle ni de l’article 108, paragraphe 3, TFUE ni de l’article 107, paragraphe 2, sous b), TFUE que les États membres seraient obligés de remédier à l’intégralité des dommages causés par un événement extraordinaire de sorte qu’ils ne sauraient pas non plus être tenus d’accorder des aides à l’ensemble des victimes de ces dommages [arrêts du 14 avril 2021, Ryanair/Commission (SAS, Danemark ; Covid-19), T 378/20, sous pourvoi, EU:T:2021:194, point 24, et du 14 juillet 2021, Ryanair et Laudamotion/Commission (Austrian Airlines ; Covid-19), T 677/20, sous pourvoi, EU:T:2021:465, point 57].

44 Dans ces conditions, la requérante n’est pas fondée à soutenir que la Commission était tenue d’évaluer, dans la décision attaquée, le dommage causé aux compagnies aériennes autres que Blue Air.

[omissis]

Sur le deuxième moyen, tiré d’une violation de l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE

[omissis]

Sur l’éligibilité de Blue Air à l’aide au sauvetage

[omissis]

55 Il convient de rappeler à cet égard que le point 22 des lignes directrices énonce trois conditions cumulatives permettant de considérer comme compatible avec le marché intérieur une aide accordée à une société faisant partie d’un groupe. Ainsi, il incombe à la Commission d’examiner, premièrement, si le bénéficiaire de l’aide fait partie d’un groupe et, le cas échéant, la composition de celui-ci, deuxièmement, si les difficultés auxquelles le bénéficiaire fait face lui sont spécifiques et ne résultent pas d’une répartition arbitraire des coûts au sein du groupe et, troisièmement, si ces difficultés sont trop graves pour être résolues par ledit groupe lui-même.

56 L’objectif de cette interdiction est donc d’empêcher un groupe d’entreprises de faire supporter à l’État le coût d’une opération de sauvetage d’une des entreprises qui le composent, lorsque cette entreprise est en difficulté et que le groupe est lui-même à l’origine de ces difficultés ou qu’il a les moyens de faire face seul à celles-ci (voir, en ce sens, arrêt du 13 mai 2015, Niki Luftfahrt/Commission, T 511/09, EU:T:2015:284, point 159).

57 Il ressort des paragraphes 27 et 105 de la décision attaquée que 99,99 % des actions de Blue Air sont détenues par la société roumaine Airline Invest, créée en décembre 2019, et que les 0,01 % restants appartiennent à un citoyen américain. Il est également indiqué que 99,99 % des actions de la société Airline Invest, qui n’exerce pas d’autres activités que celle de détenir les actions de Blue Air, sont elles-mêmes détenues par une personne physique qui n’exerce aucune autre activité directe ou indirecte.

58 Or, l’argumentation de la requérante consiste à soutenir que la personne physique détenant 99,99 % des actions d’Airline Invest pourrait être le prête-nom d’une autre personne physique ou morale. Force est de constater que cette argumentation n’est pas étayée et reste hypothétique, dès lors qu’elle est basée sur de simples suppositions tirées uniquement d’articles de presse dont le contenu n’est pas de nature à démontrer que l’actionnaire d’Airline Invest est un prête-nom. Par conséquent, cette argumentation est purement spéculative et n’est étayée que par les éléments de preuve auxquels se réfère la requérante. D’ailleurs, interrogée sur ce point lors de l’audience, la requérante n’a pas été en mesure de fournir des éléments d’information plus précis à ce sujet.

59 Dès lors, à défaut d’indice en ce sens, il y a lieu d’écarter l’argument tiré de ce que la Commission a mené un examen insuffisant de la première condition prévue au point 22 des lignes directrices, à savoir si le bénéficiaire de l’aide faisait partie d’un groupe.

[omissis]

Sur la contribution de l’aide au sauvetage à un objectif d’intérêt commun

[omissis]

65 En l’espèce, il convient d’examiner les arguments de la requérante afin de vérifier que la Commission n’a pas commis une erreur manifeste d’appréciation en considérant, d’une part, que le service en cause était « important » et, d’autre part, qu’il était compliqué de le reproduire, au sens du point 44, sous b), des lignes directrices.

66 En premier lieu, s’agissant du caractère important du service fourni par Blue Air, il ressort notamment des paragraphes 51, 52, 58, 108 et 109 de la décision attaquée que cette compagnie aérienne assurait la connectivité de la Roumanie dans la mesure où elle desservait des liaisons aériennes intérieures et internationales, dont certaines reliaient des régions reculées de cet État membre qui étaient difficilement accessibles par voie terrestre en raison du mauvais état des infrastructures routière et ferroviaire roumaines.

67 En outre, il y a lieu de relever que, comme cela est indiqué au paragraphe 111 de la décision attaquée, certains petits aéroports nationaux pourraient même ne plus être desservis ou être desservis dans une mesure considérablement réduite après la sortie du marché de Blue Air, étant donné, d’une part, que les autres compagnies aériennes à bas coûts n’ont jamais manifesté d’intérêt à desservir les liaisons aériennes intérieures au départ ou à destination de certains de ces aéroports et, d’autre part, que la compagnie aérienne nationale de Roumanie, TAROM, ne propose pas de liaisons aériennes à bas coûts, ce que les parties ne contestent pas.

68 Par ailleurs, s’agissant des liaisons aériennes internationales, il ressort du paragraphe 52 de la décision attaquée que Blue Air constituait la seule compagnie aérienne à bas coûts exploitant les liaisons au départ de la Roumanie et à destination des aéroports de Florence (Italie), Stuttgart (Allemagne), Cologne/Bonn (Allemagne), Amsterdam (Pays-Bas), Milan-Linate (Italie), Paris-Orly (France) et Helsinki (Finlande).

69 Dans cette mesure, la Commission a pu à juste titre considérer que Blue Air effectuait un service important en offrant, d’une part, des liaisons au départ et à destination de plusieurs régions roumaines reculées, dont la connectivité par voie aérienne revêtait une importance économique particulière au regard de l’état des infrastructures nationales terrestres, et, d’autre part, des liaisons au départ et à destination de plusieurs grandes villes d’Europe, en contribuant de la sorte à la connectivité internationale desdites régions.

70 En outre, comme la Commission l’a relevé, les services de transport aérien de passagers fournis par Blue Air ciblaient, en particulier, deux catégories spécifiques de passagers, à savoir les petits entrepreneurs locaux et la communauté roumaine établie hors du pays, particulièrement présente en Italie, en France, en Espagne, en Allemagne et au Royaume-Uni, grâce à un réseau unique d’itinéraires nationaux et internationaux, spécifiquement calibrés selon leurs besoins, qu’elle avait développé à cet effet au cours des quinze dernières années. La décision attaquée précise à cet égard que, dans le contexte de l’absence d’alternatives valables en raison du mauvais état des infrastructures routière et ferroviaire roumaines, ce qui n’est pas contesté par la requérante, ces deux catégories de passagers très mobiles, qui se déplacent à l’intérieur de la Roumanie à des fins professionnelles (pour la première catégorie) ou vivent et travaillent à l’étranger en faisant des allers-retours fréquents entre leur pays d’origine et leur lieu de résidence respectif (pour la seconde catégorie), dépendent de liaisons aériennes à bas coûts.

71 Ainsi, l’analyse de la Commission repose en l’espèce, en substance, sur le constat selon lequel la cessation d’activité de Blue Air serait préjudiciable à la connectivité tant régionale qu’internationale de la Roumanie et, en particulier, de certaines régions reculées du pays, ainsi qu’à la mobilité des deux catégories de passagers visées au point 70 ci-dessus, et qu’il existerait, en cas de sortie du marché du bénéficiaire, un risque concret d’interruption de certains services de transport aérien de passagers considérés comme importants par cet État membre.

72 En outre, il ressort des paragraphes 59, 62, 111 et 112 de la décision attaquée que, en assurant la mobilité des petits entrepreneurs locaux entre les différentes régions du pays, Blue Air contribue à la vie économique de ces régions.

73 Par ailleurs, ainsi qu’il ressort des paragraphes 53 et 110 de la décision attaquée, une sortie du marché de Blue Air aurait eu un impact direct sur plus de 400 000 passagers, dont plus de 250 000 d’entre eux avaient vu leurs vols annulés en raison des restrictions de déplacement imposées par les États européens pour limiter la propagation de la pandémie de COVID-19 et soit attendaient le remboursement de leurs billets, soit avaient accepté un avoir à utiliser sur un autre vol. S’agissant des 150 000 passagers restants, ils avaient réservé un vol avec Blue Air dans les douze mois suivants.

74 Au regard des éléments mentionnés aux points 65 à 73 ci-dessus, la requérante n’a soumis au Tribunal aucun élément permettant de constater que la Commission avait commis une erreur manifeste d’appréciation lorsqu’elle a considéré que Blue Air fournissait un service important au sens du point 44, sous b), des lignes directrices.

75 En outre, aucun des arguments avancés par la requérante devant le Tribunal n’est susceptible de remettre en cause cette conclusion.

76 Premièrement, en ce qui concerne l’argument de la requérante selon lequel Blue Air n’est pas une compagnie aérienne à bas coûts et selon lequel le prix moyen des billets proposés par celle-ci est même plus élevé que celui des billets vendus par elle-même, il y a lieu de constater que cette dernière soutient, à l’appui de son argumentation, que le prix moyen de ses billets était de 68,27 euros en 2019 et de 55,59 euros en 2020 alors que, pour ces deux mêmes années, celui des billets proposés par Blue Air était respectivement de 89,09 euros et de 63,37 euros.

77 Interrogée sur ce point lors de l’audience, la requérante a ajouté que, outre l’aspect tarifaire en lui-même, l’autre caractéristique des compagnies aériennes à bas coûts est le taux de remplissage particulièrement élevé de leurs avions. En l’occurrence, selon elle, le taux de remplissage de ses avions serait, dans l’ensemble, plus élevé que celui des avions exploités par Blue Air.

78 Or, les deux circonstances relevées par la requérante, à les supposer avérées, ne sont pas de nature, par elles-mêmes, à démontrer que le service fourni par Blue Air n’était pas important au sens du point 44, sous b), des lignes directrices. En effet, elles ne permettent pas de remettre en cause le constat, ressortant des points 65 à 73 ci-dessus, suivant lequel le service fourni par Blue Air assurait la connectivité de plusieurs régions roumaines et facilitait le déplacement de deux catégories de passagers bien définis, les petits entrepreneurs et les citoyens roumains établis dans d’autres États membres, assurant ainsi la connectivité de la Roumanie dans son ensemble et étant, dès lors, constitutif d’un service important pour ces passagers. En outre, il convient de relever que la comparaison chiffrée des prix moyens des billets ne démontre pas, en tout état de cause, que Blue Air ne serait pas une compagnie aérienne à bas coûts au même titre que la requérante et fait de surcroît ressortir que Blue Air a été capable en un an de réduire de plus de 25 euros le prix moyen de ses billets, lequel était, en 2020, seulement supérieur de 7,78 euros à celui des billets de la requérante.

[omissis]

81 Troisièmement, s’agissant de l’argument de la requérante selon lequel les liaisons nationales opérées par Blue Air auraient pu faire l’objet d’obligations de service public au lieu du sauvetage de Blue Air, force est de constater que la requérante ne démontre pas que la mise en place de telles obligations de service public aurait pu s’effectuer dans un délai suffisamment bref, tout en assurant la connectivité continue desdites régions.

82 En second lieu, s’agissant de la question de savoir si les services effectués par Blue Air étaient compliqués à reproduire au sens du point 44, sous b), des lignes directrices, il ressort des paragraphes 54, 55, 63, 109, 110 et 112 de la décision attaquée que, dans les circonstances de l’espèce, l’intégralité desdits services n’aurait pas pu être assurée à brève échéance par d’autres compagnies aériennes, notamment à bas coûts, car plusieurs d’entre elles avaient déjà récemment fermé certaines de leurs liaisons aériennes, également exploitées par Blue Air, laissant ainsi cette dernière seule à les assurer.

83 Au demeurant, premièrement, il convient de relever que, selon la Commission, les autres compagnies aériennes à bas coûts sont peu, voire pas du tout, présentes sur la majorité des itinéraires de Blue Air dans la mesure où leur modèle économique repose sur l’utilisation d’aéroports dits « secondaires », à savoir des aéroports situés à une certaine distance des aéroports urbains considérés comme « primaires ». En effet, les aéroports « secondaires » requièrent le paiement de redevances aéroportuaires moins élevées et les créneaux sont plus facilement disponibles que dans les grands aéroports nationaux.

84 À cet égard, la requérante reconnaît qu’elle ne dessert pas certains aéroports « primaires » desservis par Blue Air.

85 Par suite, il y a lieu de constater que c’est à juste titre que la Commission a considéré au paragraphe 109 de la décision attaquée que Blue Air occupait une niche qui n’était pas exploitée par d’autres compagnies aériennes à bas coûts sur le marché roumain. Ainsi, la requérante n’a pas démontré qu’elle aurait été susceptible de reprendre les liaisons aériennes exploitées par Blue Air étant donné que son modèle économique différait considérablement de celui de Blue Air.

86 Dans le même ordre d’idées, la requérante n’a pas non plus contesté le fait que les compagnies aériennes à bas coûts concurrentes de Blue Air n’étaient pas intéressées à reprendre les liaisons aériennes au départ ou à destination de certains aéroports régionaux roumains, tels que ceux d’Oradea et de Baia Mare, dans la mesure où ces compagnies aériennes concurrentes exploitaient déjà des liaisons aériennes au départ d’autres aéroports régionaux, ce qui risquait de laisser ces premiers aéroports non ou peu desservis, en cas de sortie de Blue Air du marché.

87 De plus, la note en bas de page no 19 de la décision attaquée indique que les compagnies aériennes à bas coûts concurrentes de Blue Air s’étaient déjà retirées d’Oradea et de la liaison Bucarest-Cluj (Roumanie) en 2018, ce qui confirme l’appréciation de la Commission pour ce qui est de l’absence d’intérêt de ces compagnies aériennes à offrir cette couverture.

88 En outre, il convient de constater que, lors de l’audience, la requérante a avancé que différentes liaisons n’étaient plus desservies par Blue Air, telles que celles au départ et à destination d’Oradea. Toutefois, ce faisant, la requérante se réfère à des données actuelles et donc postérieures à la date de la décision attaquée. À cet égard, il y a lieu de rappeler que la légalité de la décision attaquée doit être appréciée en fonction des éléments d’information dont la Commission pouvait disposer au moment où elle a été arrêtée, et non sur la base d’événements ultérieurs. Un tel argument doit donc être écarté.

89 Deuxièmement, la requérante affirme qu’elle assurait plus de 80 % des liaisons aériennes internationales également effectuées par Blue Air. À cet égard, il convient toutefois de souligner, à l’instar de la Commission, qu’il ne ressort pas des annexes de la requête que la requérante serait présente sur 80 % des liaisons aériennes assurées par Blue Air, lesdites annexes faisant référence uniquement à des « destinations » internationales au départ de la Roumanie, et non à des liaisons spécifiques. En outre, la requérante fait référence à des données postérieures à la décision attaquée en ce sens qu’elle se réfère à des données qui couvrent l’intégralité de l’année 2020. Ainsi, au regard de leur contenu et de la période à laquelle elles se rapportent, ces données n’étayent pas suffisamment l’argument de la requérante. En tout état de cause, ces données confirment qu’une partie non négligeable des liaisons desservies par Blue Air ne l’était pas par la requérante.

90 Troisièmement, en ce qui concerne l’argument selon lequel la capacité perdue d’une compagnie aérienne pourrait être rapidement remplacée par d’autres compagnies aériennes désireuses de redéployer leur capacité excédentaire, il y a lieu de souligner qu’aucun élément ne permet de démontrer que la capacité excédentaire de la requérante, qui trouve son origine dans les mesures adoptées par les États membres dans le contexte de la pandémie de COVID-19, permettrait à celle-ci d’assurer les liaisons aériennes auparavant effectuées par Blue Air. Dès lors, il n’est pas démontré que, une fois sa propre activité reprise, la requérante aurait encore suffisamment de capacité de transport pour reprendre lesdites liaisons. En effet, la surcapacité du secteur ne suffit pas à elle seule pour présumer que les concurrents utiliseront leurs capacités inutilisées à n’importe quelle condition et supporteront des frais supplémentaires tout en fournissant un service ininterrompu à des prix abordables.

91 En conséquence, force est de constater que la requérante n’a pas démontré que des compagnies aériennes concurrentes de Blue Air auraient été prêtes à reprendre l’ensemble des liaisons exploitées par celle-ci en cas de sortie du marché de cette dernière.

92 Quatrièmement, à supposer même que le remplacement de Blue Air ait été possible sur certaines des liaisons intérieures ou internationales en question, la requérante n’a pas non plus démontré que, eu égard à la probable et imminente cessation d’activité de Blue Air, ce remplacement aurait pu intervenir à court terme, et ce afin d’éviter autant que possible toute interruption du service, et à des conditions proches de celles dans lesquelles ces liaisons étaient exploitées.

93 En effet, bien que la requérante avance qu’elle était prête à assurer les liaisons de Blue Air en moins de six mois en cas de sortie du marché de celle-ci, il ressort des annexes de la requête relatives à l’expansion de la requérante en 2020 que la majeure partie des liaisons aériennes qu’elle a lancées soit n’étaient pas du tout desservies par Blue Air en 2019 et en 2020, soit continuaient d’être desservies par cette dernière également en 2020. Force est dès lors de constater que la requérante n’a pas démontré que Blue Air avait déjà été remplacée sur certaines liaisons ou pouvait être facilement remplacée dans les six mois à compter de sa cessation d’activité.

94 Eu égard notamment à l’importance du rôle joué par Blue Air pour garantir des liaisons aériennes à un prix abordable à deux catégories de passagers apportant une contribution essentielle à l’économie régionale de la Roumanie, à savoir les petits entrepreneurs locaux et la communauté roumaine établie à l’étranger, ainsi qu’aux conséquences qu’aurait une défaillance de celle-ci sur cette économie et sur plus de 400 000 passagers (voir point 73 ci-dessus), il y a lieu de conclure que la sortie de Blue Air du marché aurait entraîné un risque d’interruption d’un service important qu’il aurait été compliqué de reproduire dans les circonstances particulières de l’espèce.

95 C’est donc à juste titre que la Commission a considéré que l’aide au sauvetage répondait aux exigences prévues aux points 43 et 44 des lignes directrices.

[omissis]

Sur l’appréciation du caractère approprié de l’aide au sauvetage

[omissis]

99 Premièrement, s’agissant de l’argument de la requérante selon lequel le taux d’intérêt appliqué au prêt en cause n’est pas suffisamment élevé par rapport aux risques liés audit prêt, il convient de souligner que le point 56 des lignes directrices dispose ce qui suit :

« Le niveau de rémunération qu’un bénéficiaire est tenu de payer pour une aide au sauvetage doit tenir compte de la solvabilité sous-jacente du bénéficiaire, en faisant abstraction des effets temporaires des problèmes de liquidité et du soutien public, et doit prévoir des mesures incitatives permettant au bénéficiaire de rembourser l’aide dès que possible. La Commission exigera donc que la rémunération soit fixée à un taux qui ne sera pas inférieur au taux de référence fixé dans la communication sur les taux de référence pour les entreprises faibles présentant des taux normaux de couverture par une sûreté (actuellement taux IBOR à 1 an majoré de 400 points de base) et soit majorée d’au moins 50 points de base dans le cas d’aides au sauvetage dont l’autorisation est prolongée conformément au point 55[, sous d),] ii). »

100 En l’espèce, il n’est pas contesté par les parties que le taux d’intérêt attaché au prêt en cause est équivalent ou proche du taux de référence visé au point 56 des lignes directrices et ne méconnaît donc pas le seuil imposé.

101 Plus précisément, il ressort du paragraphe 19 de la décision attaquée que, si le prêt devait être accordé en deux tranches, le taux d’intérêt de la partie du prêt relative à l’aide au sauvetage et de la garantie d’État correspondante serait au moins égal au niveau du Romanian Interbank Offer Rate (ROBOR) ou de l’Euro Interbank Offered Rate (Euribor) à un an (selon la devise dans laquelle le prêt serait libellé), majoré d’une marge de risque d’au moins 400 points de base. Si le prêt devait être accordé en une seule tranche, le taux d’intérêt du prêt entier et de la garantie serait au moins égal au niveau du ROBOR ou de l’Euribor à un an (selon la devise dans laquelle le prêt serait libellé), majoré d’une marge de risque non inférieure à 400 points de base.

102 Contrairement à ce qu’avance la requérante, il ressort du point 56 des lignes directrices qu’il n’y a pas lieu de majorer ce taux avant une éventuelle prolongation de l’autorisation.

103 Dès lors, étant donné que la Commission n’était pas en mesure de prévoir avec certitude si la Roumanie allait ou non présenter un plan de restructuration avant l’échéance, la requérante ne saurait lui faire grief de ne pas avoir majoré le taux d’intérêt appliqué dès l’adoption de la décision attaquée. Une telle échéance n’est pas prévue par le point 56 des lignes directrices.

104 Par ailleurs, il y a lieu de relever, à l’instar de la Commission, que l’argument de la requérante selon lequel le taux d’intérêt devait être plus élevé en l’absence de sûretés pourvues par la bénéficiaire résulte d’une lecture erronée du point 56 des lignes directrices. Ce point prévoit l’application du taux prévu aux entreprises faibles présentant des taux normaux de couverture par une sûreté (voir point 99 ci-dessus). Ainsi, ledit point requiert l’application d’un taux d’intérêt minimum qui s’applique à l’ensemble des aides au sauvetage, indépendamment des garanties fournies par les bénéficiaires dans chaque cas. Comme le relève la Commission, cela s’explique par l’urgence inhérente aux aides au sauvetage, laquelle requiert l’établissement d’une règle claire et applicable dans tous les cas, de sorte que la Commission n’a pas besoin de procéder à un examen du caractère approprié de la rémunération des aides au sauvetage au cas par cas.

[omissis]

107 Troisièmement, la requérante argue que la Commission a commis une erreur d’appréciation en ce qu’elle aurait dû demander à la Roumanie de présenter un plan de restructuration dans un délai plus court que celui de six mois. En effet, selon elle, il aurait été clair dès le départ que le prêt ne serait pas remboursé dans le délai de six mois prévu et que la Roumanie finirait par faire prolonger cette période en présentant un plan de restructuration. Or, dans le contexte de la pandémie de COVID-19, toutes les compagnies aériennes souffriraient de graves pertes et une mesure d’aide accordée de facto pour une période de plus de six mois à l’une d’entre elles créerait une distorsion significative.

108 Ces arguments de la requérante ne privent cependant pas de plausibilité les appréciations de la Commission.

109 En effet, il ressort clairement du libellé du point 55, sous d), des lignes directrices qu’il appartient à l’État membre de transmettre à la Commission, dans un délai maximal de six mois à compter de l’autorisation de l’aide au sauvetage, une preuve de remboursement du crédit, un plan de restructuration (pour autant que le bénéficiaire puisse être qualifié d’entreprise en difficulté) ou un plan de liquidation. Certes, l’État membre concerné est toujours en droit de soumettre l’un de ces documents avant la fin du délai de six mois, mais il ne ressort pas du libellé dudit point que la Commission est autorisée à fixer un délai plus court de sa propre initiative.

110 De même, le point 55, sous d), ii), des lignes directrices prévoit clairement, dans l’hypothèse où l’État membre a transmis un plan de restructuration, que l’autorisation de l’aide au sauvetage sera automatiquement prolongée jusqu’à ce que la Commission prenne une décision définitive sur ce plan. Au demeurant, aucune autorisation de ce type n’a été accordée dans la décision attaquée.

111 Enfin, il importe de souligner que, selon les lignes directrices et notamment le point 60 de celles-ci, une aide au sauvetage a pour but de maintenir le bénéficiaire en activité pendant six mois, objectif qui est difficilement compatible avec une réduction de la durée de l’aide.

[omissis]

Sur l’appréciation de la proportionnalité de l’aide au sauvetage

[omissis]

115 Premièrement, la requérante relève que, comme il ressort du paragraphe 123 de la décision attaquée, l’aide au sauvetage couvrait, en partie, des besoins de liquidité de Blue Air causés par les restrictions de voyage dans le contexte de la pandémie de COVID-19. Ainsi, selon la requérante, en autorisant cette aide, la Commission a agi à l’encontre des objectifs et de la logique de sa communication du 19 mars 2020 intitulée « Encadrement temporaire des mesures d’aide d’État visant à soutenir l’économie dans le contexte actuel de la flambée de COVID-19 » (JO 2020, C 91 I, p. 1) et modifiée le 3 avril 2020 (JO 2020, C 112 I, p. 1), laquelle exclut l’octroi d’aides aux entreprises qui étaient déjà en difficulté au 31 décembre 2019, et a permis l’octroi d’une aide à l’entreprise la moins apte à atteindre l’objectif de l’aide liée à la pandémie de COVID-19.

116 À cet égard, d’une part, il convient de relever qu’aucune des deux mesures d’aide en cause n’a été autorisée en vertu de la communication visée au point 115 ci-dessus.

117 D’autre part, il y a lieu de souligner que la mesure d’indemnisation des dommages visait à compenser les dommages subis par Blue Air au cours de la période comprise entre le 16 mars et le 30 juin 2020, alors que l’aide au sauvetage permettait à celle-ci de couvrir ses besoins de liquidité pendant une période différente, à savoir celle allant de septembre 2020 à février 2021. En outre, ainsi qu’il ressort de la décision attaquée, l’aide accordée à Blue Air en vertu de la mesure d’indemnisation des dommages a été prise en considération dans le plan de liquidité pour la période allant de septembre 2020 à février 2021 et a donc permis de réduire le montant de l’aide au sauvetage nécessaire.

118 Partant, l’allégation de la requérante n’est pas de nature à remettre en cause l’appréciation de la Commission au sujet de la proportionnalité de l’aide au sauvetage.

119 Deuxièmement, la requérante argue que la Commission a commis une erreur manifeste d’appréciation en considérant que l’aide au sauvetage n’excédait pas le minimum nécessaire pour atteindre l’objectif d’intérêt commun.

120 À cet égard, le point 60 des lignes directrices dispose ce qui suit :

« Les aides au sauvetage doivent être limitées au montant nécessaire pour maintenir le bénéficiaire en activité pendant six mois. Pour déterminer ce montant, il sera tenu compte du résultat de l’application de la formule indiquée à l’annexe I. Toute aide dont le montant excède le résultat de ce calcul ne sera autorisée que si elle est dûment justifiée par la présentation d’un plan de liquidité fixant les besoins de liquidité du bénéficiaire pour les six mois à venir. »

121 S’agissant du montant prévu de l’aide au sauvetage, il ressort des paragraphes 45, 47, 112 et 118 de la décision attaquée que ce montant est fondé sur le plan de liquidité établi par la Roumanie. La Commission a évalué ce plan qui reposait sur des projections de revenus et de coûts, qui s’intégraient dans le contexte inédit et incertain de l’époque au cours de laquelle ils avaient été établis en ce qui concernait toutes les projections au sujet des activités des compagnies aériennes. Au terme de son évaluation, elle a considéré que le plan de liquidité ne comprenait pas de dépenses inhabituelles ou illégitimes comme le financement de mesures structurelles ou l’élargissement des activités au-delà des engagements antérieurs.

122 Or, la requérante n’avance aucun argument susceptible de faire douter de la plausibilité du plan de liquidité. Au contraire, elle se borne à comparer les besoins de liquidité de Blue Air pour la période prise en compte pour l’aide au sauvetage, à savoir celle comprise entre septembre 2020 et février 2021, aux coûts inévitables pour une période antérieure, comprise entre mars et juin 2020.

123 Cette comparaison est toutefois dénuée de pertinence pour l’appréciation du montant de l’aide au sauvetage. En effet, comme le souligne à juste titre la Commission dans son mémoire en défense, il n’y a aucune raison de supposer que les besoins de liquidité et les coûts inévitables susmentionnés, concernant des périodes, de surcroît, différentes, correspondraient. Il s’ensuit que c’est à juste titre que la Commission s’est fondée sur l’hypothèse, considérée comme étant la plus probable au moment de l’adoption de la décision attaquée, d’une reprise du trafic aérien pendant la période de l’aide au sauvetage, qui induisait de ce fait une hausse des coûts évités (carburant, entretien des aéronefs, redevances d’atterrissage, etc.) pendant la période de confinement.

124 Troisièmement, la requérante fait valoir que la Commission a considéré à tort, au paragraphe 122 de la décision attaquée, que le plan de liquidité ne comprenait pas de dépenses visant à financer des mesures structurelles. Toutefois, selon la requérante, la Commission n’a pas tenu compte du fait que les engagements antérieurs de Blue Air comprenaient le remplacement à grande échelle de sa flotte, avec l’achat de six appareils Boeing 737-MAX. Ainsi, l’aide au sauvetage permettrait en réalité de financer des mesures structurelles et des activités qui dépassent le strict nécessaire pour maintenir Blue Air à flot.

125 À cet égard, il convient de constater que, selon les lignes directrices, les aides au sauvetage doivent être limitées au montant nécessaire pour maintenir le bénéficiaire en activité pendant six mois et ne peuvent pas être utilisées pour financer des mesures structurelles, comme l’acquisition de branches ou d’actifs importants. Toutefois, ainsi que l’a avancé la Commission, il ne saurait être exclu que le besoin de trésorerie pendant ces six mois comprenne également le paiement d’échéances qui sont dues au cours de ce délai au titre d’engagements antérieurs qui concernent le remplacement d’avions. En effet, le non-remboursement de telles échéances pourrait entraîner l’insolvabilité de l’entreprise en difficulté, ce qui irait de toute évidence à l’encontre de l’objectif recherché.

126 Quatrièmement, s’agissant du reproche de la requérante selon lequel la Commission n’a pas imposé une répartition des charges afin de faire absorber une partie des pertes par les actionnaires du bénéficiaire, il convient de souligner, à cet égard, que des mesures visant à répartir les charges entre les investisseurs existants s’imposent uniquement pendant la période de restructuration et non pendant la période de sauvetage, ainsi qu’il ressort clairement du libellé du point 61 des lignes directrices.

127 Dès lors, c’est à juste titre que la Commission n’a pas imposé une répartition des charges.

[omissis]

Sur le caractère adéquat des lignes directrices pour l’appréciation de l’aide

[omissis]

132 À l’égard des lignes directrices, il convient de relever que la requérante n’a pas contesté que l’aide au sauvetage puisse être considérée comme telle au sens desdites lignes directrices. Elle reproche seulement à la Commission de ne pas avoir examiné si ces dernières étaient adéquates pour apprécier l’aide au sauvetage au regard des circonstances exceptionnelles de la crise de COVID-19.

133 À l’appui de son argumentation, la requérante cite l’arrêt du 8 mars 2016, Grèce/Commission (C 431/14 P, EU:C:2016:145), dont il ressort du point 70 que, « dans le domaine spécifique des aides d’État, la Commission est tenue par les encadrements qu’elle adopte, dans la mesure où ceux-ci ne s’écartent pas des normes du traité FUE, au nombre desquelles figure notamment l’article 107, paragraphe 3, sous b), TFUE [...], et où leur application ne viole pas les principes généraux du droit, tels que l’égalité de traitement, en particulier lorsque des circonstances exceptionnelles, se distinguant de celles visées par ces encadrements, caractérisent un secteur donné de l’économie d’un État membre ».

134 Le point 72 de l’arrêt du 8 mars 2016, Grèce/Commission (C 431/14 P, EU:C:2016:145), précise que « l’adoption de tels encadrements n’affranchit pas la Commission de son obligation d’examiner les circonstances spécifiques exceptionnelles qu’un État membre invoque, dans un cas particulier, afin de solliciter l’application directe de l’article 107, paragraphe 3, sous b), TFUE, et de motiver, le cas échéant, son refus de faire droit à une telle demande ».

135 En l’espèce, il convient de constater que la pandémie de COVID-19 et les mesures prises pour la contenir ont donné lieu à des circonstances exceptionnelles pour de nombreuses entreprises en Europe, en particulier pour les compagnies aériennes.

136 Or, il convient de relever que, dans le cadre de la cinquième branche du deuxième moyen, la requérante n’a ni identifié les règles spécifiques des lignes directrices qui, selon elle, auraient été rendues inadéquates à cause des circonstances exceptionnelles liées à la pandémie de COVID-19, ni expliqué les raisons pour lesquelles tel serait le cas. Elle n’a pas non plus précisé si, selon elle, la Commission devait laisser les lignes directrices inappliquées et appliquer, en lieu et place, directement l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE. Un tel argument est donc trop général et non étayé et ne permet ainsi pas au Tribunal d’en appréhender la substance.

[omissis]

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (dixième chambre élargie)

Déclare et arrête :

1) Le recours est rejeté.

2) Wizz Air Hungary Légiközlekedési Zrt. (Wizz Air Hungary Zrt.) est condamnée aux dépens.