Décisions

CA Versailles, 3e ch., 9 mars 2023, n° 22/03394

VERSAILLES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Xl Insurance Company Se

Défendeur :

Les Laboratoires Servier (SAS), Cpam Des Bouches Du Rhone

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Perret

Conseillers :

Mme Cougard, M. Clerc

Avocats :

Me Robert, Me Hongre-Boyeldieu, Me Vogel, Me De Santi, Me Le Bonnois

CA Versailles n° 22/03394

8 mars 2023

FAITS ET PROCEDURE Mme [I] [T], née le 17 décembre 1950, expose qu'elle s'est vue prescrire, du 1er février 1992 au 20 mai 2009, du Médiator, médicament produit par la société Les Laboratoires Servier ainsi que de l'Isoméride les 8 avril, 31 juillet et 31 août 1995. Se plaignant de lésions cardiaques liées à la prise de Médiator, Mme [T] a saisi, le 26 janvier 2012, le collège d'experts de l'Office National d'Indemnisation des Accidents Médicaux, des Affections Iatrogènes et des Infections Nosocomiales (ci[1]après, l'ONIAM) qui, par avis du 9 décembre 2014, a retenu que les atteintes valvaires qu'elle présente, à l'origine d'un déficit fonctionnel de 10 %, sont imputables au Benfluorex à hauteur de 50 %, les 50 % restant étant imputables au traitement par l'Isoméride et que dès lors, la réparation de ses préjudices incombe à la société les Laboratoires Servier ou à son assureur à hauteur de 50 %.

Par actes du 20 janvier 2016, Mme [T] a fait assigner en référé la société Les Laboratoires Servier, son assureur, la société Axa Corporate solutions assurances, la Caisse primaire d'assurance maladie des Bouches-du-Rhône (ci-après, la CPAM) et l'ONIAM devant le président du tribunal judiciaire de Marseille, aux fins d'expertise et de provision.

Par ordonnance du 2 mai 2016, Mme [T] a été déboutée de l'intégralité de ses prétentions.

Par actes des 27 août et 9 septembre 2020, Mme [T] a fait assigner la société les Laboratoires Servier, la société Axa Corporate Solutions assurances et la CPAM devant le tribunal judiciaire de Nanterre, en réparation de ses préjudices sur le fondement des articles 1245-1 et suivants du code civil et à défaut sur le fondement de l'article 1240 du même code.

La société XL Insurance Company SE (ci-après, la société XLICSE ) est venue aux droits de la société Axa Corporate

Solutions assurances. Par ordonnance du 1er mars 2022, le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Nanterre a :

- déclaré irrecevable, comme prescrite, l'action de Mme [T],

- dit que chaque partie conservera la charge de ses dépens,

- dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- dit que la décision sera opposable à la CPAM,

- rappelé que l'exécution provisoire était de droit,

- rejeté les autres demandes.

Le tribunal a retenu, au visa des articles 1245-3, 1245-10 et 1245-17 du code civil, que si le régime de la responsabilité du fait des produits défectueux n'excluait pas l'application d'autres régimes de responsabilité contractuelle ou extracontractuelle reposant sur des fondements différents, tels que la garantie des vices cachés ou la faute, la victime ne pouvait cependant se prévaloir d'un régime de responsabilité distinct du régime de responsabilité du fait des produits défectueux que si elle établissait que le dommage subi résultait d'une faute distincte du défaut de sécurité du produit en cause, sachant que tel n'est pas le cas lorsque l'origine d'un dommage est imputée à l'insuffisance des mentions portées sur l'étiquetage et l'emballage du produit.

Le tribunal a jugé qu'en l'espèce, la faute reprochée par Mme [T] à la société Les Laboratoires Servier n'était pas distincte du défaut de sécurité du produit dès lors que l'absence de signalement de danger du médicament et le défaut de vigilance invoqués relevaient incontestablement d'une insuffisance d'information sur les risques du produit qui, relative à sa présentation, constituait une faute inhérente au défaut de sécurité du produit qui s'entend, non seulement comme un défaut de conception ou de fabrication, mais encore comme l'insuffisance d'information sur les conditions d'utilisation ou les risques du produit.

Le tribunal en a déduit que Mme [T] ne saurait se fonder, même à titre subsidiaire, sur un régime distinct et que son action était dès lors soumise au délai de prescription régissant la responsabilité du fait des produits défectueux. Au visa des articles 1245-16 et 2241 du code civil, le tribunal a jugé irrecevable comme prescrite l'action de Mme [T] dès lors que l'assignation délivrée le 27 août 2020 l'a été plus de trois ans après le point de départ du délai de prescription, le 9 décembre 2014, date de l'avis de l'ONIAM à laquelle la demanderesse avait eu la connaissance cumulative de l'identité du producteur, du défaut du produit et de son dommage, ce délai n'ayant pas été interrompu par l'assignation en référé dans la mesure où elle a été déboutée de l'intégralité de ses prétentions.

Par acte du 19 mai 2022, Mme [T] a interjeté appel et prie la cour, par dernières écritures du 11 octobre 2022, de :

A titre principal,

- annuler l'ordonnance déférée pour cause d'excès de pouvoir en ce qu'il n'avait pas compétence pour trancher la question de fond liée au bien-fondé de l'action de Mme [T] sur le fondement de la faute,

Statuant à nouveau,

- juger Mme [T] bien fondée à agir sur le fondement de l'article 1240 du code civil,

- en conséquence, juger que l'action de Mme [T] n'est pas prescrite sur le fondement de cet article 1240 du code civil,

- débouter la société Les Laboratoires Servier de sa demande d'irrecevabilité de l'action de Mme [T] du fait de la prescription,

- juger que la société Les Laboratoires Servier a commis une faute en commercialisant, en toute connaissance des risques, le médiator, sans aucune information du patient et du médecin prescripteur sur les risques connus du médicament,

- juger Mme [T] bien fondée à solliciter l'indemnisation de ses préjudices sur le fondement de cette faute,

- débouter la société XLIC et la société Les Laboratoires Servier de l'ensemble de leurs prétentions,

- renvoyer l'affaire devant le tribunal judiciaire de Nanterre afin qu'il statue sur la liquidation des préjudices de Mme [T],

- condamner la société XLIC et la société Les Laboratoires Servier à payer à Mme [T] la somme de : au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure d'incident de première instance...............................................................................5 000 euros, au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure d'appel................. .................................................................................5 000 euros, les entiers dépens de première instance et d'appel,

- rendre l'arrêt à intervenir commun à la CPAM et opposable à la société Les Laboratoires Servier, A titre subsidiaire,

- infirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance déférée,

Statuant à nouveau,

- juger Mme [T] bien fondée à agir sur le fondement de l'article 1240 du code civil,

- en conséquence, juger que l'action de Mme [T] n'est pas prescrite sur le fondement de l'article 1240 du code civil,

- débouter la société Les Laboratoires Servier de sa demande d'irrecevabilité de l'action de Mme [T] du fait de la prescription,

- juger que la société Les Laboratoires Servier a commis une faute en commercialisant, en toute connaissance des risques, le médiator, sans aucune information du patient et du médecin prescripteur sur les risques connus du médicament,

- juger Mme [T] bien fondée à solliciter l'indemnisation de ses préjudices sur le fondement de cette faute,

- débouter la société XLIC et la société Les Laboratoires Servier de l'ensemble de leurs prétentions,

- renvoyer l'affaire devant le tribunal judiciaire de Nanterre afin qu'il statue sur la liquidation des préjudices de Mme [T],

- condamner la société XLIC et la société Les Laboratoires Servier à payer à [I] [T] la somme de : au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure d'incident de première instance...............................................................................5 000 euros, au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure d'appel.................. ..................................................................................5 000 euros, les entiers dépens de première instance et d'appel,

- rendre l'arrêt à intervenir commun à la CPAM et opposable à la société Les Laboratoires Servier.

Sur l'absence de prescription, Mme [T] fait valoir que son action sur le fondement de l'article 1240 du code civil ne saurait être prescrite dès lors que le délai de prescription biennale de l'article 2226 du code civil, applicable en matière de dommage corporel, n'a commencé à courir qu'en décembre 2010, date à laquelle elle a été informée de son droit d'agir contre la société Les Laboratoires Servier par une lettre de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS, devenue Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé), et que ce délai a été suspendu le temps de la procédure devant l'ONIAM du 26 janvier 2012 au 9 décembre 2014 puis par la procédure de référé du 20 janvier 2016 au 2 mai 2016, de sorte que le délai de prescription devait expirer en janvier 2024 et que son action n'était pas prescrite au 27 août 2020, date de l'assignation de la société Les Laboratoires Servier devant le tribunal judiciaire de Nanterre.

Sur le bien-fondé de son action sur le fondement de l'article 1240 du code civil, elle soutient que, conformément à l'article 1245-17 du code civil ainsi qu'à la jurisprudence de la Cour de justice des communautés européennes et de la Cour de cassation, elle dispose d'une option de fondements dans la mesure où le régime de responsabilité du fait des produits défectueux n'exclut pas l'application d'autres régimes de responsabilité reposant sur des fondements différents tels que la faute, la commercialisation d'un produit défectueux sans avoir connaissance de cette défectuosité étant différente de la commercialisation d'un tel produit en toute connaissance du risque. Elle considère que la Cour de cassation n'a jamais jugé que l'obligation d'information relative aux risques liés à un produit ne constituait pas une faute distincte du défaut de sécurité de ce produit. Elle invoque la jurisprudence des cours d'appel, en particulier un arrêt du 23 février 2021 de la cour d'appel de Toulouse ayant retenu une faute distincte du défaut de sécurité du produit constituée par la connaissance par la société Les Laboratoires Servier du risque lié au médicament sans aucune information du patient et du médecin.

Sur l'incompétence du juge de la mise en état pour trancher au fond, sur le fondement de l'article 789 du code de procédure civile, elle argue que le magistrat de la mise en état a tranché une question de fond en excluant l'action fondée, à titre subsidiaire, sur le fondement de la faute alors que cette question aurait dû être tranchée par le juge du fond, dans la mesure où statuer sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action fondée sur la responsabilité du fait des produits défectueux ne nécessitait nullement que soit tranchée au préalable la question de fond liée au bien[1]fondé de l'action exercée sur le fondement de l'article 1240 du code civil, s'agissant de deux questions totalement distinctes. Elle estime que le juge pouvait de la mise en état pouvait trancher la question de la prescription de l'action sur le fondement des produits défectueux sans se prononcer sur la possibilité qu'avait ou non Mme [T] d'agir subsidiairement sur le fondement de la faute.

Par dernières écritures du 7 juillet 2022, la société XLICSE prie la cour de :

A titre principal,

- confirmer l'ordonnance déférée,

Y ajoutant, - condamner Mme [T] à verser à la société XLIC la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'à supporter les entiers dépens de première instance et d'appel,

A titre subsidiaire

- constater que l'action en indemnisation de Mme [T] devant le tribunal judiciaire de Nanterre est l'action civile en réparation du dommage découlant des faits pour lesquels le juge répressif est saisi parallèlement,

- ordonner, en conséquence, le sursis à statuer sur l'action indemnitaire exercée par l'appelante à l'encontre de la société XLIC, jusqu'à ce que le juge pénal se soit prononcé définitivement sur l'action publique mise en mouvement :

à titre principal, au visa de l'article 4 alinéa 2 du code de procédure pénale,

à titre subsidiaire, dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice,

En tout état de cause,

- débouter l'appelante, ainsi que toute autre partie à l'instance, du surplus des demandes formées à l'encontre de la société XLIC.

Principalement, la société XLIC fait valoir que l'action de Mme [T] ne peut être fondée que sur le régime édicté par les articles 1245-1 et suivant du code civil et que cette action est irrecevable comme prescrite, le délai de prescription triennal de l'article 1245-16 du code précité ayant expiré.

D'une part, sur le fondement de l'article 1245-17 du code civil et de la jurisprudence de la Cour de cassation, elle soutient que seule la prescription triennale propre au régime des produits défectueux à l'exclusion de la prescription quinquennale de droit commun dès lors le dommage subi par Mme [T] ne résulte pas d'une faute distincte du défaut de sécurité du produit litigieux, alors que la victime ne peut se prévaloir d'un régime de responsabilité distinct du régime de responsabilité du fait des produits défectueux que si elle établit que le dommage subi résulte d'une faute distincte du défaut de sécurité du produit en cause.

D'autre part, elle considère que la prescription triennale de l'article 1245-16 du code civil est acquise dans la mesure où l'assignation délivrée le 27 août 2020 l'a été plus de trois ans après le point de départ du délai de prescription, le 9 décembre 2014, date à laquelle Mme [T] a eu la triple connaissance de l'identité du producteur, connue dès les débuts de la commercialisation du Médiator, du défaut de sécurité du produit, révélé par son retrait sur le marché en 2009, et de son dommage, connu à compter de l'avis de l'ONIAM. Elle ajoute que la procédure de référé engagée par Mme [T] n'a pas interrompu le délai de prescription, conformément à l'article 2243 du code civil.

Subsidiairement, elle sollicite un sursis à statuer dans l'attente de l'issue de la procédure pénale toujours en cours devant la cour d'appel de Paris et ayant nécessairement une incidence indirecte sur l'instance portée devant la cour de céans.

D'une part, elle estime que le sursis à statuer de droit de l'article 4 alinéa 2 du code de procédure pénale s'impose dès lors que le juge répressif est saisi des mêmes faits que le juge civil, à savoir la distribution et la vente du produit Médiator, peu important que les parties ne soient pas identiques. Elle souligne que La société Les Laboratoires Servier est notamment poursuivie devant le juge pénal pour tromperie aggravée portant sur une éventuelle désinformation relative au Médiator tandis que Mme [T] allègue, à titre de faute délictuelle, la connaissance par ladite société de la défectuosité de ce médicament. Elle en déduit qu'il y a lieu de considérer que l'action en indemnisation exercée par Mme [T] devant le tribunal judiciaire est une action civile au sens des alinéas 1 et 2 de l'article 4 du code de procédure civile. D'autre part, elle considère que le sursis de l'action indemnitaire exercée à son encontre se justifie par une bonne administration de la justice et par les droits de la défense, en application des articles 4 alinéa 3 du code de procédure pénale, 377 et 378 du code de procédure civile et 6§1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, en raison des motifs de non-garantie dont elle se prévaut tant devant le juge pénal que devant le juge civil à savoir l'exclusion contractuelle des produits anorexigènes et l'exclusion légale tirée de la faute dolosive. Elle ajoute que compte tenu de la procédure pénale en cours, elle se trouve dans l'impossibilité de se prévaloir d'éléments de preuve indispensables au succès de sa défense sur lesquels le juge répressif ne s'est pas encore prononcé.

Par dernières écritures du 28 octobre 2022, la société Les Laboratoires Servier prie la cour de :

A titre principal,

- confirmer le jugement déféré dans toutes ses dispositions,

En conséquence,

- juger que les demandes formées par Mme [T] sont irrecevables,

- rejeter toute demande formée contre la société Les Laboratoires Servier, A titre subsidiaire,

- surseoir à statuer s'agissant des demandes formées contre la société XLIC,

En tout état de cause,

- condamner Mme [T] aux dépens de première instance et d'appel.

Sur l'application du régime de responsabilité du fait des produits défectueux, la société Les Laboratoires Servier expose, au regard des articles 1245-3 et 1245-17 du code civil et de la jurisprudence de la Cour de cassation, que lorsqu'il n'est pas établi que le dommage subi résulte d'une faute distincte du défaut de sécurité du produit en cause, toute action fondée sur le régime de responsabilité délictuelle de l'article 1240 du code civil devait être exclue au profit de l'application de responsabilité du fait des produits défectueux des articles 1245 et suivants du même code, étant précisé que le manquement à l'obligation d'information relative aux risques liés à un produit ne constitue pas une faute distincte du défaut de sécurité de ce produit. Elle fait valoir outre l'application exclusive du régime de responsabilité du fait des produits défectueux en cas d'imputation de l'origine du dommage à une insuffisance d'information, l'obligation pour la juridiction de relever d'office cette application. Elle ajoute que la simple référence par l'appelante à des décisions antérieures ne saurait fonder une position de principe, compte tenu de la prohibition des arrêts de règlement.

Si l'appelante fait valoir que le juge de la mise en état ne disposait pas des prérogatives pour déterminer le régime de responsabilité applicable, la société Les Laboratoires Servier considère que le magistrat de la mise en état était compétent pour statuer sur la question préalable relative au fondement de l'action exercée par Mme [T], en application de l'article 789 du code de procédure civile, dès lors que trancher cette question de fond était nécessaire afin de pouvoir statuer sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription de ladite action. Elle précise que ce n'est que si une partie s'oppose à ce que le juge de la mise en état tranche une question de fond avant de trancher la fin de non-recevoir que ce dernier renvoie l'affaire devant la formation de jugement et qu'en l'espèce Mme [T] ne s'y était pas opposée.

Sur la prescription de l'action, article 1245-16 du code civil, la société Les Laboratoires Servier soutient que l'action exercée par Mme [T] est prescrite dès lors que le délai triennal de l'article 1245-16 avait expiré au jour de l'assignation délivrée 27 août 2020. Relevant que le point de départ du délai de prescription correspondant à la date de connaissance cumulative du dommage, du défaut et de l'identité du producteur, elle fait valoir que l'identité du producteur a toujours été connue de l'appelante et qu'elle a eu connaissance du dommage le 5 décembre 1995, date de sa sortie d'hospitalisation durant laquelle des examens ont révélés une insuffisance mitrale de grade 1 à 2 et une insuffisance aortique de grade 2, puis du défaut allégué du produit au plus tard le 30 novembre 2009, date de son retrait du marché, de sorte que le point de départ de la prescription est situé au 30 novembre 2009, la prescription ayant toutefois été suspendue du 26 janvier 2012 au 9 décembre 2014. Elle précise qu'à supposer que le point de départ du délai soit situé au 9 décembre 2014, date de l'avis de l'ONIAM, l'action serait prescrite depuis le 9 décembre 2017. Elle ajoute que, quand bien même l'action en référé aurait interrompu la prescription du 20 janvier 2016 au 2 mai 2016, le délai aurait expiré au 2 mai 2019, soit antérieurement au 27 août 2020, date de délivrance de l'assignation.

Subsidiairement, sur le sursis à statuer sur les demandes formées contre la société XLIC, elle précise, d'une part, que le débat relatif à la garantie de la société XLIC est pendant devant le tribunal de commerce de Nanterre, lequel a sursis a statué dans l'attente du procès pénal et, d'autre part, que la procédure pénale est toujours en cours, compte tenu des appels interjetés à l'encontre de la décision du tribunal correctionnel de Paris du 29 mars 2021. Elle en déduit qu'une bonne administration de la justice s'oppose à ce qu'un débat sur la garantie de l'assureur de la société Les Laboratoires Servier soit ouvert dans le cadre d'une action engagée par un patient s'étant vu prescrire du Médiator.

Mme [T] a fait signifier la déclaration d'appel et ses conclusions à la CPAM, par actes des 1er et 24 juin 2022 remis par voie électronique. Néanmoins, cette intimée n'a pas constitué avocat.

La cour renvoie aux écritures des parties en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile pour un exposé complet de leur argumentation.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 3 novembre 2022.

SUR QUOI :

Sur la demande d'annulation de l'ordonnance pour excès de pouvoir :

Le législateur a instauré un régime spécial de responsabilité pour les produits défectueux et l'articulation entre le régime de droit commun de la faute et ce régime particulier est régie par des règles d'ordre public issues du droit de l'Union européenne en sa directive 85/374/CEE du 25 juillet 1985 et notamment de son article 13.

La société les Laboratoires Servier et XLICSE se prévalent du caractère exclusif du régime de responsabilité du fait des produits défectueux lorsque, comme en l'espèce, le dommage subi ne résulterait pas d'une faute distincte du défaut de sécurité du produit.

L'appelante qui avait introduit son action principale sur ce fondement invoque maintenant l'application du droit commun comme fondé sur la faute de l'article 1240 du code civil tenant à un défaut de vigilance et à un défaut d'information de la part du producteur du médicament. Elle considère qu'il n'était pas du pouvoir du juge de la mise en état de dire que le régime de droit commun n'était pas applicable en l'espèce, au bénéfice du régime spécial des produits défectueux. Mme [I] [T] fonde sa demande d'annulation sur le fait que le juge de la mise en état n'avait pas compétence pour trancher la question de fond liée au bien-fondé de son action sur le fondement de la faute délictuelle.

Sur ce,

L'article 789 du code de procédure civile énonce que 'Lorsque la demande est présentée postérieurement à sa désignation, le juge de la mise en état est, jusqu'à son dessaisissement, seul compétent, à l'exclusion de toute autre formation du tribunal, pour :

1° Statuer sur les exceptions de procédure, les demandes formées en application de l'article 47 et les incidents mettant fin à l'instance ; [...]

6° Statuer sur les fins de non-recevoir.

Lorsque la fin de non-recevoir nécessite que soit tranchée au préalable une question de fond, le juge de la mise en état statue sur cette question de fond et sur cette fin de non-recevoir. Toutefois, dans les affaires qui ne relèvent pas du juge unique ou qui ne lui sont pas attribuées, une partie peut s'y opposer. Dans ce cas, et par exception aux dispositions du premier alinéa, le juge de la mise en état renvoie l'affaire devant la formation de jugement, le cas échéant sans clore l'instruction, pour qu'elle statue sur cette question de fond et sur cette fin de non-recevoir. Il peut également ordonner ce renvoi s'il l'estime nécessaire. La décision de renvoi est une mesure d'administration judiciaire.

Le juge de la mise en état ou la formation de jugement statuent sur la question de fond et sur la fin de non-recevoir par des dispositions distinctes dans le dispositif de l'ordonnance ou du jugement [...] ' En l'espèce, le juge de la mise en état a été saisi après sa désignation, d'un incident tendant à mettre fin à l'instance par l'effet d'une fin de non-recevoir consistant en la prescription de l'action fondée sur le seul régime juridique que la société XLICSE considérait applicable.

Cette situation rentre dans les prévisions de l'article 789 précité.

Le juge de la mise en état devait pour cela trancher la question de fond de savoir quel régime était applicable, si une option était possible puis examiner la question de la prescription éventuelle de cette action si jamais il était considéré que la demanderesse ne disposait pas d'un choix ou d'une possibilité de cumul. Mme [I] [T] pouvait s'opposer à ce que le juge de la mise en état seul statue comme le prévoit l'article précité, ce qu'elle n'a pas fait.

Dès lors, sa demande d'annulation doit être rejetée, le juge n'ayant pas outrepassé ses pouvoirs et ayant statué dans la limite de son champ de compétence d'attribution. Sur le droit de Mme [T] à agir sur le fondement de l'article 1240 du code civil : L'article 1245-3 du code civil précise que " un produit est défectueux au sens du présent chapitre lorsqu'il n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre.

Dans l'appréciation de la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre, il doit être tenu compte de toutes les circonstances et notamment de la présentation du produit, de l'usage qui peut en être raisonnablement attendu et du moment de sa mise en circulation. Un produit ne peut être considéré comme défectueux par le seul fait qu'un autre, plus perfectionné, a été mis postérieurement en circulation".

C'est à bon droit que le juge de la mise en état a rappelé que selon la jurisprudence, dans l'appréciation du caractère défectueux d'un produit, il doit être tenu compte de toutes les circonstances et notamment de la présentation du produit, de l'usage qui peut en être raisonnablement attendu sachant qu'il est admis que la constatation, par le juge, du défaut d'un produit à la suite de la mise en évidence de risques graves liés à son utilisation que ne justifie pas le bénéfice qui en est attendu, n'implique pas forcément que le producteur ait eu connaissance de ces risques lors de la mise en circulation du produit ou de sa prescription. Si Mme [I] [T] a pu légitimement rappeler que l'article 1245-17 du code civil prévoit que le producteur reste responsable de sa faute et que la jurisprudence nationale comme européenne n'exclut pas l'application du régime de la faute, quelle qu'elle soit, c'est à la condition que la victime de la défaillance d'un produit établisse que son dommage résulte d'une faute distincte du défaut de sécurité du produit en cause .

Or, Mme [I] [T], au soutien de son offre de preuve de l'existence d'une faute , question dont la cour n'est pas saisie, invoque tout à la fois un défaut de vigilance et une parfaite conscience de la défectuosité du produit et reproche au producteur d'avoir dissimulé la composition du médicament tout en citant un extrait du jugement pénal du 29 mars 2021 du tribunal judiciaire de Paris non définitif disant notamment que les Laboratoires Servier n'ont jamais caché la structure chimique du produit. Elle fonde bien son action sur le fait qu'elle n'a pas été informée de sa dangerosité et que dans le cas contraire, elle n'aurait jamais accepté de prendre ce médicament. Il s'agit donc bien d'un défaut de sécurité du produit. L'appelante reproche clairement à la société intimée de n'avoir pas rempli son obligation d'information ce qui l'a amenée à prendre le médicament en méconnaissance de ses effets réels en comparaison de ceux qu'elle pouvait légitimement attendre. La primauté du droit de l'Union et la consistance des griefs que Mme [I] [T] formule à l'encontre du producteur impose l'application exclusive du régime spécial de responsabilité des produits défectueux.

En conséquence, il était inutile pour le juge de la mise en état comme cela l'est pour la cour d'examiner la question de la prescription liée au régime de droit commun inapplicable.

De même, l'action exercée à titre subsidiaire par la société Les Laboratoires Servier pour voir juger irrecevable l'action en indemnisation de Mme [T] devant le tribunal judiciaire de Nanterre en réparation d'un dommage découlant de faits dont le juge répressif est saisi parallèlement, est sans objet eu égard au sens de la présente décision, tout comme les différentes demandes de sursis à statuer.

En revanche, la question de la prescription du régime des produits défectueux se posait et c'est par de justes motifs que le premier juge a déclaré que le droit d'action de Mme [I] [T] aux fins d'indemnisation des préjudices qu'elle invoque est éteint par l'effet de la prescription.

En effet, l'article 1245-16 du code civil pose que " L'action en réparation fondée sur les dispositions du présent chapitre se prescrit dans un délai de trois ans à compter de la date à laquelle le demandeur a eu ou aurait dû avoir connaissance du dommage, du défaut et de l'identité du producteur ".

Aux termes de l'article 2241 du code civil, " La demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription ainsi que le délai de forclusion. Il en est de même lorsqu'elle est portée devant une juridiction incompétente ou lorsque l'acte de saisine de la juridiction est annulé par l'effet d'un vice de procédure ", l'article 2243 de ce code précisant que " L'interruption est non avenue si le demandeur se désiste de sa demande ou laisse périmer l'instance, ou si sa demande est définitivement rejetée ".

Le point de départ de la prescription de l'action de Mme [T] est déterminé par sa connaissance cumulative de l'identité du producteur, du défaut du produit et de son dommage.

En l'espèce, l'identité du producteur, qui figure sur l'emballage, était connue dès les débuts de la commercialisation du Médiator. Le défaut de ce produit a été révélé par son retrait du marché au mois de novembre 2009. Enfin, la connaissance du dommage par Mme [T] a été acquise le 9 décembre 2014, date de l'avis de l' Agence nationale de la sécurité du médicament.

Ce délai n'a pas été interrompu par l'assignation en référé de Mme [T] du 20 janvier 2016 dans la mesure où elle a été déboutée de l'intégralité de ses prétentions par l'ordonnance du 2 mai 2016. C'est par de justes motifs que le juge de la mise en état a constaté que l'assignation de Mme [T], ayant été délivrée le 27 août 2020 soit plus de trois ans après le point de départ du délai de prescription, son action était prescrite, mettant ainsi fin à l'instance.

L'ordonnance déférée sera confirmée en tous points. L'équité ne commande pas de condamner Mme [I] [T] à payer une somme quelconque sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile mais en tant que partie perdante, de la débouter de sa demande de chef comme la société XLICSE.

Eu égard au sens de la présente décision, Mme [I] [T] supportera les dépens d'appel, ceux de première instance restant tels qu'ordonnés .

PAR CES MOTIFS :

La cour,

Déboute Mme [I] [T] de sa demande d'annulation de l'ordonnance déférée pour excès de pouvoir, Confirme l'ordonnance déférée en tous points, Déboute les parties de leurs demandes de sursis à statuer, Déboute la société Xl Insurance Company SE et Mme [I] [T] de leurs demandes formées sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, Condamne Mme [I] [T] aux dépens d'appel.

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.