Livv
Décisions

CA Rennes, 2e ch. com., 2 novembre 2010, n° 09/06716

RENNES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Westcom (SAS)

Défendeur :

Comareg Bretagne Ouest le Télégramme (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. le Guillanton

Conseillers :

Mme Cocchiello, M. Christien

Avoués :

SCP Gautier-Lhermitte, SCP Bazille Jean-Jacques

Avocats :

Me Larche, Me Eveno

CA Rennes n° 09/06716

1 novembre 2010

EXPOSÉ DU LITIGE

La société Westcom, qui édite sous la dénomination 'Le p'tit Zappeur' un magazine gratuit de présentation des programmes de télévision, conçoit et réalise pour le compte de certains clients des annonces publicitaires publiées dans son magazine.

Prétendant que la société Comareg Bretagne Ouest - Le Télégramme (la société Comareg), qui diffuse un journal d'annonces gratuit sous la dénomination 'Paru Vendu', reproduisait sans autorisation dans sa publication six de ses créations, la société Westcom l'a assignée en contrefaçon d'oeuvres de l'esprit et en concurrence déloyale devant le tribunal de commerce de Vannes, lequel, après avoir relevé que les annonces publicitaires considérées ne constituaient pas des créations originales susceptibles de bénéficier de la protection du Code de la propriété intellectuelle et qu'il n'était pas démontré que la concurrence déloyale invoquée avait été source d'un quelconque préjudice, a statué par jugement du 26 juin 2009 en ces termes :

'Déboute la société Westcom de toutes ses demandes, fins et conclusions pour les causes sus-énoncées ;

Condamne la société Westcom à payer à la société Comareg la somme de 2.500 euros toutes taxes comprises au titre des frais irrépétibles ;

La condamne également aux entiers dépens de l'instance ;

Déboute les parties du surplus de leurs demandes, fins et conclusions'.

La société Westcom a relevé appel de cette décision en demandant à la Cour de :

'Condamner la société Comareg à payer à la société Westcom la somme de 10.166 euros (5.980 euros + 4.186 euros) en réparation du préjudice consécutif à la contrefaçon ;

Condamner la même à payer à la société Westcom la somme de 5.000 euros en réparation du préjudice consécutif à la concurrence déloyale ;

Dire et juger que la société Westcom pourra publier sur trois journaux régionaux de son choix un encart, de dimension équivalente aux reproductions contestées, indiquant que les créations publicitaires ont été reproduites en fraude des droits de la société Westcom, éditeur du magazine 'Le p'tit Zappeur', dans la limite d'un investissement de 7.000 euros ;

Condamner la défenderesse à payer à la société Westcom le montant des factures relatives aux publications, dans la limite de 7.000 euros, sur présentation des dites factures ;

Rejeter l'ensemble des demandes, fins et conclusions de la société Comareg ;

Condamner la société Comareg à payer à la société Westcom la somme de 8.000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile'.

La société Comareg conclut principalement à la confirmation du jugement attaqué et à l'allocation d'une somme de 3.000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile, ou subsidiairement à la juste réduction de l'indemnisation sollicitée.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure ainsi que des prétentions et moyens des parties, la Cour se réfère aux énonciations de la décision attaquée ainsi qu'aux dernières conclusions déposées pour la société Westcom le 29 janvier 2010, et pour la société Comareg le 19 avril 2010.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Sur l'incident de communication de pièces

Alors que les parties avaient été avisées dès le 7 mai 2010 de ce que l'ordonnance de clôture serait rendue le 15 septembre 2010, la société Westcom a cru devoir communiquer les 14 et 15 septembre 2010, jour même de la clôture, 4 pièces nouvelles

Cette communication tardive de pièces, connues de la société Westcom depuis au moins le mois de juin 2010 mais dont la production a été différée sans motif pertinent, a, de fait, privé la société Comareg de la possibilité de les discuter utilement.

Elles seront par conséquent écartées des débats en application des articles 16 et 135 du Code de procédure civile..

Sur l'action en contrefaçon

La société Wetcom revendique la protection des livres I et III du Code de la propriété intellectuelle pour six maquettes d'annonces publicitaires reproduites, à la demande des annonceurs concernés, dans une publication de la société Comareg.

Son action suppose donc, pour être recevable, qu'elle établisse être toujours titulaire des droits d'exploitation des annonces qu'elle prétend avoir créées, l'intimée invoquant à cet égard les dispositions de l'article L. 132-31 du Code de la propriété intellectuelle aux termes desquelles le contrat passé avec l'annonceur en vue de la création d'une oeuvre publicitaire de commande entraîne, sauf clause contraire, cession des droits d'exploitation de l'oeuvre.

Cependant, les divers bons de commandes produits comportent une clause aux termes de laquelle les annonceurs déclarent adhérer sans réserve aux conditions générales de ventes reproduites au verso, lesquelles énoncent à l'article 4.3 que toute création publicitaire resterait la propriété littéraire et artistique de son auteur.

La société Comareg ne peut sérieusement soutenir que ces dispositions contractuelles serait inopérantes dans un litige opposant l'un des cocontractants à un tiers, alors que, si le principe de l'effet relatif du contrat implique que celui-ci ne peut créer de rapport d'obligation qu'entre les parties contractantes, il est permis à ce tiers d'invoquer le contenu du contrat, qui constitue pour lui un fait juridique, comme élément de preuve.

Dès lors, il convient de considérer que la société Westcom n'a pas cédé ses droits d'exploitation à l'annonceur, de sorte qu'elle a bien qualité pour agir en contrefaçon.

Pour autant, la société Westcom ne peut bénéficier de la protection légale des oeuvres de l'esprit que dans la mesure où elle démontre que chacune des six annonces publicitaires présentées comme ayant été contrefaites par la société Comareg constituent des créations originales portant l'emprunte de la personnalité de leur auteur.

Il résulte à cet égard de l'examen des maquettes produites que:

  • la publicité 'Delta Informatique' met en scène divers matériels informatiques offerts à la vente par l'annonceur en incrustation dans une bande de pellicule cinématographique, les logotypes de ces produits et de l'annonceur et un message publicitaire se référant à la période de Noël ;
  • la publicité 'SiliGom' met en scène des pneus, sur un fond vert, couleur d'identification de ladite société, avec le logo de l'entreprise et le texte relatif aux prix et à l'offre promotionnelle,
  • la publicité 'Les Parquets du Golfe', présente les vues photographiques de deux intérieurs dont le sol est recouvert de parquet, séparés par un bandeau blanc dans lequel a été intégré le logotype de l'annonceur ainsi que le slogan 'une passion pour le bois' ;
  • l'annonce publicitaire Cuisinella met en scène un homme tenant le ventre de sa compagne enceinte , dans une cuisine avec en pied un message relatif à une offre commerciale ;
  • l'annonce publicitaire 'Foir'fouille' présente, dans sa partie droite, un slogan 'prix festifs sur la déco de Noël' associé, dans sa partie gauche, à la vue photographique d'un sapin de Noël décoré et, dans sa partie basse, au logotype et à l'adresse de l'annonceur ;
  • l'annonce publicitaire 'Orchestra' présente une offre commerciale illustrée par trois photographies d'enfants séparées par des éclairs blancs.

Or, par d'exacts motifs que la Cour adopte, les premiers juges ont à juste titre relevé que ces maquettes ne témoignent d'aucun effort créatif original, la prestation de la société Westcom n'ayant en effet consisté qu'à produire un simple travail de choix de typographies déjà disponibles ainsi que de mise en page, banale et ne se démarquant pas du domaine public, des clichés photographiques, des messages publicitaires et des signes distinctifs des produits vantés, fournis par les annonceurs eux-mêmes.

Les seuls réels apports avérés résident :

  • pour l'annonce 'Delta Informatique', dans l'utilisation de l'image d'une pellicule cinématographique dans laquelle ont été incrustés les clichés photographiques de matériels informatiques fournis par l'annonceur,
  • pour l'annonce 'Les Parquets du Golfe', dans la création du slogan 'une passion pour le bois',
  • pour l'annonce 'Foir'fouille', dans l'utilisation de la photographie d'un sapin de Noël censée illustrée le slogan 'prix festifs sur la déco de Noël'.

Cependant, l'attestation de la société Delta Informatique révèle que l'idée d'utiliser une pellicule cinématographique a été suggérée par l'annonceur, ce que ne démentent pas les échanges de courriels produits par l'appelante.

D'autre part, les slogans publicitaires en cause ne sont que le reflet d'une simple idée ne portant pas l'emprunte de la personnalité de leur auteur et étant insusceptible de protection au titre de la propriété littéraire et artistique.

Enfin, l'utilisation de la banale photographie d'un arbre de Noël, dont la société Westcom ne prétend au demeurant pas être elle-même l'auteur, en illustration d'une annonce commerciale liée aux fêtes de fin d'année ne se démarque en rien du domaine public et ne témoigne donc d'aucun effort créatif original.

La société Westcom ne peut donc revendiquer le bénéfice de la protection des livres I et III du Code de la propriété intellectuelle relatifs aux oeuvres de l'esprit, de sorte que les premiers juges l'ont pertinemment déboutée de son action en contrefaçon.

Sur l'action en concurrence déloyale

La société Westcom fait par ailleurs grief à la société Comareg d'avoir commis des actes de concurrence déloyale et parasitaire en tirant profit à moindre coût de sa réputation, de sa notoriété et de ses efforts de conception de maquettes publicitaires.

Cependant, il n'est pas contesté que la société Comareg a reproduit dans sa publication des annonces dont les maquettes lui ont été fournies par les annonceurs qui les détenaient.

Or, il résulte des énonciations des conditions générales de vente précédemment rappelées que la société Westcom ne s'était contractuellement réservée que la seule propriété littéraire et artistique de ses créations.

Elle ne peut donc faire grief à la société Comareg d'avoir omis de vérifier que les maquettes qu'elle a fournies aux annonceurs étaient libres de droits, alors que, d'une part, il a été précédemment établi qu'il ne s'agissait pas de créations originales bénéficiant de la protection du Code de la propriété intellectuelle et que, d'autre part, elle est elle-même incapable d'établir que la facturation à l'annonceur de sa prestation de conception de maquette publicitaire ne relevant pas du régime de la propriété littéraire et artistique n'entraînait pas la cession au profit de l'acquéreur du droit de l'exploiter.

Il s'en déduit que rien ne démontre que la société Comareg ait commis une faute en reproduisant dans son journal 'Paru-Vendu' des annonces publicitaires dont les maquettes lui avait été fournies par les annonceurs et que, partant, il ne peut lui être reproché de s'être immiscée dans le sillage de la société Westcom pour tirer profit sans rien dépenser de la réputation, de la notoriété ou des efforts de cette dernière.

Le jugement attaqué sera donc confirmé en tous points.

Sur les frais irrépétibles

Il serait enfin inéquitable de laisser à la charge de la société Comareg l'intégralité des frais exposés par elle à l'occasion de l'instance d'appel et non compris dans les dépens, en sorte qu'il lui sera alloué une somme de 2.500 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS, LA COUR :

Écarte du débat les pièces numérotées 56 à 59 communiquées par la société Westcom les 14 et 15 septembre 2010 ;

Confirme le jugement rendu le 26 juin 2009 par le tribunal de commerce de Vannes en toutes ses dispositions ;

Condamne la société Westcom à payer à la société Comareg une somme de 2.500 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Condamne la société Westcom aux dépens d'appel ;

Accorde à la société civile professionnelle Bazille, avoués associés, le bénéfice des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.