CA Rennes, 2e ch. com., 9 octobre 2007, n° 06/05390
RENNES
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Studio Rougereau (SARL)
Défendeur :
Greleg (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. le Guillanton
Conseillers :
Mme Cocchiello, Mme Boisselet
Avoués :
SCP Gauvain & Demidoff, SCP Castres, Colleu, Perot & Le Couls-Bouvet
Avocats :
Me Chereul, Me Gueguen
FAITS ET PROCÉDURE :
La société STUDIO ROUGEREAU, ayant son siège à Caen, exerce une activité de photographie à des fins publicitaires. Elle a réalisé différents visuels originaux pour le compte d'une société IFS DISTRIBUTION, exploitant deux supermarchés à Caen sous l'enseigne E.LECLERC. Ses réalisations ont été confiées dans ce cadre à la société GRELEG, ayant son siège à Treillières (44), pour façonnage et tirage en grand format, puis intégration dans la signalétique des deux magasins.
Informé que les supports techniques confiés à GRELEG avaient été utilisés dans d'autres magasins, le STUDIO ROUGEREAU a assigné cette société en contrefaçon devant le tribunal de commerce de Nantes.
Par jugement du 1er juin 2006, le tribunal a :
- dit que le STUDIO ROUGEREAU est propriétaire exclusif des droits afférents aux photographies litigieuses,
- dit que les reproductions sans son autorisation par la société GRELEG constituent des contrefaçons,
- condamné la société GRELEG à payer au STUDIO ROUGEREAU la somme de 6 500 € à titre de dommages et intérêts, ainsi que celle de 3 500 € au titre de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile,
- ordonné l'exécution provisoire.
Le STUDIO ROUGEREAU en a relevé appel le 27 juillet 2006.
Par conclusions du 27 novembre 2006, auxquelles il est expressément fait référence pour l'exposé complet de son argumentation, il demande que lui soit allouée la somme de 37.000 € à titre de dommages et intérêts, et celle de 5 000 € au titre de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile.
Par conclusions du 27 février 2007, auxquelles il est expressément fait référence pour l'exposé complet de son argumentation, la société GRELEG demande :
- que la demande soit déclarée irrecevable, en raison du fait qu'ayant réalisé les photos litigieuses dans le cadre d'une commande, le STUDIO ROUGEREAU ne détient plus aucun droit sur les photos litigieuses,
- que soit constatée la bonne foi de la société GRELEG, qui ne pouvait savoir que les photos n'étaient pas libres de droits,
- que le STUDIO ROUGEREAU soit condamné à lui payer les sommes de 5 000 € pour procédure abusive et 5 000 € au titre de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile,
- subsidiairement, que le jugement soit confirmé.
SUR QUOI, LA COUR :
Il résulte de la facture établie par le STUDIO ROUGEREAU à l'intention de la société IFS DISTRIBUTION que les droits sur les photos vendues ont été cédés pour une exploitation interne aux magasins LECLERC IFS et LANFRANC. Cette mention, dépourvue de toute ambigüité, constitue une clause dérogatoire parfaitement licite au principe énoncé par l'article L. 132-31 du Code de la propriété intellectuelle selon lequel, sauf clause contraire, dans le cas d'une oeuvre de commande utilisée pour la publicité, le contrat entre le producteur et l'auteur entraîne, au profit du producteur et sous certaines conditions, cession des droits d'exploitation de l'oeuvre.
Dès lors, le STUDIO ROUGEREAU est bien resté titulaire des droits d'exploitation des photos cédées à IFS DISTRIBUTION n'entrant pas dans le cadre convenu avec cette société, soit leur utilisation pour la signalétique de deux magasins déterminés.
Sa demande a donc été justement déclarée recevable.
La société GRELEG est, selon la publicité faite sur internet par le groupe FIGA auquel elle appartient, spécialiste de la signalétique, notamment en grande distribution. Elle travaille donc de façon habituelle avec un matériau photographique, et est donc rompue aux questions touchant les droits d'exploitation de ce matériau. Elle souligne d'ailleurs elle-même qu'elle travaille de façon constante avec des photos "libres de droits", ce qui révèle sa connaissance des précautions à prendre en la matière. Dès lors, en utilisant, sans aucun contrôle, les supports techniques qui lui avaient été remis pour une opération déterminée, dans le cadre de campagnes publicitaires distinctes pour d'autres clients, elle a commis, à tout le moins, une imprudence engageant sa responsabilité à l'égard du titulaire des droits, soit le STUDIO ROUGEREAU, ce qu'elle ne conteste d'ailleurs pas sérieusement. Le jugement ne peut par conséquent qu'être confirmé sur le principe de l'indemnisation accordée au STUDIO ROUGEREAU.
En ce qui concerne l'étendue du préjudice, il est constant que neuf photos ont été réutilisées pour élaborer 54 visuels diffusés dans un grand nombre de magasins LECLERC. Le STUDIO ROUGEREAU n'est pas fondé à évaluer le préjudice subi au montant total des prestations englobant les photos litigieuses. En effet le traitement spécifique qui leur a été apporté par GRELEG, qui les a fait "retravailler' pour les intégrer, avec d'autres éléments, dans des visuels qu'elle a par la suite revendus, a abouti à un produit distinct, qui lui est propre, et dans lequel les photos intégrées ont été utilisées comme une matière première. Dès lors, l'évaluation à laquelle ont procédé les premiers juges, qui ont retenu le prix habituel de photos similaires, et le montant des droits d'exploitation usuellement pratiqués, doit être confirmée, d'autant qu'elle correspond à celle proposée par l'expert-comptable de GRELEG. Il sera en outre observé que le total des factures adressées à IFS DISTRIBUTION par le STUDIO ROUGEREAU est de l'ordre de 8 000 €, et que ce dernier ne peut prétendre tirer un profit supérieur des mêmes produits dépourvus de leur exclusivité. Le STUDIO ROUGEREAU a, par ailleurs, en sa qualité de professionnel de la photo, manqué de prudence en ne portant aucun avertissement sur les supports techniques qu'il a confiés à GRELEG, et ainsi créé les conditions de réalisation de l'atteinte à ses droits.
Les premiers juges ont donc exactement évalué le préjudice, et le jugement sera confirmé sur le montant des dommages et intérêts alloués.
Sur les dépens, la demande de dommages et intérêts, et les demandes au titre de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile :
Le STUDIO ROUGEREAU, qui succombe en son appel, en supportera les dépens.
L'erreur sur l'étendue de ses droits ne constituant pas une faute, la demande de dommages et intérêts formée par la société GRELEG sera rejetée.
L'équité commande qu'il ne soit pas fait application de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile au titre de l'appel, les sommes allouées à ce titre par les premiers juges, ainsi que la charge des dépens de première instance étant par ailleurs confirmées.
PAR CES MOTIFS :
Confirme le jugement en toutes ses dispositions,
Condamne le STUDIO ROUGEREAU aux dépens du présent appel, avec recouvrement direct au profit de Maîtres Castres, Colleu, Perot, Le Couls-Bouvet, avoués,
Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile dans le cadre du présent appel,
Rejette le surplus des demandes.