CA Douai, 2e ch. civ., 8 mars 1990, n° 5978/89
DOUAI
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Automobiles Citroën (SA), Automobiles Citroën (Sté)
Défendeur :
Garage de la Liane (SA), Ruffin (ès qual.), Sailly (ès qual.), Air Liquide (Sté), Bail Equipement (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Bononi
Conseillers :
Mme Giroud, M. Delaude
Avoués :
SCP Carlier-Regnier, Me Cocheme
Avocats :
Me Doussot, Me Wallon
FAITS ET PROCEDURE
- Le 21 avril 1989, Tribunal de Commerce de BOULOGNE SUR MER, a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l’égard de la S.A. GARAGE DE LA LIANE, à SAINT SEOUARD, bénéficiaire d'un contrat de concession automobile consenti par la S.A. AUTOMOBILE CITROEN.
- Messieurs CHIFFET Alain et MANCHE Jean-Pierre. ayant constitué une société anonyme dénommée LA LIANE AUTOMOBILE, créée par acte sous seings privés, font une proposition de rachat permettant, selon le Bilan Economique et Social dressé par Maitre RUFFIN, Administrateur, de parvenir a la cession totale de I'entreprise et au maintien de 29 des 39 employés salariés,
Le 4 septembre 1989 le Tribunal de Commerce arrête ce plan de cession totale moyennant le prix principal de 300.001 francs outre le stock, fixe la date de jouissance au 6 septembre 1989 et ordonne notamment le transfert “ au sens des dispositions de l’article 86 de la loi du 25 Janvier 1985. des contrats de concession et bail consentis par la Société Commerciale des Automobiles CITROEN”.
- Le jugement en sa motivation, a indiqué que Maitre DELADRIERE pour la Société Commerciale des Automobiles CITROEN avait donné son accord sur la poursuite du contrat de concession pour une durée indéterminée à compter du 1er SEPTEMBRE 1989.
- La S.A. AUTOMOBILES CITROEN a interjeté appel de cette décision, présenté requête au Premier Président de la Cour d’Appel de DOUAI le 22 septembre 1989 qui I'a autorisée à assigner à jour fixe pour I'audience du 25 octobre 1989 la S.A. GARAGE DE LA LIANE.
PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES:
A. La S.A AUTOMOBILES CITROEN et la SOCIETE COMMERCIALE DES AUTOMOBILES CITROEN partie intervenante par conclusions des 9 octobre et 12 décembre 1989 auxquelles la Cour fait expresse référence pour I'exposé plus ample de leurs prétentions et moyens, demandant A la Cour de :
"- Réformer la décision du Tribunal de Commerce de BOULOGNE SUR MER.
- Déclarer recevable et bien fondée I'intervention d'AUTOMOBILES CITROEN.
- Lui donner acte que seule la société AUTOMOBILES CITROEN, avait la capacité juridique de faire des observations quant à la cession par le Tribunal du contrat de concession au repreneur et de donner son accord à la poursuite du contrat de concession visé au plan de cession et en conséquence donner acte que seule la société des AUTOMOBILES CITROEN pouvait être considérée comme co-contractant.
- Donner ACTE à AUTOMOBILES CITROEN qu'un nouveau contrat de concession automobile a été signé avec une société composée d'actionnaires, ayant comme personnes physiques, Messieurs MANCHE et CHIFFET.
- Constater que Monsieur MANCHE et Monsieur CHIFFET ont été bénéficiaires du plan de cession, qu'ils ont cependant conclu un nouveau contrat de concession conformément aux dispositions d'une lettre en date du 24 JUILLET 1989.
- Constater dire et juger en conséquence, que ce nouveau contrat ne pouvait pas de par la volonté des parties être inclus dans le plan de cession du fonds de commerce GARAGE DE LA LIANE.
- Dire et juger que I'article 86 doit être interprêté restrictivement.
- Dire et juger que le contrat de concession automobile n'est pas visé par l'article 86 de la loi du 25 Janvier 1985.
- Dire et juger que le contrat de concession automobile ne peut être considéré comme un contrat de fourniture de bien ou service, et qu'il ne peut être inclus dans le champ d'application de l’article 86.
- Dire et juger que le contrat de concession automobile est conclu particulièrement en I'espèce, avec AUTOMOBILES CITROEN en fonction d’un intuitu personae particulièrement souligné et qu’en tant que tel il ne peut être cédé sans l’accord du co-contractant.
- Débouter I'intimée de toutes ses demandes fins et conclusions, y compris de ses demandes d'article 700.
- Statuant reconventionnellement, condamner les intimés à payer la somme de 10.000 francs au vu des dispositions de I'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile”.
B- MAITRE RUFFIN, Administrateur judiciaire de la S.A. GARAGE DE LA LIANE, Maitre SAILLY, représentant des créanciers, la S.A GARAGE DE LA LIANE, par conclusions déposée le 24 octobre 1989 demandent à la Cour : de :
1. Statuer ce que de droit sur les prétentions de la S.A. SOCIETE COMMERCIALE DES AUTOMOBILES CITROEN,
2. Débouter la S.A. AUTOMOBILES CITROEN de toutes ses prétentions y compris de sa demande de donner acte.
3. La déclarer mal fondée en son appel.
4. Dire et Juger que le contrat de concession liant S.A. AUTOMOBILES CITROEN à la S.A. CARAGE DE LA LIANE un contrat de fournitures de biens et services nécessaire au maintien de I'activité de la S.A. GARAGE DE LA LIANE dans le cadre du plan de cession au profit de MM. MANCHE et CHIFFET,
5. Constater que par I'article 86 de la Loi du 25 Janvier 1985 ce contrat est de droit transmis au cessionnaire, en l’occurrence MM. MANCHE et CHIFFET ces derniers agissant pour le compte de qui il appartiendra.
6. Reconventionnellement, Condamner la S.A. AUTOMOBILES CITROEN à payer à la S.A. GARAGE DE LA LIANE et à Me RUFFIN es qualité la somme de 15.000 francs au titre de I'article 700."
LE MINISTERE PUBLIC régulièrement informé, s'en est reporté à la justice
MOTIFS DE LA DECISION :
Attendu que la S.A. AUTOMOBILES CITROEN en interjetant appel de La décision du Tribunal de Commerce de BOULOGNE SUR MER et se réclamant ainsi implicitement des dispositions de I'article 174 de la Loi du 25 janvier 1985 s'est, nécessairement, attribué la qualité de “co-contractant cédé”, au sens dudit article, dans le cadre du plan de cession arrêté par le Tribunal.
I. SUR LA FORME :
Attendu qu'elle fait justemnent valoir qu’en la forme le jugement entrepris n’a pas à son égard, respecté les dispositions de l’article 105 du Décret du 27 décembre 1985 dès lors qu’il n’est pas justifié qu’elle ait été convoquée aux fins de fournir ses observations quand à la cession éventuelle du contrat la liant à la S.A GARAGE DE LA LIANE en redressement judiciaire ;
Qu'elle n'est pas contredite par ailleurs lorsqu'elle soutient que la personne qui, en son non, a donné son accord sur la poursuite du contrat de concession à compter du 1er septembre1989 n'avait aucune qualité pour ce faire.
Attendu que pour cette double raison la Cour doit tirer de ces irrégularités la nécessaire conséquence qui s'impose en réformant le jugement entrepris, la formalité de I’article 105 sus-visé n’étant pas prescrite à peine de nullité, dans la limite de la "partie du jugement" dont la SA AUTOMOBILES CITROEN pouvait relever appel ainsi que I'énonce I’article 174 de la Loi.
II. SUR LE FOND :
Attendu qu'au soutien d'un appel dont I'intérêt est devenu purement théorique puisque dès le 6 septembre 1989 a pris effet la Société anonyme AUTOMOBILES CITROEN et la S.A. LA LIANE AUTOMOBILES un contrat en tous points identique à celui dont elle prétend qu'il ne pouvait lui en être imposé la cession au profit précisément de cette société, la société appelante fait valoir que le contrat de concession automobile, en raison de sa spécificité, n'est pas et ne peut pas être visé par l’article 86 de la Loi du 25 Janvier 1989.
A. Attendu que pour prétendre qu'il n'est pas visé par cet article, la S.A. AUTOMOBILES CITROEN en fait une lecture restrictive, méconnaissant la portée quasi-générale de I'expression “fournitures de biens et de services” et à laquelle correspond au plan tant économique que juridique le contrat signé le 2 février 1988 avec la société en liquidation judiciaire.
Qu'en effet il y est clairement indiqué, que les commandes passées par le Concessionnaire au constructeur font l’objet de ventes fermes (article 2-a)alinéa 2), que le départ usine du véhicule en transfère les risques au concessionnaire entrainant une facturation immédiate ( même article, alinéa 3). que ces ventes sont faites avec clause de réserve de propriété (art.2-b) que le concédant vend également sous des conditions identiques les pièces détachées nécessaires à l'entretien et à la réparation des véhicules de la marque (article 4).
Qu’il est certain qu’en contrepartie du droit qui lui est " concédé" de revendre des véhicules neufs ou d'occasion de marque Citroen le concessionnaire se voit imposer diverses obligations telles, notamment l'interdiction d'avoir d’autres activités sans l'accord du concédant, l’obligation d'assurer la première révision et les services de garantie prévue et celle de revente des véhicules aux “Conditions Générales de vente et de garantie” telles qu'édictées par le concédant.
Que toutefois ces conditions pour restrictives qu’elles soient de la liberté d'agir et de commercer du concessionnaire ne peuvent être tenues comme constituant I'essentiel du contrat.
Qu’elles n'en sont que le corollaire, touchant aux modalités d’exécution du contrat et n'ont pas pour effet d'en modifier I'économie qui demeure pour le concédant, en contrepartie d’avantages accordés à son co-contractant, la possibilité de lui vendre ses produits et pour ce dernier, sous réserve de respecter ces conditions restrictives, celle de les revendre avec bénéfice, certain d'être (sur un territoire géographique défini) le seul à pouvoir le faire.
Attendu qu'il s'agit bien Ià d'un contrat commutatif complexe comportant un ensemble d'échanges de services de la part des partenaires, et comme tel portant sur la fourniture de biens ou de services que le Iégislateur n'a pas voulu définir de façon plus précise ou restrictive.
B. Attendu que pour prétendre que ce type de contrat ne peut pas être visé par I'article 86, la S.A. AUTOMOBILES CITROEN fait essentiellement état de son aspect "personnel".
Attendu qu'il est indéniable que ce texte, par le caractère forcé des cessions de contrats qu'il organise, porte atteinte à la liberté des conventions et à "l'intuitu personae" qui pour certaines en est I'essentiel.
Que toutefois semblable cession forcée ne peut être décidée que pour autant que le contrat concerné remplisse la condition plus économique que juridique d’être “nécessaire au maintien de l’activité”, le législateur ayant traduit en cet article son souci de parvenir à la réalisation, dans le cadre d’un plan de cession, de deux des trois finalités énoncées en ordre préférentiel dans l’article 1er de la loi, sauvegarde de l’entreprise et maintien de l’activité et de l’emploi.
Que I'essentiel de la réflexion du juge doit porter sur cette condition et le conduire au premier chef, indépendamment de l’intuitu personnae de certains contrats dont il aura déterminé qu'ils entrent, par leur nature, dans les prévisions de I'article 86, à rechercher s'll s'agit de contrats principaux ou simplement accessoires dont le sort est indifférent pour la réussite du plan de cession.
Que la démarche proposée par la société appelante, recherche et caractérisation de l’intuitu personae en premier lieu dont l’affirmation rendrait alors inapplicable I’article 86, ne tient pas compte des finalités de la loi et du fait que cet article n'établit, à la lettre, aucune distinction selon que le contrat revêt ou non un caractère personnel.
Attendu qu'au cas d'espèce il ne peut être sérieusement contesté que le contrat liant la société appelante à la S.A. GARAGE DE LA LIANE était nécessaire au maintien de I'activité de l’entité économique que projetait de “reprendre” la société LA LIANE AUTOMOBILE créée le 31 AOUT 1989 entre CHIFFET Alain et MANCHE Jean-Pierre.
Qu'en effet l'analyse du Bilan Economique et Social dressé par Me RUFFIN, fait apparaitre:
- que pour l’exercice 1988 la société liquidée judiciaire sur un chiffre d'affaires de 70.836.019 francs en a réalisé 57.000.000 francs, soit près de 80%, en vente de véhicules neufs et d'occasion,
- que les ventes de pièces de rechange, de carburants et lubrifiants, la main-d’oeuvre atelier n'ont représenté que 13.251.584 francs soit un peu moins de 20%,
- que la poursuite de ce contrat pour laquelle il est dit (page 9 du Bilan) que la société appelante avait donné son accord pour une durée indéterminée et à compter du 1er septembre 1989 permettait le maintien de 29 des 39 contrats de travail existant,
Attendu que ces constatations rendent Inopérante I'analyse, purement théorique, par la société appelante de la fonction de garagiste comme devant pré-exister à la signature du contrat de concession ;
Qu'il importe peu en effet d'affirmer une vérité d'évidence à savoir que les contrats ne font pas partie du fonds de commerce dès lors que la loi organise précisément leurs cessions forcées à I'occasion de sa reprise lorsqu'ils en sont le soutien essentiel et en constituent, comme en la présente affaire, la valeur économique réelle.
Que la Cour ne pouvant se prononcer in abstracto ainsi que tente de l'y forcer la société appelante n'a pas à la suivre en son analyse du contrat de concession et sa thèse selon laquelle ce contrat se distinguerait de I'activité économique de I'entreprise, activité pouvant se poursuivre en dehors de lui, dès lors, qu'au cas d'espèce, l'examen des chiffres relevés dans le Bilan Economique et social conduit précisément à dire que la société liquidée n'était économiquement viable que par ce contrat et que toute “reprise” ne pouvait se concevoir que par sa cession.
Attendu que les impératifs économiques et sociaux tels que caractérisés en la présente instance, nonobstant le caractère personnel du contrat de concession litigieux, justifient que les premiers Juges qui au demeurant semblent s'être mépris involontairement sur les pouvoirs du représentant de la Société Commerciale de Automobiles CITROEN (partie intervenante en cause d'appel) en ait prononcé la cession.
Attendu en conséquence que la Cour dira la S.A. AUTOMOBILES CITROEN mal fondée en son appel et que sa succombance entrainant pour elle la charge des dépens, elle ne peut prétendre au bénéfice de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;
Attendu, compte-tenu de la nature particulière du litige, que nulle raison d'équité ne commande qu'il soit fait application de ce même article 700 au profit de la S.A. GARAGE DE LA LIANE et Maître RUFFIN ;
PAR CES MOTIFS
- Dit la S.A. AUTOMOBILES CITROEN recevable en son appel et la SOCIETE COMMERCIALE DES AUTOMOBILES CITROEN en son intervention.
- REFORME Ie jugement entrepris en ce qu’il a méconnu les dispositions de I'article 105 DU décret du 27 décembre 1985 quant à la S.A. AUTOMOBILES CITROEN ;
- AU FOND, le CONFIRME en ce qu’il a autorisé la cession au profit de laS.A. LA LIANE AUTOMOBILE du contrat de concession automobile consenti par la SOCIETE AUTOMOBILE CITROEN A la S.A. GARAGE LA LIANE, en redressement judiciaire.
- Dit n'y avoir lieu d’appliquer I’article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
- Condamne la S.A. AUTOMOBILES CITROEN, aux dépens de première instance et d’appel, en autorise le recouvrement direct au profit de Me COCHEME conformément aux dispositions de I’article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.