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Décisions

CA Paris, 3e ch. B, 28 mai 1999, n° 98/21251

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Libert (ès qual.), Semip (SA), SAM Semip (SARL)

Défendeur :

Borie Sae (SNC), Nouvelle Semip (SNC)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Feuillard

Conseillers :

M. Monin-Hersant, M. Pimoulle

Avoués :

SCP Varin Petit, Me Pamart

Avocats :

Me Bernard, Me Lagarde

T. com. Évry, 4e ch., du 11 juin 1998, n…

11 juin 1998

La Cour statue sur I’appel formé par Me LIBERT, ès qualité d’administrateur judiciaire et de commissaire à l’exécution du plan des sociétés SEMIP S.A. et SAM SEMIP S.A.R.L., contre le jugement du Tribunal de commerce d’EVRY (4e chambre, RG 97F15686), rendu le 11 juin 1998, qui a condamné solidairement les sociétés en nom collectif BORIE S.A.E. et NOUVELLE SEMIP à lui payer 1.650.000 F,  l'a condamné à payer à ces sociétés 728.028 F., la compensation étant ordonnée et le solde portant intérêts au taux légal à compter du 6 février 1987, avec capitalisation, a condamné encore les deux S.N.C., solidairement, à lui payer les frais, taxes et débours consécutifs à la cession et l'a débouté de sa demande de dommages et intérêts pour résistance abusive, l’exécution provisoire du jugement étant ordonnée sur le principal.

II est fait référence au jugement déféré pour la connaissance complète des faits de la cause et des moyens et demandes des parties en première instance.

Un jugement du 22 avril 1996 a ordonné la cession partielle des actifs des sociétés SEMIP et SAM SEMIP, en redressement judiciaire, au profit de BORIE S.A.E. mais pour le compte de NOUVELLE SEMIP, société en cours de constitution dont elle se portait garante.

Les sociétés repreneuses ne s’étant pas acquittées de leurs obligations financières, Me LIBERT a saisi le tribunal pour obtenir, à titre de réparation, une somme de 1,65 MF.

Les défenderesses ont fait valoir en substance qu’elles devaient supporter des charges qu’elles n’avaient pas souscrites constituées par l’obligation de conserver quatre salariés à statut protégé dont le licenciement n’avait pas été autorisé.

Le tribunal a relevé que l’administrateur judiciaire avait attendu le 4 juin 1996 pour présenter une demande d’autorisation de licenciement des salariés protégés, la décision de refus étant rendue le 8 juillet 1996 ; qu’ainsi l’autorisation de licencier 72 salariés n’avait pas, à la date du jugement arrêtant le plan, été accordée, contrairement aux indications contenues dans le projet de plan de cession exposé dans le rapport de l’administrateur. II a toutefois constaté que les conditions de reprise des salariés protégés n’avaient jamais été évoquées par le cédant, que BORIE S.A.E. avait repris 64 contrats de travail au lieu des 60 prévus. II a donc estimé, le prix de cession ne pouvant être modifié, que BORIE S.A.E. avait droit à l’indemnisation des charges supplémentaires qui lui avaient été imposées.

APPELANT ès qualité, Me LIBERT, par écritures en réponse et récapitulatives du 16 mars 1999, demande, par voie d’infirmation partielle du jugement, le débouté de BORIE S.A.E. de sa demande de paiement d’une somme de 728.028 F., le jugement étant confirmé pour le surplus. A titre subsidiaire, il sollicite l'infirmation du jugement et la condamnation des intimés à payer les intérêts sur le solde résultant de la compensation à compter du 11 juin 1998, outre une indemnité de procédure de 10.000 F.

II fait valoir essentiellement que le projet de plan de cession a été présenté et arrêté conformément aux dispositions de la loi du 25 janvier 1985 et de son décret d'application, notamment l’article 64 de ce texte; et que le transfert des contrats de travail s’impose à tous en vertu d’une disposition d’ordre public, l’article 122-12 C. trav. II estime en conséquence qu’il appartient à BORIE S.A.E. de faire son affaire personnelle du coût de la reprise des contrats de travail des quatre salariés protégés.

II conteste, à titre subsidiaire, la date d'application des intérêts au taux légal qui seraient dus aux intimées sur la somme qui leur serait accordée.

INTIMEES les société BORIE S.A.E. et NOUVELLE SEMIP par conclusions récapitulatives du 23 mars 1999, demandent l’infirmation du jugement en ce qu’il a ordonné la capitalisation des intérêts et la condamnation de Me LIBERT à leur restituer la somme de 728.028 F. (séquestrée à la C.D.C ), assortie des intérêts au taux légal à compter du 16 avril 1998, date de remise des fonds à Me LAVAL, avec capitalisation. Elles réclament une indemnité de procédure de 20.000 F.

Elles font fait valoir en substance que NOUVELLE SEMIP s’est vu imposer des charges complémentaires auxquelles elle n’a pas adhéré et que Me LIBERT n’a pas respecté exactement ses obligations.

Elles affirment que, la non-régularisation de la cession étant imputable à l’administrateur judiciaire, le jugement devrait être infirmé en ce qu’il a ordonné la capitalisation des intérêts.

SUR QUOI, LA COUR,

Considérant que les intimées ne discutent pas [’application dans la cause des dispositions d’ordre public de l’article L 122-12 C. trav. ;

Qu’elles sont cependant en droit d’invoquer les dispositions, également d’ordre public, du troisième alinéa de l’article 62 de la loi du 25 janvier 1985 ;

Considérant, il est vrai, que le jugement du 22 avril 1996 arrêtant le plan de cession partielle, "conformément I‘article 64, constate que I’autorisation de licenciement est accordée pour 72 salariés (...) ” (souligné par la Cour);

Que, à la suite, par le jugement déféré, les premiers juges ont, manifestement quoiqu’implicitement, considéré que les indications fournies au tribunal à l’occasion de I’examen du projet de plan étaient inexactes puisqu’il avait été constaté, par erreur, que l’autorisation de licenciement avait été obtenue ;

Considérant, en réalité, que le deuxième alinéa de l’article 64 du décret du 27 décembre 1985, aux termes duquel “le jugement arrêtant le plan indique le nombre de salariés dont le licenciement est autorisé ainsi que les activités et catégories professionnelles concernées ", n’impose nullement que les autorisations administratives de licenciement, nécessaires pour les salariés à statut protégé, aient déjà été obtenues puisque, d’une part, ce texte doit s’interpréter par rapport à l’article 63 de la loi du 25 janvier 1985 dont le deuxième alinéa énonce: “Le jugement précise (...) les licenciements qui doivent intervenir dans le délai d'm mois après le jugement. Dans ce délai, ces licenciements interviennent sur simple notification de l’administrateur (...) ” et qui, dans son premier alinéa, prévoit, seulement mais préalablement à l’arrêté du plan, la consultation et/ou l’information du comité d’entreprise ou des délégués du personnel ainsi que de l’autorité administrative compétente, d’autre part, que ces textes n’exigent pas qu’une liste nominative des salariés dont le licenciement est envisagé soit fournie au tribunal dans le cadre de l’examen du projet de plan;

Considérant en revanche que, par application du même article 63 de la loi, mais aussi de l’article L 321-8 C. trav. auquel il renvoie, par suite l’article R 321-6 du même code, et encore des 1° et 2° de l’article 64 du décret du 27 décembre 1985 et dès lors que le plan prévoit des licenciements pour motif économique et préalablement à l’arrêt du plan, donc à l’examen de celui-ci par le tribunal, il appartient à l’administrateur judiciaire ou au débiteur, selon les cas, d’informer l’autorité administrative en lui fournissant la liste nominative des salariés dont le licenciement est envisagé, avec toutes précisions relatives à I’emploi et la qualification de chacun d’eux;

Que le procès-verbal des délibérations du comité d’entreprise et la lettre informant l’autorité administrative du projet de licenciement doivent, au plus tard, être produits en chambre du conseil s’ils n’ont pas été antérieurement annexés au rapport déposé au greffe;

Considérant, en l’espèce, que Me LIBERT, après avoir laissé entendre dans ses premières écritures qu’il avait saisi l’autorité administrative avant le 4 juin 1996 puisqu’il aurait, à cette date, sollicité de nouveau une autorisation qui lui a été refusée, reconnait, en fait, dans ses écritures récapitulatives, avoir attendu le 4 juin 1996 pour procéder à cette saisine; qu’il est donc établi qu’il ne s’est pas conformé aux dispositions analysées ci-dessus; qu’il n’avait d’ailleurs pas davantage saisi le comité d’entreprise antérieurement à l’arrêté du plan;

Considérant qu’il s’ensuit, dès lors, d’une part, que les repreneuses ont, en définitive et à la suite de l’intervention du jugement présentement examiné, signé les actes de cession, qu’ils ne remettent pas en cause, d’autre part, que le prix de cession arrêté ne peut être modifié pour être revu à la baisse alors que les cessionnaires ont dû assumer des charges qu’elles n’avaient pas souscrites, que les intimées ont droit à une compensation;

Considérant que Me LIBERT, ès qualités, s’il conclut bien à l’infirmation du jugement en ce qu’il a accordé une somme de 728.028 F. aux intimées en soutenant qu’il revient à celles-ci de faire leur affaire personnelles des conséquences de l’application de l’article L. 122-12 C. trav., ne prétend pas que le paiement de cette somme constituerait une charge indue pour la procédure collective, lésant les intérêts légitimes des créanciers;

Qu’il n’y a pas lieu, pour la Cour, de mettre cette question dans le débat ;

Considérant ainsi que le jugement sera confirmé sur ce point, le montant de la somme allouée aux cessionnaires n’étant pas réellement discutée par Me LIBERT et ayant fait l’objet d’un séquestre dans l’attente de la présente décision ;

Considérant que la somme en cause, nécessairement de nature indemnitaire, doit normalement porter intérêts au taux légal à compter de la date du jugement, confirmé, qui l’a accordée;

Qu’il n’existe aucun motif de déroger à cette règle ;

Qu’il s’ensuit que les conditions de l’article 1154 C. civ. ne sont pas réunies à la date du présent arrêt, la demande de capitalisation présentée par les intimées ne pouvant prospérer;

Considérant que les intimées ne discutent plus, en ce qui concerne les condamnations prononcées à leur encontre, celle d’avoir à payer la somme de 1,65 MF, n’argumentant qu’à propos de la capitalisation des intérêts;

Considérant qu’il s’ensuit que la compensation entre les condamnations réciproques doit être ordonnée qui n’est pas discutée par Me LIBERT, contrairement à ce que croient les intimées, l’observation de l’administrateur judiciaire à ce sujet visant seulement l’erreur technique mentionnée ci-après;

Considérant, certes, que le jugement a ordonné la capitalisation seulement des intérêts courant, depuis le 6 février 1997, sur le solde résultant de la compensation, quoique le droit au solde, donc aux intérêts courant sur ce solde, ne peut résulter que de la compensation elle-même, laquelle suppose que les créances réciproques soient reconnues par le juge en cas de compensation judiciaire;

Que la prétention des intimées demeure cependant, indépendamment de cette erreur technique commise par le jugement, en ce qu’elle tend au rejet de la demande subsidiaire de Me LIBERT de compensation après application, avec anatocisme, des intérêts sur la somme de 1,65 MF à compter de la même date du 6 février 1997;

Considérant que les intimées, qui ne contestent pas le principe des intérêts devant courir depuis le 6 février 1997, invoquent la jurisprudence qui reconnait au juge le pouvoir de refuser la capitalisation si c’est par la faute du créancier que la liquidation de la dette n’a pu avoir lieu;

Mais considérant que, sans qu’il y ait lieu ici de se prononcer formellement sur la faute de I’administrateur judiciaire, il suffit de constater que la liquidation de la dette n’est pas en cause, la somme que les intimées doivent payer étant le montant même du prix de cession qu’elles devaient acquitter ;

Qu’il sera donc fait droit à la demande de capitalisation des intérêts présentée par Me LIBERT;

Considérant que la demande des intimés d’une indemnité de procédure en cause d’appel sera accueillie pour le montant sollicite ;

Que la demande de même nature de Me LIBERT sera rejetée ;

Que Je jugement sera confirmé en ce qu’il a statué sur l’application de l’article 700 N.C.P.C. ;

Considérant qu’il y a lieu, à la suite des premiers juges, de partager les dépens d’appel par moitié ;

PAR CES MOTIFS :

CONFIRME le jugement déféré dans son principe en ce qu’il porte des condamnations à titre principal, a ordonné la compensation et a statué sur les intérêts et leur capitalisation ;

Le REFORMANT en tant que de besoin, le PRECISANT et le COMPLETANT de ces chefs,

DIT que la somme de 1.650.000 francs que les sociétés BORIE S.A.E. et NOUVELLE SEMIP doivent payer à Me LIBERT, ès qualités, est assortie des intérêts au taux légal à compter du 6 février 1997;

DIT que ces intérêts se capitalisent dans les conditions de l’article 1154 C. civ.;

DIT que la somme de 728.028 francs que Me LIBERT, ès qualités, doit payer à ces sociétés ne peut produire d’intérêts avant la date du jugement, 11 juin 1998 ;

DIT que la compensation est effective à la date du jugement, les intérêts au taux légal sur le solde auquel a droit Me LIBERT, ès qualités, courant seulement à compter de cette date, 11 juin 1998;

CONFIRME le jugement dans toutes ses autres dispositions ;

CONDAMNE Me LIBERT, es qualité, à payer 20.000 francs (3.048,98 euros) aux sociétés intimées par application de I’article 700 N.C.P.C. ;

Le CONDAMNE aux dépens d’appel pour moitié ; CONDAMNE les sociétés intimées et l’autre moitié de ces dépens ;

ADMET les avoués de la cause, dans la limite de leurs droits, au bénéfice de l’article 699 N.C.P.C. ;

REJETTE toute prétention ou demande contraire à la motivation.