CA Colmar, 1re ch. civ., 13 juin 1990, n° 571/88
COLMAR
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Défendeur :
Compagnie d'Assurances Rhin et Moselle (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Wagner-Fournier
Conseillers :
M. Gueudet, M. Vallens
Avocats :
Me d'Ambra, Me Schreckenberg, Me Cahn
Le 17 septembre 1982, M. X a adhéré à un contrat d'assurance Groupe conclu entre la banque CREDIT INDUSTRIEL D’ALSACE ET DE LORRAINE, ci-après dénommée CIAL et la Cie d'Assurances RHIN et MOSELLE, en vue de garantir en invalidité décès un capital de 100.000 F, correspondant à une facilité de caisse du même montant consentie par le CIAL ;
Par un acte du 29 octobre 1992, l’épouse de M. X, Mme X a signé un acte de cautionnement solidaire à concurrence de la somme de 100.000.-F. Le 3 février 1983, M. X s’est suicidé par un coup de feu tiré dans la bouche.
A cette date, le compte bancaire de M. X présentait un solde débiteur de 102.678,82 F ;
Le 13 septembre 1984, le CIAL a assigné Mme X en ses qualités d'héritière et de caution solidaire aux fins de paiement du solde débiteur du compte courant de son défunt mari, ainsi que d'un prêt professionnel, qui n'est pas en litige;
Le 7 novembre 1984, RHIN et MOSELLE a informé le CIAL qu'elle refusait sa garantie par application de l'article L 132-7 du Code des Assurances qui exclut l'indemnisation en cas de suicide volontaire et conscient dans les deux premières années du contrat.
Par une demande du 23 avril 1986, signifiée le 4 juin 1986, Mme X, agissant en son nom personnel et en sa qualité de représentant Iégal de ses enfants mineurs a assigné RHIN et MOSELLE en paiement de la somme de 102.678,82 F augmentée des intérêts conventionnels due au CIAL et de dommages-intérêts estimés à 10.000 F.
Par un jugement du 9 octobre 1987, le Tribunal de Grande Instance de STRASBOURG a déclaré cette demande irrecevable en considérant que l'action, engagée plus de deux ans après le décès de M. X était prescrite, par application de l'article L. 114-1 du Code des Assurances.
Mme X a interjeté appel de ce jugement et sollicite à l'encontre de RHIN et MOSELLE le paiement de la somme de 100.000.- F en principal, augmentée des intérêts légaux à compter du jour du décès de son mari, de dommages-intérêts fixés à 10.000 F et d'une indemnité de procédure du même montant.
Elle expose :
- la prescription invoquée ne peut concerner que les relations entre l'assureur et son co-contractant le CIAL, et n'est pas opposable à elle-même,
- la prescription biennale ne joue pas non plus à l’égard du CIAL puisque RHIN et MOSELLE n'a refusé sa garantie que le 7 novembre 1984, ce qui donnait au CIAL un délai pour agir expirant au 7 novembre 1986 ;
- RHIN et MOSELLE devait régler directement au CIAL l’indemnité prévue, égale au découvert existant au jour du décès,
- la prescription biennale n'est pas d'ordre public ;
- RHIN et MOSELLE y a renoncé en réclamant le 19 juillet 1985 des renseignements complémentaires ;
- le procès-verbal complémentaire ne lui a communiqué que le 15 octobre 1984 et le rapport d'autopsie le 21 novembre 1984, de sorte qu’elle était dans l'impossibilité d'agir ;
- quant au fond, I'assureur doit faire la preuve du caractère volontaire et conscient du suicide pour se soustraire a l’obligation de garantie ;
- M. X était sous l’influence de médicaments et d'alcool et a donc commis un suicide inconscient pour lequel la garantie est due ;
- ayant payé le CIAL elle est subrogée dans ses droits et invoque en outre I’existence d'une action propre à l’encontre de I'assureur.
RHIM et MOSELLE sollicite la confirmation du jugement et le paiement d'une indemnité de procédure de 3.500 F
Elle fait valoir :
- le délai de prescription biennale a commencé à courir le 8 février 1983, date du suicide de M. X,
- I’action en paiement engagée par le CIAL contre Mme X ne constitue pas le recours d'un tiers (visé à l'article L 114-1 dernier alinéa du Code des Assurances)
- le délai est d'ordre public, et n’est pas interrompu par les démarches ou discussions entre les parties,
- subsidiairement, au fond, le suicide de M. X était un suicide conscient, décidé en raison d'un état dépressif et de difficultés conjugales,
- la garantie est donc exclue par application du Code des Assurances et des stipulations de la police.
SUR CE, LA COUR :
Vu le dossier de la procédure, les pièces régulièrement versées au dossier et les mémoires des parties auxquels la Cour se réfère pour plus ample exposé de leurs moyens,
Sur la loi applicable :
Attendu que l’article 1er des conditions générales du contrat d'assurance groups auquel M. X a adhéré précise que ce contrat est régi par la loi du 13 Juillet 1930 sur le contrat d'assurance et les décrets des 14 juin 1938, 30 décembre 1938 et 24 Janvier 1956 réglementant les assurances de groupe ;
Attendu que le contrat, souscrit par M. X A HAGUENAU et destiné à recevoir application entre des parties toutes domiciliées ou établies dans le Bas-Rhin avait vocation à être régi par la loi locale du 30 mai 1908 sur le contrat d'assurance, du moins par ses dispositions impératives, dès lors que les parties ont opté pour le droit commun comme elles en avaient la faculté (art. L 111-4 du Code des Assurances) ;
Attendu que l’appelante n’a cependant pas invoqué les dispositions de la loi locale de 1908, ni dans ses écrits de première instance ni dans ses conclusions d’appel ;
Attendu que la Cour ne devrait soulever d'office ce moyen que s'il s’agissait d'une disposition d'ordre public ;
Mais attendu que seules les dispositions impératives de la loi locale pourraient être assimilées à des règles d'ordre public, prévalant sur les dispositions générales également impératives du Code des Assurances ;
Attendu que si les commentateurs allemands rattachaient à la notion d'ordre public les règles de procédure, telles que la prescription ou la compétence, ces commentaires sont sans autorité pour l'interprétation de textes devenus des lois françaises (Colmar 2.11.1951 Gaz Pal. 1952.1.101) ;
Attendu que I'ordre public français est assuré par le droit commun, lui-même impératif et ne peut être invoqué utilement pour faire prévaloir la loi locale (art. L 111-2 C. Ass. ; cf. MARGEAT et FAVRE ROCHEX, Précis de la loi sur le contrat d'assurance LGDJ p. 495, cf. BOUBLI, sous T.G.I. THIONVILLE 16.10.1968, JCP 1969 II 15865) ;
Attendu que seul le critère formel des dispositions déclarées impératives par la loi elle-même peut déterminer les régies applicables (Cass. Civ. 1re 8.2.1966, Bull, n* 96 ; Colmar 8.12.1961 RJAL 1962 p. 144) ; Attendu que l'application éventuelle de la loi locale ne constituerait donc pas un moyen tiré de I'ordre public ;
Attendu en conséquence qu’il n’y a pas lieu de rouvrir les débats sur ce point et qu'il convient de trancher le litige selon les régies contenues dans le Code des Assurances, seul invoqué par les parties ;
Sur la prescription :
Attendu que toutes actions dérivant d’un contrat d’assurance sont prescrites par deux ans à compter de I'événement qui y donne naissance (art. L 114-1 al. 1 du Code des Assurances) ;
Attendu que l’appelante invoque plusieurs moyens à l’encontre de cette prescription ;
* Cette règle ne serait pas applicable à l’action intentée contre RHIN et MOSELLE.
Attendu que l'article L 114-1 du Code des Assurances s'applique a toutes les actions dérivant du contrat d'assurance groupe souscrit par M. X auprès de RHIN et MOSELLE, par l'intermédiaire du CIAL ;
Attendu que Mme X s'estime subrogée dans les droits du CIAL par suite du règlement qu'elle aurait fait entre ses mains et invoque une action propre contre l'assureur ;
Attendu que sur chacun de ces deux fondements, l'action engagée par Mme X dérive du contrat souscrit par son défunt mari, les obligations de RHIN et MOSELLE envers le CIAL ou envers Mme X Sont fixés par la police d’assurances litigieuse ;
Attendu au surplus que Mme X était un tiers au contrat d'assurance et n'a été tenue du découvert du solde dû par son défunt mari qu’en vertu de l'acte de cautionnement souscrit au profit du CIAL ;
Attendu dès lors que son action est nécessairement fondée sur le paiement allégué des montants dus au CIAL, et dérive directement du contrat d'assurance souscrit par le CIAL auprès de RHIN et MOSELLE ;
Attendu dès lors que le délai de prescription légal s'applique à son action ;
* RHIN et MOSELLE aurait renoncé à se prévaloir de ce délai ;
Attendu que la prescription de deux ans est d'ordre public mais peut être écartée, au profit de I'assuré, si l'assureur y a renoncé par une manifestation non équivoque ;
Attendu qu'en I'espèce RHIN et MOSELLE a refusé sa garantie le 7 novembre 1984, par une lettre du 7 novembre 1984 adressée au CIAL ;
Attendu que si l'assureur invoque comme seul motif le suicide de M. X, ce courrier est daté du 7 novembre 1984 soit avant l'expiration du délai de prescription (venant à son terme le 9 février 1985) ; que ce refus ne peut donc impliquer une renonciation au bénéfice de la prescription;
Attendu qu'en réponse à une lettre ultérieure du conseil de Mme X en date du 10 juillet 1985, RHIN et MOSELLE a demandé des renseignements complémentaires sur I'état de santé de M. X, dont sa veuve indiquait I’existence d'une intoxication par médicaments ;
Attendu que cette lettre, datée du 19 juillet 1985, ne fait pas référence à la prescription, mais ne dénote aucune volonté non équivoque permettant d'établir sa renonciation à s'en prévaloir, la seule question évoquée dans ce courrier étant celle de la nature du suicide ;
Attendu qu'il n'y a donc pas renonciation de la part de l’assureur à invoquer cette prescription ;
* Mme X aurait été dans l'impossibilité d'agir plus tôt ;
Attendu que les pièces de la procédure pénale utiles au soutien de sa demande ne lui ont été communiquées qu’aux mois d'octobre 1984 (P.V. de police) et de novembre 1984 (Rapport d'autopsie) ;
Mais attendu que le Code des Assurances prévoit de manière limitative les cas dans lesquels le délai de prescription court non pas de I'événement qui y a donné naissance mais de faits postérieurs ;
Attendu qu'ainsi, en cas de sinistre, ce délai ne court que du jour où les intéressés en ont eu connaissance s'ils prouvent qu'ils l’ont ignoré jusque là, ou, en cas d’action d'un tiers, du jour où ce tiers a assigné I'assuré ou a été indemnisé par lui (art. L 114-1-2 et art. L 114-1 3 alinéa du Code des Assurances) ;
Attendu qu'en I'espèce, Mme X n'allègue pas qu'elle aurait ignoré le suicide de son mari survenu le 8 février 1983, ayant elle-même découvert le corps le jour-même selon le procès-verbal d'enquête préliminaire ;
Attendu que le point de départ du délai pourrait être finalement la date à laquelle Mme X a appris l'existence du contrat d'assurance souscrit par son mari ;
Attendu que selon les termes de la loi, il appartient & Mme X de prouver qu'elle ignorait l'existence de ce contrat auparavant ;
Attendu qu'elle ne soutient pas une telle affirmation ; qu'il résulte bien au contraire d'une lettre du 5 avril 1983 adressée au CIAL par le conseil de Mme X que celle-ci était informée de l'existence du contrat et en avait fait part à son avocat, en précisant la Compagnie d'Assurances concernée :
Attendu que Mme X savait au plus tard au mois d'avril 1983 l'existence de cette police et ne peut invoquer à son profit la règle “contra non valentem agere non currit prescriptio" ;
Attendu enfin que I'hypothèse ci-dessus visée du recours d'un tiers, en l'occurrence le CIAL ne peut s'appliquer en l'espèce ;
Attendu que cette hypothèse ne vise en effet que les assurances de responsabilité où I'assureur garantit la dette délictuelle de l'assuré, dans la mesure ou ce dernier n'a pu avoir connaissance du sinistre que par la réclamation du tiers victime (Lambert Faivre, Dt des assurances Précis DALLOZ n’ 119) ;
Attendu qu'ici Mme X savait dès le mois d’avril 1983 (lettre de son conseil du 5 avril 1983) qu'elle était tenue envers le CIAL des dettes de son défunt mari, en sa qualité de caution ;
Attendu d'ailleurs que même à supposer cette exception applicable, le délai de deux ans courant au plus tard le 5 avril 1983 expirait le 6 avril 1985, que Mme X n'a assigné le CIAL que le 4 Juin 1986, plus de deux ans après cette lettre ;
Attendu enfin que le refus de garantie, contenu dans la lettre de RHIN et MOSELLE du 7 novembre 1984 ne constitue pas, selon les règles applicables, le point de départ du délai de garantie ;
Attendu que le délai a donc commencé à courir le 8 février 1983, par application de l’article L 114-1-1er alinéa du Code des Assurances susvisé (Casa. Civ. 1re 17.2.1981 DS 1981 IR p. 383) ;
Attendu que ce délai a expiré normalement le 9 février 1985 ;
* Le délai de prescription aurait été interrompu ;
Attendu que la prescription légale est interrompue par une des causes ordinaires de prescription (art. 2244 à 2248 Code Civil) par la désignation d’experts, ou par l'envoi d'une lettre recommandée avec accusé de réception par I'assureur à I'assuré en ce qui concerne l’action en paiement de la prime ou par I'assuré à I'assureur en ce qui concerne le règlement de l'indemnité (art. L 111-2-2 alinéa du Code des Assurances) ;
Attendu que Mme X invoque comme acte interruptif la lettre de RHIN et MOSELLE datée du 19 juillet 1985 demandant des renseignements complémentaires à I'avocat de Mme X ;
Attendu que cette lettre n’émane pas de I'assuré et est au surplus datée du 19 juillet 1985, soit postérieurement à l'expiration du délai de prescription, intervenue le 9 février 1985 ; qu’elle n’a donc aucun effet interruptif sur celle-ci ;
Attendu en conséquence que le délai de prescription, né le 8 février 1983 a expiré le 9 février 1985 ;
Attendu que la demande dirigée contre RHIN et MOSELLE datée du 23 avril 1986 et signifiée le 4 juin 1986 est tardive ;
Attendu que c’est donc à bon droit que les premiers juges l'ont rejetée comme irrecevable ;
Attendu que la Cour relève au surplus à titre superfétatoire, que le suicide commis par M. X moins de deux ans après la conclusion du contrat d’assurance a pu être justement qualifié de conscient, le rapport d'autopsie mentionnant un coup de feu unique tiré dans la bouche après que M. X se soit allongé sur un lit et eût absorbé une très forte quantité d'alcool ainsi qu'une dose importante de tranquillisants ;
Que la garantie de ce sinistre, à supposer le délai prescription non expiré, pouvait don être à juste titre refusée par l'assureur par application de l'article L 132-7 du Code des Assurances ;
Attendu qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de l'intimée la totalité des frais irrépétibles qu'elle a engagés;
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Statuant publiquement et contradictoirement,
après en avoir délibéré,
Confirme le jugement entrepris,
Condamne Mme X à payer à la Compagnie RHIN et MOSELLE la somme de 2.000.- F (Deux mille francs) au titre de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile,
La condamne aux dépens d'appel.