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Décisions

Cass. 1re civ., 11 février 2010, n° 08-21.742

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Crédeville

Avocats :

Me Balat, SCP Boulloche

Agen, du 14 oct. 2008

14 octobre 2008

Attendu que Mme Georgette X... ainsi que son frère Jean-Pierre X... ont acquis de leurs parents une propriété qu'ils ont vendue au fils de Mme Georgette X... et à la compagne de ce dernier ; que Mme X... s'étant finalement opposée à la régularisation de l'acte authentique elle a été assignée par son fils afin de voir déclarer la vente parfaite ; qu'à la suite d'un certain nombre de péripéties judiciaires consécutives à des désistements auxquels Mme X... s'est opposée compte tenu des demandes reconventionnelles qu'elle avait formulées, le tribunal a donné acte aux acheteurs de leur désistement d'instance et d'action et débouté M. X... de sa demande de dommages-intérêts, a ordonné la suppression partielle de mots et de certains passages contenus dans les conclusions de ses adversaires et rejeté la demande de dommages-intérêts de Mme X... ;

Sur le premier moyen :

Attendu qu'il est fait grief à l'arrêt attaqué (Agen, 14 octobre 2008) d'avoir refusé d'écarter des débats l'ordonnance du juge des enfants du 14 décembre 1978 et le rapport d'expertise du docteur Y... du 30 mars 1979, alors, selon le moyen :

1° / que porte atteinte à la vie privée d'une personne la production en justice à l'initiative d'un tiers d'une ordonnance du tribunal pour enfant et d'un rapport d'expertise psychiatrique la concernant, couvert par le secret médical, dans une procédure totalement étrangère à celle ancienne de plus de vingt ans dont ces documents sont issus ; qu'en refusant d'écarter des débats les documents en question, la cour d'appel a violé l'article 9 du code civil et l'article 35 de la loi du 29 juillet 1881 ;

2° / qu'une atteinte au droit de toute personne au respect de sa vie privée n'est tolérée que si elle constitue une mesure nécessaire et proportionnée au regard de l'exercice du droit d'agir ou de se défendre en justice ; qu'en refusant en l'espèce d'écarter des débats une ordonnance du tribunal pour enfant et un rapport d'expertise psychiatrique concernant Mme X... aux motifs que les documents n'étaient ni outrageants ni injurieux et que cette demande se heurtait au droit d'agir ou de se défendre en justice, sans rechercher si la production de ces éléments en justice constituait une mesure nécessaire et proportionnée à la défense de la partie adverse, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 8 de la convention européenne des droits de l'homme ;

Mais attendu qu'appréciant la portée et la teneur des documents litigieux, la cour d'appel a retenu ceux-ci par une motivation qui échappe aux griefs du moyen tels qu'ils sont formulés ; que le moyen ne peut donc être accueilli ;

Sur le deuxième moyen :

Attendu qu'il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir refusé la suppression de l'ensemble des attestations produites par M. X... du n° 5 à 10 inclus, n° 14 à 20 inclus et pièce n° 23, alors, selon le moyen :

1° / que si le juge peut prononcer la suppression des discours injurieux ou outrageants, il n'a pas le pouvoir d'ordonner la suppression partielle de passages d'attestations qui, ayant pour unique objet de faire état de faits injurieux ou outrageants, doivent être totalement écartées des débats ; qu'en refusant d'écarter des débats les attestations en cause au motif que la suppression de certains passages suffisait à faire droit à la demande de Mme X..., la cour d'appel a violé l'article 41 de la loi du 29 juillet 1881 ;

2° / que Mme X... soulevait dans ses conclusions d'appel l'irrégularité des attestations en cause pour n'avoir pas relaté des faits auxquels son auteur avait assisté ; qu'en s'abstenant de répondre à ce moyen déterminant, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

Mais attendu d'une part que la faculté accordée au juge d'ordonner la suppression dans des conclusions d'allégations injurieuses ou diffamatoires pour l'autre partie est générale et n'est subordonnée à aucune condition particulière et, d'autre part, qu'il appartient au juge du fond d'apprécier souverainement si l'attestation non conforme à l'article 202 présente des garanties suffisantes pour emporter sa conviction ;

Que le moyen ne peut donc qu'être rejeté ;

Et sur le troisième moyen :

Attendu qu'il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir refusé la suppression de termes et passages injurieux contenus dans les écritures de M. X... du 26 juin 2003 et dans les conclusions des consorts B...-A... du 12 décembre 2000 et du 30 octobre 2003, alors, selon le moyen :

1° / que le fait d'attribuer à la partie adverse l'existence de sérieux troubles psychiatriques et la seule volonté de nuire à ses parents, son frère et son fils, constitue des propos diffamatoires et outrageants ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé l'article 41 de la loi du 29 juillet 1881 ;

2° / que le fait pour Stéphane B...et Florence A... de qualifier les critiques émises par Georgette X... de " ‘ purement morosives " et d'affirmer qu'elles sont " mises en avant à des fins essentiellement dilatoires ", quand il apparaît que les juges du fond ont fait partiellement droit aux demandes de Mme X... en déclarant recevable son action en rescision pour lésion, constitue des propos diffamatoires et outrageants ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé l'article 41 de la loi du 29 juillet 1881 ;

3° / que le juge ne peut tenir pour vrais des faits qui font l'objet d'une demande de suppression sur la base de l'article 41 de la loi du 29 juillet 1881 ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé cet article ainsi que l'article 4 du code de procédure civile ;

Mais attendu que la cour d'appel a estimé à bon droit que le fait de qualifier des critiques comme purement morosives signifie seulement qu'elles sont tardives et qu'elles sont mises en avant à des fins dilatoires et n'ont pour but que d'obtenir un délai, ce dont il résulte qu'elles ne revêtent aucun caractère diffamatoire ; que les juges du fond n'ont fait qu'appliquer l'article 41 de la loi du 29 juillet 1881 en invoquant la démonstration faite en termes mesurés à l'appui d'une demande reconventionnelle formée, en rapport avec cette demande et pouvant apparaître nécessaire au succès des prétentions ; que dès lors le seul motif que l'action en rescision pour lésion de Mme X... a été déclarée recevable ne peut démontrer le caractère familier et outrageant de l'argumentation en défense ; qu'il s'ensuit que la critique selon laquelle le juge ne peut tenir pour vrais des faits qui font l'objet d'une demande de suppression est inopérante ;

Et sur le quatrième moyen :

Attendu qu'il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir débouté Mme X... de sa demande de dommages intérêts, alors que la cassation qui ne manquera pas d'intervenir sur les trois premiers moyens de cassation entraînera l'annulation par voie de conséquence du chef de dispositif déboutant Mme X... de sa demande en dommages-intérêts, en application de l'article 625 du code de procédure civile ;

Mais attendu qu'en estimant que le préjudice résultant pour Mme X... des passages injurieux contenus dans les conclusions de M. X..., était réparé par la suppression desdits passages et qu'il n'y avait pas lieu d'allouer des dommages-intérêts, la cour d'appel n'a fait qu'user du pouvoir d'appréciation que lui confèrent les dispositions de l'article 41, alinéa 4, de la loi du 29 juillet 1881 ; que le rejet des autres moyens rend sans objet l'examen du quatrième moyen ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.