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Décisions

CA Paris, Pôle 1 ch. 10, 16 mars 2023, n° 22/09083

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Défendeur :

Eos France (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Avocats :

Me Bouscatel, Me Boutmy

CA Paris n° 22/09083

15 mars 2023

ARRÊT

Déclarant agir en vertu d'une ordonnance d'injonction de payer rendue par le juge du Tribunal d'instance de Lagny-sur[1]Marne le 16 avril 2003 sur la requête de la société Diac, la société Eos France venant aux droits de celle-ci a, le 25 octobre 2021, dressé un procès-verbal d'indisponibilité du certificat d'immatriculation d'un véhicule Mercedes immatriculé [Immatriculation 6] appartenant à M. [Y] [X], la créance étant fixée à 10 822,02 euros ; ce procès-verbal sera dénoncé au débiteur le 28 octobre 2021.

L'intéressé ayant contesté cette mesure d'exécution devant le juge de l'exécution de Meaux, ce dernier a, selon jugement en date du 21 avril 2022 : - rejeté les moyens tirés du défaut de qualité à agir de la société Eos France, de la prescription, et de la caducité de l'ordonnance d'injonction de payer ;

- déclaré le procès-verbal d'indisponibilité du certificat d'immatriculation valable ;

- débouté M. [Y] [X] de sa demande de mainlevée dudit procès-verbal ;

- dit que les intérêts se prescrivent par deux ans ;

- dit que les intérêts antérieurs au 28 octobre 2019 sont prescrits ;

- exonéré M. [Y] [X] de la majoration des intérêts au taux légal, en vertu de l'article L 313-3 du code monétaire et financier ;

- condamné la société Eos France au paiement de la somme de 200 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral ;

- débouté les parties du surplus de leurs demandes ;

- laissé à la charge de chacune d'elles les dépens par elles engagés ;

- débouté la société Eos France et M. [Y] [X] de leurs demandes en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Pour statuer ainsi, le juge de l'exécution a notamment relevé :

- que la société Eos France justifie venir aux droits de la société Diac selon bordereau de cession de créance daté du 20 décembre 2016 ;

- que M. [Y] [X] a été informé de cette cession par courrier du 22 septembre 2017, puis par acte d'huissier daté du 5 juin 2019 ;

- que l'ordonnance d'injonction de payer a été signifiée et revêtue de la formule exécutoire ;

- que le principal de la dette se prescrit par dix ans, le délai courant à compter du 19 juin 2008 ;

- que ce délai de prescription a été interrompu par la délivrance d'un commandement à fin de saisie-vente le 5 juin 2019, et par les versements opérés par le débiteur ;

- que les intérêts se prescrivent par deux ans conformément aux dispositions de l'article L 218-2 du code de la consommation.

Selon déclaration en date du 6 mai 2022, M. [Y] [X] a relevé appel de ce jugement.

En ses conclusions notifiées le 15 juin 2022, il a exposé :

- que le 7 octobre 2021, le juge de l'exécution de Paris a saisi le Procureur de la République de faits de pratiques commerciales déloyales qui ont été commis par la société Eos France, tels que définis aux articles L 121-1 et L 121-6 du code de la consommation ; qu'en effet celle-ci dissimule, vis-à-vis des emprunteurs, des informations substantielles concernant les règles de prescription des intérêts ; qu'en effet ceux-ci se prescrivent par deux ans ;

- que le titre exécutoire dont elle se prévaut est prescrit depuis le 18 juin 2018 ; que le délai n'a pas été interrompu par les prétendus versements allégués par la créancière ; qu'en effet il ne lui a réglé aucune somme, ses relevés bancaires le démontrant ;

- que le procès-verbal d'indisponibilité du certificat d'immatriculation litigieux revêt un caractère abusif, et il a subi un préjudice.

M. [Y] [X] a en conséquence demandé à la Cour d'infirmer le jugement sauf en ce qu'il l'a exonéré de la majoration des intérêts au taux légal, et de :

- constater la prescription ;

- annuler le procès-verbal d'indisponibilité du certificat d'immatriculation et en ordonner la mainlevée ;

- débouter la société Eos France de ses prétentions ;

- la condamner au paiement de la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts ;

- la condamner au paiement de la somme de 2 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais exposés en première instance, et de celle de 3 000 euros au titre de ceux exposés en appel ;

- la condamner aux dépens.

Dans ses conclusions notifiées le 1er juillet 2022, la société Eos France a répliqué :

- qu'elle a bien qualité à agir, l'appelant ne critiquant pas le jugement sur ce point ;

- que l'ordonnance d'injonction de payer, signifiée le 21 mai 2003 puis revêtue de la formule exécutoire, n'est pas caduque, M. [Y] [X] ne maintenant pas ses contestations à ce sujet ;

- que la prescription n'est pas acquise, car M. [Y] [X] a réalisé des paiements qui l'ont interrompue conformément à l'article 2240 du code civil, entre le 7 février 2006 et le 6 septembre 2016 ; que ces versements ont été comptabilisés par l'huissier de justice ;

- que les intérêts, quant à eux, ne se prescrivent pas par deux ans comme l'a estimé le juge de l'exécution, car l'article L 137-2 devenu article L 218-2 du code de la consommation est entré en vigueur après la conclusion du contrat de prêt ;

- que c'est la prescription de cinq ans prévue à l'article 2224 du code civil qui s'applique ;

- qu'il n'y a pas lieu d'accueillir la demande de M. [Y] [X] à fin d'exonération de la majoration des intérêts au taux légal, car elle lui réclame des intérêts au taux contractuel de 9,12 % ; que seule l'indemnité de résiliation, ramenée à 1 euro, est assujettie aux intérêts légaux ;

- qu'elle n'a commis aucune faute, se contentant d'exécuter un titre exécutoire via des mesures d'exécution, alors que M. [Y] [X] ne l'a jamais contactée.

La société Eos France a demandé à la Cour de confirmer le jugement sauf en ce qu'il a dit que les intérêts sont prescrits par deux ans, a exonéré M. [Y] [X] de la majoration des intérêts au taux légal, l'a condamnée au paiement de la somme de 200 euros à titre de dommages et intérêts, et a rejeté sa demande en application de l'article 700 du code de procédure civile, et de :

- débouter M. [Y] [X] de ses prétentions ;

- subsidiairement, cantonner les intérêts à ceux échus postérieurement au 28 octobre 2019 ;

- condamner M. [Y] [X] au paiement de la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- le condamner aux dépens, qui seront recouvrés directement par Maître Fertier.

Par message RPVA en date du 15 février 2023, la Cour a invité les parties à présenter leurs observations sur l'application de l'article R 312-35 du code de la consommation à la prescription des intérêts.

M. [Y] [X] a soutenu qu'il résultait de la jurisprudence de la Cour de cassation que les intérêts, en tant que créance périodique, sont soumis au délai de prescription biennale de l'article L 218-2 du code de la consommation.

La société Eos France a indiqué que l'article R 312-35 du code de la consommation ne vise que les actions en paiement, et qu'il ne s'applique pas aux intérêts s'agissant d'un délai de forclusion, ni à l'exécution de décisions de justice. Elle a ajouté que la question de ce délai a été purgée lors du prononcé de l'ordonnance d'injonction de payer datée du 10 septembre 2002, dont le débiteur n'a pas fait opposition.

M. [Y] [X] a rétorqué que c'est bien un délai de deux ans qui s'applique, et que la partie adverse, en entretenant une certaine confusion sur ce point, se rend coupable de pratiques commerciales déloyales.

MOTIFS Devant la Cour, M. [Y] [X] ne maintient plus ses contestations relatives à la qualité à agir de la société Eos France et à la caducité de l'ordonnance d'injonction de payer fondant les poursuites.

S'agissant de la prescription de la dette en principal, les parties s'accordent pour que s'applique le délai de dix ans de l'article L 111-4 du code des procédures civiles d'exécution, et ce, à compter du 19 juin 2008 conformément aux dispositions de l'article 2222 alinéa 2 du code civil, selon lesquelles le nouveau délai, plus court que le précédent, commence à courir lors de l'entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008 sur la réforme de la prescription.

L'interruption de la prescription pourra être invoquée par le créancier, si ont été délivrés des actes visés aux articles 2240, 2241, 2244 du code civil (reconnaissance par le débiteur du droit de celui contre lequel il prescrit, demande en justice, acte d'exécution forcée, mesure conservatoire). Le commandement à fin de saisie-vente du 30 octobre 2003 a interrompu le délai. De plus, l'intimée invoque des paiements réalisés par le débiteur qui emporteraient reconnaissance de la dette, selon les modalités suivantes :

- 131,16 euros le 7 février 2006 ;

- 335,28 euros le 30 juin 2006 ;

- 335,28 euros le 22 janvier 2007 ;

- 109,68 euros le 10 août 2007 ;

- 152,40 euros le 26 août 2008 ;

- 503,40 euros le 18 novembre 2008 ;

- 200 euros le 18 décembre 2008 ;

- 173,64 euros le 25 mars 2009 ;

- 100 euros le 25 mai 2009 ;

- 197,36 euros le 17 août 2009 ;

- 133,19 euros le 15 octobre 2009 ;

- 118,30 euros le 30 mars 2010 ;

- 17,39 euros le 26 mai 2010 ;

- 78,38 euros le 25 août 2010 ;

- 55,41 euros le 21 octobre 2010 ;

- 221,74 euros le 20 janvier 2012 ;

- 113,09 euros le 25 mai 2012 ;

- 438,84 euros le 17 septembre 2012 ;

- 249,76 euros le 27 mai 2013 ;

- 326,80 euros le 1er juillet 2013 ;

- 350 euros le 13 janvier 2015 ;

- 126 euros le 24 février 2015 ;

- 1 106,37 euros le 6 septembre 2016.

Lesdits acomptes figurent dans un historique du compte établi par la Selarl Marcotte-Ruffin & asssociés, huissier de justice à Calais, pour une somme totale de 5 576,47 euros, laquelle sera reprise dans le décompte figurant dans l'acte de dénonciation du procès-verbal d'indisponibilité du certificat d'immatriculation. Ces mentions font foi jusqu'à preuve contraire. M. [Y] [X] verse aux débats ses relevés bancaires des mois d'août 2008, octobre 2009, août 2010, et octobre 2010, et les versements correspondant à ces mois n'y figurent pas. Pour autant, M. [Y] [X] ne démontre pas que la société Eos France ne peut avoir perçu aucune des sommes susvisées, étant rappelé que l'intéressé pouvait être titulaire de plusieurs comptes bancaires, ou encore faire payer des acomptes par un tiers. La Cour relève en outre que lors des débats de première instance, pas plus que lorsqu'il a été destinataire de la lettre de relance de l'huissier de justice le 24 novembre 2017, M. [Y] [X] n'a émis de contestation sur la réalité de ces versements. Il faut dès lors retenir leur réalité, et ils ont à chaque fois interrompu la prescription de dix ans, un nouveau délai courant à compter du 6 septembre 2016, le procès-verbal d'indisponibilité du certificat d'immatriculation intervenant moins de dix ans après. Le jugement sera confirmé en ce qu'il a écarté la fin de non-recevoir tirée de la prescription du chef du principal de la dette.

Concernant les intérêts, comme ils constituent une échéance périodique, ils sont soumis, de par leur nature, à un régime dérogatoire qui est celui de la créance de remboursement. En effet, le jugement qui constate une créance à échéance périodique n'emporte pas novation, et sa nature reste inchangée, les échéances postérieures audit jugement étant toujours régies par le droit applicable à la créance. Dès lors, s'agissant d'un crédit à la consommation, tel que défini à l'article L 312-1 du code de la consommation, le délai de dix ans susvisé ne leur est pas applicable, et il convient de retenir celui de deux ans comme il est dit à l'article R 312-35 du même code. Dans le procès-verbal d'indisponibilité du certificat d'immatriculation litigieux, ils sont réclamés sur la période allant du 16 avril 2003 au 26 octobre 2021 sur la somme d'un euro, et du 10 septembre 2002 au 26 octobre 2021 sur le principal (soit 6 883,60 euros). La prescription est acquise à compter du 6 septembre 2018, soit deux ans après le paiement du dernier acompte, et ce jusqu'au 25 octobre 2019, soit deux ans avant le procès-verbal d'indisponibilité du certificat d'immatriculation. En effet aucun acte interruptif n'est survenu entre le 6 septembre 2016 et le 25 octobre 2021. Le jugement sera infirmé en ce sens, et la société Eos France sera invitée à procéder à un nouveau calcul des intérêts conformément à ce qui précède.

La société Eos France critique le jugement en ce qu'il a exonéré son débiteur de la majoration des intérêts de retard. Aux termes de l'article L 313-3 du code monétaire et financier, en cas de condamnation pécuniaire par décision de justice, le taux de l'intérêt légal est majoré de cinq points à l'expiration d'un délai de deux mois à compter du jour où la décision de justice est devenue exécutoire, fût-ce par provision. Cet effet est attaché de plein droit au jugement d'adjudication sur saisie immobilière, quatre mois après son prononcé.

Toutefois, le juge de l'exécution peut, à la demande du débiteur ou du créancier, et en considération de la situation du débiteur, exonérer celui-ci de cette majoration ou en réduire le montant.

En l'espèce, la seule part de la dette affectée de l'intérêt au taux légal est l'indemnité de résiliation réduite à un euro. Les intérêts qu'elle produit sont donc d'un montant dérisoire, si bien qu'il est inutile d'accueillir la demande de M. [Y] [X] fondée sur le texte susvisé, et ce d'autant plus que l'intéressé ne justifie pas de sa situation financière, et surtout, que l'ordonnance fondant les poursuites a été rendue le 16 avril 2003, soit il y a près de vingt ans. Le jugement sera infirmé sur ce point.

La société Eos France poursuit l'infirmation du jugement en ce qu'il a octroyé à M. [Y] [X] la somme de 200 euros à titre de dommages et intérêts au titre de son préjudice moral, alors que l'appelant réclame la somme de 5 000 euros. Selon les dispositions de l'article L 121-1 du code de la consommation, les pratiques commerciales déloyales sont interdites.

Une pratique commerciale est déloyale lorsqu'elle est contraire aux exigences de la diligence professionnelle et qu'elle altère ou est susceptible d'altérer de manière substantielle le comportement économique du consommateur normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, à l'égard d'un bien ou d'un service.

Le caractère déloyal d'une pratique commerciale visant une catégorie particulière de consommateurs ou un groupe de consommateurs vulnérables en raison d'une infirmité mentale ou physique, de leur âge ou de leur crédulité s'apprécie au regard de la capacité moyenne de discernement de la catégorie ou du groupe.

Constituent, en particulier, des pratiques commerciales déloyales les pratiques commerciales trompeuses définies aux articles L. 121-2 à L. 121-4 et les pratiques commerciales agressives définies aux articles L. 121-6 et L. 121-7. L'article L 121-6 du même code dispose qu'une pratique commerciale est agressive lorsque du fait de sollicitations répétées et insistantes ou de l'usage d'une contrainte physique ou morale, et compte tenu des circonstances qui l'entourent :

1° Elle altère ou est de nature à altérer de manière significative la liberté de choix d'un consommateur ;

2° Elle vicie ou est de nature à vicier le consentement d'un consommateur ;

3° Elle entrave l'exercice des droits contractuels d'un consommateur.

Afin de déterminer si une pratique commerciale recourt au harcèlement, à la contrainte, y compris la force physique, ou à une influence injustifiée, les éléments suivants sont pris en considération :

1° Le moment et l'endroit où la pratique est mise en oeuvre, sa nature et sa persistance ;

2° Le recours à la menace physique ou verbale ;

3° L'exploitation, en connaissance de cause, par le professionnel, de tout malheur ou circonstance particulière d'une gravité propre à altérer le jugement du consommateur, dans le but d'influencer la décision du consommateur à l'égard du produit ;

4° Tout obstacle non contractuel important ou disproportionné imposé par le professionnel lorsque le consommateur souhaite faire valoir ses droits contractuels, et notamment celui de mettre fin au contrat ou de changer de produit ou de fournisseur ;

5° Toute menace d'action alors que cette action n'est pas légalement possible. Le fait de réclamer à un débiteur des intérêts qui sont pour partie prescrits ne saurait être assimilé à de telles pratiques ; en outre l'appelant ne démontre aucunement le préjudice qu'il invoque, étant observé qu'un procès-verbal d'indisponibilité du certificat d'immatriculation n'a d'autre effet que d'entraver la vente du véhicule dont il fait l'objet, puisqu'il empêche la délivrance d'un nouveau certificat d'immatriculation, et que M. [Y] [X] ne prouve ni même ne soutient avoir souhaité céder son véhicule Mercedes. Le jugement sera infirmé sur ce point et l'appelant débouté de sa demande de dommages et intérêts.

L'équité ne commande pas de faire application de l'article 700 du code de procédure civile au bénéfice de la société Eos France. M. [Y] [X] sera condamné aux dépens d'appel.

PAR CES MOTIFS

- INFIRME le jugement en date du 21 avril 2022 en ce qu'il a :

déclaré prescrits les intérêts échus avant le 28 octobre 2019,

exonéré M. [Y] [X] de la majoration de retard des intérêts au taux légal,

condamné la société Eos France à lui régler la somme de 200 euros à titre de dommages et intérêts, et statuant à nouveau :

- DIT que les intérêts sont prescrits à compter du 6 septembre 2018 et jusqu'au 25 octobre 2019 ;

- DIT que la société Eos France devra procéder à un nouveau calcul de ceux-ci ;

- DEBOUTE M. [Y] [X] de sa demande de dommages et intérêts ;

- DEBOUTE M. [Y] [X] de sa demande d'exonération de la majoration des intérêts de retard ;

- CONFIRME le jugement pour le surplus ;

- REJETTE la demande de la société Eos France en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- CONDAMNE M. [Y] [X] aux dépens d'appel, qui seront recouvrés par Maître Fertier conformément à l'article 699 du code de procédure civile.