CA Paris, 1re ch. H, 30 janvier 2007, n° 2006/07964
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
SFR (SA)
Défendeur :
Afone (SA), Arcep
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Pezard
Conseillers :
M. Remenieras, Mme Mouillard
Avoués :
SCP Fisselier Chiloux Boulay, SCP Varn Petit
Avocats :
Me Dupuis-Toubol, Me Berg, Me Justier, Me Tran Thiet
En métropole actuellement, les services de communications électroniques mobiles sont proposés aux utilisateurs finals par, notamment, les exploitants de réseaux mobiles ouverts au public, à savoir la société Orange, la Société Française du Radiotéléphone (ci-après SFR) et la société Bouygues Télécom.
Depuis 2004 sont apparus des opérateurs mobiles virtuels ou "MVNOs" (Mobile Virtual Network Opérators), opérateurs qui, ne disposant pas d'un réseau radioélectrique ni de ressources en fréquences radioélectriques, doivent, pour pouvoir fournir à leurs clients des services de téléphonie mobile classiques (accès, communications voix, SMS et autres services), services de communications électroniques au sens de l'article L 32, 1°et 6°, du Code des postes et communications électroniques, conclure une convention d'accès et de départ d'appel, dite MVNO, avec un opérateur de réseau mobile, dit opérateur hôte, afin d'opérer à partir de son réseau. Compte tenu de ces caractéristiques, les accords MNVO relèvent du régime de l'accès au sens de l'article L32-8 du Code des postes et communications électroniques.
Ces prestations d'accès et de départ d'appels sur les réseaux téléphoniques publics mobiles constituent des prestations de gros -car elles sont fournies par un opérateur à un autre opérateur- et ont été identifiées comme constituant le marché n°15 par la Commission européenne dans sa recommandation C(2003) 497 du 11 février 2003 concernant les marchés pertinents de produits et de services dans le secteur des communications électroniques susceptibles d'être soumis à une réglementation ex ante conformément à la directive 2002/21/CE du Parlement européen et du Conseil relative à un cadre réglementaire commun pour les réseaux et les services de communications électroniques (la directive Cadre).
L'ARCEP a donc entrepris, le 17 décembre 2004, et conformément à l'article 37-1 du CPCE, l'analyse de ce marché afin de déterminer si la présence d'opérateurs puissants, c'est-à-dire en situation de position dominante, rendait nécessaire de leur imposer des obligations d'accès et, éventuellement, d'en spécifier les conditions techniques et/ou tarifaires conformément aux articles L 38 et L 38-1 du code précité.
Après avoir notifié, le 14 avril 2005, à la Commission européenne un projet de décision par lequel elle proposait d' imposer une obligation d' accès aux trois exploitants de réseau mobile (Orange, SFR, Bouygues Télécom) qu'elle identifiait comme exerçant une influence significative conjointe, I'ARCEP a retiré ce projet le 31 mai 2005 au motif que ce marché, comme celui du détail, était encore susceptible d'évolution compte tenu de la signature récente d'accords MVNO et qu'il était préférable de mettre ces marchés sous surveillance afin de mesurer l'impact effectif des accords.
Par ailleurs, par arrêté ministériel du 18 juillet 2001, adopté à l'issue d'une procédure de soumission comparative organisée en 2000-2001, SFR s'était vu accorder une autorisation -autrement appelée "licence UMTS"- d'établir et d'exploiter un réseau radioélectrique de troisième génération (3G), assortie d'un cahier des charges reprenant l'engagement souscrit par elle de "proposer une offre permettant I 'accueil d'opérateurs virtuels sur son réseau".
C'est dans ce contexte qu'à partir de septembre 2004, la société Afone a pris attache avec SFR en vue d'engager des négociations commerciales visant à la conclusion d'un accord MVNO. Malgré plusieurs rencontres et échanges de correspondances, cette démarche n'a pas abouti, SFR, pressée par la société Afone de lui communiquer un projet de contrat écrit, lui ayant finalement fait savoir, le 5 octobre 2005, qu'après analyse de son dossier de candidature, elle n'entendait pas donner suite à sa demande conclusion d'un accord MVNO sur son réseau.
Le 16 décembre 2005, la société Afone a saisi l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ci-après I'ARCEP) d'une demande de règlement de différend en application de l'article L 36-8, I, du Code des postes et communications électroniques.
Le 4 avril 2006, I'ARCEP a rendu la décision n o 06-0406 suivante :
"Article 1 - SFR doit proposer à AFONE, dans un délai de six semaines à compter de la notification de la présente décision, dans le respect de ses engagements pris au titre de son autorisation UMTS, une offre permettant I 'accueil d 'AFONE en tant qu'opérateur mobile virtuel sur son réseau, L'Autorité renvoie les parties à la négociation sur la base de cette proposition faite par SFR à AFONE.
Article 2 - Le surplus des demandes et conclusions présentées par AFONE et SFR est rejeté.
Article 3 - Le chef du service juridique ou son adjoint est chargé de notifier aux sociétés AFONE et SFR la présente décision et de veiller à son exécution. Elle sera rendue publique, sous réserve des secrets protégés par la loi, et publiée au Journal Officiel de la République française ».
LA COUR :
Vu la déclaration de recours, assortie d'une exposé sommaire de ses moyens, déposée par SFR le 5 mai 2006 et tendant à l'annulation de cette décision ;
Vu le mémoire déposé le 6 juin 2006 par SFR à l'appui de son recours, soutenu par ses mémoires en réplique et en duplique des 13 novembre et 6 décembre 2006, par lequel la requérante demande à la cour d'annuler les articles 1 et 2 de la décision et de condamner la société Afone à lui payer la somme de 15 000 euros sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Vu les mémoires en réponse et en duplique déposés par la société Afone les 28 juillet et 28 novembre 2006 par lesquels cette dernière demande à la cour de :
- déclarer irrecevable le moyen de SFR ayant trait à l'absence de négociation entre les parties sur un accès au réseau 3G de SFR ou, à titre subsidiaire, le déclarer non fondé ;
- rejeter le recours de SFR,
- faire droit à sa demande de communication de pièces et surseoir à statuer le temps nécessaire aux parties pour verser aux débats les observations qu'appelle de leur part ce document,
- condamner SFR à lui payer la somme de 20 000 euros au titre de l'article 700 du nouveau
Code de procédure civile ;
Vu les observations écrites de I'ARCEP en date du 28 septembre 2006, tendant au rejet du recours ;
Vu les observations écrites du Ministère Public, mises à la disposition des parties à l'audience, tendant au rejet du recours ;
Ouï à l'audience publique du 12 décembre 2006, en leurs observations orales, les conseils des parties et de I'ARCEP, ainsi que le Ministère Public, chaque partie ayant été mise en mesure de répliquer ; SUR CE :
- Sur la procédure
Considérant, tout d'abord, que c'est dans le strict respect du calendrier de procédure arrêté le 19 juin 2006 conformément à l'article R 11-5 du Code des postes et communications électroniques par le magistrat délégué par le premier président de cette cour que SFR a déposé un mémoire en réplique le 13 novembre 2006, aucune violation du principe de la contradiction ne pouvant résulter de l'exercice d'une faculté qui lui était expressément réservée afin de lui permettre de répondre aux moyens de la société Afone et aux observations de I'ARCEP ;
Considérant, ensuite, que le principe de la contradiction commande que soient examinés les moyens par lesquels la société Afone -fût-ce au sein d'un mémoire dont le dépôt n'avait pas été prévu par le magistrat délégué- soulève l'irrecevabilité d'un moyen prétendument nouveau développé par SFR dans son mémoire en réponse et réclame communication d'une pièce sur laquelle SFR fonderait ses dernières observations ; que le mémoire du 28 novembre 2006 sera donc examiné dans cette stricte mesure ;
Qu'à cet égard, la Cour constate que le défaut de négociation antérieure sur un accès au réseau 3G ne constitue qu'un développement du grief, régulièrement articulé, selon lequel la décision aurait statué ultrapetita et estime que la pièce réclamée n' apparaît pas nécessaire à la solution du litige de sorte que la demande de communication doit être écartée ;
- Sur le fond
Considérant qu'après avoir analysé les échanges intervenus en 2004 et 2005 entre la société Afone et SFR, I'ARCEP a retenu sa compétence pour trancher le différend né du refus de SFR d'accorder une prestation d'accès à la société Afone dans le cadre de la conclusion d'un accord MVNO, constituant également un échec des négociations commerciales ; que l'Autorité a ensuite analysé la procédure ayant conduit à l'attribution à SFR d'une licence UMTS par arrêté du 18 juillet 2001, pour en déduire que cette autorisation était assortie de l' obligation, volontairement souscrite par SFR elle-même dans son dossier de candidature et reprise dans le cahier des charges annexé à I'arrêté ministériel, de proposer une offre permettant l'accueil d'opérateurs virtuels sur son réseau ; qu'ayant relevé qu'aux termes de cet engagement, la négociation devait avoir lieu sur la seule base d'une offre proposée par SFR, qui ne l'a pas été en l'espèce, elle a enjoint à SFR de proposer à la société Afone, dans le respect des engagements souscrits au titre de son autorisation UMTS, une offre permettant l'accueil de cette société en tant qu'opérateur mobile virtuel sur son réseau ;
Considérant que SFR poursuit l'annulation de cette décision en faisant valoir :
1) que I'ARCEP ne pouvait, alors qu'elle statuait sur un règlement de différend en application de l'article L 36-8 du Code des postes et communications électroniques, lui imposer de se conformer à l'arrêté du 18 juillet 2001, l'appréciation du respect d'une autorisation administrative relevant exclusivement de l'article L 36-11 du même Code et de la procédure spécifique qu'il prévoit ;
2) que la décision est entachée d'un vice de motivation et d'une erreur de droit dès lors qu'elle ne se détermine pas en fonction des considérations d' équité et des objectifs de régulation prévus à l'article L 32-1 du Code des postes et communications électroniques ;
3) qu'elle se contredit en ce que l'ARCEP lui impose, defacto, une obligation de conclure une convention d' accès avec la société Afone tout en lui reconnaissant qu'elle ne peut lui imposer de faire droit à la demande d'accès de cette société ;
4) qu'elle est entachée d'erreur manifeste et d'excès de pouvoir en ce qu'elle confère à l'autorisation UMTS une portée qui lui interdit toute sélection des MVNO avant de les accueillir sur son réseau ;
5) qu'elle est entachée d'une erreur de droit et d'un défaut de réponse à conclusions en ce qu'elle consacre une mesure inéquitable à son endroit,
6) qu'elle a statué ultra petita ;
Mais considérant, sur le premier point, que I'ARCEP n'a pas fait usage du pouvoir de sanction qu' elle tient de l'article L 36-11 du Code des postes et communications électroniques, aux termes duquel elle "peut (..) sanctionner les manquements qu'elle constate, de la part des exploitants de réseaux ou des fournisseurs de services de communications électroniques, aux dispositions législatives et réglementaires afférentes à leur activité ou aux décisions prises pour en assurer la mise en œuvre" ; qu'en effet l'Autorité, qui a prononcé une injonction en se référant à l'autorisation administrative du 18 juillet 2001, s'est bornée à prendre en considération le contexte législatif et réglementaire applicable au différend opposant SFR à la société Afone, qu'il lui incombait de trancher en application de l'article L 38-1 du code précité, et, ayant constaté que l'engagement de SFR consistait à proposer un accès à son réseau sur la base d'une offre MVNO élaborée par elle, qui n'a jamais été proposée à la société Afone, a renvoyé SFR à ses obligations, préalable nécessaire à la conclusion d'un accord MVNO ; que les deux procédures dont s'agit étant indépendantes et fondées sur des textes distincts, la circonstance que I'ARCEP n'ait pas fait usage envers SFR, à l'issue du contrôle qu'elle a effectué sur la foi des documents remis par cette dernière, de son pouvoir de sanction au titre d'un manquement à l'arrêté d'autorisation du 18 juillet 2001 , ne la prive pas du droit de constater un tel manquement à l'occasion du règlement d'un différend opposant SFR à un opérateur désireux de conclure une convention MVNO ;
Considérant qu'il ne peut être fait grief à I'ARCEP de ne pas s' être déterminée en considération de principes d'équité et de régulation prévus à l'article L 32-1 du Code des postes et communications électroniques (deuxième point), dès lors qu'en se référant à l'autorisation administrative du 18 juillet 2001, elle a nécessairement intégré les objectifs de régulation qui la fondaient ; qu'au demeurant, la décision rappelle, en page 28, que l'engagement de SFR visait à préférer "les acteurs qui disposent soit d'un avantage concurrentiel sur les clients à conquérir, soit d 'un avantage sur les services et les contenus proposés" et constate, par une appréciation qui n'est pas contestée et qui exclut l'excès de pouvoir et l'erreur manifeste dénoncés au quatrième point, que la demande de la société Afone, qui vise le marché des très petites entreprises et des petites et moyennes entreprises, répond à ces critères et apparaît donc "cohérente" avec l'engagement de SFR ; que c'est donc sans méconnaître la portée de I'engagement examiné et par des motifs pertinents que la cour adopte que l'Autorité en a déduit que, pour mettre un terme à la situation née du refus de SFR d'honorer I'engagement qu' elle a librement souscrit pour obtenir I'attribution d'une licence UMTS, il devait lui être enjoint de formuler une offre ; que si cette injonction doit conduire à la conclusion d'un contrat à l'issue des négociations qui vont nécessairement s'instaurer, cette situation n'est que la conséquence de l'engagement souscrit par SFR et, ainsi que la décision elle-même le rappelle, SFR demeure libre de formuler une offre individualisée prenant à compte à la fois les spécificités du demandeur et ses propres contraintes opérationnelles ;
Considérant au demeurant, et sur le cinquième point, que SFR n'invoque aucun motif pertinent, tiré des considérations d'équité et de régulation qu'elle prétend bafouées, qui justifierait son refus de conclure un accord MVNO supplémentaire, en sus des six qu'elle affirme avoir déjà accordés, les seules circonstances qu'elle ait déjà consenti plus de MVNO que ses concurrents Orange et Bouygues Télécom, qui n'ont pas pris d'engagement identique, qu'elle souhaite se réserver la possibilité de contracter avec un partenaire plus "attrayant" (ce qui reviendrait à priver d'effet l'engagement en cause) ou que la société Afone tire en définitive les bénéfices d'une stratégie plus "contentieuse" que ses concurrents également évincés, ce qui n'est pas critiquable en soit, ne caractérisant pas les motifs d'équité visés par l'article L 36-8 du Code des postes et communications électroniques ;
Considérant que le grief de contradiction de motifs, articulé au troisième point, procède d'une dénaturation de la décision, favorisée par une présentation tronquée de sa motivation ; que I'ARCEP en effet n'a pas énoncé qu'elle n'avait pas le pouvoir de contraindre SFR à contracter avec la société Afone, mais a précisé que I'injonction qu'elle prononce procède, non du pouvoir qu'elle tient des articles L 37-1 et suivants du Code des postes et communications électroniques d'obliger, au terme d'une procédure comportant une analyse du marché et la notification d'un projet à la Commission européenne, un opérateur puissant à faire droit à toute demande raisonnable d'accès, mais de celui de trancher le différend qui oppose deux opérateurs, en application de l'article L 38-6 du même code, qui ne saurait se confondre avec le premier ;
Considérant qu'il ne saurait être fait grief à l'Autorité, au titre du sixième point, d' avoir statué ultra petita dès lors que, tenue de trancher le différend dont elle est saisie en précisant les conditions équitables, d'ordre technique et financier, dans lesquelles l'interconnexion ou l'accès doivent être assurés, elle dispose de toute latitude pour arrêter ces conditions, même si celles qu'elle retient ne correspondent pas à celles qui ont été initialement demandées par la partie saisissante, sous la seule réserve qu'elles soient équitables et propres à mettre un terme au différend dont s'agit et qu'elles aient été soumises au débat contradictoire ; qu'en l'espèce, il est constant que l'accès au réseau 3G exploité par SFR a été débattu devant l'Autorité ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le recours n'est pas fondé et doit être rejeté ;
Et considérant que la société Afone a dû exposer des frais non compris dans les dépens qu'il serait inéquitable de laisser en totalité à sa charge ;
PAR CES MOTIFS
Rejette la demande de communication de pièce formée par la société Afone ;
Rejette le recours formé par SFR contre la décision de règlement de différend n o 06-0406, rendue par l'ARCEP le 4 avril 2006 ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, condamne SFR à payer à la société Afone la somme de 12 000 euros et rejette sa demande ;
Condamne SFR aux dépens.