Cass. 2e civ., 16 décembre 2021, n° 20-12.262
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Pireyre
Rapporteur :
M. Cardini
Avocat général :
M. Aparisi
Avocats :
SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, SCP Boulloche
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Nancy, 16 décembre 2019) et les productions, Mme [W] qui exploitait, dans un immeuble appartenant à Mme [S], un fonds de commerce de café restaurant sous l'enseigne « Café des bords de la Meurthe » a été placée en liquidation judiciaire par jugement d'un tribunal de commerce, M. [I] étant désigné en qualité de liquidateur.
2. Par jugement en date du 6 juillet 2015, un tribunal de grande instance a déclaré « Maître [I] » entièrement responsable du dommage subi par Mme [S] et l'a condamné à lui payer une certaine somme à titre de dommages-intérêts.
3. Mme [S] a fait pratiquer, sur le fondement de ce jugement, une saisie-attribution entre les mains d'un établissement bancaire à l'encontre de M. [I], la saisie étant dénoncée à ce dernier et à Mme [X], son épouse.
4. M. et Mme [I] ont saisi un juge de l'exécution qui les a, par jugement du 1er mars 2019, déboutés de toutes leurs demandes.
5. Par jugement rectificatif du 11 juillet 2019, un tribunal de grande instance a complété le dispositif du jugement du 6 juillet 2015 en ajoutant à chaque membre de phrase « Maître [I] », la mention « ès qualité[s] de liquidateur de Madame [W] exploitant le café restaurant " Café des bords de la Meurthe " ».
Recevabilité du pourvoi principal, en ce qu'il est formé par M. [I], pris en sa qualité de liquidateur de Mme [W], examinée d'office
Vu les articles 609 et 611 du code de procédure civile :
6. Il résulte de ces textes que nul ne peut se pourvoir en cassation contre une décision à laquelle il n'a pas été partie à moins qu'elle n'ait prononcé une condamnation à son encontre.
7. Il ressort des productions que M. [I] a assigné Mme [S] devant le juge de l'exécution en indiquant agir en son nom personnel et que la déclaration d'appel et les conclusions déposées devant la cour d'appel visent M. [I], agissant en son nom personnel.
8. Il en résulte que, nonobstant les mentions de l'arrêt attaqué visant, en qualité d'appelant, M. [I], pris en qualité de liquidateur de Mme [W], celui-ci était partie à l'instance d'appel en son nom personnel, l'arrêt ayant par ailleurs condamné in solidum M. et Mme [I] au paiement d'une indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
9. Dès lors, le pourvoi principal, en ce qu'il est formé par M. [I], en qualité de liquidateur judiciaire de Mme [W], n'est pas recevable.
Examen des moyens
Sur le moyen du pourvoi principal, pris en sa cinquième branche, et le moyen du pourvoi incident, pris en sa cinquième branche, rédigés en termes identiques, réunis
Enoncé du moyen
10. M. et Mme [I] font grief à l'arrêt de confirmer le jugement qui les avait déboutés de l'ensemble de leurs demandes et, y ajoutant, de les condamner au paiement d'une somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile alors « qu'une saisie-attribution ne peut être pratiquée que sur les biens du débiteur à l'encontre duquel le créancier saisissant dispose d'un titre exécutoire ; que, par ailleurs, le jugement rectificatif s'incorpore au jugement rectifié ; qu'il résulte de la procédure et des propres constatations de l'arrêt que Mme [Z] entendait fonder la saisie-attribution de créances de M. et Mme [I] sur un jugement du 6 juillet 2015 qui, affecté d'une omission matérielle et rectifié par jugement du 11 juillet 2019, avant que la cour d'appel ne statue, n'avait condamné M. [I] qu'en qualité « de liquidateur de Mme [W] », au paiement de diverses sommes au profit de Mme [Z] ; qu'en retenant que ce jugement pouvait fonder la saisie-attribution de créances de M. et Mme [I] aux motifs, inopérants, que M. [I] exerçait son activité de mandataire judiciaire « en tant que professionnel libéral, entrepreneur individuel, et non sous le nom d'une société », et que la rectification du jugement ne pouvait la conduire à modifier son dispositif, quand cette rectification lui imposait, précisément, de ne pas modifier le dispositif rectifié, la cour d'appel a violé les articles L. 211-1 et R. 121-1 du code des procédures civiles d'exécution, ensemble l'article 462 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 111-2, L. 211-1 et R. 121-1, alinéa 2, du code des procédures civiles d'exécution et 462 du code de procédure civile :
11. Il résulte des deux premiers de ces textes que toute exécution forcée implique que le créancier soit muni d'un titre exécutoire à l'égard de la personne même qui doit exécuter. Aux termes du troisième, le juge de l'exécution ne peut ni modifier le dispositif de la décision de justice qui sert de fondement aux poursuites, ni en suspendre l'exécution. Il résulte du quatrième que la décision rectificative s'incorpore à la décision rectifiée.
12. Pour confirmer le jugement, l'arrêt retient que M. [I] a été condamné au titre de sa responsabilité civile professionnelle en raison de fautes commises dans l'exercice de son mandat de liquidateur et non en raison du comportement du débiteur à la procédure collective, que la rectification intervenue par jugement du 11 juillet 2019 ne saurait, en tout état de cause, conduire le juge de l'exécution et a fortiori la cour d'appel à modifier le dispositif du jugement qui constitue un titre exécutoire à l'encontre de M. [I] à titre personnel, lequel ne peut, dans ces conditions, revendiquer la qualité de tiers à la saisie, régulièrement dénoncée, et qu'exerçant son activité de mandataire en tant que professionnel libéral, entrepreneur individuel et non sous le nom d'une société, il ne peut être retenu une distinction qui justifierait qu'il soit un tiers par l'effet de sa qualité à la saisie engagée à son encontre.
13. En statuant ainsi, alors qu'aux termes du jugement du 6 juillet 2015, tel que rectifié le 11 juillet 2019, M. [I] avait été condamné en qualité de liquidateur judiciaire de Mme [W], ce dont il résultait qu'aucune saisie ne pouvait être pratiquée, sur le fondement de ce jugement, à l'encontre de M. [I], pris en son nom personnel, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi principal et du pourvoi incident, la Cour :
DÉCLARE IRRECEVABLE le pourvoi principal, en ce qu'il est formé par M. [I], en qualité de liquidateur judiciaire de Mme [W] ;
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 16 décembre 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Nancy ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Colmar.