Cass. 3e civ., 28 janvier 2016, n° 14-15.111
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Chauvin
Avocats :
SCP Garreau, Bauer-Violas et Feschotte-Desbois, SCP Rocheteau et Uzan-Sarano
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Reims, 18 mars 2014), que, par acte notarié du 6 décembre 1977, Mme X... a consenti un bail rural à Henri Y...et à son épouse ; que Henri Y...est devenu seul titulaire du bail après son divorce ; que la bailleresse a résilié le bail au décès du preneur, survenu le 3 mars 2003 ; que la contestation du congé formée par sa veuve en secondes noces, Mme Y..., et les prétentions de son fils, M. Bernard-Y..., à voir poursuivre le bail ont été rejetées par des décisions devenues irrévocables ; qu'un arrêt du 25 février 2008 a infirmé une ordonnance de référé du 24 avril 2007 ayant ordonné l'expulsion de Mme Y...et de M. Bernard-Y...; que les consorts X..., ayants droit de la bailleresse d'origine, ont assigné Mme Y...et M. Bernard-Y...en expulsion et paiement ; que Mme Y...a reconventionnellement sollicité une indemnité au motif qu'elle avait été privée de la récolte 2006-2007 à la suite de l'expulsion mise en oeuvre à son encontre en vertu d'un titre assorti de l'exécution provisoire et ultérieurement modifié ;
Sur le moyen unique du pourvoi n° Q 14-15. 111 :
Attendu que les consorts X... font grief à l'arrêt attaqué d'accueillir cette demande alors, selon le moyen :
1°/ que celui qui poursuit, à ses risques et périls, l'exécution d'une décision de justice, exécutoire de plein droit, ne peut être tenu d'en réparer que les seules conséquences dommageables ; qu'en l'espèce, à la suite de la résiliation du bail, prononcée par un jugement du 27 septembre 2004 confirmé par un arrêt du 14 décembre 2005, Mme Danielle Z...-Y...avait la qualité d'occupante sans droit ni titre, ce qui excluait qu'elle pût se prévaloir d'un quelconque préjudice au titre de cette occupation ; que dès lors en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des articles 526 et 809 du code de procédure civile et 1382 du code civil ;
2°/ qu'en toute hypothèse, les fruits produits par la chose appartiennent au propriétaire, à charge pour lui de rembourser les frais des labours, travaux et semences faits par les tiers et dont la valeur est estimée à la date du remboursement ; qu'en l'espèce, Mme Danielle Z...-Y..., qui s'était maintenue sur la parcelle louée après la résiliation de son bail, était occupante sans droit ni titre et donc de mauvaise foi, ce qui excluait qu'elle pût faire siens les fruits récoltés sur cette parcelle et, tout au plus, ne l'autorisait à obtenir le remboursement que des seuls frais engagés pour parvenir à leur perception ; que dès lors, en accordant à Mme Danielle Z...-Y...une indemnité en réparation de la totalité du préjudice subi à raison de la perte de récolte au titre de la campagne 2006/ 2007, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des articles 547, 548 et 549 du code civil ;
Mais attendu, d'une part, qu'ayant ordonné la libération de la parcelle exploitée par Mme Danielle Y...et constaté que celle-ci avait subi, au titre d'une précédente récolte, un préjudice engendré par l'exécution provisoire d'une ordonnance de référé infirmée par la suite, la cour d'appel en a souverainement apprécié l'importance et l'étendue de sa réparation ;
Attendu, d'autre part, que, les consorts X... n'ayant pas allégué devant les juges du fond que la qualité de possesseur de mauvaise foi de Mme Y...excluait par principe qu'elle fît siens les fruits récoltés sur la parcelle exploitée, le moyen est mélangé de fait et de droit ;
D'où il suit que le moyen, irrecevable en sa seconde branche, n'est pas fondé pour le surplus ;
Sur le premier moyen du pourvoi n° S 14-17. 643 :
Attendu que Mme Y...et M. Bernard-Y...font grief à l'arrêt de leur ordonner de libérer sans délai la parcelle appartenant aux consorts X..., alors, selon le moyen :
1°/ que le juge de l'exécution connaît, de manière exclusive, des difficultés relatives aux titres exécutoires et des contestations qui s'élèvent à l'occasion de l'exécution forcée ; que tout autre juge que le juge de l'exécution doit relever d'office son incompétence ; qu'en jugeant que la validation du congé du 4 juillet 2003 par la cour d'appel de Reims dans son arrêt du 14 décembre 2005 autorisait les consorts X... et A...à solliciter l'expulsion de Mme Y...et de M. Bernard-Y..., la cour d'appel qui a tranché une difficulté relative à un titre exécutoire relevant de la compétence exclusive du juge de l'exécution, a excédé ses pouvoirs et violé les articles L. 213-6 du code de l'organisation judiciaire et R. 121-1 du code des procédures civiles d'exécution ;
2°/ que l'autorité de la chose jugée a son siège dans le dispositif de la décision de justice ; que le dispositif de l'arrêt définitif de la cour d'appel de Reims du 14 décembre 2005 se borne à rejeter les contestations de Mme Y...relatives à la validité du congé du 4 juillet 2003, sans trancher la question de son maintien dans les lieux ; qu'en s'estimant liée par l'autorité de la chose jugée attachée à l'arrêt du 14 décembre 2005 sur la question du droit au maintien dans les lieux de Mme Y...jusqu'à l'année culturale 2014, la cour d'appel a violé l'article 480 du code de procédure civile ;
Mais attendu, d'une part, que, le juge de l'exécution ne pouvant être saisi de difficultés relatives à un titre exécutoire qu'à l'occasion des contestations portant sur les mesures d'exécution forcée engagées ou opérées sur le fondement de ce titre et n'ayant pas la faculté, hors les cas prévus par la loi, de délivrer un titre autorisant une expulsion qui n'aurait pas été précédemment ordonnée, la cour d'appel n'a pas excédé ses pouvoirs en ordonnant la libération des lieux toujours occupés par les ayants droit du preneur en dépit de la résiliation du bail ;
Attendu, d'autre part, qu'ayant relevé qu'en considération du rejet explicite, par les différentes juridictions saisies, de la contestation élevée par Mme Y..., le congé délivré par la bailleresse conservait tous ses effets, la cour d'appel a pu en déduire, sans méconnaître l'article 480 du code de procédure civile, qu'il y avait lieu d'ordonner la libération, sans délai et sous astreinte, de la parcelle appartenant aux consorts X... ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Mais sur le second moyen du pourvoi n° S 14-17. 643 :
Vu l'article 1382 du code civil et le principe de réparation intégrale du préjudice ;
Attendu que la réparation d'un dommage ne peut excéder le montant du préjudice ;
Attendu que, pour allouer aux consorts X..., à titre de dommages-intérêts, le gain tiré des cultures en cours au moment de l'expulsion, outre une indemnité d'occupation, l'arrêt retient qu'ils subissent un préjudice du fait de l'occupation abusive des terres en litige ;
Qu'en statuant ainsi, alors que l'indemnité d'occupation a pour objet de réparer l'entier préjudice qui résulte pour le bailleur de la privation de son bien, la cour d'appel a violé le texte et le principe susvisés ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a dit que les avantages liés à l'existence de cultures en cours au moment du départ ou de l'expulsion effective des consorts Y...seraient acquis aux consorts X... comme un élément d'indemnisation du préjudice de ces derniers, l'arrêt rendu le 18 mars 2014, entre les parties, par la cour d'appel de Reims ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Reims, autrement composée.