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Décisions

CA Versailles, 14e ch., 21 janvier 2021, n° 20/00238

VERSAILLES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Défendeur :

Issarts Capital (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Guillaume

Conseillers :

Mme Le Bras, Mme Igelman

T. com. Nanterre, du 30 déc. 2019, n° 20…

30 décembre 2019

EXPOSÉ DU LITIGE :

La SA Famille F. Participation (la société FFP) était la holding animatrice et familiale du groupe historique français F., composé de deux domaines d'activités principaux : le vin de Bourgogne et l'industrie (plasturgie et transport), répartis comme suit :

- l'activité viti-vinicole comprenant la société Consortium Viticole et Vinicole de Bourgogne (ci-après CVVB) pour l'exploitation et la commercialisation de vins de Bourgogne,

- l'activité industrielle comprenant la société F. Plasturgie ainsi qu'une participation significative dans le groupe américain Wabtec Corporation, leader mondial de l'équipement ferroviaire, suite à la cession à ce dernier de la société F. Transport ayant permis au groupe F. de disposer de 3,9 % des titres de Wabtec.

Le groupe familial F. est majoritairement détenu par la famille F., laquelle comprend aujourd'hui :

- M. François F. et ses enfants, Benoît, Erwan et Eve,

- M. Thierry F. et ses enfants, Laurie et Benjamin.

M. Erwan F. était le président-directeur-général de la société FFP laquelle était contrôlée majoritairement par M. François F. et ses enfants, actionnaires majoritaires à hauteur de 82,06 %, directs ou indirects par l'intermédiaire notamment de la société luxembourgeoise Faivinvest SCA qu'ils détiennent à 100 %.

M. Thierry F. était actionnaire minoritaire de la société FFP à hauteur de 11,06%, détenant également avec sa fille, Mme Laurie F., 31% du capital de la société CVVB.

Par courrier en date du 21 février 2019, M. Thierry F. a manifesté sa volonté de céder les participations directes et indirectes qu'il détenait avec sa fille dans le groupe, en interrogeant les actionnaires majoritaires sur leur volonté de racheter ses titres et à défaut, sur leur accord pour qu'ils soient cédés à un tiers (évoquant un rapprochement ayant eu lieu avec un fonds d'investissement américain).

M. François F. et ses enfants ont refusé toute cession de leurs actions.

Ils ont également refusé de lui communiquer des éléments sollicités afin de valoriser les actifs, tels que les comptes consolidés et les casiers viticoles informatisés (établis par l'administration des douanes, afférents aux vignobles exploités, aux parcelles, aux droits et autorisations de chaque exploitation) des sociétés exploitées par la famille F..

A réception de sa convocation à l'assemblée générale annuelle (AGO) de la société FFP du 16 avril 2019, M. Thierry F. a sollicité et obtenu la désignation d'un huissier de justice aux fins d'y assister et d'en retranscrire les débats et a par ailleurs adressé une liste de 47 questions et demandes de documents.

A la suite de cette AGO, les échanges se sont poursuivis concernant la demande de M. Thierry F. de rachat par les actionnaires majoritaires de ses participations dans les sociétés FFP et CVVB, en vain.

Au cours de l'assemblée, M. Erwan F. a soumis à l'examen les questions écrites et a abordé plus précisément trois opérations :

- le projet de fusion transfrontalière entre la société FFP et la société de droit luxembourgeois Issarts Capital SA, créée en novembre 2016, contrôlée par M. François F. et ses enfants (par l'intermédiaire de la société Faivinvest), prévue en septembre 2019,

- l'avance en compte courant de 11 millions d'euros par FFP à sa société mère luxembourgeoise Faivinvest,

- l'emprunt obligataire souscrit par FFP auprès de la société luxembourgeoise Issarts Re à hauteur de 8 millions d'euros.

Par lettre du 19 juillet 2019, M. Thierry F. a demandé la suspension immédiate du projet de fusion transfrontalière notamment au motif qu'elle serait susceptible de léser ses droits d'associé minoritaire et ceux de la société absorbée, tout en contestant la méthode d'évaluation de la valeur d'échange des titres des sociétés FFP et Issarts Capital fondée sur le rapport du 26 juin 2019 établi par la société BM & A.

En réponse, M. Erwan F., dirigeant social de la société FFP, a refusé la suspension du projet de fusion.

M. Thierry F. a, sur requête du 25 juillet 2019, été autorisé à assigner en référé d'heure à heure notamment la société FFP, arguant notamment de la contestation de la valeur d'échange et de l'évaluation des stocks, aux fins d'obtenir la désignation d'un expert judiciaire et la suspension des opérations de fusion.

La société FFP a convoqué ses actionnaires le 26 juillet 2019 à l'assemblée générale extraordinaire du 6 septembre 2019 ayant pour ordre du jour la fusion-absorption de la société FFP par la société Issarts Capital. M. Thierry F. a réagi en demandant la convocation préalable d'une assemblée en vue de la distribution d'un dividende exceptionnel.

Par ordonnance de référé rendue le 14 août 2019, rectifiée par ordonnance du 20 août 2019, le président du tribunal de commerce de Nanterre a débouté M. Thierry F. de sa demande de suspension de l'opération de fusion Issarts Capital/FFP et de report de l'assemblée de fusion et a désigné M. Didier F. en qualité d'expert judiciaire afin d'expliquer notamment les valeurs d'échange retenues dans ledit projet de fusion transfrontalière, valoriser les actifs de la société CVVB, la marque F., la valeur des stocks de vins, la valeur des actions de la société CVVB. Un appel a été interjeté le 26 août 2019 et l'affaire est actuellement pendante devant la cour d'appel de Versailles.

Par ordonnance rendue le 3 septembre 2019, le président du tribunal de commerce de Nanterre a désigné la SCP V. et associés, huissier de justice, afin d'assister à l'assemblée générale extraordinaire (AGE) de la société FFP, en retranscrire les débats, les questions, les réponses aux questions posées et en dresser procès-verbal. Le procès-verbal de constat a été établi par l'huissier de justice le 6 septembre 2019. A cette date, l'assemblée générale extraordinaire a voté le projet de fusion-absorption de la société FFP par la société Issarts Capital.

M. Thierry F. a par ailleurs initié diverses instances devant le tribunal d'arrondissement à Luxembourg.

Ainsi, sur requête de M. Thierry F., le président du tribunal d'arrondissement de Luxembourg a, par ordonnance du 11 septembre 2019, interdit à tout notaire luxembourgeois d'établir le certificat de la fusion transfrontalière par absorption de la société FFP par la société Issarts Capital, interdit sa publication au registre du commerce et des sociétés, ce jusqu'à une décision définitive statuant sur la demande, à introduire par M. Thierry F. dans le mois, en annulation de la fusion. Par ordonnance rendue le 16 octobre 2019, le président du même tribunal d'arrondissement de Luxembourg a suspendu les effets de l'ordonnance rendue le 11 septembre 2019 et ordonné la publication au registre du commerce et des sociétés de la fusion. Appel a été interjeté de cette décision.

La fusion a finalement été publiée le 17 octobre 2019 et la société FFP a été dissoute par mention du greffe du tribunal de commerce de Nanterre le 15 décembre 2019.

Par acte d'huissier délivré le 10 octobre 2019, M. F. a fait assigner en référé la société FFP aux fins d'obtenir principalement la désignation d'un expert judiciaire au visa de l'article L. 225-231 du code de commerce.

Par ordonnance en la forme des référés contradictoire rendue le 30 décembre 2019, le président du tribunal commerce de Nanterre a :

- débouté M. Thierry F. de ses demandes,

- pris acte de la déclaration de la société de droit luxembourgeois Issarts Capital SA de ce que l'emprunt obligataire 'sera intégralement remboursé au 31 décembre 2019',

- dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné M. F. aux dépens.

Par déclaration reçue au greffe le 14 janvier 2020, M. F. a interjeté appel de cette ordonnance en tous ses chefs de disposition.

Dans ses dernières conclusions déposées le 10 novembre 2020 auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé de ses prétentions et moyens, M. Thierry F. demande à la cour, au visa de l'article L. 225-231 du code de commerce, de :

- infirmer l'ordonnance rendue le 30 décembre 2019 par le président du tribunal de commerce de Nanterre statuant en la forme des référés en ce qu'elle :

- l'a débouté de ses demandes ;

- a pris acte de la déclaration de la société de droit luxembourgeois Issarts Capital SA de ce que l'emprunt obligataire (visé en motifs ci-avant) sera intégralement remboursé au 31 décembre 2019 ;

et, statuant de nouveau :

- juger que l'expertise sollicitée est utile pour déterminer la conformité à l'intérêt social et à l'intérêt des actionnaires minoritaires des actes de gestion suivants compte-tenu de présomptions sérieuses d'irrégularités et des risques d'atteinte à l'intérêt social :

- l'avance en compte courant de 11 millions d'euros de la société FFP à la société Faivinvest et la souscription par la société FFP d'un emprunt obligataire à hauteur de 8 millions d'euros de la société Issarts RE, filiale à 100 % de la société Issarts Capital ;

- le choix du régime fiscal de droit commun et le choix du sens de la fusion ;

en conséquence,

- désigner tel expert judiciaire qu'il lui plaira avec la possibilité de s'adjoindre au besoin l'aide d'un sapiteur, avec pour mission de :

- sur les décisions prises par les dirigeants dans le cadre de la fusion transfrontalière :

- se faire remettre tous documents, analyses, consultations juridiques sur le choix du régime fiscal appliqué à l'opération de fusion transfrontalière votée le 6 septembre 2019 en AGE ;

- se faire remettre le tableau 2067 (relevé des frais généraux) de la liasse fiscale quel document qui permettrait de connaître les rémunérations, avantages en nature, frais de voyages et de déplacement, etc. alloués à M. Erwan F. ;

- se faire remettre la convention d'animation du Groupe F. du 5 janvier 2017 et toutes les autres conventions antérieures ;

- chiffrer tous les coûts fiscaux, honoraires, frais, rémunération de toute nature (') mis à la charge de la société FFP du fait de cette fusion, pour les exercices passés et futurs ;

- chiffrer les avantages fiscaux pour les majoritaires et les dirigeants du fait de cette fusion transfrontalière ;

- vérifier et faire des recherches, au besoin en consultant des juristes spécialisés, sur les justifications de ce choix,

- solliciter un rescrit de l'administration fiscale sur la légalité fiscale de la fusion et de ses actes antérieurs préparatoires au regard de l'abus de droit ;

- fournir tous les éléments permettant de déterminer si la décision de gestion sur le régime fiscal de la fusion et sur le choix du sens de la fusion est conforme à l'intérêt social de la société FFP ;

- sur la souscription d'un emprunt obligataire et l'avance en compte-courant :

- se faire remettre tous documents de nature à comprendre les investissements réalisés par la société Issarts Capital et ses filiales avec les fonds prêtés par la société FFP dans le cadre de l'avance en compte courant consentie par FFP à la société Faivinvest autorisée lors des assemblées générales des 30 novembre 2016 et 27 avril 2018 et dans le cadre de l'emprunt obligataire souscrit le 26 novembre 2018 par la société FFP auprès de la société Issarts RE non approuvé par l'AGO des actionnaires notamment :

- l'autorisation du conseil d'administration de la société FFP d'avancer à la société Faivinvest 11 millions d'euros ;

- les procès-verbaux des assemblées générales de la société HFF du 30 novembre 2016 et de la société FFP du 27 avril 2018 ;

- le rapport spécial du CAC en vue de l'approbation des comptes annuels de HFF clos au 31 décembre 2016 et celui des comptes annuels de la société FFP clos au 31 décembre 2017;

- l'acte d'acquisition de l'immeuble de rapport à Berlin et celui des biens immobiliers de Megève ;

- les comptes détaillées de la société Issarts RE 2018 et 2019 (bilans, comptes de résultat et annexe) ;

- extrait cadastral ;

- pour le projet Eskape de Megève : permis de construire délivré avec ensemble des plans et surfaces plan de masse et plan par niveau), descriptif technique, etc... ;

- contrats d'architecte, BET, Bureau de contrôle, s'ils existent, taxes de raccordement si elles existent déjà ;

- justificatifs de remboursement des prêts dont l'emprunt obligataire au 31 décembre 2019 tel que retenu par le juge de première instance et les 6,5 millions d'euros qui auraient été remboursés par la société Faivinvest SA à la société FFP en mai 2018 ;

- vérifier et contrôler ces documents et la réalité des investissements au besoin en se déplaçant sur les lieux de construction, notamment à Berlin et à Megève ;

- donner son avis sur la rentabilité de ces investissements, la chiffrer en pourcentage et en montant ;

- donner son avis sur la possibilité pour la société FFP d'investir elle-même directement dans ces investissements immobiliers ;

- donner son avis sur la conformité à l'intérêt social de ces prêts ;

- chiffrer le préjudice pour la société FFP de l'emprunt obligataire qui n'a pas été approuvé par les actionnaires réunis en assemblée générale le 16 avril 2019 ;

- dire que les honoraires et frais d'expertise seront supportés par la société FFP et la société Issarts Capital comme cela est possible en vertu de l'article L. 225-231 du code de commerce ;

en tout état de cause,

- débouter la société FFP de l'ensemble de ses demandes ;

- condamner la société FFP à lui payer la somme de 25 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la société FFP aux entiers dépens de l'instance distraits au profit de Me Christophe D. sur son affirmation de droit.

Dans ses dernières conclusions déposées le 25 novembre 2020 auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la société Issarts Capital demande à la cour, au visa de l'article L. 225-231 du code de commerce, de :

- déclarer l'appel interjeté par M. Thierry F. recevable mais mal fondé ;

s'agissant de la Fusion entre les sociétés FFP et Issarts Capital :

- à titre principal, dire et juger que la fusion ne constitue pas un acte de gestion au sens de l'article L. 225-231 du code de commerce et ne peut donc faire l’objet d'une expertise de gestion ;

à titre subsidiaire,

o juger que M. F. a reçu les réponses nécessaires à ses questions portant sur la fusion ; et

o juger qu'il n'existe en tout état de cause aucune présomption d'irrégularité s'agissant de la fusion et du régime fiscal choisi,

par conséquent,

- confirmer l'ordonnance rendue le 30 décembre 2019 par le président du tribunal de commerce

de Nanterre en ce qu'elle a débouté M. F. de sa demande d'expertise de gestion portant sur la fusion ;

s'agissant de l'avance en compte courant réalisée par FFP au bénéfice de Faivinvest SCA de 11 millions d'euros et de l'emprunt obligataire souscrit par FFP auprès de Issarts Re-Carl et tiré à hauteur de 7,5 millions d'euros :

- juger que M. F. a reçu les réponses nécessaires à ses questions portant sur ces opérations d'avance en compte courant et d'emprunt obligataire ;

- juger qu'il n'existe en tout état de cause aucune présomption d'irrégularité s'agissant de ces deux opérations,

par conséquent :

- confirmer l'ordonnance rendue le 30 décembre 2019 par le président du tribunal de commerce de Nanterre en ce qu'elle a débouté M. F. de sa demande d'expertise de gestion portant sur l'avance en compte courant réalisée entre FFP et Faivinvest SCA et l'emprunt obligataire souscrit par FFP auprès de Issarts Re-Carl,

en tout état de cause :

- débouter M. F. de l'ensemble des demandes, fins et prétentions,

- condamner M. F. à payer à la société Issarts Capital la somme de 50.000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel selon l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamner M. F. aux entiers dépens d'appel qui pourront être directement recouvrés par la SELARL Lexavoué Paris-Versailles en application de l'article 699 du code procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 26 novembre 2020.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

Sur la demande d'expertise de gestion :

L'article L. 225-231 du code de commerce dispose que :

'Une association répondant aux conditions fixées à l'article L. 225-10, ainsi que un ou plusieurs actionnaires représentant au moins 5 % du capital social, soit individuellement, soit en se groupant sous quelque forme que ce soit, peuvent poser par écrit au président du conseil d'administration ou au directoire des questions sur une ou plusieurs opérations de gestion de la société, ainsi que, le cas échéant, des sociétés qu'elle contrôle au sens de l'article L. 233-3. Dans ce dernier cas, la demande doit être appréciée au regard de l'intérêt du groupe. La réponse doit être communiquée aux commissaires aux comptes, s'il en existe.

A défaut de réponse dans un délai d'un mois ou à défaut de communication d'éléments de réponse satisfaisants, ces actionnaires peuvent demander en référé la désignation d'un ou plusieurs experts chargés de présenter un rapport sur une ou plusieurs opérations de gestion.

(...)

S'il est fait droit à la demande, la décision de justice détermine l'étendue de la mission et des pouvoirs des experts. Elle peut mettre les honoraires à la charge de la société.'

L'appelant conclut à l'infirmation de l'ordonnance querellée en toutes ses dispositions et sollicite une expertise portant sur les opérations de gestion suivantes de la société FPP :

- la souscription d'un emprunt obligataire non garanti à hauteur de 8 millions d'euros en 2018 auprès d'une société Issarts Re, filiale de la société Issarts Capital, elle-même filiale de la société Faivinvest détenue à 100 % par M. François F. et l'avance en compte courant d'un montant de 11 millions d'euros à la société Faivinvest ;

- le choix du régime fiscal de la fusion entraînant une imposition de 4 millions d'euros pour la société FFP et le choix du sens de la fusion.

La société Issarts Capital demande la confirmation de l'ordonnance dont appel en ce qu'elle a débouté M. Thierry F. de ses demandes. Elle fait valoir que la demande d'expertise de gestion s'inscrit dans une stratégie globale de nuisance de la part de M. Thierry F..

Sur la demande d'expertise portant sur le choix du régime fiscal applicable à la fusion transfrontalière et le choix du sens de la fusion :

L'appelant entend démontrer que contrairement à ce qu'a retenu le premier juge, tant le régime fiscal appliqué à l'opération de fusion transfrontalière que le choix du sens de la fusion, sont des actes de gestion entrant dans le champ d'application de l'article L. 225-231 du code de commerce, et non pas seulement des modalités de la fusion qui relèveraient de la compétence de l'assemblée générale des actionnaires de la société FFP.

Ainsi, il fait valoir que ce n'est pas le vote qui est contesté, mais certaines des modalités de la fusion, décisions qui relèvent exclusivement des dirigeants seuls habilités à 'arrêter' un projet commun de fusion conformément à l'article R. 236-14 du code de commerce.

Il souligne ainsi que ce sont les dirigeants des sociétés FFP et Issarts Capital qui ont décidé de placer la fusion sous le régime fiscal de droit commun comme cela résulte du point 16.2 du projet commun de fusion, choix qui n'a pas été soumis à un vote de l'assemblée.

Il avance ensuite que le choix effectué du régime fiscal de droit commun, au lieu de recourir au régime de faveur des fusions transfrontalières, est contraire à l'intérêt de la société FFP puisque l'imposition au titre des plus-values réalisées a représenté un coût très élevé de 4 millions d'euros qui aurait pu être évité.

Il fait valoir que les réponses apportées à ses questions sont insuffisantes, contradictoires et justifient l'expertise sollicitée qui devrait pouvoir permettre d'apprécier la portée et la valeur de ce choix et d'apprécier sa conformité à l'intérêt social.

Ainsi, il considère que la réponse de M. Erwan F., indiquant que cette opération a eu pour objet de limiter toute critique de l'administration fiscale et de démontrer l'absence de motivation principalement fiscale de l'opération juridique, confirme sa crainte du contraire, à savoir que le seul véritable but de la fusion soit uniquement des motivations d'évasion fiscale personnelles à la 'branche François F.'.

Il ajoute qu'en outre, la société FFP s'est contredite quelques semaines après en indiquant que le régime fiscal de faveur n'était en réalité pas applicable, contradiction au surplus démentie par Mme Sandrine R. qui affirme que l'opération de fusion était éligible au régime fiscal de faveur.

M. Thierry F. soutient ensuite que le choix du sens de la fusion réalisée à l'envers au préjudice de la société FFP est contestable et contraire à toute logique économique et à l'intérêt social de la société FFP puisque :

- le capital social de la société FFP était de 3 675 792 euros avant la fusion alors que la société Issarts Capital était une société sans activité réelle au capital de 30 000 euros présentant des capitaux négatifs ;

- les actifs nets de la société FFP ont été valorisés à la somme de 757 340 000 euros et ceux de la société Issarts Capital à la somme de 2 444 000 euros ;

- les actifs de la société Issarts Capital ont été artificiellement gonflés et surtout, financés exclusivement grâce à des prêts non pas de ses actionnaires, mais de la société FFP à son profit, ce que Mme S. considère comme une fusion réalisée 'en sens économiquement inverse'.

Il soutient que les dirigeants ont refusé de répondre à ses questions sur le sens et l'intérêt du sens de la fusion ainsi que sur le coût global de l'opération alors que l'absorption par la société FFP de la société Issarts Capital aurait été moins coûteuse sur le plan fiscal (853 000 euros au lieu de 4 millions d'euros) et en coûts financiers (honoraires de conseil, frais...).

Il allègue que si cette position est contredite par une note du cabinet CSM Francis L. du 5 février 2020, cette contrariété entre deux cabinets fiscalistes de renom justifie d'autant plus l'expertise judiciaire.

La société Issarts Capital, intimée, rétorque qu'il est de jurisprudence constante qu'une opération de fusion ne constitue pas une opération de gestion au sens de l'article L. 225-231 du code de commerce et que cette règle s'applique également au régime fiscal applicable à l'opération de fusion transfrontalière ainsi qu'au choix du sens de la fusion.

Elle rappelle que faute de définition précise, la jurisprudence a établi que le critère de l'acte de gestion au sens de cet article est un critère organique : constitue un acte de gestion tout acte décidé par les organes de direction ou d'administration.

Elle précise qu'il ressort des articles L. 236-1 et suivants du code de commerce que les fusions sont de la compétence exclusive de l'assemblée générale extraordinaire et ne rentrent pas dans le champ de l'expertise de gestion.

Elle fait valoir que les modalités de réalisation d'une fusion, proposées par les organes de gestion à l'assemblée générale dans le rapport de gestion, font partie intégrante de l'opération et de la décision ; qu'elles constituent l’objet même et le fondement du vote de l'assemblée et ne peuvent être détachées et qualifiées d'acte de gestion de manière autonome.

A titre subsidiaire, elle soutient que la société FFP a répondu de manière satisfaisante aux questions de M. Thierry F. sur la fusion et lui a communiqué tous les éléments nécessaires, en particulier par les réponses apportées par M. Erwan F. lors de l'assemblée générale du 16 avril 2019, en présence du commissaire aux comptes de la société.

S'agissant en revanche du sens de la fusion, elle prétend que l'appelant n'a jamais posé de question à ce sujet.

Elle ajoute que la fusion est parfaitement régulière et ne caractérise aucun abus, notamment en raison de l'inapplicabilité du régime fiscal de faveur en l'absence d'éléments apportés par la société absorbée rattachés à un établissement stable en France de la personne morale étrangère.

Sur le sens de la fusion, la société Issarts Capital indique que l'appelant ne se fonde que sur la consultation TAJ pour soutenir qu'elle aurait été réalisée en sens inverse alors que l'intégralité de ces arguments est contredite par le rapport CMS.

Sur ce,

Il est constant que les actes gestions sont ceux qui relèvent de la compétence des dirigeants sociaux, individuellement ou collégialement, ou du représentant légal de la société, et qu'en sont exclus les décisions qui relèvent de la compétence légale de l'assemblée générale des actionnaires.

Or, selon le 2e alinéa de l'article L. 236-2 du code de commerce, les opérations de fusion sont décidées, pour chacune des sociétés intéressées, dans les conditions requises pour la modification de ses statuts, soit s'agissant d'une société anonyme, par l'assemblée générale extraordinaire comme cela découle de l'article L. 225-96 du même code.

L'article R. 236-14 du même code dispose quant à lui que :

'Un projet commun de fusion est arrêté par l'organe de gestion, d'administration ou de direction de chacune des sociétés participant à l'opération de fusion transfrontalière.

Il contient les indications suivantes :

1° La forme, la dénomination et le siège social des sociétés participantes, ainsi que ceux de la société issue de la fusion transfrontalière ;

2° Le rapport d'échange des titres, parts ou actions représentatifs du capital social et, le cas échéant, le montant de la soulte ;

3° Les modalités de remise des titres, parts ou actions de la société issue de la fusion transfrontalière, la date à partir de laquelle ces titres, parts ou actions donnent droit aux bénéfices ainsi que toute modalité particulière relative à ce droit ;

4° La date à partir de laquelle les opérations des sociétés qui fusionnent seront, du point de vue comptable, considérées comme accomplies pour le compte de la société issue de la fusion transfrontalière ;

5° Les droits accordés par la société issue de la fusion transfrontalière aux associés ayant des droits spéciaux et aux porteurs de titres autres que des actions ou des parts représentatifs du capital social ou les mesures proposées à leur égard ;

6° Tous avantages particuliers attribués aux experts qui examinent le projet de fusion transfrontalière ainsi qu'aux membres des organes d'administration, de direction, de surveillance ou de contrôle des sociétés qui fusionnent ;

7° Des informations concernant l'évaluation du patrimoine actif et passif transféré à la société issue de la fusion transfrontalière ;

8° Les dates des comptes des sociétés qui fusionnent utilisés pour définir les conditions de la fusion transfrontalière ;

9° Les statuts de la société issue de la fusion transfrontalière ;

10° Le cas échéant, des informations sur les procédures selon lesquelles sont fixées les modalités relatives à l'implication des travailleurs dans la définition de leurs droits de participation dans la société issue de la fusion transfrontalière ;

11° Les effets probables de la fusion transfrontalière sur l'emploi'.

Il ressort de la lecture combinée de ces textes que si le projet commun de fusion transfrontalière doit être élaboré par un organe de gestion, cette étape n'est qu'un acte préparatoire à sa présentation en assemblée générale, laquelle est la seule compétente pour l'approuver en tout ou partie.

Du fait de cette compétence exclusive dévolue à l'assemblée générale extraordinaire pour décider ou non de la fusion, et partant des modalités de mise en oeuvre de cette fusion comme le sont son régime fiscal et le sens de la fusion entre les sociétés absorbante et absorbée, il convient de retenir que ces actes critiqués par l'appelant ne sont pas susceptibles d'être qualifiés d'acte de gestion au sens de l'article L. 225-231 du code de commerce.

En effet, le 'projet commun de fusion' conclu entre la société Issarts Capital et la société FFP, le 25 juin 2019 porte naturellement sur le sens de la fusion, la société Issarts Capital étant la société absorbante, et la société FFP étant la société absorbée, de même qu'en pages 18 et 19 sur le choix du régime fiscal de droit commun de l'impôt sur les sociétés.

Et c'est bien le 6 septembre 2019, en présence de l'huissier de justice missionné à la demande de M. Thierry F. par ordonnance du président du tribunal de commerce de Nanterre du 5 septembre 2019, que l'assemblée générale extraordinaire de la société FFP, après examen de différentes clauses du projet de fusion et du rapport du commissaire à la fusion et aux apports, a décidé d'approuver ce projet dans toutes ses stipulations, de sorte que la fusion prévue dans le projet de traité conclu avec la société Issarts Capital a été approuvée et votée.

Ainsi, les choix présentés par les organes de gestion et approuvés par l'assemblée générale des actionnaires ne sont pas susceptibles de faire l’objet d'une expertise de gestion, ne pouvant recevoir la qualification requise d'acte de gestion.

Sans qu'il soit besoin d'analyser les autres moyens avancés à ce titre, l'ordonnance querellée sera confirmée en ce qu'elle a débouté M. Thierry F. de sa demande d'expertise de gestion concernant le choix du régime fiscal et celui du sens de la fusion.

Sur la demande d'expertise visant la souscription d'un emprunt obligataire et l'avance en compte courant :

M. Thierry F. relate que la société FFP a consenti une avance en compte courant d'un montant de 11 millions d'euros, intervenue au plus tard le 30 juin 2017, à la société Faivinvest (société mère holding luxembourgeoise détenue par M. François F. et ses enfants) qui aurait été autorisée par l'assemblée générale du 30 novembre 2016 et celle du 27 avril 2018 et partiellement remboursée à hauteur de 6,5 millions d'euros en mai 2018.

Il fait valoir qu'en réponse aux questions qu'il a posées à l'occasion de l'assemblée générale du 16 avril 2019, il lui a été répondu que l'avance de 11 millions 'sert à financer un projet immobilier porté également par Issarts Capital filiale de Faivinvest. C'est un moyen d'optimiser les produits financiers de FFP et donc la rentabilité totale pourrait bénéficier aux actionnaires FFP si la fusion transfrontalière était approuvée'.

Or l'appelant considère ces affirmations fausses et non satisfaisantes car selon lui, cette somme n'a pas seulement servi à financer un projet immobilier, elle a aussi permis à la société Faivinvest, dont M. François F. et ses enfants sont seuls actionnaires, de fonder la société Issarts Capital créée pour les seuls besoins de la fusion transfrontalière et de lui avancer 6,8 millions d'euros, sans aucun apport personnel de ses actionnaires fondateurs.

Il déplore également le fait que la société FFP ait procédé à la souscription en 2018 d'un emprunt obligataire non garanti à hauteur de 8 millions d'euros auprès de la société Issarts Re, filiale à 100 % de la société Issarts Real Estate, elle-même filiale à 100 % de la société Issarts Capital.

M. Thierry F. soutient que les réponses apportées quant à l'objectif de cet emprunt visant à permettre le financement d'un immeuble de rapport situé à Berlin, porté par la société Issarts Capital, n'ont été justifiées par la production d'aucune pièce de sorte qu'il s'interroge sur la réalité des investissements et leur consistance.

Il prétend donc qu'une expertise sur l'utilisation de cette avance serait utile pour déterminer si elle avait un intérêt spécifique pour la société FFP et en indiquer les incidences sur sa situation.

Il conteste les allégations de l'intimée selon lesquelles :

- la souscription de l'emprunt obligataire émis par la société Issarts Re aurait été approuvée par les actionnaires réunis en AGO le 16 avril 2019, la résolution n° 3 ayant été rejetée faute de majorité ;

- le rapport spécial du commissaire aux comptes permettrait de valider l'opération puisqu'un tel rapport ne porte aucune appréciation sur la légalité de la convention de prêt ou son adéquation à l’objet social de la société FFP.

L'appelant indique ensuite que ces prêts ont eu des conséquences préjudiciables pour la société FFP et les actionnaires minoritaires.

Il fait valoir que la SCA Faivinvest a permis à la société Issarts Capital, grâce à ces prêts, de procéder à divers investissements et de se constituer un capital de 2 274 000 euros, en contrepartie d'intérêts dérisoires pour la société FFP, et de pouvoir absorber cette dernière, ce qui n'aurait jamais été possible autrement, la société Issarts Capital ne détenant que des dettes, commettant ainsi le délit d'assistance financière prohibé par l'article L. 225-216 du code de commerce.

Il ajoute que la valorisation des actifs de la société Issarts Capital a été surévaluée en l'état des informations transmises par l'intimé, qui ne permettent pas de prouver la réalité et d'évaluer avec précision les projets immobiliers de Megève et leur rentabilité.

Il avance également que cette surévaluation, associée à la sous-évaluation des actifs de la société FFP, a conduit à un rapport d'échange des titres dans le cadre de la fusion totalement biaisé et a abouti à une dilution des actionnaires non-membres de la famille de M. François F., soit un préjudice pour lui estimer à 270 000 euros et un bénéfice pour la société Faivinvest de 1 283 000 euros.

Il prétend encore que ces prêts ont été accordés au préjudice de la société FFP car il aurait été beaucoup plus rentable et conforme à son objet social qu'elle réalise elle-même les projets immobiliers portés par la société Issarts Capital plutôt que de prêter des fonds, certes rémunérés à un taux supérieur au taux du marché, mais à une rémunération nettement inférieure à la rentabilité réelle.

Il reproche enfin à M. Erwan F. d'avoir commis des abus de biens sociaux.

La société Issarts Capital, intimée, réplique qu'il a été répondu de manière complète à l'intégralité des questions posées par M. Thierry F. et qu'en outre, aucune irrégularité ne peut être suffisamment caractérisée s'agissant de ces deux opérations.

A titre contextuel, elle rappelle que par lettre du 24 juillet 2019 adressée à M. Thierry F., M. Erwan F. lui a indiqué son étonnement par rapport à son opposition à l'opération de fusion, alors que cette opération a été discutée entre eux depuis trois ans et que M. Thierry F. avait initialement fait part de son accord à cette opération.

Elle ajoute qu'il lui a également été rappelé les motivations de cette opération ayant pour objet de simplifier l'organigramme de détention des actifs détenus par le groupe F. depuis l'opération Wabtec, dans une société holding unique regroupant tous les actionnaires familiaux et non familiaux, afin de concentrer l'actionnariat dans une société détenant, directement ou indirectement tous les actifs du groupe et mettre ainsi en place une politique unique de distribution de dividendes au profit de tous les actionnaires.

Ensuite, elle explique que lors de l'AGO de la société FFP du 16 avril 2019, il a été répondu par oral et en présence du commissaire aux comptes aux questions posées par M. Thierry F. et que par courrier d'avocat du 23 juillet 2019, il a été précisé que l'investissement devant être réalisé par la société Issarts Re concernait l'acquisition d'un immeuble à Berlin, de sorte que l'appelant a reçu des éléments de réponse et d'information suffisants concernant les raisons des opérations de prêt, les conditions financières de réalisation de ces opérations, les avantages procurés à la société FFP par ces opérations et la légalité de ces opérations et leur approbation par le commissaire aux comptes.

Elle souligne que contrairement à ce qu'indique M. Thierry F., la société intimée a été créée le 7 novembre 2016, soit antérieurement à la réalisation de l'avance en compte courant, avec des fonds appartenant en totalité à la société Faivinvest et que les fonds objets de l'avance en compte courant ont effectivement aidé à la réalisation d'investissements immobiliers via la société Issarts Capital.

Elle répond ensuite qu'il n'existe aucune présomption d'abus de bien social ou d'acte de gestion fautif concernant l'emprunt obligataire et l'avance en compte courant et rappelle que le sérieux de la demande d'expertise est apprécié à l'aune de l'intérêt social de la société concernée, et non par rapport à l'intérêt personnel d'un associé minoritaire.

Elle précise que les conventions portant sur ces opérations ont été conclues en toute légalité, sous le contrôle du commissaire aux comptes et que s'agissant de conventions réglementées, elles ont fait l’objet d'un rapport spécial des commissaires aux comptes qui n'ont relevé aucune irrégularité, alors pourtant que cela ressort de leur mission le cas échéant.

Elle prétend que ces conventions ont été conclues dans l'intérêt social de la société FFP, laquelle possédait, depuis la cession d'une de ses branches d'activités à Wabtec, de beaucoup de trésorerie disponible, trésorerie pour partie peu rentable en raison des placements monétaires sur le marché (type comptes à terme) très peu ou pas rémunérés, de sorte que gardant à l'esprit le projet de fusion entre les deux sociétés, il a été décidé que la société FFP avance les fonds et souscrive à un emprunt obligataire, opérations lui permettant de bénéficier d'une rémunération plus avantageuse que les placements type comptes à terme.

Elle précise également que ces 'prêts' représentaient ensemble 8 % seulement de la trésorerie de la société FFP, que l'avance en compte courant a été remboursée à hauteur de 6 500 000 euros en mai 2018 et que l'emprunt obligataire a été intégralement remboursé au 31 décembre 2019, aucun risque pour la société FFP n'étant caractérisé.

Elle rétorque par ailleurs qu'il n'appartient ni à M. Thierry F., ni à un expert de gestion de préjuger des décisions de pure gestion de trésorerie au sein du groupe et qu'il aurait été au demeurant illogique que la société FFP porte elle-même des projets immobiliers alors qu'il était prévu que le pôle immobilier du groupe se situe sous la société Issarts Capital et que la société Issarts Re devienne la holding immobilière des projets d'investissement du groupe.

Elle répond enfin que l'incrimination d'assistance financière, ne s'appliquant qu'aux prêts réalisés directement 'en vue de la souscription ou de l'achat de ses propres actions pour un tiers' ne correspond pas à 'l'histoire' que raconte M. Thierry F..

Sur ce,

Il convient tout d'abord de rappeler que l'expertise de gestion prévue par l'article L. 225-231 du code de commerce susvisé est une mesure dérogatoire aux règles de fonctionnement d'une société, permettant d'imposer une analyse de ce fonctionnement par un tiers à la société, de sorte que les textes qui prévoient la possibilité du recours à une telle expertise sont d'interprétation stricte.

Doit être en premier lieu recherché si les éléments communiqués en réponse aux questions écrites posées par un actionnaire minoritaire présentent ou non un caractère satisfaisant, étant souligné que des pièces et réponses nouvelles peuvent être produites en cours de procédure pour informer le demandeur à l'expertise.

En second lieu, il convient d'apprécier le caractère utile de la demande d'expertise de gestion, laquelle ne peut être ordonnée qu'en présence de présomptions d'irrégularité des opérations de gestion, lesquelles doivent être suffisamment déterminées, ou d'un risque d'atteinte à l'intérêt social ou aux droits des actionnaires minoritaires.

En application des dispositions de l'article 9 du code de procédure civile, il incombe au demandeur à l'expertise de gestion de rapporter la preuve des faits nécessaires au succès de sa prétention.

Ainsi, s'agissant d'apprécier spécifiquement des actes de gestion déterminés, et non la stratégie globale de gestion par les dirigeants des sociétés en cause, la critique de la valorisation des actifs des sociétés FFP et Issarts Capital, à l'occasion de la fusion qui n'est pas l' objet du litige au regard de ce qui a été précédemment dit sur la notion d'action de gestion, ne sauraient être retenus.

En ce qui concerne précisément l'avance en compte courant d'un montant de 11 millions d'euros, consentie à la société mère Faivinvest, il a été ainsi répondu par M. Erwan F., en sa qualité de président de la société FFP lors de l'AGO de celle-ci tenue le 16 avril 2019, aux questions de M. Thierry F. concernant le but de cette avance (faire face à des pertes de la société mère ou à porter un projet d'investissement, et dans ce dernier cas, sur le point de savoir pourquoi elle n'avait pas été portée directement par la société FFP), qu'elle était rémunérée au taux Euribor 1 mois + 1 %, qu'elle avait été remboursée le 22 mai 2018 pour 6 500 000 euros et que :

'Cette avance sert à financer un projet d'investissement immobilier également porté par Issarts Capital, filiale de Faivinvest.

(...) C'est un moyen d'optimiser les produits financiers de SOCIÉTÉ FFP et dont la rentabilité totale pourrait bénéficier aux actionnaires de FFP si la fusion transfrontalière est approuvée.'

Par ailleurs, si cette avance, autorisée les 30 novembre 2016 (date à laquelle M. Thierry F. n'était pas encore entré au capital de la société FFP) et 27 avril 2018, ne peut, contrairement à ce qu'allègue l'appelant, manifestement avoir servi à fonder la société Issarts Capital laquelle a été créée le 7 novembre 2016, ni à l'acquisition des titres des sociétés Voir Venise et FFP par l'intermédiaire de la société Faivinvest réalisée le 26 décembre 2015, soit antérieurement, les parties s'accordent sur le fait qu'il résulte des pièces versées aux débats qu'elle a servi :

- à prêter à la société Issarts Capital le 19 décembre 2016 la somme de 6 750 000 euros, laquelle a elle-même avancé cette somme à deux sociétés en nom collectif dont elle est indirectement l'un des principal actionnaire, les SNC Klodge (projet dit Eskape) et Vision, pour la réalisation d'investissements immobiliers à Megève ;

- à prêter à la société Zina SA, holding d'investissement de la société et partenaire de la société Issarts Capital dans le cadre du projet immobilier Eskape, la somme de 500 000 euros.

Il résulte en outre de l'extrait du grand livre de la société FFP daté du 11 décembre 2019 (pièce n° 43 de l'intimée) que cette avance a été remboursée à hauteur de 6,5 millions d'euros le 22 mai 2018.

Il convient ainsi de déduire de ces éléments que les réponses aux questions posées par M. Thierry F. sur cette avance en compte courant sont satisfaisantes, la loi exigeant seulement que l'information donnée soit complète, quand bien même l'opération en elle-même serait désapprouvée par le requérant.

S'agissant de la souscription par la société FFP d'un emprunt obligataire émis par la société Issarts Re, filiale de la société Issarts Capital, elle-même filiale à 100 % de la société Faivinvest, auquel la société FFP a souscrit à hauteur de 8 000 000 euros et dont le tirage le 26 novembre 2018 a été réalisé pour un montant de 7 500 000 euros, il a été répondu aux questions posées par M. Thierry F. concernant l'intérêt social pour la société FFP de réaliser cette souscription, au lieu notamment de porter directement le projet immobilier dont le taux de rentabilité attendu est de 20 %, que :

'Il s'agit d'un projet qui est effectivement porté par la société Issarts Capital, filiale de Faivinvest, mais qui a été financé temporairement par FFP.

En effet, FFP possède beaucoup de trésorerie disponible en attendant d'être investie au fur et à mesure du temps. Les placements monétaires, type comptes à terme, sont très peu remunérés : 0,10 - 0,20 % annuel.

Au lieu qu'Issarts Re paie des intérêts à un organisme bancaire, il a semblé plus intéressant de faire souscrire FFP à cet emprunt obligataire pour maximiser ses produits financiers avec une rémunération très intéressante de 2,5 %.

Il est également intéressant de souligner qu'en cas de fusion entre FFP et Issarts Capital, les actionnaires de FFP bénéficieraient alors de la rentabilité de l'ensemble du dossier d'investissement.'

Par courrier d'avocat en date du 23 juillet 2019, il a été précisé à l'appelant que l'investissement concernait l'acquisition d'un immeuble à Berlin.

L'emprunt obligataire a de plus été intégralement remboursé selon le schéma suivant décrit par l'intimée : le 31 décembre 2019, l'emprunt a été cédé par la société Issarts Capital à la société Issarts Re (pièce n° 46 de l'intimée), puis capitalisé par l'émission par cette dernière de nouvelles parts sociales en échange (pièce n° 48 de l'intimée).

Ainsi, nonobstant ce que prétend l'appelant, il convient de relever s'agissant de cet emprunt obligataire qu'il a également reçu des informations suffisantes à son sujet.

De plus, il sera observé que l'appelant ne démontre pas l'atteinte à l'intérêt social de la société FFP qui aurait résultée de ces opérations, conforme à son objet social tel qu'il résulte de son K-bis, à savoir 'la prise d'intérêts et de participations dans toutes entreprises existantes ou à créer soit seules soit en association par tous moyens et sous toutes formes (...)', lui ayant permis de réaliser des investissements à des taux de rémunération supérieurs aux taux faibles offerts sur le marché pour les placements de trésorerie actuellement comme l'a relevé le premier juge.

Du fait que d'autres sociétés du groupe, dont la société Issarts Capital, aient eu des retombées financières supérieures à celles perçues par la société FFP grâce à ces opérations qui s'inscrivent manifestement dans la stratégie globale de restructuration et de valorisation du groupe, il ne saurait être déduit l'existence d'une atteinte à l'intérêt social puisqu'en tout état de cause, ces 'prêts' litigieux ont été rentables pour la société FFP et ne lui ont pas été préjudiciables, pas plus qu'aux actionnaires minoritaires.

De la même manière, M. Thierry F. ne rapporte pas davantage la preuve du caractère suspect de ces opérations.

En effet, en ce qui concerne l'emprunt obligataire et s'agissant d'une convention réglementée au sens de l'article L. 225-38 du code de commerce, seule est nécessaire l'autorisation préalable du conseil d'administration, peu important que la souscription de l'emprunt n'ait pas été adoptée par l'assemblée générale des actionnaires dont l'approbation n'est pas nécessaire, seul étant requis le rapport spécial du commissaire aux comptes, lequel a en l'espèce été établi le 29 mars 2019 sur la base des informations communiquées et après vérification de la concordance de ces informations avec les documents de base dont elles sont issues.

Par ailleurs, l'allégation de l'appelant selon laquelle M. François F. et ses enfants auraient du fait de ces opérations commis une assistance financière prohibée par l'article L. 225-216 du code de commerce, qui dispose que : 'Une société ne peut avancer des fonds, accorder des prêts ou consentir une sûreté en vue de la souscription ou de l'achat de ses propres actions par un tiers', n'est étayée par aucune démonstration la rendant plausible, les fonds prêtés par la société FFP ayant servi à des investissements immobiliers et étant désormais presque intégralement remboursés.

Le grief de l'abus de biens sociaux élevé par M. Thierry F. à l'encontre de M. Erwan F. n'est pas davantage étayé et ne saurait caractériser une présomption d'irrégularité en l'absence d'atteinte aux intérêts de la société FFP comme ci-dessus analysé.

Il découle de tout ce qui précède qu'il convient de débouter M. Thierry F. de sa demande tendant à voir organiser une expertise de gestion. L'ordonnance querellée sera donc confirmée en ce qu'elle a statué en ce sens.

La mention figurant au dispositif de l'ordonnance selon laquelle il est pris acte de la déclaration de la société Issarts Capital de ce que l'emprunt obligataire sera intégralement remboursé au 31 décembre 2019 n'étant pas susceptible d'emporter des conséquences juridiques, il n'y a pas lieu à confirmation sur ce point.

Sur les demandes accessoires :

L'ordonnance sera confirmée en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et dépens de première instance.

Partie perdante, M. Thierry F. devra en outre supporter les dépens d'appel qui seront recouvrés avec distraction au bénéfice des avocats qui en ont fait la demande.

L'équité commande en revanche de débouter la société Issarts Capital de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

La cour statuant par arrêt contradictoire,

Confirme l'ordonnance du 30 décembre 2019 en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'elle a pris acte de la déclaration de la société Issarts Capital de ce que l'emprunt obligataire sera intégralement remboursé au 31 décembre 2019,

Dit que M. Thierry F. supportera les dépens d'appel qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,

Dit n'y avoir lieu à faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et déboute les parties de leur demande à ce titre.