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Décisions

CA Paris, 1re ch. H, 20 janvier 2004, n° 2003/12848

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

UPC France (SA)

Défendeur :

France Télécom (SA), Art

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Lacabarats

Conseillers :

Mme Riffault-Silk, M. Savatier

Avoués :

SCP Fisselier-Chiloux-Boulay, SCP Gibou-Pignot-Grappotte-Benetreau

Avocats :

Me Dupuis-Toubol, Me Clarenc, Me Simonel, Me Delannoy

CA Paris n° 2003/12848

19 janvier 2004

Après avoir, à l'audience publique du 16 décembre 2003, entendu les conseils des parties et les observations du ministère public, le conseil de la requérante ayant eu la parole en dernier.

Les sociétés UPC FRANCE et FRANCE TELECOM sont des opérateurs de téléphonie fixe autorisés à exploiter à destination du public des réseaux de télécommunication.

Afin de permettre aux clients de chaque opérateur de communiquer avec l'ensemble des abonnés à un réseau de téléphonie, quel que soit l'opérateur dont le réseau est utilisé, les textes applicables ont prévu des obligations de connexion des différents réseaux.

L’ « interconnexion » désigne ainsi, selon l'article L 32-9° du Code des postes et télécommunications, "les prestations réciproques offertes par deux exploitants de réseaux ouverts au public qui permettent à l'ensemble des utilisateurs de communiquer librement entre eux, quels que soient les réseaux auxquels ils sont raccordés ou les services qu'ils utilisent ».

L'une des prestations importantes de l'interconnexion est la prestation dite de "terminaison d'appels", qui consiste pour un opérateur à prendre en charge un appel provenant d'un autre opérateur interconnecté à son réseau, pour l'acheminer jusqu'au poste téléphonique de l'un de ses abonnés auquel l'appel est destiné.

Le litige porte sur les conditions tarifaires de la prestation de terminaison d'appel fournie par UPC FRANCE à FRANCE TELECOM, pour acheminer à un abonné de la première société un appel émanant d'un abonné de la seconde.

Les parties au litige ont conclu une convention d'interconnexion le 2 juin 2000. À la suite d'un premier différend, l'ART a rendu le 21 décembre 2001 une décision fixant les conditions de tarification pour 2001 et 2002 des prestations de terminaisons d'appels fournies par UPC FRANCE. Un avenant à la convention d'interconnexion a été signée par les parties le 18 avril 2002 pour l'application de la décision de l'ART.

UPC FRANCE a dénoncé cet avenant le 27 novembre 2002 et a notifié le 4 décembre suivant à FRANCE TELECOM le tarif de terminaison d'appels qu'elle entendait appliquer à compter du 1er janvier 2003, afin, précisait le premier courrier se référant au principe de liberté tarifaire, "de mieux prendre en compte les coûts supportés par UPC FRANCE".

Saisie par FRANCE TELECOM le 27 janvier 2003 d'une demande de règlement de différend, l'Autorité de régulation des télécommunications (A.R.T.) a, par sa décision n°03-703 du 5 juin 2003, adopté les dispositions suivantes :

Article 1- Pour la période courant à compter du 1er janvier 2003 et jusqu'au 31 décembre 2007, le tarif de la prestation de terminaison d'appels fournie par UPC FRANCE à FRANCE TELECOM pour l'acheminement des appels à destination des abonnés situés dans la zone de transit où les parties sont interconnectées de l'année en vigueur est au plus égal à la pondération des tarifs des prestations de terminaison en intra-CA et en simple transit de FRANCE TELECOM de la cinquième année précédant l'année en vigueur, par des coefficients égaux aux pourcentages correspondant à l'utilisation que UPC FRANCE a faite de ces prestations au cours des trois derniers mois de l'année précédant l'année en vigueur.

Article 2- Le calcul de la pondération prévue à l'article 1 est réalisé en tenant compte de l'ensemble du trafic sortant de UPC FRANCE vers FRANCE TELECOM constaté par les parties ainsi que des tarifs moyens des prestations de terminaison en intra-CA et en simple transit de FRANCE TELECOM tels que définis par la décision d'approbation du catalogue d'interconnexion de l'année concernée.

Article 3- Pour la période courant à compter du 1er janvier 2008, le tarif de la prestation de terminaison d'appels fournie par UPC FRANCE à FRANCE TELECOM pour l'acheminement des appels à destination des abonnés dans la zone de transit où les parties sont interconnectées de l'année en vigueur est au plus égal à la pondération des tarifs des prestations de terminaison en intra-CA et en simple transit de FRANCE TELECOM de l'année en vigueur, par des coefficients égaux aux pourcentages correspondant à l'utilisation que UPC FRANCE a faite de ces prestations au cours des trois derniers mois de l'année précédant l'année en vigueur.

Article 4- Les parties devront mettre leur convention d'interconnexion en conformité avec les dispositions prévues par les articles 1, 2 et 3 de la présente décision dans un délai de quatre semaines à compter de sa notification...

La société UPC FRANCE a formé un recours contre cette décision le 15 juillet 2003 et demande à la cour :

  • D'annuler partiellement l'article 1er de la décision de l'A.R.T., en ce qu'elle fixe une date d'entrée en vigueur du nouveau tarif à compter du 1er janvier 2003 et non à la date de notification de la décision litigieuse ;
  • De réformer partiellement les articles 1 et 3 de la décision et de réduire la durée d'application du tarif fixé par l'A.R.T. jusqu'au 31 décembre 2004.

Par ses écritures du 22 octobre 2003, la société FRANCE TELECOM demande à la cour :

  • A titre principal de rejeter le moyen d'annulation, de déclarer irrecevable ou mal fondé le moyen de réformation ;
  • A titre subsidiaire et reconventionnel, de dire qu'à défaut de rétroactivité au 1er janvier 2003 des conditions tarifaires de l'interconnexion, c'est le tarif applicable en 2002 qui doit être fixé pour les prestations de terminaison d'appels fournies par UPC FRANCE à FRANCE TELECOM du 1er janvier 2003 à la date de notification de la décision de l'A.R.T., de dire en cas de réformation de la décision, qu'il serait justifié et équitable que, pour la période courant à compter du 1er janvier 2003 et jusqu'au 31 décembre 2005, les tarifs de terminaison d'appel de la société UPC FRANCE soient encadrés dans les conditions prévues à l'article 3 de la décision ;
  • A titre reconventionnel, de réformer la décision attaquée et de dire, dans un nouvel article 1er se substituant aux articles 1, 2 et 3 de la décision, que, à compter du 1er janvier 2003 et pour une période d'au moins trois ans à compter de cette date, le tarif de la prestation de terminaison d'appels fournie par UPC FRANCE à FRANCE TELECOM pour l'acheminement des appels à destination des abonnés de la zone de transit où les parties sont interconnectées de l'année en cause est au plus égal à la pondération des tarifs des prestations de terminaison en intra-CAA et en simple transit de FRANCE TELECOM de l'année en cause, par des coefficients égaux aux pourcentages correspondant à l'utilisation que UPC FRANCE a faite de ces prestations au cours des trois derniers mois de l'année en cause ;
  • En tout état de cause, de condamner UPC FRANCE à lui payer 20.000 euros au titre de l'article 700 du N.C.P.C.

L'A.R.T. a déposé le 12 novembre 2003 des observations écrites tendant au rejet du recours de la société UPC FRANCE et des demandes reconventionnelles de FRANCE TELECOM.

Les parties au litige ont déposé des écritures en réplique les 12 novembre et 8 décembre 2003.

SUR LE RECOURS FORME PAR LA SOCIETE UPC FRANCE

- Sur le moyen d'annulation de la décision

Considérant que la société UPC FRANCE fait grief à la décision attaquée d'avoir, en fixant dans son article 1er au 1er janvier 2003 l'application des conditions tarifaires relatives aux prestations de terminaison d'appels, violé le principe de non-rétroactivité des actes administratifs généraux ou individuels, alors que ce principe s'applique aux décisions de l'A.R.T. et que cette Autorité l'a déjà mis en oeuvre dans un cas analogue ;

Mais considérant qu'investie par la loi du pouvoir de régler les différends opposant les opérateurs de télécommunication sur les conditions financières des prestations d' interconnexion pour lesquelles ils ont conclu une convention, l'A.R.T. a fait une exacte application de ses prérogatives en fixant, pour l'ensemble de la période litigieuse qui en l'espèce commençait à courir au premier janvier 2003, les méthodes permettant de déterminer les tarifs de ces prestations; qu'aucun excès de pouvoir ni violation d'un principe fondamental ne pouvant à ce titre lui être reproché, le moyen d'annulation de la décision doit être rejeté ;

- Sur les moyens de réformation de la décision

Considérant que la société UPC FRANCE soutient que, par ses dispositions prises pour l'avenir, la décision porte une atteinte disproportionnée à la liberté tarifaire dont elle bénéficie, que l'A.R.T. a commis une erreur de droit en fixant un nouveau tarif des prestations litigieuses pour une durée excédant le 31 décembre 2004, que la décision est fondée sur des faits matériellement inexacts, qu'elle empêche par sa durée excessive de prendre en compte l'évolution de la situation d'UPC FRANCE, celle du secteur des télécommunications et du contexte législatif qui lui est applicable ;

Mais considérant que le principe de liberté tarifaire revendiqué par UPC FRANCE n'est pas absolu et n'exclut pas que l'A.R.T. y apporte des restrictions tenant compte notamment d'un objectif d'efficacité économique, de la nécessité d'assurer un développement compétitif du marché ainsi qu'un équilibre équitable entre les intérêts légitimes des différents opérateurs du secteur des télécommunications ; qu'il lui appartient en particulier, dans sa mission d'arbitrage des différends, de veiller à ce que, conformément à l'article D 99-10 du Code des postes et télécommunications, les tarifs des opérateurs respectent les principes d'objectivité et de transparence, et ne conduisent pas à imposer indûment aux opérateurs utilisant l'interconnexion des charges excessives ;

Considérant que toute prestation de terminaison d'appels constituant à la fois une charge pour l'opérateur qui achète cette prestation à ses concurrents mais aussi une source de revenus lorsqu'il la vend à ceux-ci, l'A.R.T. a estimé, dans des conditions dont le principe n'est pas réellement contesté par le recours de UPC FRANCE, qu'il convenait de la soumettre, pour déterminer son prix, à la méthode dite de la "réciprocité tarifaire" selon laquelle le prix pratiqué par un opérateur, pour acheminer vers l'abonné un appel entrant sur son réseau, doit être équivalent au tarif d'interconnexion, pour l'acheminement des appels sortant de son réseau, qu'il paie à FRANCE TELECOM, en tenant compte néanmoins de l'utilisation effective faite par le premier opérateur des prestations de cette dernière société ;

Considérant que la décision contestée n'est pas entachée d'erreur de droit, dès lors que le différend opposant la société requérante à FRANCE TELECOM n'étant pas circonscrit à un événement précis survenu à une date déterminée, la nécessaire prévisibilité des règles applicables au secteur des télécommunications et la sécurité juridique des opérateurs autorisaient l'A.R.T. à fixer sur une longue période de temps les modalités de calcul des redevances d'interconnexion ; que cette méthode de résolution des litiges ne lui est interdite par aucun texte et n'est pas de nature à affecter irrémédiablement les intérêts des parties, celles-ci conservant le droit de renégocier leurs accords, sauf à saisir à nouveau l'A.R.T. d'une demande de règlement de différend, en cas de changement substantiel des circonstances dans lesquelles les principes applicables à la détermination de leurs tarifs ont été fixés ;

Considérant que l'A.R.T. s'est prononcée sur des circonstances de fait et des demandes contradictoirement débattues devant elle, selon une décision qui, par les méthodes de calcul des tarifs mises en oeuvre et les distinctions de périodes opérées, procède, non d'une erreur manifeste d'appréciation de ces circonstances ou demandes, mais de l'obligation de concilier les intérêts contradictoires des parties en adaptant la liberté tarifaire invoquée par UPC FRANCE à l'efficacité économique voulue par le législateur ; que, par la modulation dans le temps des tarifs de terminaison d'appel et l'application de la méthode dite de "la réciprocité tarifaire retardée", elle a tenu compte des coûts d'investissement,- transitoirement supérieurs à ceux de FRANCE TELECOM-, de la société requérante pour son entrée sur le marché en cause, en insistant néanmoins à juste titre sur le caractère provisoire que cette situation devait présenter ; qu'elle a pris à cette fin, pour base de calcul du prix des prestations d'UPC FRANCE, les tarifs appliqués par FRANCE TELECOM à des prestations équivalentes 5 années auparavant, ce délai permettant de fixer dès 2003, première année de la période transitoire retenue, le prix des prestations par comparaison avec des éléments objectifs et transparents, en l'occurrence le catalogue d'interconnexion publié par FRANCE TELECOM à partir de 1998 sous le contrôle de l'A.R.T.; qu'il n'est pas enfin établi par les pièces du dossier que la période de 5 ans choisie par l'A.R.T. à l'article 1er de sa décision porte une atteinte disproportionnée aux intérêts financiers de la société requérante ; que le recours de la société UPC FRANCE doit en conséquence être rejeté ;

SUR LES DEMANDES RECONVENTIONNELLES DE LA SOCIETE FRANCE TELECOM

Considérant que, pour justifier la recevabilité de ses demandes reconventionnelles qui a été contestée lors de la procédure de recours, la société FRANCE TELECOM invoque l'absence de texte dérogatoire au N.C.P.C. dont les articles 562 et 567 doivent recevoir application ;

Considérant cependant que les conclusions de la société FRANCE TELECOM, même si elles sont qualifiées de reconventionnelles par la concluante, ne comportent pas de prétentions dirigées contre la société requérante mais tendent exclusivement à la réformation partielle de la décision de l'A.R.T. définissant les conditions tarifaires de prestations d'interconnexion ; qu'une telle demande ne peut être présentée que dans les formes et délais prévus par les articles L 36-8, R 11-2 et 3 du Code des postes et télécommunications, dérogatoires aux règles de droit commun de l'appel prévues par le N.C.P.C. ; que ces formes et délais n'ayant pas été en l'espèce observés par FRANCE TELECOM, ses demandes doivent être déclarées irrecevables ;

Considérant qu'aucune circonstance de l'affaire ne justifie l'application des dispositions de l'article 700 du N.C.P.C. ;

Considérant qu'aucune circonstance de l'affaire ne justifie l'application des dispositions de l'article 700 du N.C.P.C. ;

PAR CES MOTIFS LA COUR

Déclare recevables mais mal fondées les demandes de la société UPC FRANCE,

Rejette en conséquence son recours,

Déclare irrecevables les demandes de la société FRANCE TELECOM,

Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du N.C.P.C.,

Condamne la société UPC FRANCE aux dépens du recours.