Cass. crim., 13 juin 2012, n° 11-85.280
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Louvel
Rapporteur :
M. Rognon
Avocats :
Me Foussard, SCP Potier de La Varde et Buk-Lament
Statuant sur les pourvois formés par :
- Le procureur général près la cour d'appel de Rennes,
- L'administration fiscale, partie civile,
contre l'arrêt de ladite cour d'appel, 3e chambre, en date du 26 mai 2011, qui a relaxé M. Valentin X... du chef de fraude fiscale et a débouté la partie civile de ses demandes ;
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le moyen unique de cassation proposé par le procureur général, pris de la violation des articles 1741 du code général des impôts, L. 227 du livre des procédures fiscales, 593 du code de procédure pénale et 121-1 du code pénal ;
Sur le moyen unique de cassation proposé pour l'administration fiscale, pris de la violation des articles 1741 du code général des impôts, L. 227 du livre des procédures fiscales, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs ;
"en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a renvoyé M. X... des fins de la poursuite et rejeté la demande de l'administration ;
"aux motifs que la fraude fiscale est une infraction intentionnelle supposant la volonté de frauder et elle ne peut se déduire de la seule qualité de dirigeant de droit d'une société tenue par les obligations fiscales ; que s'il est avéré que M. X... a accepté de manière frauduleuse d'être nommé gérant de la SARL Agence Bretonne de surveillance et a perçu une rémunération en contrepartie, il n'en demeure pas moins qu'il est également établi qu'il a été totalement écarté de la gestion de cette société, Mme Y... ne lui en tenant aucun compte dès lors qu'elle en était la gérante de fait et qu'elle bénéficiait en réalité d'une délégation totale de pouvoirs, et qu'il n'a pris aucune part à la réalisation de l'infraction de fraude fiscale, sa formation sommaire en gestion ne pouvant constituer l'élément probant d'une abstention coupable au regard des obligations fiscales du gérant ;
"1) alors que l'existence d'une délégation ne peut exonérer le dirigeant légal que s'il est constaté que le dirigeant légal a pris une décision pour déléguer ses pouvoirs à un tiers ayant la compétence, l'autorité et les moyens nécessaires ; qu'en évoquant une délégation de pouvoirs, sans constater qu'elle répondait aux exigences susévoquées, les juges du fond ont privé leur décision de base légale au regard des textes susvisés ;
"2) alors qu'en l'absence d'une délégation répondant aux exigences susévoquées, le dirigeant de droit se rend coupable de fraude fiscale, s'il s'abstient consciemment de veiller au respect des obligations fiscales incombant à la société qu'il dirige et s'il laisse délibérément le tiers s'affranchir de ses obligations ; qu'en l'espèce, détenant la totalité du capital de la société, et titulaire d'un baccalauréat de comptabilité, M. X... avait accepté de manière frauduleuse d'être nommé à la tête de la société, et était rémunéré en contrepartie ; qu'en s'abstenant de rechercher si l'intéressé, en s'affranchissant de ses obligations légales, ne s'était pas délibérément abstenu de s'assurer du respect de ses obligations fiscales, permettant ainsi à la société de s'affranchir des ses obligations, les juges du fond ont privé leur décision de base légale au regard des textes susvisés" ;
Les moyens étant réunis ;
Vu l'article 593 du code de procédure pénale, ensemble les articles 121-1 du code pénal et 1741 du code général des impôts ;
Attendu que, d'une part, en l'absence de délégation de pouvoirs régulière, le gérant légal ou statutaire d'une société doit être tenu pour responsable des obligations comptables et fiscales de l'entreprise ;
Attendu que, d'autre part, tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt infirmatif attaqué et des pièces de procédure que M. X... a, en toute connaissance, accepté de devenir le gérant statutaire de la société Agence bretonne de surveillance (ABS) à la demande de Mme Y..., son amie, qui, frappée d'une mesure d'interdiction de gérer, l'a assuré qu'elle assumerait la gestion de cette société sous le couvert de sa fonction de directrice administrative et financière; que la société, déclarée en redressement puis en liquidation judiciaire, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité ; qu' à la suite de ce contrôle fiscal, Mme Y... et M. X... sont poursuivis, du chef de fraude fiscale, pour avoir frauduleusement soustrait cette société à l'établissement et au paiement de la taxe sur la valeur ajoutée en souscrivant des déclarations minorées du chiffre d'affaires taxable, pour la période d'octobre 2001 à novembre 2002, et en s'abstenant de souscrire la déclaration afférente au mois de décembre 2002 ; que Mme Y... est décédée en cours de procédure ;
Attendu que, pour déclarer M. X... coupable de fraude fiscale, le jugement du tribunal correctionnel, après avoir relevé que le prévenu, titulaire d'un diplôme professionnel de comptabilité, ne pouvait ignorer l'étendue des obligations liées à la gérance, pour laquelle il était rémunéré, retient, notamment, qu'en toute connaissance du fonctionnement frauduleux de la société, il n'a donné aucune délégation de pouvoirs à Mme Y... ;
Attendu que, relaxer le prévenu, l'arrêt, après avoir relevé qu'il ne contestait pas la matérialité de l'infraction, retenu qu'il a accepté frauduleusement d'être nommé gérant de la société ABS en contrepartie d'une rémunération, énonce que M. X... a été totalement écarté de la gestion de cette société par Mme Y... qui, gérante de fait, bénéficiait, en réalité, d'une délégation totale de pouvoirs ; que les juges d'appel en déduisent qu'il n'a pris aucune part à la réalisation de l'infraction de fraude fiscale ;
Mais attendu qu'en se déterminant ainsi, sans caractériser la nature et la portée de la délégation invoquée, alors qu'une personne qui fait l'objet d'une mesure d'interdiction de gérer ne peut, ni statutairement ni par délégation de pouvoirs, accomplir des actes de gestion d'une société, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences de ses propres constatations, n'a pas justifié sa décision ;
D'où il suit que la cassation est encourue ;
Par ces motifs :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de RENNES, en date du 26 mai 2011, et, pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Caen, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil.