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Décisions

Cass. 2e civ., 15 mars 2012, n° 11-11.982

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Loriferne

Avocats :

Me Ricard, SCP Delaporte, Briard et Trichet, SCP Peignot, Garreau et Bauer-Violas

Rouen, du 1 déc. 2010

1 décembre 2010

Sur le moyen unique :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Rouen, 1er décembre 2010), que Mme X..., salariée de la société CIFN Dialoge (l'employeur), a déclaré, le 20 janvier 2006, auprès de la caisse primaire d'assurance maladie du Havre (la caisse), un accident survenu le 27 mai 2005 consistant en un épisode dépressif réactionnel à une altercation avec son supérieur hiérarchique ; que la caisse a pris en charge cet accident au titre de la législation sur les risques professionnels ; que, contestant cette décision, l'employeur a saisi une juridiction de sécurité sociale ;

Attendu que la société fait grief à l'arrêt de dire que l'accident et ses conséquences devaient être pris en charge au titre de la législation sur les accidents du travail alors, selon le moyen :

1°/ que constitue un accident du travail tout fait précis survenu soudainement au cours ou à l'occasion du travail qui est à l'origine d'une lésion corporelle dont il incombe au salarié de rapporter la preuve autrement que par ses propres affirmations ; qu'en l'espèce, il résulte des propres constatations de l'arrêt que, non seulement, le médecin du travail, le docteur Y...n'a pas été le témoin direct de la prétendue altercation qui se serait produite le vendredi 27 mai 2005 entre Mme X...et sa supérieure hiérarchique, Mme Z..., mais qu'il n'a pas estimé nécessaire d'alerter quiconque dans l'entreprise, se contentant de conseiller à la salariée de quitter son poste et de se rendre chez son médecin traitant, ce dont elle s'est abstenue, préférant attendre la visite médicale du lundi 30 mai pour établir un avis d'inaptitude temporaire et l'adresser à son médecin traitant qui a prescrit un arrêt de travail pour syndrome dépressif réactionnel renouvelé jusqu'à son licenciement le 7 octobre 2005 et a attendu le 20 janvier 2006, soit pratiquement 8 mois, pour rédiger une déclaration d'accident de travail suite au choc émotionnel du 27 mai précédent ; qu'en décidant que constituaient la preuve d'une altercation sur le lieu de travail suffisamment violente pour générer un choc un témoignage indirect et des documents médicaux pour le moins tardifs, la cour d'appel a violé l'article L. 411-1 du code de la sécurité sociale ;

2°/ que, s'il appartient au salarié d'établir non seulement la réalité de la lésion mais encore sa survenance au temps et au lieu du travail, cette preuve ne peut être tenue pour apportée sur le fondement des seules déclarations de l'intéressé simplement reprises ou non contredites par des tiers, mais non corroborées par des éléments objectifs ; que ne constitue pas un élément objectif le témoignage de M. A...qui atteste que, le 27 mai 2005, Mme X...a « craqué » et qu'il lui a proposé son aide, ce qui ne constituait nullement un témoignage direct de la prétendue altercation qu'aurait eu celle-ci avec Mme Z...ce jour-là ; qu'en décidant, cependant, qu'à cette date, Mme X...avait été victime d'un accident du travail, la cour d'appel a violé l'article L. 411-1 du code de la sécurité sociale ;

3°/ que le juge ne peut se prononcer sans examiner l'ensemble des éléments de preuve qui lui sont soumis par les parties au soutien de leurs prétentions ; que l'employeur produisait aux débats plusieurs témoignages précis et circonstanciés de salariés, dont les bureaux se situent à l'étage de celui de Mme Z...et à côté de celui de Mme X..., attestant n'avoir entendu, le vendredi 27 mai 2005, ni altercation, ni éclats de voix entre ces deux personnes ; qu'en retenant qu'il y avait eu altercation ce jour-là sans examiner les témoignages directs de personnes présentes à l'étage au moment où s'était prétendument déroulés les faits allégués, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 411-1 du code de la sécurité sociale ;

4°/ qu'une situation de stress au travail caractérisée par des agissements répétés qui ont pour conséquence la dégradation de l'état de santé physique ou psychologique du salarié ne peut être qualifiée d'accident du travail ; qu'ainsi, en se basant essentiellement sur une situation conflictuelle antérieure au 27 mai 2005 en raison des reproches concernant son travail adressés à la salariée, qui relevait donc d'agissements répétitifs s'inscrivant dans la durée et la persistance, ne pouvant constituer un accident du travail, pour affirmer que la brutalité du syndrome réactionnel constaté le 30 mai 2005 dans la continuité des faits constatés le 27 mai 2005 permet de retenir l'existence d'un accident du travail dont l'origine professionnelle est établie, quand bien même l'altercation alléguée ce jour-là n'avait pas eu de témoins directs et n'était pas corroborée par d'autres éléments objectifs, la cour d'appel a violé l'article L. 411-1 du code de la sécurité sociale ;

5°/ qu'en retenant que Mme X...a été victime d'un syndrome dépressif réactionnel déclenché par une altercation entre la salariée et sa supérieure hiérarchique le 27 mai 2005, au vu d'une situation conflictuelle antérieure, les juges d'appel devaient pour le moins rechercher si les reproches formulés à l'encontre de la salariée étaient ou non justifiés, le seul fait que celle-ci ait régulièrement adressé des mails de compte-rendu de son activité à Mme Z...ne justifiant pas du fait qu'elle avait respecté les consignes et correctement exécuté ses tâches, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 411-1 du code de la sécurité sociale ;

6°/ que l'employeur soutenait, dans des conclusions restées sans réponse, que, depuis plusieurs années, Mme X...souffrait de problèmes de dos qui avaient entraîné des troubles dépressifs et que le premier certificat daté du 11 octobre 2005, déclarant sa maladie professionnelle, le second du 28 septembre 2005 pour un accident du travail daté du 27 mai 2005 et enfin le troisième certificat de déclaration d'accident du travail du 20 janvier 2006 étaient tous postérieurs à la convocation à un entretien préalable en vue de son licenciement du 14 septembre 2005 ; qu'en ne répondant à l'employeur sur les problèmes de santé antérieurs de la salariée et sur la chronologie des événements qui était de nature à remettre sérieusement en cause les allégations de celle-ci quant à la survenance d'un événement traumatisant le 27 mai 2005 comme l'aboutissement d'une situation de harcèlement, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

Mais attendu que les juges du fond apprécient souverainement si un accident est survenu par le fait ou à l'occasion du travail ;

Et attendu que l'arrêt relève qu'un témoin atteste que Mme X...a " craqué " le 27 mai 2005 et que le médecin du travail, présent dans l'entreprise le jour des faits, assure avoir vu Mme X...en pleurs le même jour, celle-ci lui indiquant avoir " craqué " après une altercation avec sa supérieure hiérarchique et une accumulation de reproches professionnels exprimés de manière agressive ; qu'un échange par courriel du 27 mai 2005 témoigne de ce que les reproches étaient adressés à la salariée dans des termes désobligeants ; que lors de la visite médicale du travail à laquelle elle s'est présentée le lundi 30 mai, le médecin du travail a établi un avis d'inaptitude temporaire et l'a adressé à son médecin traitant avec un courrier lui faisant part de la situation difficile de la salariée du fait d'une " pression morale très forte " au travail, estimant qu'un arrêt de travail était nécessaire " pour la protéger " ;

Que, de ces constatations et énonciations, la cour d'appel, qui n'avait pas à procéder à une recherche ni à répondre à des conclusions que ses constatations rendaient inopérantes, a pu déduire que le syndrome dépressif réactionnel présenté par Mme X...était brutal et se situait dans la continuité de l'altercation survenue sur son lieu du travail le 27 mai 2005 de sorte qu'il devait être pris en charge au titre de la législation sur les risques professionnels ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.