Cass. soc., 23 juin 2016, n° 15-13.065
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Ludet
Avocats :
SCP Lyon-Caen et Thiriez, SCP Masse-Dessen, Thouvenin et Coudray
Sur le moyen unique :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Bordeaux, 10 décembre 2014), que M. X... a été engagé le 31 août 1992 par la société Socar, devenue la société Smurfit Kappa France, en qualité d'ouvrier spécialisé ; qu'un avertissement pour non-respect de l'article 4-6 du règlement intérieur de l'entreprise lui a été notifié le 20 mai 2010 ; qu'ayant, le 8 juillet 2010, enlevé ses chaussures de sécurité pendant sa faction de travail, il a, le jour même, été reçu et entendu en entretien informel par le directeur général régional présent sur le site qui lui a notifié sa mise à pied à titre conservatoire ; qu'il s'est vu notifier, le 23 juillet 2010, son licenciement pour faute grave pour avoir travaillé pieds nus, sans ses chaussures de sécurité, et n'avoir pas, de façon réitérée, respecté les consignes de sécurité ;
Attendu que l'employeur fait grief à l'arrêt de dire que le licenciement notifié le 23 juillet 2010 au salarié ne reposait pas sur une faute grave mais seulement sur une cause réelle et sérieuse et de le condamner au paiement d'une indemnité conventionnelle de licenciement, d'une indemnité compensatrice de préavis et d'un rappel de salaires pour la période de mise à pied, alors, selon le moyen :
1°/ que le principe selon lequel nul ne peut se constituer un titre à soi-même n'est pas applicable en matière prud'homale où la preuve est libre ; qu'en retenant, pour considérer comme non établie la preuve de la réitération par M. X... de la violation d'une règle de sécurité que la société ne pouvant s'établir à elle-même une preuve judiciaire, elle ne pouvait dès lors se prévaloir du courriel en date du 8 juillet 2010 émanant de son directeur général régional, duquel il résultait pourtant que le salarié avait reconnu les faits qui lui étaient reprochés par la lettre de licenciement, au prétexte que son auteur était titulaire du pouvoir disciplinaire qu'il a exercé contre le salarié la cour d'appel a violé les articles 1315 et 1353 du code civil et le principe de la liberté de la preuve, ensemble les articles L. 1234-1 et L. 1234-9 du code du travail ;
2°/ qu'il n'y a pas lieu d'écarter par principe les témoignages ou les écrits d'une personne pour la seule raison qu'elles n'ont connu qu'indirectement les faits qu'elles y relatent, la loi s'en remettant seulement sur ce point à la prudence des juges de ce qui est de nature à former leur conviction ; qu'en écartant des débats le courriel en date du 8 juillet 2010 produit par l'employeur, dans lequel le directeur général régional relatait les propos tenus par les personnes présentes lors de l'entretien ayant eu lieu l'après-midi même du 8 juillet dans son bureau, et notamment la façon dont M X... avait reconnu, sans aucune contestation, avoir retiré à deux reprises ses chaussures de sécurité ainsi que l'indiquait son supérieur hiérarchique M. Y... et avoué avoir déjà fait cela la veille au soir, au seul motif que ces déclarations sont rapportés « par ouïe dire » quand il lui incombait d'apprécier la valeur et la portée de ce témoignage indirect, la cour d'appel a méconnu l'étendue de ses pouvoirs et violé les articles 9 du code de procédure civile et 1353 du code civil ;
3°/ que selon l'article L. 4122-1 du code du travail, il incombe à chaque travailleur de prendre soin, en fonction de sa formation et selon ses possibilité, de sa sécurité et de sa santé ainsi que de celles des autres personnes concernées du fait de ses actes ou de ses omissions au travail ; que la violation par un salarié d'une règle élémentaire de sécurité telle que celle imposant le port d'équipement de protection, le plaçant en situation de danger ainsi que potentiellement d'autres membres du personnel constitue une faute grave, peu important à cet égard l'ancienneté de l'intéressé ou le caractère isolé du fait sanctionné dès lors que le salarié avait connaissance des consignes et disposait des moyens de les respecter ; qu'ayant constaté que M. X... avait retiré ses chaussures de sécurité au cours de sa faction de travail d'un après-midi, demeurant pieds nus dans l'atelier au prétexte de la chaleur qui y régnait, ce qui constituait une infraction à une règle de sécurité impérative dans l'entreprise, et ayant relevé que cette règle était parfaitement connue du salarié qui s'était encore engagé à la respecter trois mois auparavant en signant à deux reprises un « check list d'accueil de sécurité » la cour d'appel, en décidant néanmoins qu'un tel comportement n'était pas constitutif d'une faute grave au motif inopérant que le salarié avait remis ses chaussures de sécurité à la demande de son supérieur hiérarchique, a violé les articles L. 1234-1, L. 1234-9, L. 4122-1 et L. 4121-3 du code du travail ;
4°/ qu'en statuant de la sorte sans rechercher, comme elle y était invité, si le non-respect par M. X... des règles de sécurité relatives au port de chaussures de protection, outre qu'il mettait sa propre sécurité en danger, n'empêchait pas toute intervention urgente de sa part dans l'atelier que des circonstances imprévisibles auraient rendu nécessaire et si, dès lors, l'attitude du salarié exposant potentiellement à un danger d'autres membres du personnel ne rendait pas impossible son maintien dans l'entreprise, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1234-1, L. 1234-9, L. 4122-1 et L. 4121-3 du code du travail ;
5°/ que la société faisait valoir dans ses conclusions devant la cour d'appel qu'antérieurement à son licenciement, M. X... s'était déjà rendu coupable de la violation d'une règle de base du règlement intérieur relative au signalement des accidents du travail qui avait donné lieu au prononcé trois mois auparavant, d'un avertissement ; que la cour d'appel qui, bien qu'ayant constaté l'existence de cette précédente sanction, s'est bornée à relever que la preuve n'était pas rapportée que les 7 et 8 juillet 2010, M. X... ait par deux fois retiré ses chaussures de sécurité sans rechercher, comme elle y était invité, si l'existence de cet antécédent disciplinaire ne révélait pas une attitude persistante de désinvolture du salarié à l'égard des consignes touchant à la sécurité justifiant que soit retenue, à la suite d'un nouveau manquement, une faute grave à son encontre, la cour d'appel a de nouveau privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1234-1, L. 1234-9, L. 4122-1 et L. 4121-3 du code du travail ;
Mais attendu que dans le cadre de l'exercice de son appréciation souveraine des éléments de fait et de preuve produits devant elle et sans méconnaître les règles de preuve, la cour d'appel, qui a relevé que l'employeur ne démontrait pas la répétition du défaut de port des chaussures de sécurité qu'il reprochait au salarié aux termes de la lettre de licenciement, a pu décider que la faute commise ne rendait pas impossible son maintien dans l'entreprise et ne constituait pas une faute grave ; que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi.