Cass. crim., 20 octobre 2021, n° 21-84.498
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Soulard
Rapporteur :
M. Pauthe
Avocat général :
M. Bougy
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. Mis en examen notamment des chefs précités, M. [U] a été placé sous mandat de dépôt correctionnel le 23 octobre 2020.
3. Sa détention a été prolongée par ordonnance du juge des libertés et de la détention en date du 10 juin 2021.
4. Il a relevé appel de cette décision.
5. Devant la chambre de l'instruction, M. [U] a notamment fait valoir l'indignité de ses conditions de détention.
Examen du moyen
Sur le moyen pris en sa première branche
6. Il n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Mais sur le moyen pris en sa seconde branche
Enoncé du moyen
7. Le moyen pris en sa seconde branche critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé l'ordonnance du juge des libertés et de la détention prolongeant la détention provisoire de M. [U] alors que, saisie de la description précise et actuelle faite par celui-ci de ses conditions de détention, rendue crédible par le rapport du Contrôleur général des lieux de privation de liberté, la chambre de l'instruction ne pouvait faire peser sur M. [U] le fardeau de la charge de la preuve ; qu'en exigeant qu'il démontre le caractère indigne de sa détention, la chambre de l'instruction a privé sa décision de base légale et violé les articles préliminaire, 144,145-1,145-2 du code de procédure pénale, ainsi que les articles 5, 6 et 13 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Réponse de la Cour
Recevabilité du grief
8. Tirant les conséquences de l'arrêt J.M.B. et autres rendu le 30 janvier 2020 par la Cour européenne des droits de l'homme, la Cour de cassation, en application des articles 3 et 13 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et en l'absence de dispositions de droit interne organisant un recours préventif et effectif destiné à mettre fin à des conditions de détention indignes, a ouvert à une personne détenue la faculté d'invoquer le caractère inhumain ou dégradant de ses conditions de détention à l'occasion du contentieux de la détention provisoire (Crim., 8 juillet 2020, pourvoi n° 20-81.739, publié).
9. A la suite de la décision du Conseil constitutionnel n° 2020-858/859 QPC, du 2 octobre 2020, le législateur, par la loi n° 2021-403 du 8 avril 2021 qui a inséré dans le code de procédure pénale un article 803-8, entré en vigueur le 1er octobre 2021, a entendu instituer un recours autonome et exclusif permettant à toute personne détenue qui estime subir des conditions de détention contraires à sa dignité, de saisir le juge judiciaire, afin qu'il y soit mis fin.
10. Par conséquent, la création de ce recours prive de son objet la faculté ouverte de manière générale par la Cour de cassation en raison de la carence de la loi. Cette conclusion qu'il convient de tirer des nouvelles dispositions ne préjuge pas de ce que la Cour de cassation pourrait décider si elle était amenée à contrôler l'effectivité du nouveau recours au regard des exigences de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
11. Toutefois, les moyens régulièrement soulevés avant le 1er octobre 2021 devant la chambre de l'instruction saisie dans le cadre du contentieux de la détention provisoire, doivent continuer à être examinés au regard des principes dégagés le 8 juillet 2020, sauf à méconnaître l'effectivité du droit à un recours dans les affaires considérées.
12. Il en est ainsi au cas d'espèce.
Bien fondé du grief
Vu l'article 593 du code de procédure pénale :
13. Il résulte de ce texte que tout arrêt de la chambre de l'instruction doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux articulations essentielles des mémoires des parties. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.
14. Pour écarter le moyen pris des conditions indignes de détention et confirmer l'ordonnance du juge des libertés et de la détention prolongeant la détention provisoire, l'arrêt attaqué énonce que les données factuelles que contient le rapport relatif aux conditions de détention au sein de la maison d'arrêt d'Angoulême, établi par le Contrôleur général des lieux de privation de liberté en décembre 2019, ne peuvent correspondre à la situation individuelle de M. [U] incarcéré dans cet établissement en décembre 2020.
15. Les juges ajoutent que M. [U] ne démontre pas avoir subi lui-même les conséquences du caractère exceptionnel de l'encellulement individuel qu'il relève dans ce rapport qui, toutefois, confirme que certaines personnes détenues peuvent solliciter leur placement à l'isolement si elles le souhaitent.
16. En se déterminant ainsi, la chambre de l'instruction n'a pas justifié sa décision, pour les motifs qui suivent.
17. En effet, saisie d'une description du demandeur qui évoquait un espace personnel réduit dans une cellule partagée avec d'autres détenus, la présence de cafards et de punaises de lits, un accès particulièrement limité aux douches non chauffées et dépourvues d'intimité, la chambre de l'instruction devait en apprécier le caractère précis, crédible et actuel, sans s'arrêter au fait que le rapport du Contrôleur général des lieux de privation de liberté décrivait des conditions de détention antérieures à l'incarcération de M. [U], ni exiger de celui-ci qu'il démontre le caractère indigne de ses conditions personnelles de détention.
18. La cassation est en conséquence encourue.
Portée et conséquences de la cassation
19. En conséquence du principe posé au paragraphe 11 de la présente décision, la chambre de l'instruction de renvoi devra se prononcer conformément aux principes dégagés par l'arrêt précité du 8 juillet 2020.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Bordeaux, en date du 24 juin 2021, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;
RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Bordeaux, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil.