Cass. 3e civ., 6 novembre 2013, n° 12-21.843
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Terrier
Avocat :
SCP Rocheteau et Uzan-Sarano
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Montpellier, 3 mai 2012), que par deux actes sous seing privé des 8 février et 14 mars 2007, Mme Sylvie X... et M. Yvan X... ont promis d'acheter à la Société d'aménagement foncier et rural Aveyron Lot Tarn (la SAFALT) des terres agricoles et un corps de ferme faisant partie d'une plus grande propriété, dont un château et ses dépendances conservés par la SAFALT ; que par acte sous seing privé du 15 mai 2007, M. Jean X... a signé une promesse unilatérale d'achat similaire portant sur des terres attenantes ; que par lettre du 24 juillet 2007 , la SAFALT a ajouté, au profit du propriétaire du château, une condition relative à une servitude d'eau qui a été acceptée par les promettants ; que faisant grief à la SAFALT de refuser de réitérer la vente malgré la levée de l'option et le paiement du prix de vente, Mme Sylvie X..., M. Yvan X... et M. Jean X... (les consorts X...) l'ont assignée le 6 avril 2010 en résolution des promesses, en restitution des sommes versées, et en indemnisation de leurs préjudices ;
Sur le premier moyen :
Attendu que la SAFALT fait grief à l'arrêt de prononcer la résolution des promesses d'achat et de la condamner à verser des sommes aux consorts X... au titre de leurs préjudices financier et moral, alors, selon le moyen :
1°/ que celui qui refuse de signer un acte authentique qui n'est pas conforme aux termes du contrat initial ne peut se voir imputer la rupture de la promesse de vente ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a expressément constaté que le projet d'acte du 3 septembre 2008 comportait, au regard des termes de la promesse conclue entre la SAFALT et les consorts X..., « une condition nouvelle d'enlèvement de la canalisation propre en cas de raccordement au réseau public » ; qu'en considérant que l'absence de réitération des promesses de vente par acte authentique était imputable à la SAFALT et engageait sa responsabilité contractuelle, la cour d'appel n'a pas tiré de ses propres constatations les conséquences légales qui s'en évinçaient, et a violé l'article 1147 du code civil ;
2°/ que la cour d'appel a constaté que le projet d'acte notarié adressé le 3 septembre 2008 à la SAFALT stipulait d'une part, que le propriétaire du château n'était autorisé à créer sa propre canalisation qu'à compter du 31 décembre 2009 et d'autre part, que le propriétaire de la parcelle vendue ne garantissait l'accessibilité de la vanne d'alimentation en eau du château que jusqu'au 31 décembre 2009 ; qu'ainsi, le projet d'acte de vente notarié ne garantissait pas l'alimentation en eau du château entre le 31 décembre 2009 et la réalisation nécessairement ultérieure de la canalisation propre du château ; qu'en affirmant, au mépris de ses propres constatations, que le projet d'acte authentique ne créait pas de risque de coupure d'eau pour le château voisin de la parcelle vendue, la cour d'appel a violé l'article 1134 du code civil ;
3°/ que la promesse unilatérale de vente oblige le promettant, dont le consentement au contrat est d'ores et déjà acquis, à conclure celui-ci aux conditions promises ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que par courrier du 24 juillet 2007, la SAFALT avait proposé aux consorts X..., qui l'avaient accepté, une clause particulière décrivant dans quelles conditions une servitude d'adduction d'eau grèverait leur fonds au profit du fonds voisin, faisant de cette servitude un élément essentiel de leur accord ; que la cour d'appel a également relevé que la clause contenue dans le projet d'acte authentique de vente du 3 septembre 2008 relative à cette servitude d'adduction d'eau différait sensiblement de celle décrite dans le courrier du 24 juillet 2007 ; qu'en reprochant à la SAFALT d'avoir refusé de signer en l'état l'acte authentique de vente sans s'assurer que la différence de rédaction de la clause litigieuse imposée par les consorts X... était justifiée par un motif légitime, la cour d'appel a privé son arrêt de base légale au regard des articles 1146 et 1147 du code civil ;
4°/ que les dommages-intérêts ne sont dus que lorsque le débiteur a été mis en demeure de remplir son obligation ; qu'il en est spécialement ainsi lorsque l'exécution de l'obligation requiert le concours du créancier ; qu'en considérant au contraire, pour décider que la SAFALT avait engagé sa responsabilité contractuelle en s'abstenant de réitérer la vente par acte authentique, qu'il importait peu qu'elle n'ait pas été mise en demeure de régulariser l'acte définitif, la cour d'appel a violé les articles 1146 et 1147 du code civil ;
Mais attendu qu'ayant constaté que le projet d'acte notarié, que la SAFALT a refusé de signer, ne comportait pas de différence avec les conditions définies par la lettre du 24 juillet 2007 et acceptées par les promettants, relatives à la création d'une prise d'eau reliant directement la citerne au château, lesquelles impliquaient que l'eau pouvait être coupée à tout moment si cette canalisation n'était pas installée à la date fixée, relevé qu'il ne pouvait être soutenu que ce projet ne reprenait pas les modalités initialement prévues et acceptées par les parties et que la condition nouvelle d'enlèvement de cette canalisation, devenue sans objet après raccordement au réseau public d'approvisionnement, n'était pas fondamentale et retenu, par un motif non critiqué, qu'il résultait de la lettre du 12 mars 2009 que la SAFALT n'entendait pas réitérer la vente sur la base du projet d'acte notarié de septembre 2008, caractérisant ainsi le fait que l'inexécution du contrat par la SAFALT était acquise et rendait inutile l'envoi d'une mise en demeure, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de procéder à une recherche sur le caractère légitime de la différence de rédaction de la clause litigieuse que ses constatations rendaient inopérante, a pu en déduire que la SAFALT avait engagé sa responsabilité contractuelle ;
D'ou il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le troisième moyen, ci-après annexé :
Attendu qu'ayant constaté que la question de l'approvisionnement en eau ne concernait que les parcelles de Mme X..., relevé que la SAFALT, qui soutenait que les ventes n'étaient nullement indissociables, n'avait pas proposé qu'elles soient dissociées dans sa lettre du 12 mars 2009 relative à de nouvelles conditions d'approvisionnement en eau, et retenu que M. Jean X... était fondé à obtenir l'indemnisation de ses préjudices, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de procéder à une recherche sur la position des consorts X... sur la divisibilité des ventes que ses constatations rendaient inopérante, a légalement justifié sa décision ;
Mais sur le deuxième moyen :
Vu l'article 1147 du code civil ;
Attendu que pour condamner la SAFALT à verser à Mme X... et M. Yvan X... la somme de 147 361, 23 euros au titre de leur préjudice financier, l'arrêt retient que leur demande principale à ce titre, fondée sur l'application d'une clause dont ils ne peuvent se prévaloir, est rejetée et qu'ils justifient du coût des prêts contractés en 2007, de la perte des intérêts de la somme apportée au titre de l'autofinancement, des frais liés à la modification du GAEC, des frais de notaire et de la perte d'une indemnité et d'un contrat prime à l'herbe ;
Qu'en statuant ainsi, alors que la somme allouée correspondait à celle réclamée à titre principal par Mme X... et M. Yvan X... en réparation de leur préjudice financier, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la SAFALT à verser à Mme X... et M. Yvan X... la somme de 147 361, 23 euros au titre de leur préjudice financier, l'arrêt rendu le 3 mai 2012, entre les parties, par la cour d'appel de Montpellier ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Montpellier, autrement composée ;
Condamne la Société d'aménagement foncier et rural Aveyron Lot Tarn aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile , rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile , et prononcé par le président en son audience publique du six novembre deux mille treize.