CA Orléans, ch. des urgences, 11 décembre 2019, n° 19/01247
ORLÉANS
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Défendeur :
Olivier Zanni (SCP)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Blanc
Conseillers :
Mme Meneau-Breteau, Mme Grua
Avocats :
Me Brillatz, Me Devaux, Me Brouard, Me Devauchelle
Le 29 septembre 2014, la société Carrefour donnait en location-gérance à la SARL Sajdis un fonds de commerce qu'elle venait de lui acheter.
Par jugement du tribunal de commerce de Châteauroux en date du 6 avril 2016, la société Sajdis était placée en redressement judiciaire, Maître Pierrat étant désigné en qualité d'administrateur judiciaire.
Par courrier du 23 mai 2016, la société Carrefour dénonçait le contrat de location-gérance à effet du 31 août 2016.
Par jugement du tribunal de commerce de Paris en date du 31 octobre 2016, il était décidé que la rupture aurait dû être précédée d'un préavis de 13 mois expirant le 30 juin 2017, et ce eu égard à l'ancienneté des relations existantes entre les parties, lesquelles trouvaient un accord prévoyant une exécution du contrat de location-gérance jusqu'au 30 juin 2017 avec réduction partielle de la créance du fournisseur, CSF. Cet accord était constaté par un jugement, aujourd'hui définitif, du tribunal de commerce de Paris en date du 20 février 2017.
À l'expiration du délai de préavis, soit le 30 juin 2017, la société Carrefour faisait assigner d'heure à heure devant le juge des référés du tribunal de commerce de Châteauroux la société Sajdis.
Par une ordonnance en date du 5 juillet 2017, le président du tribunal de commerce de Châteauroux statuant en référé ordonnait à la SARL Sajdis de libérer les lieux le 31 août 2017 après avoir respecté les obligations mises à la charge du locataire, assortissant cette obligation d'une astreinte de 10'000 € par jour de retard à compter du 31 août 2017, et ordonnait l'expulsion de la SARL Sajdis passé la même date, autorisant la société Carrefour Proximité France ou tout huissier mandaté à solliciter si nécessaire le concours de la force publique. Le juge des référés désignait Me X…, huissier de justice à Issoudun aux fins :
' d'effectuer un état des lieux portant sur l'état locatif à la sortie de la SARL Sajdis ainsi que l'inventaire du stock en présence de tous représentants de la société Carrefour Proximité France ayant pouvoir à cet effet, et ce, en conformité avec les dispositions de l'article 4'17 du contrat de location gérance,
' d'interpeller la SARL Sajdis quant au sort du stock de marchandises lui appartenant et, le cas échéant, autoriser la société Carrefour à reprendre ou faire reprendre celui-ci, si bon lui semble, après inventaire au prix de fourniture pratiqué à cette date, et ce conformément à l'article 4'14 du contrat de location gérance,
' de dire qu'à défaut de reprise du stock par la société Carrefour comme indiqué ci-dessus, le stock de marchandises présent sur les lieux sera séquestré sous le contrôle de l'huissier instrumentaire en tous lieux extérieurs au point de vente et désigné par la SARL Sajdis,
' de dire qu'en l'absence sur les lieux de la SARL Sajdis, nonobstant la parfaite signification de la décision à intervenir, l'état des lieux et l'inventaire pourront être effectué hors sa présence,
' de s'assurer de la libération des lieux par SARL Sajdis et si besoin de procéder à son expulsion ainsi que de tous occupants de son chef,
' de dire que la société Carrefour et l'huissier instrumentaire pourront se faire assister, le cas échéant, de la force publique et d'un serrurier aux fins de l'exécution de la décision.
Par acte en date du 29 août 2017 de la SELARL Act Huis 36, huissiers de justice à Issoudun, la société Carrefour Proximité France, en vertu de l'ordonnance de référé du président tribunal de commerce de Châteauroux du 5 juillet 2017, faisait commandement à la SARL Sajdis de quitter et de libérer toute personne et tous biens des lieux qu'elle occupe indûment, et ce au plus tard le 1er septembre 2017, conformément à la décision du tribunal de commerce.
Par acte en date du 6 septembre 2017 de la SELARL Act Huis 36, huissiers de justice à Issoudun, la société Carrefour Proximité France faisait dresser un procès-verbal de tentative d'expulsion, et ce au motif que Johan A… avait fait savoir qu'il s'oppose à l'expulsion compte tenu de la procédure diligentée ce jour devant le juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Châteauroux, et dont l'audience devait avoir lieu en octobre suivant, ainsi que de la procédure existant devant le tribunal de commerce de Paris.
Par jugement en date du 20 octobre 2017, le juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Châteauroux rejetait la demande de délais supplémentaires avant expulsion formée par la société Sajdis, rejetait la demande de sursis à statuer formée par cette société, et rejetait la demande de liquidation d'astreinte formée par la société Carrefour.
Le 27 et le 28 novembre 2017, Me X…, membre de la SELARL Act Huis 36, se présentait à la SARL Sajdis, afin de procéder à son expulsion des locaux sis route d'Issoudun à Reuilly, en vertu de l'ordonnance de référé du président du tribunal de commerce de Châteauroux en date du 5 juillet 2017, de l'ordonnance de référé rendue par la cour d'appel de Bourges 5 septembre 2017 et du jugement du juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Châteauroux en date du 20 octobre 2017.
Par un arrêt en date du 21 décembre 2017, la cour d'appel de Bourges, statuant sur l'appel interjeté à l'encontre de l'ordonnance de référé rendue le 5 juillet 2017 par le président du tribunal de commerce de Châteauroux confirmait cette ordonnance sauf en ses dispositions relatives à la mission de l'huissier instrumentaire et, statuant à nouveau de ce chef, désignait Me X… aux fins :
' de dresser un état des lieux portant sur l'état locatif à la sortie de la SARL Sajdis ainsi que l'inventaire du stock en présence de tous représentants de la société Carrefour ayant pouvoir à cet effet,
' d'interpeller la SARL Sajdis quant au stock de marchandises lui appartement,
' de s'assurer de la libération des lieux par la SARL Sajdis et si besoin de procéder à son expulsion ainsi que de tous occupants de son chef, l'huissier instrumentaire étant autorisé à effectuer les opérations d'état des lieux et l'inventaire hors la présence de la SARL Sajdis en son absence sur les lieux.
L'huissier instrumentaire était autorisé à se faire assister, le cas échéant de la force publique et d'un serrurier aux fins d'exécution de l'ordonnance et de cet arrêt.
Par acte en date du 12 décembre 2017, la SARL Sajdis assignait devant le juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Tours Me X…, afin de voir constater qu'elle aurait commis une faute dont elle devrait réparation, en procédant à des opérations d'expulsion en violation des dispositions de l'ordonnance de référé du président du tribunal de commerce en date du 5 juillet 2017. Elle sollicitait l'allocation de sommes évaluées ultérieurement à 60'000 € au titre du préjudice matériel, 20'000 € au titre du préjudice commercial et d'atteinte à l'image et 20'000 € au titre du préjudice moral.
Les époux A… intervenaient volontairement, sollicitant chacun l'allocation de la somme de 5000 € au titre de son préjudice moral.
Par jugement en date du 19 mars 2019, le juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Tours disait que Me X… a commis une faute dans la procédure d'expulsion de la SARL Sajdis, et la condamnait à verser à la SARL Sajdis la somme de 39'474,09 € au titre du préjudice matériel et la somme de 5000 € au titre du préjudice d'image, ainsi que la somme de 2500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, et aux époux A… la somme de 2500 € chacun au titre du préjudice moral, ainsi qu'à tous deux la somme de 2500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Par une déclaration en date du 10 avril 2019, Me X… interjetait appel de ce jugement.
Par ses dernières conclusions, la partie appelante en sollicite la réformation, demandant à la cour de débouter ses adversaires de l'ensemble de leurs prétentions et de lui allouer la somme de 3000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile. Elle invoque une absence de faute de sa part, expliquant que la SARL Sajdis s'opposerait depuis plusieurs années à son départ des lieux occupés, que cette société aurait soulevé des difficultés lors de chaque étape de la procédure, et prétend qu'elle-même n'avait pas à saisir le juge de l'exécution ou à interrompre ses opérations au motif que Sajdis le lui demandait. Elle déclare notamment que l'article 4'17 du contrat de location gérance fait référence à une obligation incombant au bailleur et non à l'huissier, ajoutant qu'il a été fait sommation à la société Sajdis le 31 août 2017 de se prononcer sur l'état des lieux de sortie, de sorte qu'il serait inexact de prétendre que cette société n'aurait pas été informée de la volonté de la société Carrefour de faire réaliser un inventaire. La partie appelante invoque en outre une absence de préjudice. Elle ajoute que, si un préjudice peut être allégué, il n'existerait pas de lien de causalité puisque ce ne sont pas selon elle les opérations d'expulsion qui ont pu générer un prétendu préjudice, mais uniquement le fait que la société Sajdis se maintienne dans les lieux sans droit ni titre.
Par leurs dernières conclusions, Me Zanni agissant en qualité de mandataire judiciaire de la société Sajdis, Johann A… et Z… épouse A… sollicitent la confirmation du jugement entrepris en ce qu'il retient une faute constitutive d'un préjudice à l'égard des époux A…, mais demandent l'infirmation de cette décision quant au quantum alloué au titre des différents préjudices,
réclamant le paiement à Me Zanni ès qualités de la somme de 60'000 € à titre de préjudice matériel, de la somme de 20'000 € à titre de préjudice commercial et atteinte à l'image et de la somme de 20'000 € à titre de préjudice moral, les époux A… réclamant chacun le paiement de la somme de 5000 € au titre de leur préjudice moral. Les intimés sollicitent en outre l'allocation de la somme de 3000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Par un avis en date du 25 septembre 2019, le Ministère public s'en rapporte.
L'ordonnance de clôture était rendue le 8 octobre 2019.
SUR QUOI :
Attendu que pour caractériser l'existence d'une faute à la charge de Me X…, le juge de l'exécution a estimé que les difficultés d'exécution sérieuses auraient dû la conduire soit à s'abstenir d'agir, soit au contraire faire usage des dispositions des articles R.151'1 et suivants du code des procédures civiles d'exécution afin d'obtenir une décision du juge de l'exécution pour statuer sur les difficultés invoquées par le représentant de la société Sajdis ;
Attendu que la partie intimée observe à juste titre que c'est à l'huissier qu'il appartient de respecter les termes de l'ordonnance qu'il est chargé d'exécuter, précisant que les termes en sont clairs ;
Que ce texte mentionnait que les formalités du contrat de location gérance devaient être respectées ;
Attendu à cet égard qu'il n'est pas contestable qu'il est à l'évidence indispensable que l'exploitant puisse prendre différentes dispositions avant l'exécution de la mesure d'expulsion, et en particulier l'écoulement de son stock ;
Attendu que c'est à bon droit que la partie appelante indique que c'était au bailleur qu'il appartenait d'aviser le locataire par lettre recommandée, et que ce manquement incombe donc au propriétaire des murs mais non pas à l'officier ministériel ;
Qu'elle ne peut cependant contester que c'était à elle qu'il appartenait de s'assurer que cette obligation avait été respectée ;
Attendu que le moindre doute, qu'elle aurait dû nécessairement ressentir à ce propos, aurait dû l'engager à suivre la procédure prévue par l'article R.151'1 du code des procédures civiles d'exécution, qui prévoit que « lorsque l' huissier de justice chargé de l'exécution d'un titre exécutoire se heurte à une difficulté qui entrave le cours de ses opérations », ce qui était le cas en la cause, puisqu'elle devait avoir connaissance du manquement commis par le bailleur, ou tout au moins chercher en avoir connaissance, « il en dresse procès-verbal et peut, à son initiative saisir le juge de l'exécution » ;
Attendu que c'est donc à bon droit que le premier juge a considéré que les sérieuses difficultés d'exécution qu'elle rencontrait auraient dû la conduire soit à s'abstenir d'agir, soit à faire usage des
dispositions de ce texte, et ce d'autant plus que, si le caractère exécutoire des décisions du tribunal de commerce de Châteauroux du 5 juillet 2017, de l'ordonnance de référé de la cour d'appel de Bourges du 5 septembre 2017 et du jugement du juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Châteauroux en date du 20 octobre 2017 ne souffre aucune contestation, il n'en demeure pas moins que, à la date du 28 novembre 2017, la cour d'appel de Bourges, saisie de l'appel interjeté à l'encontre de l'ordonnance de référé du 5 juillet 2017 du tribunal de commerce de Châteauroux n'avait pas encore statué puisqu'elle ne l'a fait que le 21 décembre 2017, étant rappelé que l'exécution provisoire d'une décision ayant lieu en principe aux risques et périls de celui qui y procède ;
Attendu qu'il y a lieu d'écarter l'argumentation de la partie appelante relative à une absence alléguée de faute de sa part ;
Attendu qu'à titre subsidiaire, Me X… invoque l'absence de lien de causalité entre ladite faute et le dommage ;
Qu'elle prétend à cet égard que ce ne sont pas les opérations d'expulsion qui auraient généré un prétendu préjudice, mais uniquement le fait que la société Sajdis se maintienne dans les lieux sans droit ni titre ;
Attendu que la partie appelante apporte à la procédure copie de la sommation interpellative qu'elle avait adressée à la partie intimée le 31 août 2017, à laquelle cette dernière avait réagi en indiquant n'avoir rien à répondre ;
Que cette sommation, portant une date antérieure de près de trois mois de l'expulsion litigieuse, ainsi que la réponse qui y a été faite, ne dispensaient ni le bailleur d'exécuter ses obligations, ni l'huissier instrumentaire de veiller à ce que l'ensemble des formalités nécessaires avaient été observées les 27 et 28 novembre 2017 ;
Attendu que l'existence d'un lien de causalité entre la faute et le dommage est établie, à l'exception du préjudice d'image, pour les raisons qui seront développées infra ;
Attendu que la partie appelante conteste l'intervention des époux A…, les estimant extérieurs à cette procédure et déclarant qu'ils n'auraient pas indiqué le fondement juridique de l'intervention volontaire ni le fondement juridique de leur prétendu préjudice qui serait distinct de celui invoqué au nom de la société intimée, ajoutant que, si leur intervention volontaire était déclarée recevable, il y aurait lieu de considérer selon elle qu'ils ne subissent aucun préjudice ;
Qu'il n'est cependant pas contestable que les époux A…, en leurs qualités de gérant et de salariés de l'entreprise ont subi, en présence de tiers, parmi lesquels les salariés placés sous leur autorité, des opérations irrégulières d'expulsion ;
Que c'est à juste titre qu'ils ont été jugés recevables à agir ;
Que, cependant, compte tenu de leur comportement antérieur, et de leur persistance en qualité d'acteurs dans une opposition systématique aux actions judiciaires et aux opérations d'exécution, il échet de considérer que le préjudice moral des époux A… ne pourra équitablement qu'être indemnisé par le paiement de la somme symbolique de 1 € ;
Attendu qu'il est évident que la partie intimée, ayant connaissance de décisions exécutoires ordonnant son départ des lieux, n'a pris aucune disposition pour faire en sorte de réduire, dans son intérêt, les conséquences dommageables des mesures d'exécution de ces décisions ;
Attendu en effet que s'il est exact que la SARL Sajdis peut valablement invoquer aujourd'hui un préjudice d'image, du fait que la tentative d'expulsion, opérée avec le recours aux forces de l'ordre, en présence de clients et d'un public auprès duquel il est évident que la perception qu'ils peuvent avoir de cette personne morale se trouve dégradée, il n'en demeure pas moins que ladite société, qui s'est maintenue dans les lieux en dépit de l'intervention de décisions exécutoires, dont l'une au moins était définitive, et en sachant que le principe de l'expulsion était de toute manière acquis, seules les modalités de ladite expulsion pouvant être reprochées à l'officier ministériel instrumentaire, a délibérément accepté ce risque dans sa totalité ;
Qu'il y a lieu de la débouter de la demande formée au titre du préjudice d'image, réformant en ce sens la décision querellée ;
Qu'il doit être considéré qu'elle a concouru à son propre dommage matériel, en particulier par son inertie, voire son opposition délibérée, manifestée de différentes manières, e.g. sa réaction face à la sommation interprétative du 31 août 2017 ;
Attendu que le préjudice matériel de la SARL Sajdis a été correctement évalué par le premier juge, mais que le montant qui lui sera alloué au titre de son préjudice matériel devra être réduit des deux tiers en raison de son concours à sa réalisation ;
Que cette société percevra donc la somme de 13 158',03 € pour l'indemnisation de son préjudice matériel ;
Attendu qu'il y a lieu de réformer le jugement querellé en ce qui concerne l'évaluation des préjudices ;
Attendu que chacune des parties succombe au moins partiellement en ses prétentions ;
Qu'il n'y a pas lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
PAR CES MOTIFS :
Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,
CONFIRME le jugement entrepris en ce qu'il a dit que Me X…, SELARL Acthuis 36, a commis une faute dans la procédure d'expulsion de la SARL Sajdis et en ce qu'il l'a condamnée aux dépens de première instance,
L'INFIRME pour le surplus,
STATUANT À NOUVEAU sur les points infirmés,
CONDAMNE Maître X…, SELARL Acthuis 36, à payer à la SARL Sajdis la somme de 13'158,03 € à titre de dommages-intérêts pour l'indemnisation son préjudice matériel,
DÉBOUTE la SARL Sajdis de sa demande au titre de son préjudice d'image,
CONDAMNE Me X…, SELARL Acthuis 36, à payer à Johann A… et Z… épouse A… la somme de un euro à titre de dommages-intérêts pour l'indemnisation de leur préjudice moral,
DIT n'y avoir lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
DIT que chacune des parties conservera la charge des dépens qu'elle a exposés.