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Décisions

Cass. crim., 19 mars 2002, n° 01-88.829

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Cotte

Rapporteur :

Mme Anzani

Avocat général :

M. Launay

Avocat :

Me Bouthors

Paris, ch. de l'instr., du 10 déc. 2001

10 décembre 2001

Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 6 et 14 de la Convention européenne des droits de l'homme et et des libertés fondamentales, de l'article 1er du protocole additionnel n° 1 à ladite Convention, 66 de la constitution, 6, 7, 8 et 9 de la Déclaration des droits de l'homme, du principe de la liberté d'entreprendre, du principe de précaution, 137 et suivants, 138 à 143, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale et violation des droits de la défense :

" en ce que la chambre de l'instruction, après avoir cancellé la mention de l'ordonnance entreprise (vu l'article 141-2 du Code de procédure pénale, tout manquement volontaire aux obligations ci-dessus pourrait entraîner ... une mesure de placement en détention provisoire), a confirmé pour le surplus le placement sous contrôle judiciaire et les obligations imposées par le juge d'instruction, savoir le versement d'une caution de 50 millions de francs et une interdiction professionnelle sur l'affrètement de pétroliers de plus de 15 ans d'âge pour transporter du fioul n° 2 ;

" aux motifs que pour imposer les obligations auxquelles il a soumis la personne morale mise en examen et ce, en raison des nécessités de l'instruction, motif qui se déduit de l'ordonnance entreprise, le magistrat, d'une part, constate que le représentant de ladite personne morale indique que la "charte Gayssot" impose que le transport de fioul ne soit plus effectué par des navires âgés de plus de 20 ans, d'autre part, expose l'importance du préjudice causé par les infractions, l'intérêt d'en éviter le renouvellement ; qu'au regard de l'état de l'Erika malgré les allégations contenues dans le mémoire du mis en examen, des précautions doivent être prises pour éviter que le mis en examen n'affrète ou ne fasse utiliser de tels navires pour le transport de fioul et ainsi éviter un renouvellement de l'infraction ; que le montant de la caution et sa ventilation sont également justifiés au regard de l'importance de la pollution provoquée et des préjudices subis par les victimes ; qu'il n'y a lieu en l'état de rechercher si l'indemnité qui devait être versée par le Fripol couvrira l'intégralité des dommages ; que la représentation en justice doit également être assurée quelle que soit l'importance de la société en cause ou ses engagements de se faire représenter ; qu'il convient dès lors et sans qu'il y ait lieu de connaître les pièces de la procédure postérieures à l'ordonnance entreprise de confirmer cette dernière ;

" 1° alors que, d'une part, le double objet du cautionnement judiciaire est intangible d'où il suit qu'en l'absence du moindre risque relatif à la représentation en justice d'une personne morale mise en examen et dont le représentant ne saurait encourir aucune détention de ce chef, le défaut d'objet du cautionnement sur la représentation en justice affecte nécessairement en son entier la légalité de la mesure critiquée ;

" 2° alors que, d'autre part, tout cautionnement doit être proportionnel à son objet ; qu'en l'état des moyens péremptoires de la société demanderesse tant sur la prise en charge pécuniaire des conséquences du sinistre dans le cadre de Fripol (auquel elle contribue) qu'en raison de diligences complémentaires propres de sa part, dans des conditions excédant le montant des dommages estimés et déclarés, la chambre de l'instruction ne pouvait légalement refuser sans explication de prendre en compte les éléments pertinents dont il était justifié devant elle, pour fixer à l'estime un cautionnement supplémentaire manifestement disproportionné ;

" 3° alors que, de troisième part, apparaît contraire à la présomption d'innocence la prescription d'une caution pour partie sans objet et pour une autre disproportionnée, et dont l'intérêt résiduel apparaît en conséquence exclusivement lié au règlement des amendes dans le cadre d'une prévention dont le choix et le bien-fondé étaient au reste sérieusement mis en doute par la société requérante ;

" 4° alors que, de quatrième part, aucune interdiction professionnelle ne peut être légalement prononcée qu'à raison d'un risque de renouvellement d'une infraction commise dans le cadre d'une activité professionnelle déterminée ; qu'à défaut pour la société requérante d'exercer elle-même l'activité de transporteur maritime ni celle d'affréteur, d'où il suit que l'affrètement de l'Erika n'était pas de son fait, la cour ne pouvait personnellement imposer à la requérante une interdiction de faire pour autrui ;

" 5° alors que, de cinquième part, une interdiction professionnelle ne peut être légalement indexée que sur un but de prévention ; qu'en l'état des diligences justifiées par la société requérante sur ce terrain, il était interdit au juge de prétendre justifier une interdiction à la faveur de considérations générales dites de "précaution" et non de prévention au sens strict ;

" 6° alors que, de sixième part, les mesures susceptibles d'être légalement prises au titre d'une interdiction professionnelle dans des secteurs particuliers ne sont pas soumises à la pure discrétion du juge d'instruction et ne sauraient excéder le cadre des seules mesures prévues dans l'ordre juridique ; qu'en rajoutant dès lors des contraintes supplémentaires en l'espèce discriminatoires aux engagements déjà pris par les pétroliers dont la société requérante dans le cadre de la charte Gayssot, la cour a validé une interdiction qu'aucun texte ne prévoyait ;

" 7° alors, en tout état de cause, que la cour doit statuer en l'état des éléments produits devant elle au moment où elle se prononce ; qu'à tort, dans ces conditions, l'arrêt a refusé de connaître des pièces de la procédure postérieures à l'ordonnance entreprise et dont la société demanderesse tirait profit au soutien de son appel " ;

Attendu que, selon l'arrêt attaqué, le pétrolier Erika, qui transportait, pour le compte de la société X..., un chargement de 30 800 tonnes de fioul et qui avait quitté, le 7 décembre 1999, le port de Dunkerque à destination de l'Italie, a sombré, le 12 décembre, après s'être brisé ; que sa cargaison de pétrole s'est déversée en mer et a causé une importante pollution des côtes françaises ; que, le 7 novembre 2001, le juge d'instruction a mis en examen, des chefs susvisés, la société X... et ordonné, le même jour, son placement sous contrôle judiciaire en la soumettant à l'obligation de verser un cautionnement de 50 millions de francs et à l'interdiction d'affréter des pétroliers de plus de 15 ans pour transporter du fioul n° 2 ;

Attendu que, pour confirmer, en toutes ses dispositions, l'ordonnance entreprise, la chambre de l'instruction relève, notamment, par motifs propres et adoptés, que, d'une part, il convient d'éviter que la société mise en examen, qui apparaît comme gestionnaire de fait et maître d'oeuvre des opérations de transport, renouvelle l'infraction, et que, d'autre part, le montant de la caution est justifiée par l'importance de la pollution provoquée et des préjudices subis ; que les juges ajoutent que la représentation en justice doit également être assurée quels que soient l'importance de la société en cause ou ses engagements de se faire représenter ;

Attendu que ces énonciations mettent la Cour de cassation en mesure de s'assurer que la chambre de l'instruction, qui a souverainement apprécié le bien-fondé des obligations du contrôle judiciaire au regard des impératifs de sûreté publique et des nécessités de l'instruction, ainsi que du risque de renouvellement de l'infraction, a justifié sa décision ;

Que, dès lors, le moyen doit être écarté ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE le pourvoi.