Cass. crim., 23 mars 2011, n° 10-81.517
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Louvel
Rapporteur :
M. Bloch
Avocats :
SCP Gaschignard, SCP Piwnica et Molinié
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 1382 du code civil, 121-7 du code pénal, 437 de la loi du 24 juillet 1966 devenu l'article L. 242-6 du code de commerce, 10-1 de l'ordonnance du 28 septembre 1967 devenu l'article L. 465-1 du code monétaire et financier, 388 et 593 du code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale et dénaturation ;
"en ce que l'arrêt attaqué a débouté M. X... de son action civile d'une part, contre M. Y..., administrateur du Crédit lyonnais, sur les chefs de présentation de comptes inexacts et diffusion d'informations trompeuses concernant les comptes du Crédit lyonnais pour l'exercice 1992, et d'autre part, contre M. Z..., alors directeur du Trésor, du chef de complicité de ces délits ;
"aux motifs que, la plus-value fictive obtenue par le Crédit lyonnais pour gonfler son résultat en vendant ses propres immeubles à l'un de ses clients fortement endettés auprès d'elle et demandeur de nouveaux crédits, à savoir la société Asteria IV, avec obligation de rachat de la part du Crédit lyonnais, est une manoeuvre étrangère aux infractions reprochées qui sont exclusivement relatives à la constitution d'une provision ; que M. X... fait valoir que M. Y... à la suite de contacts pris avec M. A... les 22 février et 11 mars 1993, était informé de ce que le Crédit Lyonnais n'allait pas au bout de l'effort de provisionnement nécessaire dans les comptes 1992 et qu'il avait en conséquence lors du conseil d'administration du 26 mars 1993, sciemment participé à l'arrêté de comptes qu'il savait inexacts, commettant ainsi les infractions visées à la prévention ; que, la direction du Trésor exerçait la tutelle de l'Etat sur les entreprises publiques, parmi lesquelles le Crédit lyonnais ; qu'à ce titre un représentant de l'Etat avait été désigné le 7 août 1992 pour siéger au conseil d'administration, en la personne de M. Y..., chef du service des affaires monétaires et financières à la direction du Trésor ; que M. Z... a exercé les fonctions de directeur du Trésor de 1987 au 13 septembre 1993 ; que M. Y... et ses collaborateurs ont rencontré à trois reprises M. A... pour obtenir des renseignements sur la stratégie du Crédit lyonnais et sur l'élaboration des comptes de l'exercice 1992, le 3 février, le 22 février et le 11 mars 1993 ; que, les notes prises par les représentants du Trésor lors de la réunion du 22 février 1993 rapportent les propos tenus par M. A... sur le risque Pélège : "le Crédit lyonnais est critiquable sur Pélège...1 est vraisemblable qu'il y aura des compléments de provision sur Pélège, le stock de provision ne correspond pas au maximum de ce qu'on peut faire, la commission bancaire pourrait demander de faire plus, mais il va lui être demandé de ne pas le faire ; que la note prise par M. de B... lors de la réunion du 11 mars 1993, relève Pélège nous n'allons pas jusqu'au bout de ce qui pourrait être fait + 150 MF, stock de provisions 1 060 MF hors avenue Banque - CB pourrait demander plus mais on va lui demander de ne pas le faire ; qu'en ce qui concerne les propos de M. Y... lors de cette réunion M. de B... rapporte "niveau global de provisionnement - on ne vous demande pas de baisser. On ne veut pas. On peut simplement vous sensibiliser au fait que moins facile de dépasser les niveaux de Suez/Barclays" et d'ajouter "2 MdF de prov reportées (estimation personnelle), 1/3 Pélège, 1/4 SASEA, (100 M$), cinéma" ; que les notes manuscrites prises par M. Y... le 11 mars 1993 rapportent par ailleurs qu'il pouvait être envisagé une perte de 2, 7 milliards de francs avec un ratio Cooke de 7,94% et une perte de 1,9 avec un ratio de 8% ; que la perte de 2,7 milliards de francs correspond à celle que les dirigeants envisageaient à cette époque et celle de 1,9 milliards à celle qui permettait d'atteindre le ratio Cooke recherché de 8% et à celle qui sera retenue in fine ; que d'une note du 10 mars 1993 à l'intention de M. Z... qui était son supérieur hiérarchique, indique à celui-ci que le secrétaire général de la commission bancaire a demandé 20 milliards de provision, en précisant que cet effort pouvait être étalé sur 1992 et 1993 en raison de l'effet néfaste d'une perte de grande ampleur ; que, d'une autre note de M. Z... au ministère de l'économie et des finances du 23 mars 1993, que M. Y... a reconnu avoir lue préalablement à sa signature, confirmait ce point et indiquait qu'il était nécessaire de "reporter l'effort de provisionnement", afin de permettre au Crédit lyonnais d'arrêter un résultat compatible avec le respect des normes prudentielles et comparables aux pertes affichées par d'autres établissements tels que Barclays et Suez, car l'affichage d'une perte supérieure aurait conduit à ne pas respecter le ratio de solvabilité minimum de 8% et à susciter des interrogations sur la solidité financière de l'établissement ; qu'il apparaît ainsi que le prévenu a participé à des conversations au cours desquelles a été invoqué l'impact des provisions notamment sur le ratio Cooke, dans le cadre d'une étude générale sur les provisions qui pouvaient être envisagées sans que pour autant n'en ressorte une décision finale d'adopter nécessairement des provisions insuffisantes au regard des exigences comptables ; que les comptes sociaux prévoyaient un provisionnement global finalement supérieur à 20 MF, de sorte qu'il n'apparaît pas qu'au moment où il a voté l'adoption des comptes en cause, M. C..., qui n'avait pas à la différence des autres intervenants accès à l'intégralité des dossiers utiles, avait conscience que celui-ci sortait des marges d'appréciation tolérables et nécessairement empreintes pour une part de subjectivité, pour la présentation de comptes sincères, que l'information judiciaire ne permet donc pas de retenir la responsabilité pénale de M. Y... du chef de présentation de comptes inexacts en ce qui concerne les compte sociaux et de diffusion d'informations fausses ou trompeuses en ce qui concerne les comptes consolidés ; qu'en conséquence M. Z..., dont il n'est pas démontré qu'il ait eu plus d'informations que lui et qui est poursuivi seulement pour complicité, ne peut être retenu plus que lui dans les liens de la prévention ;
1°) "alors que les juges du fond ne pouvaient, sans se contredire ou mieux s'en expliquer, retenir que MM. Z... et Y... n'avait pas participé personnellement et en connaissance de cause à l'arrêté de comptes inexacts, le 26 mars 1993, et à leur approbation, le 11 mai 1993, tout en constatant eux-mêmes - M. Y... avait rencontré à trois reprises M. A... les 3 février, 22 février et 11 mars 1993 pour en obtenir des renseignements sur l'élaboration des comptes du Crédit lyonnais ; - une note du 10 mars 1993 adressée à M. Z... l'informait que la Commission bancaire avait demandé aux dirigeants du Crédit lyonnais la constitution de 20 milliards de francs de provisions mais accepté que ces provisions soient étalées sur 1992 et 1993 "en raison de l'effet néfaste d'une perte de grande ampleur du Crédit lyonnais, - M. Z... lui-même, dans une note au ministre de l'économie et des finances en date du 23 mars 1993, relue par M. Y..., indiquant que la perte de l'exercice 1992, de l'ordre de 1,9 milliards de francs, n'intégrait pas la totalité de l'effort de provisionnement nécessaire en raison de l'effet néfaste d'une perte de grande ampleur, qu'il était donc nécessaire de reporter l'effort de provisionnement afin de permettre au Crédit lyonnais d'arrêter un résultat compatible avec le respect des normes prudentielles et comparable aux pertes affichées par d'autres banques car l'affichage d'une perte supérieure aurait conduit à ne pas respecter le ratio de solvabilité minimum de 8% ; tous motifs dont il résulte que MM. Z... et Y... étaient parfaitement informés du caractère inexact des comptes définitivement arrêtés avec une perte de 1,85 milliards de francs ; qu'en retenant que M. Y..., qui avait voté ces comptes le 26 mars suivant s'était borné à participer à des conversations sans qu'en ressorte une décision finale d'adopter des provisions insuffisantes, la cour d'appel a entaché sa décision d'une contradiction de motifs ;
2°) "alors que dans ses écritures d'appel, M. X... faisait valoir que lors de son audition devant la commission d'enquête de l'Assemblée nationale le 26 mai 1994, M. Y..., d'une part, avait déclaré que s'agissant de la relation entre l'Etat et le Crédit lyonnais, je crois pouvoir dire qu'au cours de cette période, le suivi par l'Etat de la situation du Crédit lyonnais a été exceptionnellement constant, précis et inhabituellement documenté et, d'autre part, avait détaillé les multiples réunions et entretiens entre la direction du Trésor et les dirigeants du Crédit lyonnais au sujet des comptes de l'exercice 1992 ; qu'en retenant qu'au moment où il a voté l'arrêté des comptes de l'exercice 1992, soit le 26 mars 1993, M. Y... n'avait pas, à la différence des autres intervenants accès à l'intégralité des dossiers utiles pour apprécier l'insincérité des comptes, sans préciser les autres dossiers utiles qui auraient été nécessaires à une meilleure information de l'intéressé, la cour d'appel a privé sa décision de motifs ;
3°) "alors qu'en énonçant que les comptes sociaux de l'exercice 1992 prévoyaient un provisionnement global finalement supérieur à 20 milliards de francs, conformément aux demandes de la commission bancaire, de sorte qu'au moment où il a voté l'adoption des comptes, M. Y... n'aurait pas conscience eu de la sous-évaluation des provisions, lorsque les comptes litigieux affichaient 18,525 milliards de francs de dotations brutes aux provisions et, après reprise de provisions prétendument devenues sans objet, une donation nette de 14,691 milliards de francs, les juges du fond ont dénaturé les comptes sociaux du Crédit lyonnais tels qu'ils ont été approuvés pour l'exercice 1992 ;
4°) "alors et à tout le moins qu'il ressort très clairement de notes visées par l'arrêt, l'une du 10 mars 1993, de M. Y... à M. Z..., et l'autre précitée du 23 mars 1993, qu'avant l'arrêté des comptes par le conseil d'administration, M. Y..., comme M. Z... d'ailleurs, savait d'une part que les comptes de l'exercice 1992 ne pourraient respecter le ratio Cooke que s'ils présentaient une perte inférieure ou égale à 1,9 milliards de francs et, d'autre part, que seule une sous-dotation des provisions avec un report de celles-ci sur l'exercice 1993 permettrait d'atteindre ce niveau de perte ; qu'en énonçant que les réunions auxquelles M. Y... avait participé n'avaient donné lieu à aucune décision finale d'adopter des provisions insuffisantes au regard des exigences comptables, sans rechercher néanmoins si dès lors que les comptes, dont il a voté la présentation aux actionnaires lors de la réunion du 26 mars 1993, affichaient une perte de 1,85 milliards de francs, M. Y... pouvait ignorer qu'un tel résultat masquait nécessairement une sous-évaluation des provisions, les juges du fond ont privé leur décision de base légale ;
5°) "alors et quelle que soit la connaissance qu'avaient M. Z... et Y... du sous-provisionnement affectant les comptes de l'exercice 1992 ; que la cour d'appel a refusé d'examiner la responsabilité de ces prévenus s'agissant de la plus-value fictive comptabilisée sur l'exercice 1992 et réalisée par le Crédit lyonnais lors de la cession d'une partie de son patrimoine immobilier à la société Asteria IV ; aux motifs que ce vice-comptable n'aurait pas été visé par la prévention, qui ne reprocherait que des manoeuvres relatives à la constitution des provisions ; qu'en statuant ainsi, lorsque, comme l'a souligné M. X... dans ses écritures, le juge d'instruction avait relevé cette plus-value artificielle dans son ordonnance et renvoyé M. Y... pour présentation aux actionnaires et diffusion dans le public de comptes non fidèles et M. Z... pour complicité, dans tous les cas du fait notamment de dotations insuffisantes des comptes de provisions ce qui saisissait la juridiction de jugement de l'intégralité des faits figurant dans le corps de l'ordonnance et se rattachant aux infractions dénoncées, et pas uniquement des dissimulations relatives au provisionnement, la cour d'appel a méconnu la portée de sa saisine et violé les textes susvisés" ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et du jugement qu'il confirme que les comptes sociaux annuels, les comptes consolidés et les informations financières de la société de banque Le crédit lyonnais (LCL), entreprise publique dont l'Etat détenait 56% du capital social, émettant des certificats d'investissement cotés à la bourse de Paris, dissimulaient, pour les exercices 1991, 1992 et le premier semestre de 1993, la véritable situation financière de la société, les bénéfices enregistrés n'étant que le résultat d'artifices comptables ; qu'il a été notamment constaté que la dotation aux provisions pour risques, charges et dépréciations avait été délibérément minorée ; qu'il a été établi que l'insuffisance des provisions constituées à raison des concours octroyés au groupe italien Sasea, en état de cessation des paiements, et des participations financières prises dans ses filiales était supérieure à 1,4 milliard de francs en 1992 ; que, malgré les recommandations de la compagnie des commissaires aux comptes et des autorités de tutelle, préconisant la constitution de provisions plus substantielles liées à la crise du marché apparue dès 1991, celles des encours immobiliers de la banque, engagée avec le groupe Pélège qui ne pouvait plus faire face à ses engagements, n'ont pas été dotées d'un complément de 1,75 milliard de francs au 31 décembre 1992 ; qu'il est apparu, en outre, qu'une plus-value immobilière de 328 millions de francs comptabilisée en 1992 avait un caractère fictif ;
Attendu que M. Jean-Pascal Y..., chef de service à la direction du Trésor et administrateur de la société LCL, représentant l'Etat, actionnaire majoritaire, renvoyé devant le tribunal correctionnel des chefs de présentation de faux bilan et de diffusion d'informations trompeuses au titre des comptes sociaux et consolidés arrêtés au 31 décembre 1992 et de la situation semestrielle établie au 30 juin 1993, ainsi que M. Jean-Claude Z..., directeur du Trésor, poursuivi pour complicité de ces délits en cette qualité, ont été relaxés ; que, sur le seul appel de M. Alain X..., partie civile, la cour d'appel de Versailles, statuant sur renvoi après cassation, a débouté ce dernier des demandes formées à l'encontre de ces prévenus ;
Attendu que, pour dire non établis les faits de présentation de faux bilans et de diffusion d'informations fausses ou trompeuses reprochés à M. Jean-Pascal Y... et de complicité de ces délits imputés à M. Jean-Claude Z..., les juges retiennent, notamment, que M. Jean-Pascal Y... a participé à des conversations relatives à l'impact des provisions, sans que pour autant en ressorte une décision finale d'adopter des provisions insuffisantes, que celui-ci, qui n'avait pas, à la différence des autres intervenants, accès à l'intégralité des dossiers utiles, n'apparaissait pas avoir eu conscience de sortir des marges d'appréciation tolérables pour la présentation de comptes sincères et qu'en conséquence, la complicité de M. Jean-Claude Z..., dont il n'est pas démontré qu'il ait eu plus d'informations que son subordonné, ne pouvait davantage être retenue ;
Attendu qu'en l'état de ces énonciations, d'où il se déduit implicitement mais nécessairement que M. Jean-Pascal Y... et M. Jean-Claude Z... n'ont pas commis les faits compris dans la poursuite, la cour d'appel a justifié sa décision ;
D'où il suit que le moyen doit être écarté ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi.