Cass. 1re civ., 17 février 2016, n° 15-13.402
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Batut
Avocats :
Me Le Prado, SCP Bénabent et Jéhannin
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Agen, 17 décembre 2014), rendu en matière de référé, que l'Eurl Réso-Lution (la société), créée par Mme X..., qui en est la gérante, a pour objet " toute activité liée à l'assistance d'un conseil en droit, gestion d'entreprise et patrimoine privé dans la limite des professions réglementées ainsi que l'audit, l'analyse, coaching, management, recrutement, achat, vente et import-export " ; que, reprochant à la société et à sa gérante d'avoir donné des consultations et rédigé des actes sous seing privé en matière juridique, qui n'étaient pas l'accessoire d'une activité principale non juridique, comme le révélait le constat dressé par un huissier de justice, l'ordre des avocats au barreau de Toulouse (l'ordre des avocats) les a assignées aux fins de cessation du trouble manifestement illicite et de paiement d'une provision ;
Sur le second moyen, qui est préalable :
Attendu que la société et Mme X...font grief à l'arrêt de leur enjoindre de cesser d'exercer toute activité réservée à la profession d'avocat sous peine d'astreinte, de payer à l'ordre des avocats une provision à valoir sur la réparation de son préjudice moral et d'ordonner la publication de la décision, alors, selon le moyen :
1°/ que le juge ne peut tirer d'office de faits qui n'étaient pas invoqués par les parties dans leurs conclusions d'appel un moyen nouveau, sans provoquer au préalable les explications des parties dans le respect du débat contradictoire ; qu'en tirant des énonciations de la plaquette de présentation de la société, relatives aux domaines de compétence de cette dernière, non invoquées par l'ordre des avocats à l'appui de l'imputation d'exercice illicite de la profession d'avocat, le moyen nouveau selon lequel sur quatorze domaines de compétence affichée, cinq relevaient à titre principal des activités de conseil juridique et rédaction d'actes et caractérisaient ainsi l'exercice illicite de la profession d'avocat, sans inviter préalablement les parties à présenter contradictoirement leurs observations à cet égard, la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile ;
2°/ que le respect d'une déontologie et la souscription d'une police d'assurances spécifique sont requis pour l'exercice d'une activité de consultation et de rédaction d'actes, même à titre accessoire, par l'article 55 de la loi du 31 décembre 1971 ; qu'en déduisant le caractère prétendument non accessoire de l'activité de consultation et de rédaction d'actes exercée par la société d'une référence de sa plaquette de présentation à la déontologie requise par ce texte, ainsi que de la souscription d'une police d'assurances spécifique à cette activité, requise par le même texte, la cour d'appel a statué par des motifs inopérants et a violé l'article 809 du code de procédure civile par fausse application ;
3°/ que le juge des référés, juge de l'évidence, ne peut mettre fin qu'à un trouble manifestement illicite ; qu'en présence d'une activité de consultation juridique et de rédaction d'actes autorisée dans les conditions de l'article 60 de la loi du 31 décembre 1971 modifiée et, par conséquent intrinsèquement licite, le juge de référés n'est pas compétent pour trancher sur l'importance relative de cette activité par rapport à l'activité principale, seule de nature à établir un caractère non accessoire de ladite activité et susceptible, dans ce cas seulement, de devenir illicite ; qu'en retenant le contraire et en se livrant à une analyse des seuls dossiers saisis par l'huissier de justice, au lieu de se déclarer incompétent au profit du juge du fond pour trancher sur le caractère accessoire ou non de l'activité de consultation juridique et de rédaction d'actes exercée par la société (et, à titre infiniment subsidiaire, par Mme X...à titre personnel), la cour d'appel a excédé ses pouvoirs de juridiction des référés et a, par là même, violé les dispositions combinées des articles 60 de la loi du 31 décembre 1971 modifiée et 809 du code de procédure civile par fausse application ;
4°/ que l'article 4 de la loi du 31 décembre 1971 modifiée réserve aux avocats les activités de postulation et de plaidoirie devant les juridictions et organismes disciplinaires ; que la préparation d'actes de procédure n'empiète sur aucune de ces activités et s'apparente à une activité de consultation juridique parfaitement licite, dès lors qu'exercée à titre accessoire ; qu'à supposer que la cour d'appel ait retenu que la société (et, à titre infiniment subsidiaire, Mme X...) avaient exercé une activité de préassistance prohibée devant les tribunaux, elle a alors violé les dispositions combinées des articles 809 du code de procédure civile et 4 de la loi du 31 décembre 1971 modifiée ;
Mais attendu, d'abord, que les juges peuvent prendre en considération des faits que les parties n'ont pas spécialement invoqués au soutien de leurs prétentions, mais qui appartiennent aux débats ; que la plaquette de présentation de l'activité de la société ayant été produite, la cour d'appel, qui a pris en compte ses énonciations pour en apprécier la valeur, n'a pas violé le principe de la contradiction ;
Attendu, ensuite, que l'arrêt relève que, selon la plaquette de présentation, sur les quatorze domaines de compétence de la société, cinq relevaient à titre principal des activités de conseil juridique et rédaction d'actes, que l'assurance souscrite par celle-ci garantissait une activité de consultations juridiques et rédaction d'actes en droit des affaires, droit de la famille, droit privé et droit pénal, excluant les risques générés par le conseil financier et en gestion de patrimoine, qui constituaient pourtant l'essentiel de l'activité décrite dans la plaquette, et qu'il ressort du constat de l'huissier de justice que les interventions, tant en matière de consultations juridiques que de rédaction d'actes sous seing privé, étaient très importantes et comportaient notamment des projets d'assignations et de conclusions, destinés à être remis aux avocats chargés d'assurer la représentation en justice des clients ; qu'il retient que la société et Mme X...ont exercé, de fait, à titre principal, des activités de conseil et de rédaction d'actes, voire de préassistance de la clientèle à l'occasion d'instances juridictionnelles, réservées à la profession d'avocat ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a caractérisé une situation manifestement illicite qu'il appartenait au juge des référés de faire cesser, même en présence d'une contestation sérieuse ;
D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Sur le premier moyen :
Attendu que la société et Mme X..., à titre personnel, font grief à l'arrêt de rejeter la demande de mise hors de cause de cette dernière, alors, selon le moyen :
1°/ que la personnalité juridique de la société interdisait au juge de condamner Mme X...à titre personnel au titre de l'activité sociale de la société ; que seul un acte manifestement illicite, qui eût été accompli personnellement par Mme X..., eût été de nature à justifier une mesure, notamment d'interdiction, à l'encontre de cette dernière personnellement ; qu'en imputant à Mme X...à titre personnel le trouble prétendument illicite résultant d'une activité que celle-ci aurait exercée par la structure sociale de la société, la cour d'appel a violé les articles 1842 du code civil et L. 210-6 du code de commerce par refus d'application ;
2°/ qu'il ressort des propres constatations de l'arrêt attaqué que l'activité reprochée est exclusivement celle de la société en faveur de sa clientèle et que l'emploi du pluriel à propos de la facturation n'est justifié, en ce qui concerne Mme X...à titre personnel, par le constat d'aucune facture établie à son nom ; que, n'ayant ainsi constaté, à l'encontre de Mme X...à titre personnel, l'accomplissement d'aucun acte relevant de l'exercice prétendument illicite de la profession d'avocat, la cour d'appel, qui a cependant refusé de mettre celle-ci hors de cause, a violé l'article 809 du code de procédure civile par fausse application ;
Mais attendu que le gérant d'une société à responsabilité limitée, qui commet une faute constitutive d'une infraction pénale intentionnelle, séparable comme telle de ses fonctions sociales, engage sa responsabilité civile à l'égard des tiers à qui cette faute a porté préjudice ; qu'en retenant que Mme X...avait de fait, sans respecter les conditions légales édictées par l'article 60 de la loi du 31 décembre 1971, donné des consultations et rédigé des actes sous seing privé en matière juridique, la cour d'appel, énonçant ainsi les éléments constitutifs d'une infraction pénale, a implicitement mais nécessairement jugé que sa responsabilité civile était susceptible d'être engagée à l'égard de l'ordre des avocats, ce qui excluait sa mise hors de cause ; que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi.