CA Aix-en-Provence, 1re ch. a, 25 septembre 2007, n° 06/12340
AIX-EN-PROVENCE
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
M. Lucky
Défendeur :
Société de Gestion Pierre Cardin (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Lambrey
Conseillers :
M. Veyre, Mme Varlamoff
Avoués :
SCP Ermeneux-Champly - Levaique, SCP Bottai-Gereux-Boulan
Avocats :
Me Crépeaux, Me Cassagne
FAITS ET PROCEDURE
Vu le jugement rendu contradictoirement le 29 juin 2006 par le tribunal de grande instance de GRASSE dans le litige opposant la SARL Société de Gestion Pierre CARDIN a Albert LUCKY et Yves LUCKY ;
Vu la déclaration d’appel déposée par Albert LUCKY et Yves LUCKY le 6 juillet 2006 ; Vu les conclusions récapitulatives déposées par la SARL Société de Gestion Pierre CARDIN le 25 avril 2007 ;
Vu les conclusions récapitulatives déposées par Albert LUCKY et Yves LUCKY Le 9 mai 2007 ;
SUR CE ;
Sur la genèse du litige
La Société MMS INTERNATIONAL qui a pour activité principale la conception, la production et la distribution d’objets publicitaires, particulièrement dans le domaine de l’écriture, a conclu à cette fin divers contrats de licence avec des marques dont la marque CARDIN.
Souhaitant diversifier son activité, elle a conclu avec la SARL Société de Gestion Pierre CARDIN, entre 1995 et 1998, trois nouveaux contrats de licence portant cette fois sur les vêtements censés pour la pratique du sport, les bagages et les foulards, écharpes et étoles.
Estimant que l’exclusivité de ses droits n’était pas suffisamment protégée, elle a pris l’initiative de résilier courant mars 2000 ces trois contrats avant leur échéance. La SARI. Société de Gestion Pierre CARDIN a contesté par voie judiciaire le motif de la résiliation et par jugements du tribunal de commerce de PARIS en date des 24 septembre, 8 octobre et 22 octobre 2002, confirmes par arrêts de la cour d’appel du 19 mai 2004, la Société MMS INTERNATIONAL a été condamnée a lui verser une somme globale de 4 708 694 euros en principal.
La SARL Société de Gestion Pierre CARDIN n’ayant pu obtenir le versement de ces condamnations et soutenant que les dirigeants de la Société MMS INTERNATIONAL ont pour ce faire organise 1’insolvabilite de la société, a fait assigner Albert LUCKY, président du conseil d’administration, et Yves LUCKY, directeur général de celle-ci, sur le fondement des dispositions de l’article L 225-251 du code de commerce, pour que ceux-ci soient condamnés solidairement à lui verser le montant des condamnations non provisionnées.
Le premier juge a fait droit à sa demande, à hauteur des sommes de 967 099,50 euros et de 650 000 euros, en retenant que ces deux dirigeants avaient commis des fautes engageant leur responsabilité en omettant de provisionner aux bilans des années 2000 a 2003 les redevances restant dues à la SARL Société de Gestion Pierre CARDIN puis le montant des condamnations prononcées par le tribunal de commerce de PARIS mais aussi en précèdent à l’appauvrissement de la société au profit de la Société SOGESPROM cède courant 2002.
Sur la nullité du jugement
A titre liminaire, Albert LUCKY et Yves LUCKY soulèvent la nullité du jugement au motif qu’il n’y est pas mentionné que le dossier a été communique au parquet, prescription constituant une formalité substantielle puisqu’aux termes des dispositions de I ’article 425 du nouveau Code de procédure civile, le ministère public doit notamment avoir communication des causes relatives à la responsabilité pécuniaire des dirigeants sociaux.
Il convient cependant de préciser que ces dispositions ne visent que le cas où la responsabilité pécuniaire des dirigeants sociaux est invoquée par le syndic ou à présent le liquidateur et que tel n’est nullement le cas en L’espèce.
Des lors, ce moyen sera écarté.
Sur l’irrecevabilité de l’action au motif de la nature des faits invoqués
Albert LUCKY et Yves LUCKY font valoir que leur responsabilité, a I ‘égard des tiers, ne saurait être engagée que s’ils ont commis «des fautes séparables de leurs fonctions qui leur soient personnellement imputables » et qu’en l’espèce, à supposer que les décisions qui leur sont reprochées soient susceptibles de constituer des fautes, elle se rattachent a I ‘évidence a I ’exercice de leurs mandats sociaux.
Comme l’a justement relevé le premier juge, la recevabilité d’une action en responsabilité personnelle engagée par le tiers a rencontré du dirigeant d’une société est subordonnée a l’allégation par celui-ci d’un préjudice résultant d’une faute commise par ce dirigeant séparable de ses fonctions.
Dans la mesure ou Albert LUCKY et Yves LUCKY ne contestent pas leur qualité respective de dirigeant social de la Société MMS INTERNATIONAL et que la SARL Société de Gestion Pierre CARDIN allégué à leur encontre des fautes dont elle soutient qu’elles sont détachables de leurs fonctions, faction de celle-ci à leur encontre apparait parfaitement recevable.
* au motif de la situation de la Soci&6 MMS INTERNATIONAL
La Société MMS INTERNATIONAL a été placée en situation de redressement judiciaire le 12 avril 2006. Albert LUCKY et Yves LUCKY entendent tirer argument de cette situation pour soutenir que la SARL Société de Gestion Pierre CARDIN ne serait à présent recevable à exercer une telle action qu’à la condition de justifier d’un préjudice distinct de celui des autres créanciers ce qui n’est nullement le cas en l’espèce.
Cependant, l’action engagée par la SARL Société de Gestion Pierre CARDIN l’a été antérieurement au jugement prononçant le redressement judiciaire de la Société MMS INTERNATIONAL et sa recevabilité doit s’apprécier au jour où elle a été formée.
Sur le fond
A I ‘égard des tiers, la responsabilité des dirigeants sociaux n’est engagée que s’ils ont commis des fautes séparables ou détachables de leurs fonctions qui leur soient personnellement imputables. Il est à présent admis que tel est le cas « d’une faute d’une particulière gravite, incompatible avec I ‘exercice normal de ses fonctions sociales ».
Dans le cas présent, la SARL Société de Gestion Pierre CARDIN reproche en premier lieu à Albert LUCKY et Yves LUCKY de ne pas avoir provisionne au bilan de la Société MMS INTERNATIONAL, à compter de l’exercice 2000, le montant des redevances qui lui restaient dues jusqu’au terme des trois contrats de licence abusivement résiliés puis ensuite le montant des condamnations mises à sa charge par les trois jugements prononcés par le tribunal de commerce de PARIS courant 2002, et ce, nonobstant les réserves émises de façon répétée par le commissaire aux comptes, réserves qui cependant ne Font pas empêche de certifier ceux-ci à chaque fois.
Les appelants objectent qu’une provision ne doit être constitue qu’autant qu’un risque probable de paiement existe et qu’en l’espèce, même après les jugements rendus par le tribunal de commerce dont la Société MMS INTERNATIONAL avait immédiatement interjeté appel, la décision prise par celle-ci de dénoncer les licences souscrites auprès de la SARL Société de Gestion Pierre CARDIN et d’être ainsi déchargée du paiement des redevances apparaissait tout à fait fondée sur le plan juridique, rendant ainsi inopportune la constitution d’une provision (cf. lettre du conseil de la Société MMS INTERNATIONAL en date du 10 février 2003). Ils ajoutent qu’en tout état de cause, la constitution d’une provision ne s’impose pas en présence de plus-values latentes de nature à rétablir les comptes et que tel était bien le cas en l’espèce puisqu’en 2004, la vente de différents actifs immobiliers a la Société SOGESPROM a permis de dégager une plus-value de 2 000 000 euros qui a pour partie compense la provision de 4 342 285 euros inscrite au bilan 2004.
En tout état de cause, il convient d’observer que la décision de ne pas constituer de provision particulière pour les années 2000 a 2003 a été prise par le conseil d’administration et approuvée par l’assemblée générale de la Société MMS INTERNATIONAL, et qu’à supposer même qu’elle soit susceptible de constituer une faute a rencontré des dirigeants de celle-ci, elle ne pourrait être considérée comme détachable de leurs fonctions, une telle décision entrant parfaitement dans le cadre de celles-ci.
D’une façon plus générale, la SARL Société de Gestion Pierre CARDIN reproche aux dirigeants de la Société MMS INTERNATIONAL d’avoir procède à des manoeuvres tant au niveau purement comptable qu’au niveau de leur gestion visant à l’appauvrir au profit de la Société SOGESPROM, société créée en 2002, par plusieurs membres de la famille LUCKY et une partie des cadres de celle-ci.
Sur ce point, la cour est en possession d’un document particulièrement intéressant, à savoir le rapport d’expertise diligente par Monsieur VIANO, expert judicaire désigné par le tribunal de commerce de GRASSE le 25 juillet 2006, à la requête de Maitre EZAVIN, administrateur judiciaire de la Société MMS INTERNATIONAL, aux fins notamment «d’apprécier les liens économiques, juridiques et financiers de la filiale MMS avec la société mère SOGESPROM et de vérifier si les flux constates présentent un caractère normal et conforme à l’intérêt de MMS ». Ce rapport a été déposé le 30 octobre 2006 alors que l’affaire était déjà pendante devant la cour. Apres avoir détaillé de façon très précise les liens existant entre la Société MMS INTERNATIONAL et la Société SOGESPROM et les conventions passées entre ces deux sociétés, cet expert contredit totalement l’argumentation développée par l’intimée en indiquant que tous les mouvement financiers examines ont une contrepartie économique et que les opérations intervenues entre avril 2002 et juillet 2006, particulièrement critiquées par la SARL Société de Gestion Pierre CARDIN, ont tout au contraire a ce qu’elle soutient, permis i la Société MMS INTERNATIONAL de reconstituer une partie de ses capitaux propres et de préserver son équilibre financier (cf. p 33 et 34). Des lors et sans avoir A examiner plus en détail l’argumentation développée par la SARL Society de Gestion Pierre CARDIN, il convient de retenir que ce document très complet, rédigé par un homme de Fart désigne par voie judiciaire, exclut totalement l’existence d’une quelconque faute commise par les dirigeants de la Société MMS INTERNATIONAL qui puisse être qualifiée de « faute d’une particulière gravite incompatible avec exercice normal de leurs fonctions sociales ».
En conséquence, le jugement sera infirme et la SARL Société de Gestion Pierre CARDIN déboutée de l’ensemble de ses demandes.
Ii convient d’allouer à Albert LUCKY et Yves LUCKY la somme globale de 3 000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du nouveau Code de procédure civile.
La SARL Société de Gestion Pierre CARDIN qui succombe supporters les entiers dépens.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, en dernier ressort et en matière civile,
En la forme,
Requit Albert LUCKY et Yves LUCKY en leur appel principal et la SARL Société de Gestion Pierre CARDIN en son appel incident,
Au fond,
Dit n’y avoir lieu a nullité du jugement en date du 29 juin 2006,
Le confirme en ce qu’il a déclaré recevable l’action engagée par la SARL Société de Gestion Pierre CARDIN à l’encontre de Albert LUCKY et Yves LUCKY,
L’infirme pour le surplus,
Statuant d nouveau,
Déboute la SARL Société de Gestion Pierre CARDIN de l’ensemble de ses demandes.
La condamne à verser à Albert LUCKY et Yves LUCKY la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du nouveau Code de procédure civile,
Condamne la SARL Société de Gestion Pierre CARDIN aux entiers dépens qui seront recouvres conformément aux dispositions de l’article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.