Livv
Décisions

Cass. com., 3 mars 2004, n° 00-16.566

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Tricot

Grenoble, ch. com., du 15 mars 2000

15 mars 2000

Donne acte à M. X..., en qualité de liquidateur judiciaire de la société Outillage des Alpes, de ce qu'il a repris l'instance aux lieu et place de celle-ci ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. Y..., à la suite de sa révocation de ses fonctions de gérant de la société à responsabilité limitée Outillages des Alpes (la société ODA) a assigné celle-ci en remboursement de son compte courant et en paiement d'un intéressement sur le chiffre d'affaires des exercices 1991 et 1992 ; que, de son coté, la société ODA après s'être opposée à ces demandes, a sollicité la condamnation de M. Y... à lui payer certaines sommes en réparation de divers préjudices résultant de fautes de gestion, de détournement de marchandises et de concurrence déloyale dont elle aurait été l'objet ; que la cour d'appel a accueilli les demandes de M. Y... et rejeté celles de la société ODA et l'a condamnée au paiement d'une somme de 20 000 francs à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive ;

Sur le quatrième moyen :

Attendu que la société ODA fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté sa demande indemnitaire pour des faits de concurrence déloyale et de détournement de fichier de clientèle qu'aurait commis M. Y... , alors, selon le moyen :

1 / que la qualité de gérant associé d'une société à responsabilité limitée emporte l'obligation de s'abstenir de tout acte de concurrence à l'égard de celle-ci ; qu'en déniant l'existence d'une quelconque faute imputable de ce chef à l'ancien gérant au prétexte que le démarchage de la clientèle qu'il connaissait ne revêtait aucun caractère fautif, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si le caractère systématique de ce comportement était de nature à établir un acte de concurrence déloyale quand il était acquis aux débats que cet ancien associé avait récupéré plus de 80 % des clients de la société ainsi concurrencée, que celle qu'il avait créée à proximité avait un objet en tous points similaire, sa révocation -dont le caractère éventuellement abusif n'avait jamais été allégué étant en outre intervenue en raison des fautes de gestion qu'il avait commises ainsi que d'une mésentente entre les associés, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ;

2 / que la société faisait valoir qu'une confusion avait été entretenue par son ancien gérant qui, pour annoncer la création de son entreprise, avait adressé à des clients un papier à en-tête de couleur identique à celui qu'elle utilisait en respectant la même présentation, versant en outre aux débats trois documents de nature à démontrer la perturbation ainsi créée auprès de la clientèle ; qu'en se bornant à relever que les enseignes respectives des deux sociétés ne pouvaient pas être cause de confusion, sans répondre aux conclusions dont elle était ainsi saisie, la cour d'appel a privé sa décision de tout motif en méconnaissance des exigences de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;

3 / qu'enfin, en se contentant d'énoncer qu'un détournement du "fichier clientèle" n'était pas prouvé, sans vérifier que la liste des clients que l'ancien gérant avait reconnu avoir conservée, nonobstant sa révocation, avait favorisé le démarchage systématique qui lui était reproché dès lors qu'il avait abouti au détournement, en moins de six mois, de plus de 80 % de cette clientèle, la cour d'appel n'a pas davantage justifié légalement sa décision au regard de l'article 1382 du nouveau Code de procédure civile ;

Mais attendu que c'est par une appréciation souveraine que la cour d'appel a considéré que la preuve n'était rapportée ni d'agissements personnels de concurrence déloyale de M. Y... qui n'était lié à la société ODA par aucune clause de non concurrence, ni de détournement du fichier de clientèle de cette société par ce dernier ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Mais sur le premier moyen, pris en sa première branche :

Vu l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;

Attendu que pour infirmer la décision des premiers juges, l'arrêt retient qu'il n'était pas contesté que l'intéressement du gérant devait s'élever à la somme de 1,5 % du chiffre d'affaires hors taxes et que les associés de la société ODA, informés de la distinction entre un chiffre d'affaires et un résultat financier, ne pouvaient remettre en cause cette base de calcul du seul fait du caractère déficitaire du résultat d'exploitation ;

Attendu qu'en statuant ainsi, sans répondre aux conclusions de la société ODA qui invoquait l'absence de décision collective des associés réunis en assemblée générale le 30 décembre 1993 relative à l'approbation de l'intéressement sur le chiffre d'affaires de l'exercice 1992 au bénéfice du gérant, la cour d'appel a méconnu les exigences du texte susvisé ;

Sur le deuxième moyen :

Vu l'article 52 de la loi du 24 juillet 1966 devenu l'article 223-22 du Code de commerce et l'article 1842 du Code civil ;

Attendu que pour rejeter la demande de la société ODA, l'arrêt tout en retenant les fautes commises par M. Y... dans la gestion comptable de la société, invoque "la responsabilité commune dans la mauvaise gestion de M. Y... et d'un ancien associé" ;

Attendu qu'en statuant ainsi, alors que les gérants sont responsables envers la société des fautes commises dans leur gestion, la cour d'appel qui, relevant l'existence de fautes de gestion, ne pouvait conclure à l'absence d'un droit à réparation au profit de la société au motif d'un partage de responsabilité entre le gérant et un ancien associé, a violé le texte susvisé ;

Et sur le troisième moyen :

Vu le principe de l'autorité au civil de la chose jugée au pénal ;

Attendu que seules les décisions des juridictions pénales statuant au fond sur l'action publique et devenues irrévocables sont revêtues de l'autorité de la chose jugée ;

Attendu que pour rejeter la demande indemnitaire relative à une disparition de matériels dans la société ODA ayant donné lieu à un redressement fiscal, l'arrêt retient que "les détournements allégués ont été inclus dans la plainte conclue par une ordonnance de non lieu et qu'en l'absence d'éléments nouveaux et malgré la dérision que la plaidoirie a voulu jeter sur les juges consulaires, l'ordonnance de non lieu a autorité à l'égard du juge du commerce en ce qui concerne l'absence de détournements de nature à être qualifiés d'abus de biens sociaux" ;

Attendu qu'en statuant ainsi, alors qu'une ordonnance de non lieu n'a qu'un caractère provisoire et qu'elle est révocable en cas de survenance de charges nouvelles, la cour d'appel a violé le principe susvisé ;

PAR CES MOTIFS et sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres griefs ;

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 15 mars 2000, entre les parties, par la cour d'appel de Grenoble ;

remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Chambéry.