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Décisions

ADLC, 10 janvier 2023, n° 23-DCC-07

AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE

relative à la prise de contrôle exclusif de la société CNIM Systèmes Industriels et de divers actifs nécessaires à son activité par le groupe Réel

ADLC n° 23-DCC-07

10 janvier 2023

L’Autorité de la concurrence,

Vu le dossier de notification adressé au service des concentrations le 31 août 2022, déclaré complet le 12 octobre 2022, relatif à la prise de contrôle exclusif de la société CNIM Systèmes Industriels et de divers actifs nécessaires à son activité par la société Groupe Réel, formalisée par une offre de reprise du 13 mai 2022, réitérée le 27 juillet 2022, et le jugement du tribunal de commerce de Paris du 27 septembre 2022 ;

Vu le livre IV du code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence, et notamment ses articles L. 430-1 à L. 430-7 ;

Vu les éléments complémentaires transmis par la partie notifiante au cours de l’instruction ; Adopte la décision suivante :

I. Les entreprises concernées et l’opération

1. La société Groupe Réel, société de tête du groupe éponyme, est contrôlée exclusivement par [confidentiel]. Le groupe Réel est actif dans les secteurs des systèmes de levage et de manutention complexes ainsi que de la fourniture de systèmes intégrés à destination de secteurs industriels comme le nucléaire civil, la défense ou l’aéronautique.

2. Les actifs repris (ci-après « CSI ») regroupent la société CNIM Systèmes Industriels et différents actifs, détenus par la société CNIM Groupe, nécessaires à la poursuite de l’activité de CNIM Systèmes Industriels. Ces actifs sont des actifs immobiliers, des actifs corporels et incorporels et des contrats. CSI est active dans le secteur de la fourniture de systèmes intégrés et de solutions industrielles mécaniques complexes de grande dimension, à destination de plusieurs secteurs industriels comme la défense ou l’espace.

3. L’opération envisagée consiste en l’acquisition par le groupe Réel de 100 % du capital de CNIM Systèmes Industriels ainsi que de différents actifs appartenant à la société CNIM. En ce qu’elle se traduit par la prise de contrôle exclusif de CSI par le groupe Réel, l’opération notifiée constitue une opération de concentration au sens de l’article L. 430-1 du code de commerce.

4. Les entreprises concernées réalisent ensemble un chiffre d’affaires hors taxes total sur le plan mondial de plus de 150 millions d’euros (groupe Réel : [≥ 150 millions] d’euros pour l’exercice clos le 31 décembre 2021 ; CSI : [≤ 150 millions] d’euros pour le même exercice). Chacune de ces entreprises a réalisé en France un chiffre d’affaires supérieur à 50 millions d’euros (groupe Réel : [≥ 50 millions] d’euros pour l’exercice clos le 31 décembre 2021 ; CSI : [≥ 50 millions] d’euros pour le même exercice). Compte tenu de ces chiffres d’affaires, l’opération ne relève pas de la compétence de l’Union européenne. En revanche, les seuils de contrôle mentionnés au I de l’article L. 430-2 du code de commerce sont franchis. Cette opération est donc soumise aux dispositions des articles L. 430-3 et suivants du code de commerce relatifs à la concentration économique.

II. Délimitation des marchés pertinents

5. Les parties sont simultanément actives sur les marchés de la fourniture de systèmes spécialisés de levage et de manutention ainsi que sur le marché des fournitures industrielles dans le secteur du nucléaire civil. Le groupe Réel1 est également présent sur le marché de la maintenance des systèmes de levage et de manutention et CSI2 est présente sur le marché de la fourniture d’équipements navals embarqués.

A. LES MARCHÉS DE LA FOURNITURE DE SYSTÈMES DE LEVAGE ET DE MANUTENTION

1. LES MARCHÉS DE PRODUITS

6. La Commission européenne (ci-après « la Commission ») définit les systèmes de levage et de manutention industriels comme « des équipements électromécaniques ou mécaniques, généralement dotés d'un palan à câble ou à chaîne, capables de déplacer des charges verticalement et horizontalement en utilisant la force manuelle ou des appareils spécifiques. Les systèmes de levage et de manutention industriels permettent de manipuler des charges comprises entre 0,1 tonne et 100 tonnes »3 (traduction libre).

7. Elle distingue, d’une part, les systèmes de levage et de manutention « standards » et, d’autre part, l’ensemble constitué des systèmes de levage et de manutention « spécialisés, d'ingénierie et de process », compte tenu notamment des différences de prix, de modalités de production, de technologies utilisées et d’usage entre ces deux types de systèmes4, qui rendent ces systèmes très faiblement substituables entre eux.

8. En l’espèce, la partie notifiante est présente sur le marché des systèmes spécialisés de levage et de manutention dans les secteurs du nucléaire civil, de la défense, de l’aéronautique, de l’industrie off-shore et plus marginalement dans divers autres secteur industriels. CSI est présente sur le marché des systèmes spécialisés de levage et de manutention dans les secteurs du nucléaire civil et de la défense.

9. La partie notifiante estime qu’au sein du marché des systèmes spécialisés de levage et de manutention il est possible d’isoler un marché concernant le secteur du nucléaire et un marché concernant le secteur de la défense.

10. S’agissant du secteur nucléaire, elle indique que « les systèmes de levage et de manutention spécialisés dans le secteur nucléaire sont distincts de ceux des autres industries en raison des contraintes liées à la manutention de matériaux nucléaires et au respect des exigences de sûreté nucléaire. Ils doivent par conséquent faire l'objet d'agréments ou de qualifications spécifiques (justification de sûreté, justification du dimensionnement sismique, audits de contrôle et de suivi, etc.). ».

11. S’agissant du secteur de la défense, elle considère que ce secteur présente également des spécificités « en raison des contraintes de fiabilité et de sûreté liées au levage et à la manutention [confidentiel] ».

12. Il ressort par ailleurs de l’instruction que concernant ces deux secteurs, des segmentations supplémentaires peuvent être envisagées.

13. Ainsi, s’agissant du nucléaire civil, les systèmes de levage et de manutention du combustible, à l’intérieur des centrales nucléaires et tout particulièrement au cœur des réacteurs, pourraient être distingués des systèmes de levage et de manutention pour les autres étapes du cycle de vie du combustible, à savoir l’enrichissement, la fabrication, le retraitement et le stockage. En effet, outre les exigences particulières de sûreté nécessaires à la manipulation du combustible, la présence de systèmes de levage à l’intérieur des réacteurs place ces équipements et les matériaux qui les constituent dans des situations de fortes contraintes liées aux milieux irradiés.

14. De manière similaire, une distinction pourrait être faite entre les systèmes de levage et de manutention « à terre » et les systèmes de levage et de manutention embarqués à bord des navires. Les systèmes de levage et de manutention des charges sensibles comme par exemple ceux fournis par la partie notifiante pour le chargement [confidentiel], ou ceux permettant le levage et la manutention [confidentiel], répondent à des exigences particulières, différentes des celles auxquelles répondent les systèmes de levage embarqués, permettant par exemple [confidentiel].

15. En l’espèce toutefois, la question de la délimitation exacte du marché de la fourniture de systèmes de levage et de manutention peut être laissée ouverte, les conclusions de l’analyse concurrentielle demeurant inchangées, quelle que soit l’hypothèse retenue. En l’espèce, les parties proposent simultanément des systèmes spécialisés de levage et de manutention à destination des secteurs du nucléaire civil et de la défense.

2. LES MARCHÉS GÉOGRAPHIQUES

16. Tout en laissant la définition de marché ouverte, la Commission a considéré que le marché des systèmes de levage et de manutention standards était de dimension nationale. Elle ne s’est en revanche pas prononcée sur la dimension géographique du marché des systèmes spécialisés de levage et de manutention5. La partie notifiante considère que ce marché est de dimension nationale.

17. En matière de défense, comme dans le secteur du nucléaire civil, l’essentiel des fournisseurs de système de levage opérant en France sont des sociétés françaises. Néanmoins, des sociétés telles que KoneCranes ou APCO, opérant dans le monde entier, répondent également à des appels offres sur le territoire français pour des systèmes spécialisés de levage et de manutention. Une délimitation géographique plus large que le seul marché national pourrait donc également être envisagée.

18. En l’espèce toutefois, la question de la délimitation géographique exacte de ce marché peut être laissée ouverte, les conclusions de l’analyse concurrentielle demeurant inchangées, quelle que soit l’hypothèse retenue, Pour les besoins de l’instruction de la présente opération, l’analyse sera menée au niveau national, niveau le plus conservateur.

B. LE MARCHÉ DE LA MAINTENANCE DES SYSTÈMES SPÉCIALISÉS DE LEVAGE ET DE MANUTENTION

1. LE MARCHÉ DE PRODUITS

19. La Commission considère que les prestations de maintenance des systèmes de levage et de manutention spécialisés constituent un marché distinct du marché de la fourniture de ces équipements. Ce marché inclut l’entretien préventif (révisions, contrôles) et curatif (réparation de pannes ou détériorations accidentelles, remplacement de pièces) du matériel6.

20. La partie notifiante considère par ailleurs que, compte tenu des spécifiés attachées aux opérations de maintenance dans le secteur du nucléaire, les prestations de maintenance des systèmes de levage et de manutention spécialisés dans ce secteur pourraient constituer un marché distinct.

21. En l’espèce toutefois, la question de la délimitation exacte du marché de la maintenance des systèmes spécialisés de levage peut être laissée ouverte, les conclusions de l’analyse concurrentielle demeurant inchangées, quelle que soit l’hypothèse retenue. Seul le groupe Réel propose de telles prestations dans les secteurs du nucléaire civil, de la défense et de l’aéronautique.

2. LE MARCHÉ GÉOGRAPHIQUE

22. Selon la Commission, le marché de la maintenance des systèmes de levage et de manutention industrielle revêt une dimension nationale, notamment en raison de la nécessité pour les prestataires de ces services de pouvoir intervenir rapidement et de limiter les coûts de transport7. La Commission a cependant laissé ouverte la question de la définition précise du marché géographique.

23. En l’espèce toutefois, la question de la délimitation géographique exacte de ce marché peut être laissée ouverte, les conclusions de l’analyse concurrentielle demeurant inchangées, quelle que soit l’hypothèse retenue. Pour les besoins de l’instruction de la présente opération, l’analyse sera menée au niveau national.

C. LE MARCHÉ DES FOURNITURES INDUSTRIELLES DANS LE SECTEUR NUCLÉAIRE

1. LE MARCHÉ DE PRODUITS

24. L’Autorité a défini un marché des fournitures industrielles dans le secteur nucléaire, distinct du marché des fournitures industrielles dans les autres secteurs8. À cet égard, l’Autorité a indiqué que l’existence d’un tel marché se justifie par le fait que les fournitures industrielles destinées au secteur nucléaire font l’objet d’agréments ou de qualifications spécifiques.

25. Elle considère que les fournitures industrielles dans le secteur nucléaire regroupent de nombreux produits, qui incluent, entre autres, les câbles, les tableaux et transformateurs haute tension et basse tension, les traversées enceintes, les convertisseurs, les turbines à vapeur, les générateurs de secours, les équipements de distribution électrique, de contrôle commande, de protection, les batteries, les transformateurs, les tableaux électriques et les onduleurs9.

26. Tout en laissant la définition du marché ouverte, l’Autorité a envisagé plusieurs segmentations au sein du marché des fournitures industrielles dans le secteur nucléaire en identifiant

(i) la transmission, (ii) l’automatisme, (iii) l’assemblage, (iv) l’équipement et (v) la protection, l’hygiène et la sécurité10.

27. En l’espèce, la question d’une segmentation plus fine du marché des fournitures industrielles dans le secteur nucléaire peut être laissée ouverte, les conclusions de l’analyse concurrentielle demeurant inchangées quelle que soit la segmentation retenue. La partie notifiante et la cible proposent uniquement des équipements.

2. LE MARCHÉ GÉOGRAPHIQUE

28. Dans une précédente décision11, tout en laissant la définition de marché ouverte, l’Autorité a analysé le marché des fournitures industrielles en retenant, à titre conservateur, une dimension nationale.

D. LES MARCHÉS DE LA FOURNITURE D’ÉQUIPEMENTS NAVALS EMBARQUÉS

1. LES MARCHÉS DE PRODUITS

29. La Commission a identifié un marché des équipements navals embarqués et considéré que chaque composant pouvait être considéré comme constituant un marché spécifique12. Elle a ainsi menée des analyses distinctes pour les pièces de transmission, les stabilisateurs, les séparateurs eau/hydrocarbures, les systèmes de sonars, et les systèmes de détection de mines.

30. Seule CSI est présente sur ce marché. Elle produit des [produits de défense] de la Marine nationale [confidentiel]. Elle fournit également des ouvrants spéciaux [confidentiel].

31. L’analyse concurrentielle sera menée, d’une part, sur le marché des équipements navals embarqués dans son ensemble et, d’autre part, sur chacun des produits proposés par CSI.

2. LES MARCHÉS GÉOGRAPHIQUES

32. La pratique décisionnelle considère généralement que le marché des équipements navals militaires est de dimension mondiale à l’exception des situations dans lesquelles il existe des fournisseurs locaux en mesure de répondre à la demande nationale13, ces fournisseurs étant généralement privilégiés par les acheteurs nationaux.

33. Au cas d’espèce, compte tenu de la très grande sensibilité que revêtent les équipements produits par CSI sur ce marché, et tout particulièrement les [produits de défense], l’analyse sera menée au niveau national, CSI indiquant ne pas avoir d’autres clients ailleurs en Europe ou dans le monde.

III. Analyse concurrentielle

34. L’opération entraîne des chevauchements horizontaux sur les marchés de la fourniture de systèmes spécialisés de levage et de manutention considérés globalement, ainsi que des fournitures industrielles dans le secteur nucléaire.

35. Par ailleurs, l’opération crée des liens congloméraux entre les parties. En effet, le groupe Réel est présent sur le marché de la maintenance de systèmes spécialisés de manutention et de levage, marché connexe à celui de la fourniture de systèmes spécialisés de manutention et de levage, sur lequel les parties sont simultanément présentes. En outre, CSI est active sur le marché de la fourniture d’équipements navals embarqués, tandis que le groupe Réel propose des systèmes spécialisés de levage et de manutention dans le secteur de la défense.

A. ANALYSE DES EFFETS HORIZONTAUX DE L’OPÉRATION

1. SUR LES MARCHÉS DE LA FOURNITURE DES SYSTÈMES SPÉCIALISÉS DE LEVAGE ET DE MANUTENTION

36. Les parties sont toutes deux actives sur les marchés des systèmes de levage et de manutention. Sur un marché global des systèmes de levage et de manutention non segmenté entre les systèmes standards et spécialisés, la part de marché cumulée des parties n’excède pas 5 % au niveau national.

37. Sur un marché limité aux seuls systèmes spécialisés de levage et de manutention, la part de marché cumulée des parties n’excède pas 15 % au niveau national.

38. En considérant une segmentation du marché selon le secteur d’activité, la part de marché cumulée des parties n’excède pas 15 % dans le secteur du nucléaire civil, tandis que, dans le secteur de défense, seul le groupe Réel est présent avec une part de marché de [5-10] %14.

39. Enfin, au sein du secteur nucléaire, l’opération entraîne un chevauchement uniquement sur les systèmes destinés au cycle du combustible sur lequel la part de marché cumulée des parties est inférieure à 25 %.

40. Par conséquent, l’opération n’est pas susceptible de porter atteinte à la concurrence par le biais d’effets horizontaux sur les marchés de la fourniture de systèmes de levage et de manutention.

2. SUR LE MARCHÉ DES FOURNITURES INDUSTRIELLES DANS LE SECTEUR NUCLÉAIRE

41. Sur le marché national des fournitures industrielles dans le secteur nucléaire, considéré dans son ensemble, ainsi que sur un marché regroupant uniquement les équipements, la part de marché cumulée des parties s’établit à moins de 5 %.

42. Par conséquent, l’opération n’est pas susceptible de porter atteinte à la concurrence par le biais d’effets horizontaux sur le marché des fournitures industrielles dans le secteur nucléaire.

B. ANALYSE DES EFFETS CONGLOMÉRAUX

43. Une concentration a des effets congloméraux lorsque la nouvelle entité étend ou renforce sa présence sur plusieurs marchés dont la connexité peut lui permettre d’accroître son pouvoir de marché. En règle générale, de tels effets sont analysés lorsqu’une opération de concentration étend ou renforce la présence d’une nouvelle entité sur plusieurs marchés distincts mais qui sont considérés comme connexes. Ces effets peuvent également être analysés lorsque le renforcement de la position d’une nouvelle entité prend place sur un même marché, mais qu’il s’agit d’un marché de produits suffisamment différenciés pour que d’une part, un effet de levier puisse être exercé à partir de l’un d’entre eux et que, d’autre part, les mêmes clients achètent régulièrement plus d’un produit au sein de cette gamme de produits. Si les concentrations conglomérales peuvent généralement susciter des synergies pro-concurrentielles, certaines peuvent néanmoins produire des effets restrictifs de concurrence lorsqu’elles permettent de lier, techniquement ou commercialement, les ventes ou les achats des éléments constitutifs du regroupement de façon à verrouiller le marché et à en évincer les concurrents.    

44. La pratique décisionnelle des autorités de concurrence considère en principe qu’un risque d’effet congloméral peut être écarté dès lors que la part de l’entité issue de l’opération sur les marchés concernés ne dépasse pas 30 %.

1. ENTRE LES MARCHÉS DE LA FOURNITURE DE SYSTÈMES SPÉCIALISÉS DE LEVAGE ET DE LA MAINTENANCE DES SYSTÈMES SPÉCIALISÉS DE LEVAGE ET DE MANUTENTION

45. Les parties sont toutes deux actives sur les marchés de la fourniture de systèmes spécialisés de levage et de manutention et le groupe Réel est actif sur le marché connexe de la maintenance de ces systèmes spécialisés dans les secteurs du nucléaire civil et de la défense. Il y a donc lieu d’étudier les possibles effets congloméraux résultant de l’opération entre les marchés de la fourniture de systèmes spécialisés de levage et manutention et de la maintenance de ces systèmes.

46. Toutefois, compte tenu des parts de marché des parties sur ces marchés inférieures à 30 %, quelle que soit la segmentation considérée, tout risque d’atteinte à la concurrence par le biais d’effets congloméraux entre ces deux marchés peut être écarté.

2. ENTRE LES MARCHÉS DE LA FOURNITURE D’ÉQUIPEMENTS NAVAL EMBARQUÉS ET DES SYSTÈMES SPÉCIALISÉS DE LEVAGE ET DE MANUTENTION DANS LE SECTEUR DE LA DÉFENSE

47. CSI fournit au secteur de la défense, différents types d’équipements navals embarqués, des ouvrants spéciaux [confidentiel], ainsi que des [produits de défense].

48. Sur le marché des ouvrants spéciaux, la part de marché de CSI n’excède pas 10 %, et ne confère donc pas à la nouvelle entité, la capacité de mettre en œuvre une stratégie qui consisterait à s’appuyer sur cette activité pour développer ses activités sur les marchés des systèmes spécialisés de levage et de manutention dans le secteur de la défense. CSI se trouve néanmoins en situation d’unique offreur pour la fourniture des [produits de défense].

49. La partie notifiante indique que cette situation particulière d’offreur unique résulte d’une politique délibérée, visant à garantir un haut niveau de protection. [Confidentiel].

50. La partie notifiante précise néanmoins que, pour limiter les conséquences négatives d’une telle absence de mise en concurrence, le législateur a prévu des dispositions particulières, donnant notamment à la Direction générale de l’armement (ci-après « DGA »), des compétences lui permettant d’auditer les coûts de ses fournisseurs. Ainsi, l’article 54 de la loi n° 63-156 du 23 février 196315 dispose :

51. « I.- Dans les cas prévus au II ci-dessous, les entreprises titulaires de marchés conclu avec les services de l'État, les établissement publics et les entreprises visées par l'article 164 de l'ordonnance n° 58-1374 du 30 décembre 1958 et figurant sur une liste fixée par arrêté du Premier ministre, pris sur proposition du ministre de l'économie et des finances, après avis de la commission centrale des marchés, fournissent au service contractant, si celui-ci en fait la demande, tous renseignements sur les éléments techniques et comptables du prix de revient des prestations qui font l'objet du marché. Lesdites entreprises ont l'obligation de permettre et de faciliter la vérification éventuelle sur pièces ou sur place de l'exactitude de ces renseignements par les agents de l'Administration.

52. « II.- Les obligations prévues au I ci-dessus sont applicables aux marchés ou commandes de travaux, fournitures ou études pour lesquels la spécialité des techniques, le petit nombre d'entreprises compétentes, des motifs de secret ou des raisons d'urgence impérieuses ne permettent pas de faire appel à la concurrence ou de la faire jouer efficacement. »

53. Au cas d’espèce, le groupe Réel comme CSI sont tous deux assujettis à ces contrôles, et fournissent régulièrement des pièces permettant à la Direction générale de l’armement d’exercer ses prérogatives.

54. Si la mise en œuvre de ce dispositif permet aux services de l’État concernés de se prémunir contre une augmentation anormale des prix de leurs fournisseurs, elle ne permet pas, en revanche, de se prémunir contre des stratégies d’effet de levier. De telles stratégies visent, pour un fournisseur, à améliorer sa position sur un marché, en tirant profit d’une position forte, voire incontournable sur un autre marché. La position particulière qu’occupe CSI pour la fourniture des [produits de défense], pourrait rendre possible la mise en œuvre d’une telle stratégie. Si une telle possibilité existait préalablement à la présente opération entre les différents produits commercialisés par CSI auprès des industriels de l’armement et n’est ainsi pas spécifique à l’opération, il revient néanmoins à l’Autorité de vérifier dans quelle mesure une stratégie d’effet de levier pourrait être mise en œuvre afin de favoriser les produits et services commercialisés par le groupe Réel dans le secteur de la défense.

55. Dans le secteur de la défense, le groupe Réel fournit :

- les systèmes de levage et de manutention pour [confidentiel] ;

- des systèmes de levage et de manutention [confidentiel] ;

- des systèmes embarqués de levage et de manutention [confidentiel] ;

- des services de maintenance pour des systèmes de levage et de manutention [confidentiel].

56. Il convient dès lors d’examiner si la nouvelle entité pourrait s’appuyer sur la très forte position de CSI sur la fourniture des [produits de défense] pour renforcer sa position sur ces différents marchés.

57. S’agissant en premier lieu des systèmes de levage et de manutention pour [confidentiel] d’une part, et, d’autre part, des systèmes de levage et de manutention [confidentiel], il apparaît que les clients de CSI et du groupe Réel sont différents, ce qui rend impossible la mise en œuvre d’une offre de couplage entre les produits de CSI et ceux du groupe Réel. Le client de CSI s’agissant des [produits de défense] est la société [confidentiel], alors que les clients du groupe Réel s’agissant des systèmes de levage et de manutention pour le chargement [confidentiel] sont respectivement [confidentiel] et [confidentiel].

58. S’agissant en deuxième lieu des systèmes embarqués de levage et de manutention [confidentiel] d’une part, et, d’autre part, des services de maintenance pour systèmes de levage et de manutention [confidentiel], bien que le client du groupe Réel soit [confidentiel] dans les deux cas, comme c’est le cas s’agissant de CSI, tout risque d’effet de levier peut également être écarté. En effet, les produits et services concernés de CSI et du groupe Réel appartiennent à des programmes militaires différents. Les [produits de défense] font partie intégrantes des programmes [confidentiel], alors que les services de maintenance [confidentiel]. Enfin, les systèmes embarqués de manutention [confidentiel] sont destinés à des catégories de bâtiments dont aucun n’est en service dans la Marine nationale ou en cours de construction pour celle-ci. Les bâtiments équipés des systèmes de manutention du groupe Réel sont destinés à l’exportation. Faisant partie de programmes différents, ces contrats ont été conclus à des dates différentes et pour des durées différentes. Ces contrats sont par ailleurs conclus à la suite d’appels d’offres disjoints de sorte que la nouvelle entité ne pourrait pas coupler ces offres sur ces différents produits ou services.

59. Il convient enfin de souligner que si CSI est l’unique fournisseur de [produits de défense] de la Marine nationale, [confidentiel] en est l’unique acheteur. Or, avec un chiffre d’affaires de près de [confidentiel] milliards en 2021 (contre [confidentiel] millions pour CSI et [confidentiel] millions pour le groupe Réel), [confidentiel]G dispose d’un très fort pouvoir de négociation de nature à lui permettre de s’opposer à toute mise en œuvre de stratégie de couplage par la nouvelle entité.

60. Compte tenu de ces éléments, tout risque d’atteinte à la concurrence par le biais d’effets congloméraux entre les marchés de la fourniture d’équipements naval embarqués et des systèmes spécialisés de levage et de manutention dans le secteur de la défense peut être écarté.

DÉCIDE

Article unique : L’opération notifiée sous le numéro 22-208 est autorisée.

NOTES

1 Le groupe Réel est également présent marginalement dans les secteurs de la fourniture de systèmes nécessaires à l’industrie de l’aluminium, activité qui ne présente pas de lien avec celle de la cible et ne sera donc pas étudiée dans la présente décision.

2 CSI est également présente de manière plus marginale dans les secteurs de la fourniture de solutions de génie militaire (système de franchissements) à destination de l’Armée de terre et de diverses activités à destination de l’industrie (automobile et électronique notamment). Toutefois, ces activités ne présentent pas de liens avec les activités de l’acquéreur et ne seront donc pas étudiées dans la présente décision. En effet, s’agissant des activités de fournitures de systèmes et de solutions pour le secteur de la défense, il s’agit de matériels destinés [confidentiel], alors que le groupe Réel fournit uniquement des matériels destinés [confidentiel], les achats de ces types de matériel dépendant d’entités différentes [confidentiel]. D’autre part, s’agissant des activités de CSI à destination de l’industrie, le groupe Réel n’exerce pas d’activités en lien avec les secteurs concernés.

3 Décision de la Commission européenne n° COMP/M.7792 KONECRANES / TEREX MHPS du 8 août 2016.

4 Décisions de la Commission européenne n° IV/M.420 CGP / GEC ALSTHOM / KPR /  KONE CORPORATION du 14 avril 1994 et n° COMP/M.7792 précitée.

5 Ibid.

6 Décisions n° IV/M.420 et n° COMP/M.7792 précitées.

12 Décision de la Commission européenne n° COMP/M.5943 ABU DHABI MAR / THYSSEN KRUPP MARINE SYSTEMS du 31 août 2018.

13 Décision de la Commission n° COMP/M.4191 THALES / DCN du 19 mars 2007.

14 CSI n’est plus active sur ce marché depuis 2018.

15 Loi n° 63-156 du 23 février 1963 de finances pour 1963 (2e partie-« Moyens des services et dispositions spéciales »).