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Décisions

CA Aix-en-Provence, ch. 1-9, 17 novembre 2022, n° 21/16176

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Défendeur :

Cabot Sécurisation Europe Limited (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Thomassin

Conseillers :

Mme Pochic, M. Catteau

Avocats :

Me Soulan, Me Roche, Me Abegg

JEX Marseille, du 28 oct. 2021, n° 21/06…

28 octobre 2021

Faits, procédure et prétentions des parties

Une ordonnance rendue le 6 novembre 2013 par le tribunal d'instance de Marseille a fait injonction à M.[I] [P] de payer à la société Franfinance la somme de 631,73 outre intérêts au taux légal à compter du 24 juillet 2013.

Cette ordonnance a été signifiée à M.[P] le 21 novembre 2013, suivant les modalités de l'article 659 du code de procédure civile, puis en l'absence d'opposition de sa part a été revêtue de la formule exécutoire le 3 janvier 2014.

Par acte du 20 octobre 2020, la société Franfinance a cédé, à la société de droit Irlandais Cabot Sécurisation Europe Limited (ci-après, Cabot Sécurisation), diverses créances dont celle détenue à l'encontre de M.[P].

Poursuivant l'exécution de l'ordonnance portant injonction de payer, la société Cabot Sécurisation a fait pratiquer, le 7 juin 2021, une saisie-attribution des comptes bancaires du débiteur pour le recouvrement de 1 390,23 euros en principal, intérêts et frais, qui a été dénoncée à M. [P] en même temps que la cession de créance, par acte du 15 juin 2021. M. [P] a contesté cette saisie devant le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Marseille en lui demandant de déclarer nulle et de nul effet la signification de la requête et de l'ordonnance du 6 novembre 2013 en l'absence de diligences suffisantes de l'huissier de justice, d'annuler le procès-verbal de saisie-attribution et d'en ordonner la mainlevée.

La société Cabot Sécurisation s'est opposée à ces prétentions.

Par jugement du 28 octobre 2021 le juge de l'exécution a :

' rejeté la demande de nullité de 1'acte de signification en date du 21 novembre 2013 ;

' rejeté la demande de nullité de la saisie attribution en date du 7 juin 2021 ;

' cantonné les effets de la dite saisie à la somme de 1 119 euros et ordonné mainlevée pour le surplus ;

' débouté M.[P] de sa demande de dommages intérêts,

' l'a condamné à payer à la société Cabot Sécurisation la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

M.[P] a interjeté appel de cette décision dans les quinze jours de sa notification par déclaration du 17 novembre 2021.

Par dernières écritures notifiées le 9 août 2022, auxquelles il est expressément fait référence pour plus ample exposé de ses moyens en application de l'article 455 du code de procédure civile, il demande à la cour :

Sur la saisie attribution de :

- infirmer le jugement en ce qu'il a rejeté la demande de nullité de l'acte de signification de la requête et de l'ordonnance en injonction de payer du 6 novembre 2013, par exploit huissier du 21 novembre 2013 et celle de la saisie attribution du 7 juin 2021,

- déclarer nulle et de nul effet la signification de la requête et de l'ordonnance en injonction de payer du 6 novembre 2013, par exploit d'huissier du 21 novembre 2013,

- déclarer nul et de nul effet le procès-verbal de la saisie attribution du 7 juin 2021 et prononcer la nullité de la saisie attribution du 7 juin 2021,

- déclarer la cession de créance entre Franfinance et Cabot Sécurisation Europe Limited inopposable à Monsieur [P] à la date de la saisie attribution ;

- déclarer la société Cabot Sécurisation Europe Limited irrecevable pour défaut de qualité à agir,

En conséquence,

- ordonner la mainlevée de la saisie attribution du 7 juin 2021,

Sur la demande de dommages et intérêts de :

- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté la demande d'indemnisation de M.[P],

- condamner la société Cabot Sécurisation Europe Limited et son mandataire la Société Cabot Financial France, qui a procédé à la saisie attribution, au paiement de la somme de 132,50 euros,

Sur la condamnation à l'article 700 du cpc et aux entiers dépens en première instance de :

- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné M.[P] à la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du cpc et aux entiers dépens.

À titre subsidiaire, sur le cantonnement de la saisie attribution de :

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a cantonné la saisie attribution à la somme de 1 119 euros.

Sur l'article 700 du cpc les dépens en cause d'appel de :

- débouter la société Cabot Sécurisation Europe Limited de sa demande de condamnation de M.[P] à la somme de 2 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du cpc en cause d'appel,

- la condamner au paiement de la somme de 1 800 euros au titre de l'article 700 du cpc ainsi qu'aux entiers dépens.

A l'appui de ses demandes, l'appelant soutient l'absence de diligences suffisantes de l'huissier de justice en charge de la signification de l'ordonnance d'injonction de payer, qui n'a pas interrogé l'administration fiscale ou procédé à une recherche sur le site Sirene, pour obtenir son nouveau domicile, l'huissier n'étant pas déchargé de son obligation de procéder à ces vérifications par le fait que le débiteur n'avait pas communiqué sa nouvelle adresse à la société créancière.

Il en déduit la nullité de la saisie-attribution, faute de titre exécutoire valable.

Par ailleurs, il invoque, au visa notamment d'un arrêt de la 2ème chambre civile de la Cour de cassation en date du 9 septembre 2021 n°20-13.834 et de la chambre commerciale de la même juridiction, rendu le 25 mai 2022, n°20-16.726, l'inopposabilité de la cession de créance qui ne lui a été notifiée pour la première fois que le 15 juin 2021, soit postérieurement à la saisie-attribution en cause, pratiquée le 7 juin précédent par la société qui n'avait donc pas qualité de créancier à cette date et ne pouvait poursuivre l'exécution forcée de l'ordonnance d'injonction de payer. En réponse au caractère de nouveauté de cette argumentation soulevé par l’intimée, il rétorque qu'il ne s'agit pas d'une prétention nouvelle au sens de l'article 565 du code de procédure civile mais d'un moyen tendant aux mêmes fins que la demande soumise au juge de l'exécution, à savoir la mainlevée de la saisie attribution.

Il réclame, en application de l'article L. 213-6 du code de l'organisation judiciaire donnant compétence au juge de l'exécution pour statuer sur les conséquences dommageables des mesures d'exécution forcée, condamnation de la société aux frais bancaires inhérents à la saisie attribution qui se sont élevés à la somme de 132,50 euros.

Il indique que la réformation du jugement sur la validité de la signification du jugement du 6 novembre 2013 et de la saisie attribution du 7 juin 2021 entraînera de facto l'infirmation dudit jugement sur la condamnation à l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens, ajoutant qu'il était fondé à contester la saisie attribution du 7 juin 2021, ne serait-ce qu'en raison du cantonnement de la saisie suite au rejet de divers frais non justifiés par le créancier et qu'en outre les situations économiques respectives des parties, ne justifiaient pas sa condamnation aux frais irrépétibles.

A titre subsidiaire il approuve le premier juge d'avoir cantonné la saisie en raison des frais injustifiés réclamés par le créancier.

Aux termes de ses dernières écritures notifiées le 21 mars 2022, auxquelles il est expressément renvoyé pour l'exposé complet de ses moyens, la société intimée conclut à la confirmation du jugement entrepris en toutes ses dispositions, au rejet des demandes de M.[P] dont elle réclame condamnation au paiement de la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

A cet effet et pour l'essentiel, elle fait sienne la motivation du premier juge qui a retenu que l'huissier de justice avait effectué les diligences nécessaires pour rechercher la nouvelle adresse du débiteur, lequel bien que se sachant débiteur de la société Franfinance n'a effectué aucune démarche pour l'informer de sa nouvelle adresse, en méconnaissance des principes de loyauté et bonne foi contractuelles.

Elle relève, que pour la première fois devant la cour M.[P] soutient que la cession de créance ne lui serait pas opposable faute de signification de cette dernière avant la procédure de saisie attribution, et affirme que cette argumentation ne peut être accueillie, dès lors que le débiteur n'est pas parti au contrat de cession et qu'il importe peu que la cession lui soit notifiée à la date du contrat.

Elle rappelle que cette cession lui a été notifiée lors de la dénonciation du procès-verbal de saisie-attribution qui mentionne le lien entre elle et la société cédante, l'acte de dénonce comportant l'ensemble des éléments permettant l'identification de la créance cédée et qu'en tout état de cause, aucun formalisme ne vient encadrer la signification de la cession de créance qui comme le rappelle la jurisprudence, peut donc intervenir concomitamment à la dénonciation de la saisie attribution.

Elle s'oppose à la demande de dommages et intérêts, en l'absence de démonstration des éléments nécessaires à leur octroi et s'agissant des frais irrépétibles, rappelle que M.[P] a été débouté de l'essentiel de ses prétentions.

L'instruction de l'affaire a été déclarée close par ordonnance du 6 septembre 2022.

MOTIVATION DE LA DÉCISION

L'article L.211-1 du code des procédures civiles d'exécution conditionne la mise en oeuvre d'une mesure de saisie attribution à la détention par le créancier d'un titre exécutoire constatant une créance certaine, liquide et exigible.

Sur la nullité de la signification par acte du 21 novembre 2013, de la requête et de l'ordonnance en injonction de payer du 6 novembre 2013 :

Cette signification a été effectuée selon les modalités de l'article 659 du code de procédure civile.

En application de l'article 654 du même code, la signification doit par principe être faite à personne. À défaut, lorsque le destinataire n'a ni domicile, ni résidence, ni lieu de travail connu, l'article 659 du dit code autorise une signification à la dernière adresse connue, sous condition que l'huissier de justice dresse un procès-verbal dans lequel il relate avec précision les diligences nécessaires qu'il a accomplies pour rechercher le destinataire de l'acte.

En l'espèce, le procès- verbal de recherches du 21 novembre 2013 mentionne au dernier domicile connu de M.[P], [Adresse 2], auquel l'huissier de justice s'est déplacé, l'absence du destinataire dont le nom ne figure ni sur les sonneries, ni sur les boîtes aux lettres de l'immeuble et dont la nouvelle adresse n'a pu être obtenue auprès des personnes rencontrées sur place qui n'ont pas accepté de donner leur identité ou de recevoir la copie de l'acte, ni après les recherches effectuées sur le site pages jaunes et blanches sur internet, auprès des services de la police, de la gendarmerie, de la mairie et des PTT, le lieu de travail du débiteur étant par ailleurs inconnu.

Il ne peut être reproché à l'huissier instrumentaire, l'absence d'interrogation de l'administration fiscale dès lors qu'en vertu de l'article L.152-1 du code des procédures civiles d'exécution, l'obtention d'information auprès de cette administration est réservée à l'huissier de justice « chargé de l'exécution, y compris d'une décision de justice autorisant une saisie conservatoire sur comptes bancaires » et non comme en l'espèce, lorsqu'il est chargé de la signification d'une ordonnance d'injonction de payer non revêtue de la formule exécutoire, apposée ultérieurement, conformément aux dispositions de l'article 1422 du code de procédure civile, soit en l'espèce le 3 janvier 2014.

Par ailleurs, ainsi qu'exactement retenu par le premier juge, le répertoire Sirene au 9 juillet 2021 dont un extrait est produit par M.[P], recense dix résultats correspondant aux nom et prénom de l'intéressé mais avec des adresses différentes, et il n'est pas établi de document tiré de ce répertoire, concomitant à l'acte de signification querellé.

Au surplus, aux termes de l'article 114, alinéa 2 du code de procédure civile, la nullité ne peut être prononcée qu'à charge pour celui qui l'invoque de prouver le grief que lui cause l'irrégularité, même lorsqu'il s'agit d'une formalité substantielle ou d'ordre public.

Or, l'appelant n'allègue ni n’a fortiori ne démontre, le grief résultant de l'irrégularité invoquée qui ne peut résulter de l'absence de titre exécutoire, s'agissant du préjudice causé par l'effet attaché à l'acte argué d'irrégularité, et non du préjudice résultant du vice de forme invoqué.

Le moyen tiré de la nullité de l'acte de signification ne peut en conséquence prospérer.

Sur l'inopposabilité de la cession de créance :

Au soutien de sa demande de mainlevée de la saisie-attribution querellée, M.[P] se prévaut en cause d'appel, de l'inopposabilité de la cession de créance qui lui a été dénoncée postérieurement à ladite saisie.

S'agissant d'un moyen nouveau au soutien de sa demande de mainlevée de la saisie, soumise au premier juge, il peut être admis en application de l'article 563 du code de procédure civile.

Ainsi que le rappelle l'appelant, la cession de créances ayant été conclue le 20 octobre 2020, ses effets sont régis par les dispositions des articles 1321 et suivants du code civil issues de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016.

Aux termes de l'article 1324 alinéa 1 du même code la cession n'est opposable au débiteur, s'il n'y a déjà consenti, que si elle lui a été notifiée ou s'il en a pris acte.

En l'espèce si le procès-verbal de saisie-attribution du 7 juin 2021 mentionne que la requérante est la société Cabot Sécurisation venant aux droits de la SA Franfinance selon contrat de cession du 20 octobre 2020, ladite cession n'a été notifiée à M.[P] qu'à l'occasion de l'acte de dénonce de la saisie intitulé « dénonciation de saisie-attribution avec signification d'exécutoire et de cession de créance » signifié le 10 juin 2021.

Or, en vertu de l'article L.211-1 du code des procédures civiles d'exécution et de l'article 1324 du code civil précités, la société Cabot Sécurisation, cessionnaire de la créance, cause de la saisie dont la cession n'est opposable à M.[P] que par la notification qui lui en est faite, ne pouvait pratiquer une saisie-attribution qu'après avoir notifié cette cession au débiteur saisi (C. Cass 2ème civ., 9 septembre 2021 n°20-13.834).

Dans ces conditions et par infirmation du jugement entrepris, il convient de prononcer la nullité de la saisie contestée dont la mainlevée sera ordonnée.

Sur les autres demandes :

L'appelant justifie des frais bancaires à hauteur de la somme de 132,50 euros résultant de cette saisie que l'intimée sera condamnée à lui payer en vertu de l'article L.111-8 dudit code des procédures civiles d'exécution qui dispose que les frais de l'exécution forcée sont à la charge du débiteur, sauf s'il est manifeste qu'ils n'étaient pas nécessaires au moment où ils ont été exposés.

La société intimée, partie perdante, supportera les dépens de première instance et d'appel et sera tenue d'indemniser M.[P] de ses frais irrépétibles à hauteur de la somme de 1800 euros réclamée, elle-même ne pouvant prétendre au bénéfice des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant après en avoir délibéré, par arrêt contradictoire prononcé par mise à disposition au greffe,

INFIRME le jugement entrepris, excepté en ce qu'il a rejeté la demande de nullité de l'acte de signification en date du 21 novembre 2013 ;

STATUANT à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

PRONONCE la nullité de la saisie-attribution pratiquée le 7 juin 2021 par la société Cabot Sécurisation Europe Limited au préjudice de M. [I] [P] ;

ORDONNE la mainlevée de la dite saisie ;

CONDAMNE la société Cabot Sécurisation Europe Limited à payer à M. [I] [P] la somme de 132,50 euros au titre des frais bancaires ;

CONDAMNE la société Cabot Sécurisation Europe Limited à payer à M.[I] [P] la somme 1 800 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

REJETTE les autres demandes ;

CONDAMNE la société Cabot Sécurisation Europe Limited aux dépens de première instance et d'appel.