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Décisions

Cass. com., 30 mai 2012, n° 10-18.527

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Espel

Avocats :

Me Le Prado, Me Rouvière, SCP Delaporte, Briard et Trichet, SCP Nicolaý, de Lanouvelle et Hannotin

Montpellier, du 16 févr. 2010

16 février 2010


Attendu, selon l'arrêt attaqué, que des marchandises appartenant à la société BASF, stockées dans un entrepôt de la société SBM formulation (la société SBM) ont été détruites par un incendie ; que l'assureur du déposant, la société Compagnie Basler Securitas Versicherungen (la société Basler) a engagé une action récursoire contre la société SBM et son assureur, la société AIG Europe, devenue Chartis Europe ; que la société SBM a appelé en garantie son assureur en matière de responsabilité civile, la société HDI Gerling industrie Versicherungen AG (la société HDI Gerling) ;

Sur les moyens uniques du pourvoi principal n° V 10-18.527 et du pourvoi incident relevé par la société SBM, réunis :

Attendu que la société Chartis Europe et la société SBM font grief à l'arrêt d'avoir condamné la société SBM à verser à la société Compagnie Basler une certaine somme et d'avoir condamné la société Chartis Europe à relever la société SBM de cette condamnation, alors, selon le moyen :

1°/ que le dépositaire doit apporter, dans la garde de la chose déposée, les mêmes soins qu'il apporte dans la garde des choses qui lui appartiennent et qu'en cas de détérioration de la chose déposée, il peut s'exonérer de sa responsabilité en rapportant la preuve que la détérioration ne lui est pas imputable à faute ; qu'en l'espèce, il était demandé par la compagnie Basler réparation du dommage subi à raison de la destruction des marchandises par un incendie et la cour d'appel a relevé que l'origine de l'incendie était inconnue, outre que le fait que les portes coupe-feu aient été ouvertes à 2 heures du matin n'était pas l'élément déclencheur de l'incendie ; qu'il était donc ainsi démontré par la société SBM que le fait générateur de la détérioration de la chose ne lui était pas imputable à faute ; qu'en retenant néanmoins la responsabilité de la société SBM, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et a violé l'article 1927 du code civil ;

2° / que n'est pas responsable de la détérioration de la chose qui lui a été remise le dépositaire qui démontre avoir accordé à cette chose les mêmes soins que ceux qu'il aurait apportés à celles qui lui appartiennent ; que selon l'arrêt attaqué, l'expertise, dont il est affirmé que ses conclusions ne sont pas critiquées par les parties, a écarté la possibilité que l'incendie fût dû au fonctionnement de l'usine, à la déficience du système d'alarme et des appareils de lutte contre le feu ou à la mauvaise surveillance des bâtiments pour conclure à un acte de malveillance ; que si l'arrêt considère que l'on ne peut pour autant considérer que la cause de l'incendie soit extérieure à l'usine, il constate néanmoins que l'usine était gardée, que l'incendie avait été irrésistible et que le système de porte coupe-feu n'avait pu totalement se fermer qu'en raison de l'intensité du feu, ce dont il résulte que la société SBM avait accordé à la marchandise que lui avait remise la société Bayer tous les soins nécessaires en mettant en place un système adéquat de surveillance et de protection contre l'incendie ; qu'en imputant cependant à faute à la société SBM de n'avoir pas fermé en tout état de cause les portes coupe-feu, cependant que ce mécanisme était censé se déclencher automatiquement en cas de survenance d'un feu et qu'en l'occurrence il n'avait pu fonctionner parfaitement qu'en raison de l'intensité du feu criminel, la cour d'appel a violé les articles 1915, 1927 et 1928 du code civil ;

3° / qu'en affirmant, d'un côté, que la fermeture des portes coupe-feu aurait permis de diviser le risque d'incendie par quatre admettant ainsi que l'incendie aurait pu être évité, tout en constatant de l'autre que l'incendie était irrésistible, ce dont il résultait, à l'inverse, qu'il ne pouvait être évité, la cour d'appel s'est contredite en violation de l'article 455 du code de procédure civile ;

4° / que pour apprécier si un événement constitue un cas de force majeure, le juge doit rechercher s'il présentait un caractère d'imprévisibilité au jour de la conclusion du contrat ; que pour écarter cette cause d'exonération, l'arrêt attaqué constate que le feu s'est déclenché de nuit à un moment où l'usine était fermée et affirme qu'un incendie n'est pas imprévisible dans une usine classée à haut risque ; qu'en se prononçant ainsi, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si le caractère imprévisible de l'incendie ne résultait pas de son caractère criminel et du moment de son intervention , la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1148 du code civil ;

5°/ que la cause étrangère qui présente les caractères d'irrésistibilité et d'imprévisibilité exonère le dépositaire de sa responsabilité ; que constitue une telle cause étrangère le fait dommageable accompli par un préposé du dépositaire accompli hors des fonctions auxquelles il était employé, sans autorisation et à des fins étrangères à ses attributions ; qu'il résulte des énonciations de l'arrêt que l'incendie a pris lorsque l'usine était fermée à ses employés et que les experts ont exclu que l'incendie ait été causé par les mauvais entretien ou fonctionnement de l'usine, avant de conclure à un acte de malveillance ; qu'en se bornant à affirmer que rien ne permet de dire que la cause du sinistre était extérieure à l'usine, sans préciser si cette cause était accidentelle ou si elle était le fait d'un employé de l'usine, auquel cas l'incendie constituait une cause étrangère par rapport à la société SBM, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1148 du code civil ;

Mais attendu que, si le dépositaire n'est tenu que d'une obligation de moyens, il lui incombe, en cas de perte ou détérioration de la chose déposée, de prouver qu'il y est étranger, en établissant qu'il a donné à cette chose les mêmes soins que ceux qu'il aurait apportés à la garde de celles qui lui appartiennent ou en démontrant que la détérioration est due à la force majeure ; que le fait du débiteur ou de son préposé ou substitut ne peut constituer la force majeure ; qu'ayant retenu que l'incendie était d'origine inconnue, que s'il a été irrésistible, il n'était pas imprévisible dans une usine chimique classée à haut risque et qu'il n'était pas établi que sa cause était extérieure, ce dont il résulte que la société SDM et son assureur ne démontraient pas que la destruction des marchandises par l'incendie avaient eu lieu sans leur faute ou était due à la force majeure, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de procéder à la recherche visée à la quatrième branche, que ses constatations sur l'origine inconnue du sinistre rendait inopérante, a, sans contradiction, légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est pas fondé ;

Et sur le moyen unique du pourvoi incident relevé par la société HDI Gerling :

Attendu que le moyen ne serait pas de nature à permettre l'admission du pourvoi ;


Mais sur le moyen unique du pourvoi n° G 10-17.803, pris en sa deuxième branche :

Vu les articles 1927, 1928 et 1929 du code civil ;

Attendu que pour limiter le montant de la condamnation de la société SBM à l'égard de la société Basler à la moitié de l'indemnisation versée par celle-ci à son assuré, l'arrêt retient que, quand bien même l'origine de l'incendie reste inconnue, et que cet incendie a été irrésistible, ce qui permet à la société SBM de prétendre à une exonération de sa responsabilité, sa propagation et la destruction massive des marchandises de la société BASF entreposées résulte en partie de la négligence de la société qui détenait ces marchandises en dépôt et que si la cause totalement inconnue de cet incendie ne peut reposer sur elle, elle doit cependant assumer les conséquences de la faute révélée par l'expertise ;

Attendu qu'en statuant ainsi, alors qu'ayant constaté que la société SBM ne rapportait la preuve ni qu'elle était étrangère à la destruction des marchandises ni que celle-ci était due à la force majeure, la cour d'appel, dès lors qu'elle ne relevait aucune faute de la victime, a, en exonérant partiellement la société SBM de sa responsabilité, violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi principal n° 10-18.527 et le pourvoi incident relevé par la société SBM formulation ;

Déclare non admis le pourvoi incident relevé par la société HDI
Gerling industrie Versicherungen ;

Et sur le pourvoi n° G10-17.803 :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 16 février 2010, entre les parties, par la cour d'appel de Montpellier ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Montpellier, autrement composée.