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Décisions

CA Grenoble, ch. soc., 23 février 2023, n° 21/01355

GRENOBLE

Arrêt

Autre

PARTIES

Défendeur :

Berto Rhone (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Blanc

Conseillers :

Mme Blondeau-Patissier, M. Vergucht

Avocats :

Me Bergeras, Me Dubray, Me Longuet

Cons. Prud’h., du 3 déc. 2020

3 décembre 2020

EXPOSE DU LITIGE

M. [P] [K] a été embauché le 15 janvier 2018 par la société par actions simplifiée (SAS) Berto Rhône suivant contrat de travail à durée indéterminée, en qualité de chauffeur routier, groupe 6, coefficient 138 M de la convention collective nationale des transports.

Par lettre en date du 21 mars 2018, M. [P] [K] a notifié à la SAS Berto Rhône sa démission effective avec effet au 29 mars 2018.

Selon avenant du 23 mars 2018, M. [P] [K] et la SAS Berto Rhône ont convenu d'une augmentation de la rémunération du salarié.

Suivant acte daté du 15 janvier 2018 revêtu d'une signature en date du 23 mars 2018, les parties ont convenu du suivi d'une formation professionnelle et d'une clause de dédit formation en cas de rupture du contrat de travail à l'initiative du salarié dans les trois années suivant l'embauche.

A compter du 30 mars 2018, [P] [K] ne s'est plus présenté à son poste de travail.

Par courriers recommandés en date des 11 et 30 avril 2018, la SAS Berto Rhône a sollicité de M. [P] [K] de confirmer sa démission.

Par lettre du 30 avril 2018, M. [P] [K] a confirmé sa démission.

Par lettre recommandée du 11 mai 2018, la SAS Berto Rhône a pris acte de la démission du salarié.

Par courrier recommandé avec accusé réception en date des 22 mai et 25 juin 2018, la société Berto Rhône a mis en demeure M. [P] [K] de lui rembourser le coût de la formation professionnelle suivie par le salarié.

Suivant requête en date du 17 septembre 2020, la SAS Berto Rhône a saisi le conseil de prud'hommes de Bourgoin-Jallieu afin d'obtenir le paiement de l'indemnité de la clause de dédit formation ainsi que des dommages et intérêts pour inexécution fautive du contrat de travail.

A l'audience du bureau d'orientation et de conciliation du 15 octobre 2020, M. [P] [K] n'était ni présent ni représenté. Le bureau de conciliation et d'orientation a statué en tant que bureau de jugement en formation restreinte.

Par jugement en date du 3 décembre 2020, le conseil de prud'hommes de Bourgoin-Jallieu a':

- Condamné M. [P] [K] à verser à la société Berto Rhône, les sommes suivantes':

- 3 435 euros d'indemnité de clause de dédit formation';

- 100 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

- Débouté la société Berto Rhône de sa demande de dommages et intérêts pour inexécution fautive du contrat de travail.

- Dit n'y avoir lieu à exécution provisoire.

Le jugement a été signifié à M. [P] [K] le 18 décembre 2020, selon procès-verbal de recherches infructueuses.

Suivant acte d'huissier du 12 mars 2021, M. [P] [K] s'est vu signifier, à sa nouvelle adresse, un commandement aux fins de saisie-vente en vertu du jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Bourgoin-Jallieu le'3'décembre'2020.

Par déclaration en date du 19 mars 2021, M. [P] [K] a interjeté appel aux fins d'annulation du jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Bourgoin-Jallieu le'3'décembre'2020.

Suivant assignation en date du 25 mars 2021, M.'[P] [K] a fait attraire la société Berto Rhône devant le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Bourgoin-Jallieu, lequel a ordonné un sursis à statuer, ainsi que la suspension des effets du commandement aux fins de saisie-vente du 13 mars 2021, par jugement en date du 2 juillet 2021.

Selon ordonnance juridictionnelle en date du 27 janvier 2022, le conseiller de la mise en état a annulé le procès-verbal de signification du jugement rendu le 3 décembre 2020 par le conseil de prud'hommes de Bourgoin-Jallieu, en date du 18 décembre 2020 et déclaré recevable l'appel interjeté le 19 mars 2021 par M. [P] [K].

Aux termes de ses conclusions notifiées par voie électronique le 31 octobre 2022, M.'[P]'[K] sollicite de la cour de':

- Déclarer nul le procès-verbal de signification de l'assignation en date du 29 septembre 2020.

- Annuler le jugement rendu le 3 décembre 2020 par le conseil de prud'hommes de Bourgoin-Jallieu pour violation de l'article 16 du code de procédure civile.

A titre subsidiaire':

- Déclarer non avenu le jugement « réputé contradictoire » du 3 décembre 2020, faute pour lui d'avoir été signifié dans le délai de six mois.

A titre infiniment subsidiaire :

- Infirmer le jugement rendu le 3 décembre 2020 dans toutes ses dispositions, et statuant à nouveau, débouter la SAS Berto Rhône de toutes ses demandes.

En tout état de cause :

- Débouter la SAS Berto Rhône de toutes ses demandes.

- Condamner la SAS Berto Rhône à payer à M. [P] [K] la somme de'2'500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

- La condamner aux entiers dépens avec application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile au profit de Maître Simon Bergeras.

Aux termes de ses conclusions notifiées par voie électronique le 14 novembre 2022, la société Berto Rhône sollicite de la cour de':

- Débouter M. [P] [K] de sa demande de nullité de l'assignation du'29'septembre 2020 comme non fondée.

- Débouter M. [P] [K] de sa demande de nullité du jugement du'3'décembre 2020 comme non fondée.

- Débouter le même de sa demande de voir déclarer non avenu le jugement du 3 décembre 2020.

En conséquence,

- Confirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Bourgoin-Jallieu du 3 décembre 2020 en ce qu'il a jugé applicable la clause de dédit formation de la société Berto Rhône.

- Infirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Bourgoin-Jallieu du 3 décembre 2020 en ce qu'il a limité l'indemnité de la clause de dédit formation à la somme de 3.435 €.

- Infirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Bourgoin-Jallieu en ce qu'il a limité et débouté la société Berto Rhône de sa demande de dommages et intérêts pour exécution fautive du contrat de travail.

Statuant à nouveau,

- Condamner M. [P] [K] à verser à la société Berto Rhône la somme de'4.509€ à titre d'indemnité de clause de dédit formation.

- Condamner M. [P] [K] à verser à la société Berto Rhône la somme de'500 € à titre de dommages et intérêts pour exécution fautive du contrat de travail.

- Débouter M. [P] [K] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile comme non fondée.

- Condamner M. [P] [K] à payer à la société Berto Rhône la somme de'2.500€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile de première instance et d'appel.

- Condamner M. [P] [K] aux entiers dépens.

Pour un exposé complet des moyens et prétentions des parties, il convient au visa de l'article'455 du code de procédure civile de se reporter aux conclusions des parties susvisées.

La clôture de l'instruction a été prononcée le 17 novembre 2022.

L'affaire, fixée pour être plaidée à l'audience du 4 janvier 2022, a été mise en délibéré au'23'février 2023.

MOTIFS DE L'ARRÊT

1 - Sur la demande de nullité de l'assignation du 29 septembre 2020'

L'article 114 dispose qu'aucun acte de procédure ne peut être déclaré nul pour vice de forme si la nullité n'en est pas expressément prévue par la loi, sauf en cas d'inobservation d'une formalité substantielle ou d'ordre public.

La nullité ne peut être prononcée qu'à charge pour l'adversaire qui l'invoque de prouver le grief que lui cause l'irrégularité, même lorsqu'il s'agit d'une formalité substantielle ou d'ordre public.

L'article 649 du code de procédure civile prévoit que la nullité des actes d'huissier de justice est régie par les dispositions qui gouvernent la nullité des actes de procédure.

L'article 693 du code de procédure civile dispose que ce qui est prescrit par les articles 654 à 659 est observé à peine de nullité.

L'article 654 du code de procédure civile pose comme principe que « la signification doit être faite à personne ».

L'article 655 du même code prévoit, que « si la notification à personne s'avère impossible », l'huissier pourra recourir aux autres modes de signification. Dans ce cas, « l'acte peut être délivré soit à domicile, soit, à défaut de domicile connu, à résidence » et l'huissier doit relater dans l'acte les diligences qu'il a accomplies pour effectuer la signification à la personne de son destinataire et les circonstances caractérisant l'impossibilité d'une telle signification.

Enfin, selon l'article 659 du même code « lorsque la personne à qui l'acte doit être signifié n'a ni domicile, ni résidence, ni lieu de travail connus, l'huissier de justice dresse un procès-verbal où il relate avec précision les diligences qu'il a accomplies pour rechercher le destinataire de l'acte [...] ».

La 'signification' à personne étant la règle, l'huissier de justice est tenu de mentionner, dans l'acte, non seulement les investigations concrètes qu'il a effectuées pour 'rechercher' le destinataire de l'acte mais également les circonstances concrètes et précises empêchant une telle 'signification.

Le juge est donc tenu de vérifier si les 'diligences' mentionnées au procès-verbal sont suffisantes pour s'assurer de l'adresse du destinataire.

En l'espèce, il ressort de l'acte de signification de l'assignation en date du 29 septembre 2020 que l'huissier de justice s'est présenté à l'adresse déclarée par M. [P] [K] et confirmée en dernier lieu dans son courrier de démission du'21'mars'2018.

S'agissant des diligences accomplies pour 'rechercher' M. [P] [K], le procès-verbal de signification précise que l'huissier s'est présenté à l'adresse ainsi déclarée «‘ [Adresse 5]'» et n'a pu rencontrer le destinataire de l'acte.

Aussi, l'huissier a constaté que le nom du destinataire n'apparaissait sur «'aucune boîte aux lettres, porte ou interphone (présents aux deux entrées de l'immeuble Le Sémaphore)’ ».

Il a interrogé le voisinage et les services de la mairie.

Il a effectué des recherches sur le site internet des «'Pages blanches’ » et des «'Pages jaunes’ ».

Cependant, l'huissier de justice, qui ne peut s'abstenir de solliciter auprès du requérant des informations pouvant être connues de ce dernier ou de son mandataire, n'a pas pris attache avec le destinataire de l'acte par téléphone ou par mail, ni n'a contacté l'opérateur téléphonique correspondant à son numéro de téléphone portable en vue de déterminer son adresse, alors que M. [P] [K] rapporte la preuve qu'il avait transmis à son employeur un courriel en date du 22 mars 2018 l'informant de son intention de lui remettre le courrier de démission attaché en pièce jointe et précisant, avec son adresse postale, un numéro de téléphone portable Gsm.

La société Berto Rhône, qui soutient qu'elle ne détenait ni le numéro de téléphone ni l'adresse mail du salarié, ne s'explique pas sur la réception de ce courriel pourtant adressé à l'entreprise.

De surcroît, si besoin en était, la cour relève que la société Berto Rhône ne précise pas quelles recherches réservées aux titres exécutoires et définies par les articles L. 152-1 et L. 152-2 du code des procédures civiles d'exécution ont finalement permis à l'huissier de justice d'identifier la nouvelle adresse de M. [P] [K] pour lui signifier le commandement aux fins de saisie-vente en date du 12 mars 2021.

En l'absence de toute diligence accomplie sur la base des informations précises détenues par son mandataire s'agissant d'une adresse mail et d'un numéro de téléphone portable, les circonstances caractérisant l'impossibilité de déterminer le domicile du salarié, sa résidence ou son lieu de travail, pour procéder à la signification de la citation ne sont pas suffisamment démontrées.

Les diligences de l'huissier chargé d'assigner' M. [P] [K] devant le conseil de prud'hommes de Bourgoin-Jallieu sont 'donc insuffisantes et invalident l'assignation 'délivrée le 29 septembre 2020 par procès-verbal de 'recherches' infructueuses.

M. [P] [K], qui a ainsi été privé du double degré de juridiction dans la mesure où il était défaillant devant le premier juge faute d'avoir personnellement reçu l'assignation, justifie bien d'un grief en lien avec la carence de l'huissier instrumentaire au sens de 'l'article 114 du code de procédure civile.

L'assignation 'délivrée le 29 septembre 2020 à M. [P] [K] est donc nulle comme l'est, par voie de conséquence, le jugement subséquent rendu par le conseil de prud'hommes de Bourgoin-Jallieu le 3 décembre 2020.

2 - Sur les dépens et les frais irrépétibles

Le sens du présent arrêt commande de laisser les dépens de première instance et d'appel à la charge de la société Berto Rhône.

Il n'y a pas lieu à application de l'article 699 du code de procédure civile dès lors que si la représentation est obligatoire en procédure d'appel de décisions prud'homales, le ministère d'avocat ne l'est pas puisque des défenseurs syndicaux peuvent assurer cette représentation.

Il serait par ailleurs inéquitable de laisser à la charge de M. [P] [K] l'intégralité des sommes qu'il a été contraint d'exposer en justice pour la défense de ses intérêts, de sorte qu'il convient de condamner la société Berto Rhône à lui payer la somme de'1'500'euros au titre des frais exposés par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, contradictoirement et après en avoir délibéré conformément à la loi ;

DIT nulle l'assignation de M. [P] [K] devant le conseil de prud'hommes de Bourgoin-Jallieu en date du 29 septembre 2020, acte régularisé par la SARL Rafalovicz-Dupraz, huissiers de justice associés à Bourgoin-Jallieu';

DÉCLARE nul le jugement du conseil de prud'hommes de Bourgoin-Jallieu en date du 3 décembre 2020 numéroté au répertoire général 20/00274 numéro de minute 20/00192';

CONDAMNE la société Berto Rhône SAS à verser à M. [P] [K] une somme de 1'500 euros (mille cinq cents euros) en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile';

CONDAMNE la société Berto Rhône SAS aux dépens de première instance et d'appel’ ;

REJETTE la demande au titre de l'article 699 du code de procédure civile.