CA Nancy, ch. de l'execution, 14 mars 2016, n° 15/01070
NANCY
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
La Mutuelle Integrance
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Claude-Mizrahi
Conseillers :
Mme Guiot-Mlynarczyk, M. Martin
Faits et procédure
M. Dominique M. a souscrit auprès de la Mutuelle Intégrance une garantie complémentaire santé et n'a pas réglé plusieurs échéances de primes en 2010. Il a été mis en demeure de régler l'arriéré par lettre du 5 mai 2011, sans effet.
Le 22 juillet 2011, le juge de proximité de Nancy a rendu à la demande de la Mutuelle Intégrance une ordonnance d'injonction de payer à l'encontre de M. M. pour un montant en principal de 484,20 euros et l'ordonnance a été signifiée au débiteur le 25 octobre 2011. L'ordonnance a été revêtue de la formule exécutoire le 3 janvier 2012.
Le 15 mai 2014, la Mutuelle Intégrance a fait délivrer à M. M. un commandement de payer aux fins de saisie-vente portant sur la somme de 484,20 euros en principal outre les intérêts et frais. Un procès-verbal de saisie attribution a été signifié à la Banque Postale le 28 août 2014 afin de procéder à la saisie des sommes dues par M. M. sur son compte et le tiers saisi a fait savoir que l'unique compte ouvert au nom de M. M. présentait un solde négatif. Cet acte a été dénoncé au débiteur par huissier de justice le 4 septembre 2014.
Le 2 octobre 2014, un procès-verbal de saisie vente a été établi avec inventaire des biens saisis.
Par acte d'huissier du 30 octobre 2014, M. M. a saisi le juge de l'exécution de Nancy aux fins de voir déclarer nulle la saisie vente sur le fondement de l'article L.121-2 du code des procédures civiles d'exécution et à titre subsidiaire, dire que la saisie est exclue pour les biens appartenant à Mme P. et Mme T., dire que les frais seront laissés à la charge de l'huissier et voir la Mutuelle Intégrance condamnée à lui verser une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
La Mutuelle Intégrance s'est opposée aux demandes.
Par jugement du 11 mars 2015, le juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Nancy a débouté M. M. de ses demandes, dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile et condamné M. M. aux dépens.
Le tribunal a considéré que M. M. avait été parfaitement informé de la procédure et qu'une saisie attribution avait été préalablement diligentée avant toute poursuite de procédure de la saisie vente, conformément à l'article L.221-2 du code de procédure civile. Il a ajouté que l'absence de signatures des éventuels témoins ayant assisté aux opérations de saisie n'entraîne pas la nullité de l'acte en l'absence de grief, rejetant la demande de nullité de la procédure. Sur les meubles saisis, il a relevé que les meubles présents lors de la saisie sont présumés appartenir à M. M. et que les attestations versées aux débats sont insuffisantes pour établir la preuve de la propriété de Mme P. et Mme T..
M. M. a régulièrement interjeté appel de cette décision et conclut à l'infirmation du jugement. Il sollicite :
- à titre principal que la saisie vente du 2 octobre 2014 soit déclarée nulle et que soit ordonnée la mainlevée,
- à titre subsidiaire, qu'il soit dit que la saisie ne peut porter sur les biens de Mme P. (un buffet massif 3 portes basses 3 tiroirs, vaisselier + 2 portes, une table massive avec allonge, 6 chaises paillées, une table de salon en verre) et de Mme T. (une télé Samsung),
- qu'il soit dit que les frais exposés par l'huissier pour les actes effectués resteront à sa charge,
- la condamnation de la Mutuelle Intégrance à lui verser 1.500 euros de dommages et intérêts sur le fondement de l'article 650 du code de procédure civile,
- la condamnation de la Mutuelle Intégrance aux dépens.
L'appelant expose que selon l'article L.221-1 du code des procédures civiles d'exécution la saisie vente doit obligatoirement être précédée de la signification d'un commandement de payer et que ce commandement ne peut être signifié à domicile en application de l'article R.221-4 du même code. Il ajoute que la signification à personne est la règle et que l'acte ne détaille pas les démarches accomplies par l'huissier pour tenter de signifier l'acte à personne et l'impossibilité de cette signification pour justifier la signification à domicile. M. M. conteste également le fait que l'ordonnance d'injonction de payer lui a été signifiée et considère qu'en l'absence de preuve sur ce point, il doit être considéré que le créancier est dépourvu de titre exécutoire.
Il fait valoir que si la saisie vente est pratiquée dans un local d'habitation pour un montant inférieur à 535 euros en principal, le commandement de payer doit contenir l'injonction au débiteur de communiquer les coordonnées de son employeur ou ses références bancaire, conformément aux dispositions des articles L.221-2 et R.221-2 du code des procédures civiles d'exécution et qu'en l'espèce l'huissier ne justifie pas de telles diligences.
Il soutient encore qu'en cas d'absence de l'occupant lors de la saisie, l'acte doit contenir à peine de nullité les noms, prénoms et qualités des témoins qui doivent signer l'original et les copies de l'acte en application de l'article R.221-16 du code des procédures civiles d'exécution, ce qui n'est pas le cas d'espèce. Il ajoute que s'agissant d'un texte d'ordre public, il n'est pas nécessaire de justifier d'un grief pour encourir la nullité de l'acte.
Enfin, il fait valoir que les biens saisis appartenaient à Mme P. et Mme T. et que la saisie est nulle. Il en déduit que le juge doit ordonner la mainlevée de la saisie abusive et lui octroyer des dommages et intérêts de ce fait.
La Mutuelle Intégrance conclut à la confirmation du jugement de première instance et sollicite la condamnation de M. M. à lui verser 1.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre les dépens.
Elle soutient que la saisie vente a bien été précédée d'un commandement de payer signifié à M. M. à étude et que l'acte de signification qui mentionne la réalité de l'adresse du débiteur a été régulièrement délivré à étude en raison de l'absence au domicile de M. M., ajoutant qu'il a bien été destinataire de l'acte puisqu'il l'a contesté devant le juge de l'exécution dans le mois suivant la signification.
Sur le titre exécutoire, l'intimée reprend les pièces produites et expose que le titre exécutoire est constitué par l'ordonnance d'injonction de payer rendue le 22 juillet 2011, signifiée le 25 octobre 2011 et revêtue de la formule exécutoire. Elle considère qu'en l'absence d'opposition dans le mois suivant, ce titre est définitif.
Sur l'application des articles L.221-2 et R.221-2 du code des procédures civiles d'exécution, la Mutuelle Intégrance considère que les prescriptions de ces textes ont été respectées, que M. M. a été enjoint de fournir les coordonnées de son employeur et de ses comptes sans y déférer et que le seul compte bancaire identifié était sans provision. Elle ajoute que le texte n'impose pas à l'huissier de faire des investigations.
Sur l'absence de signature des témoins lors de la saisie, elle conclut à la confirmation du jugement qui a relevé l'absence de grief alors que les témoins étaient précisément identifiés.
Sur la propriété des biens, elle expose qu'il ressort des attestations produites que seuls deux meubles seraient la propriété de Mme T. et de M. T., que ces témoins n'ont pas saisi le juge de l'exécution d'une demande de distraction et qu'ils indiquent dans leur attestation s'être dessaisis de leurs biens au profit de M. M.. L'intimée estime que le juge de l'exécution a à juste titre écarté ces pièces.
Sur la demande de dommages et intérêts, elle s'oppose à la demande au motif que la saisie n'était pas abusive. Elle s'oppose également au fait de laisser la charge des frais à l'huissier alors que la procédure de saisie est régulière.
Motifs de la décision :
Vu les écritures déposées le 25 septembre 2015 par M. M. et le 9 octobre 2015 par la Mutuelle Intégrance, auxquelles la Cour se réfère expressément pour un plus ample exposé de leurs prétentions et moyens ;
Vu l'ordonnance de clôture en date du 9 novembre 2015 ;
Sur la nullité de la saisie vente
Attendu que suivant les articles L.221-2 et R.221-2 du code des procédures civiles d'exécution, la saisie vente dans un local servant à l'habitation du débiteur, lorsqu'elle tend au recouvrement d'une créance autre qu'alimentaire inférieure à 535 euros, ne peut être pratiquée sauf autorisation du juge, que si ce recouvrement n'est pas possible par voie de saisie d'un compte de dépôt ou des rémunérations du travail ;
Que le silence du débiteur ne suffit pas à lui seul à caractériser l'impossibilité de procéder à une saisie sur rémunération ou sur compte de dépôt et qu'il appartient au créancier de démontrer avoir recherché les informations nécessaires à l'engagement de ces poursuites ;
Qu'en l'espèce, il est constant que la saisie vente a été pratiquée dans le logement d'habitation de M. M., que la créance en principal était de 486,40 euros soit inférieure à la somme de 535 euros et que le créancier n'a pas sollicité l'autorisation préalable du juge pour pratiquer la mesure de saisie ;
Que selon l'article R.221-7 III 3° pour les créances inférieures à 535 euros, le commandement de payer contient à peine de nullité, injonction au redevable de communiquer dans le délai de 8 jours au comptable poursuivant les nom, adresse de son employeur et les références de ses comptes bancaires ou postaux ou l'un de ces éléments ;
Que dans le procès-verbal de saisie du 2 octobre 2014, l'huissier indique 'que M. M. n'a pas déféré à un précédent commandement de payer portant injonction d'avoir à communiquer les coordonnées de son employeur ou de ses comptes bancaires rendant ainsi impossible la mise en place d'une procédure de saisie des rémunérations ou de saisie attribution sur compte bancaire' ; que cependant il est constaté à la lecture du commandement de payer aux fins de saisie vente délivré le 15 mai 2014 que cette injonction n'y figure pas, l'huissier ayant seulement indiqué agir en vertu d'une ordonnance d'injonction de payer du 25 octobre 2011, détaillé les sommes dues et ajouté 'faute pour vous de vous acquitter des sommes mentionnées ci-dessus, vous pourrez y être contraint par la saisie de vos biens meubles corporels à l'expiration d'un délai de 8 jours à compter du présent acte'; qu'il n'est justifié d'aucun autre commandement délivré au débiteur et comportant l'injonction prévue par le texte ; qu'il s'ensuit que le commandement de payer du 15 mai 2014 est entaché de nullité comme ne reprenant pas la mention obligatoire prévue à l'article R.221-7 III 3° ;
Qu'en outre, si la Mutuelle Intégrance a fait procéder à une mesure de saisie attribution des comptes bancaires de M. M. permettant de déterminer que son compte de dépôt était débiteur et que le recouvrement de la créance était impossible par la saisie de ce compte, elle ne justifie par aucune pièce que ce recouvrement était impossible par une saisie des rémunérations du travail alors que l'huissier de justice chargé du recouvrement de sa créance pouvait recueillir des renseignements auprès des administrations et collectivités territoriales en vertu de l'article L.152-1 du code des procédures civiles d'exécution ;
Qu'il résulte de l'ensemble de ces éléments que la saisie vente effectuée le 2 octobre 2014 doit être annulée et la mainlevée de la mesure d'exécution forcée ordonnée ;
Sur la demande de dommages et intérêts
Attendu que selon l'article 650 du code de procédure civile, les frais afférents aux actes inutiles ou aux actes nuls par l'effet de leur faute, sont à la charge des huissiers de justice qui les ont faits ;
Qu'en application de ce texte, il convient de laisser à la charge de la SCP M.-M., huissiers de justice à Nancy, les frais du commandement de payer aux fins de saisie vente délivré le 14 mai 2014 ainsi que ceux du procès-verbal de saisie vente du 2 octobre 2014 ; que le jugement déféré est infirmé ;
Que la demande de dommages et intérêts qui ne peut être fondée sur l'article 650 du code de procédure civile est rejetée et le jugement confirmé ;
Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens
Attendu que la Mutuelle Intégrance, partie perdante, devra supporter les entiers dépens et sera déboutée de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Par ces motifs :
La Cour, statuant par arrêt contradictoire prononcé publiquement par mise à disposition au greffe conformément aux dispositions de l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,
Confirme le jugement déféré en ce qu'il a débouté M. Dominique M. de sa demande de dommages et intérêts ;
L'infirme pour le surplus et statuant à nouveau,
Annule la procédure de saisie-vente dénoncée le 2 octobre 2014 et ordonne la mainlevée de la saisie ;
Dit que les frais du commandement de payer aux fins de saisie-vente délivré le 14 mai 2014 ainsi que ceux du procès-verbal de saisie-vente du 2 octobre 2014 resteront à la charge de la SCP M.-M., huissiers de justice à Nancy ;
Déboute la Mutuelle Intégrance de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la Mutuelle Intégrance aux entiers dépens qui seront recouvrés comme en matière d'aide juridique.