CA Paris, Pôle 1 ch. 10, 10 novembre 2022, n° 22/02070
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Défendeur :
MCS et Associés (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Pruvost
Conseillers :
Mme Lefort, M. Trarieux
Avocats :
Me Gré, Me Guilhem
Par requête parvenue au greffe du juge de l'exécution de Paris le 27 janvier 2020, la société MCS & associés, déclarant agir en vertu d'un jugement rendu par le Tribunal d'instance de Lyon le 24 octobre 2006, a sollicité la saisie des rémunérations de M. [N] à hauteur de 60 683,53 euros.
Par jugement en date du 7 janvier 2022, le juge de l'exécution a :
- dit que la prescription n'était pas acquise ;
- débouté M. [N] de sa demande de délais de paiement ;
- autorisé la saisie des rémunérations de l'intéressé à hauteur de 4 156 euros, 38 667, 10 euros avec intérêts au taux de 13,70 % sur la somme de 30 324,14 euros à compter du 6 juillet 2021, et 21 920,22 euros avec intérêts au taux légal majoré à compter du 6 juillet 2021, soit pour un principal total de 64 743,32 euros ;
- rejeté la demande en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné M. [N] aux dépens.
Pour statuer ainsi, le juge de l'exécution a relevé :
- qu'il ne pouvait statuer sur la régularité de l'assignation qui avait été délivrée à M. [N] par la société MCS & associés devant le juge du fond, alors que le jugement avait été signifié, que le débiteur ne critiquait pas la régularité de son acte de signification, et qu'un certificat de non-appel dudit jugement avait été produit ;
- que la société MCS & associés venait bien aux droits de la société Crédit agricole de Savoie ;
- que les intérêts dus en vertu du jugement étant capitalisés, ils n'étaient pas soumis à la prescription biennale de l'article L 218-2 du code de la consommation, mais à la prescription décennale de l'article L 110-4 du code des procédures civiles d'exécution ;
- que des actes interruptifs de prescription étaient intervenus (paiement réalisé le 20 octobre 2016, saisie-attribution pratiquée le 5 juin 2018).
Selon déclaration en date du 24 janvier 2022, M. [N] a relevé appel de ce jugement.
En ses conclusions notifiées le 20 septembre 2022, il a exposé :
- qu'à l'époque de l'instance au fond, il résidait au [Adresse 4] à [Localité 6] (84) et non pas chez M. [U] [X], qu'il ne connaissait pas, non plus qu'en les locaux de l'association Yasse Elda ;
- que le créancier l'avait ainsi assigné à une mauvaise adresse ;
- qu'il n'était pas justifié d'une cession de créance au bénéfice de la société MCS & associés au 22 mai 2013, ni au 14 avril ou au 29 juillet 2015 ;
- que la dénonciation de la saisie-attribution, à lui délivrée dans les formes de l'article 659 du code de procédure civile, était irrégulière car dès cette époque il résidait au [Adresse 1] à [Localité 5] ; que cette saisie-attribution était caduque, faute de lui avoir été dénoncée dans les huit jours ;
- que la prescription de deux ans s'appliquait bien aux intérêts.
M. [N] a en conséquence demandé à la Cour de :
- infirmer le jugement ;
- déclarer les demandes de la société MCS & associés irrecevables faute de qualité à agir, ou en raison de la prescription ;
- annuler le jugement fondant les poursuites ainsi que son acte de signification et les actes subséquents ;
- subsidiairement, lui octroyer des délais de paiement ;
- condamner la partie adverse au paiement de la somme de 1 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Dans ses conclusions notifiées le 27 septembre 2022, la société MCS & associés a soutenu :
- qu'elle venait bien aux droits de la société Crédit agricole de Savoie, en vertu d'un acte de cession de créance du 22 mai 2013, rectifié par un bordereau du 14 mai 2015, et signifié au débiteur le 16 mai 2018, la créance litigieuse figurant dans la liste de celles qui avaient été cédées ;
- que le jugement fondant les poursuites avait été signifié le 16 novembre 2006 au débiteur dans les formes de l'article 659 du code de procédure civile, sa dernière adresse connue étant au [Adresse 3] à [Localité 7], une personne présente ayant confirmé à l'huissier de justice instrumentaire qu'il résidait auparavant chez M. [X], alors qu'il n'avait pas été possible de trouver sa nouvelle adresse et que M. [N] s'était abstenu de la communiquer ;
- que lorsqu'il avait reçu copie du jugement, M. [N] avait répondu par un mail du 26 juillet 2018 dans lequel il n'avait émis aucune contestation ;
- que deux saisies-attributions avaient été régularisées les 5 juin 2018 et 4 septembre 2019, et dénoncées à M. [N] dans les formes de l'article 659 du code de procédure civile ;
- que la prescription applicable était celle de 10 ans, notamment pour les intérêts capitalisés, et avait été interrompue à plusieurs reprises ;
- qu'à l'appui de sa demande subsidiaire de délais, l'appelant ne versait aux débats aucun justificatif de sa situation financière actuelle.
La société MCS & associés a demandé à la Cour d'infirmer le jugement sur le quantum et d'autoriser la saisie des rémunérations de M. [N] à hauteur de :
- 8 132,25 euros outre intérêts au taux contractuel de 8,2 % sur la somme en principal de 6 836,96 euros à compter du 6 juillet 2021, date de l'arrêté de compte ;
- 38 667, 10 euros outre intérêts au taux contractuel de 13,70 % sur la somme en principal de 30 324,14 euros à compter du 6 juillet 2021, date de l'arrêté de compte ;
- 21 920,22 euros outre intérêts au taux légal majoré sur la somme en principal de 21 913,21 euros à compter du 6 juillet 2021, date de l'arrêté de compte ;
et de condamner M. [N] au paiement de la somme de 3 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 22 septembre 2022.
Par message RPVA en date du 13 octobre 2022, la Cour a invité les parties à présenter leurs observations sur le moyen relevé d'office, tiré de l'irrecevabilité des demandes de nullité de l'acte de signification du jugement fondant les poursuites et des actes subséquents, en application de l'article 122 du code de procédure civile.
Les parties n'ont pas répondu dans le délai qui leur était imparti à cet effet (au plus tard le 19 octobre 2022).
Par message RPVA en date du 27 octobre 2022, la Cour a invité les parties à présenter leurs observations sur la fin de non-recevoir relevée d'office, tiré de l'irrecevabilité des demandes de nullité des deux saisies-attributions en raison de l'expiration du délai d'un mois édicté à l'article R 211-11 du code des procédures civiles d'exécution.
Le 3 novembre 2022, l'intimée a soutenu que la demande d'annulation du jugement fondant les poursuites et de son acte de signification n'avaient pas été présentée en première instance et était donc irrecevable, et que s'agissant des deux saisies-attributions, le débiteur était hors délai pour les contester.
M. [N], dans une note en délibéré en date du 7 novembre 2022, a soutenu que la saisie-attribution du 5 juin 2018 lui avait été dénoncée dans les formes de l'article 659 du code de procédure civile alors qu'il habitait bien à l'adresse indiquée, de sorte que le délai de contestation n'avait pas couru, et que s'agissant de l'autre saisie-attribution, celle du 3 ou 4 septembre 2019, elle était caduque faute de lui avoir été dénoncée dans le délai de huit jours.
MOTIFS
Selon l'article R 121-1 alinéa 2 du code des procédures civiles d'exécution, le Juge de l'exécution ne peut ni modifier le dispositif de la décision de justice qui sert de fondement aux poursuites ni en suspendre l'exécution. Il ne peut pas non plus annuler cette décision. L'appelant ne peut donc solliciter de la Cour, qui exerce les pouvoirs du juge de l'exécution, qu'elle annule le jugement rendu par le Tribunal d'instance de Lyon le 24 octobre 2006.
En application de l'article 112 du code de procédure civile, la nullité des actes de procédure peut être invoquée au fur et à mesure de leur accomplissement, mais elle est couverte si celui qui l'invoque a, postérieurement à l'acte critiqué, fait valoir des défenses au fond ou opposé une fin de non-recevoir sans soulever la nullité.
Il résulte de la lecture de l'exorde du jugement dont appel que devant le premier juge, l'appelant n'a jamais réclamé l'annulation de l'acte de signification du jugement fondant les poursuites ni des actes ultérieurs, mais a formé des contestations sur le fond. Toutefois, lorsque le débiteur soulève la nullité de l'acte de signification de la décision de justice fondant les poursuites, il s'agit procéduralement parlant d'un moyen de fond et non pas d'une exception de procédure. Le débiteur est donc recevable à soulever la nullité de l'acte en question.
Aux termes de l'article R 3252-1 du code du travail, le créancier muni d'un titre exécutoire constatant une créance liquide et exigible peut faire procéder à la saisie des sommes dues à titre de rémunération par un employeur à son débiteur.
Il résulte de l'article 503 du code de procédure civile que les jugements ne peuvent être exécutés qu'après avoir été notifiés. Au cas d'espèce, le jugement rendu par le Tribunal d'instance de Lyon a été signifié à M. [N] le 16 novembre 2006 dans les formes de l'article 659 du code de procédure civile.
Ce texte dispose :
Lorsque la personne à qui l'acte doit être signifié n'a ni domicile, ni résidence, ni lieu de travail connus, l'huissier de justice dresse un procès-verbal où il relate avec précision les diligences qu'il a accomplies pour rechercher le destinataire de l'acte.
Le même jour ou, au plus tard, le premier jour ouvrable suivant, à peine de nullité, l'huissier de justice envoie au destinataire, à la dernière adresse connue, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, une copie du procès-verbal, à laquelle est jointe une copie de l'acte objet de la signification.
Le jour même, l'huissier de justice avise le destinataire, par lettre simple, de l'accomplissement de cette formalité.
Les dispositions du présent article sont applicables à la signification d'un acte concernant une personne morale qui n'a plus d'établissement connu au lieu indiqué comme siège social par le registre du commerce et des sociétés.
L'acte en cause daté du 16 novembre 2006 mentionne que la dernière adresse connue de M. [N] était celle située chez M. [X] [U], association Yasse Elda, [Adresse 3]. Il a été relevé qu'à cette adresse, il n'existait aucune trace de M. [N] ni de M. [X], ni de l'association susvisée (en l'absence d'indication sur la boîte aux lettres), et qu'une occupante de l'immeuble avait indiqué à l'huissier de justice instrumentaire que le signifié n'habitait pas à ladite adresse, qu'il était hébergé chez M. [X] il y a longtemps, lequel était également parti sans laisser d'adresse, et que les autres démarches effectuées n'avaient pas permis de localiser l'intéressé, alors que la recherche effectuée par l'annuaire du Minitel était infructueuse (aucune réponse ni dans le Rhône ni dans les départements voisins).
L'en-tête du jugement portait ladite adresse. Si l'acte de signification de cession de créance du 16 mai 2018 a été délivré à M. [N] au [Adresse 1], de même que la dénonciation de saisie-attribution du 11 juin 2018, et la saisie-attribution du 4 septembre 2019, et que l'appelant a reçu des courriers à ladite adresse à partir de l'année 2013, il soutient qu'il n'a jamais résidé à [Localité 7]. Les seules pièces qu'il produit pour démontrer qu'au jour de l'acte critiqué, il ne résidait pas dans cette ville sont : un courrier de la société Free du 13 avril 2006, et une notification de la préfecture du Var du 9 avril 2006, mentionnant tous deux une adresse au [Adresse 4] à [Localité 6] (83).
Il en résulte que l'huissier de justice instrumentaire s'est contenté de se rendre à l'adresse visée dans l'en-tête du jugement, alors que manifestement, celle-ci n'était plus la bonne, et que M. [N] résidait bien à [Localité 6] à l'époque. Les recherches effectuées sur l'annuaire du minitel sont insuffisantes, et l'huissier de justice aurait pu pour le moins les faire sur internet pour tenter de retrouver les coordonnées du débiteur, ou encore s'adresser aux services fiscaux ou des organismes visés à l'article L 152-1 du code des procédures civiles d'exécution.
Il convient en conséquence d'annuler l'acte de signification du jugement fondant les poursuites et de rejeter la requête en saisie des rémunérations.
L'appelant demande à la Cour d'annuler les actes de procédure subséquents.
S'agissant du procès-verbal de saisie-attribution du 5 juin 2018, il a été dénoncé au débiteur le 11 juin 2018, dans les formes de l'article 659 du code de procédure civile, mais il s'avère que l'adresse indiquée était celle du [Adresse 1] à [Localité 5], qui est bien celle du débiteur. En outre la lettre recommandée avec demande d'avis de réception prévue par le texte susvisée lui a été envoyée à cette adresse. Il s'ensuit que M. [N] est hors délai pour contester ladite saisie-attribution ; en effet, en application de l'article R 211-11 du code des procédures civiles d'exécution, l'assignation devant le Juge de l'exécution en contestation d'une saisie attribution doit, sous peine d'être déclarée irrecevable, être délivrée dans un délai d'un mois à dater de la dénonciation de cette saisie au débiteur et dénoncée le jour même ou le premier jour ouvrable suivant à l'huissier de justice qui a procédé à la saisie, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, et le nécessaire n'a pas été fait dans les délais.
S'agissant du procès-verbal de saisie-attribution du 4 septembre 2019, la créancière ne prouve ni même ne soutient l'avoir dénoncée au débiteur dans les huit jours, si bien que ladite saisie-attribution est caduque comme il est dit à l'article R 211-3 du code des procédures civiles d'exécution.
Le jugement est infirmé en toutes ses dispositions.
La société MCS & associés, qui succombe en ses prétentions, sera condamnée au paiement de la somme de 1 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel.
PAR CES MOTIFS
- INFIRME le jugement en date du 7 janvier 2022 ;
et statuant à nouveau :
- ANNULE l'acte de signification du jugement en date du 16 novembre 2006 ;
- REJETTE la requête en saisie des rémunérations présentée par la société MCS & associés à l'encontre de M. [V] [N] ;
- DECLARE M. [V] [N] irrecevable en sa contestation du procès-verbal de saisie-attribution du 5 juin 2018 ;
- DIT que la saisie-attribution du 4 septembre 2019 est caduque ;
- CONDAMNE la société MCS & associés à payer à M. [V] [N] la somme de 1 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
- CONDAMNE la société MCS & associés aux dépens de première instance et d'appel.