CA Douai, 2e ch. sect. 2, 18 novembre 2008, n° 06/01250
DOUAI
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Défendeur :
VH Holding (SCA), Financière VH (SA), Côte d'Opale Granulats (Sasu)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Fossier
Conseillers :
Mme Nève de Mevergnies, M. Cagnard
Avoués :
SCP Levasseur-Castille-Levasseur, Me Quignon, SCP Deleforge Franchi
Avocats :
Me Marchadier, Me Joos
I - Exposé du litige
En 1991, la famille H. a organisé ou réorganisé une société en commandite par actions, dénommée VH-Holding, dont l'objet était de détenir et contrôler avec deux tiers du capital, une société industrielle dite 'Carrière de la vallée heureuse'. Le tiers restant appartient à une société étrangère au litige, Carrières du Boulonnais.
Une partie de la famille, autour de Francis et Hippolyte H., a acquis 30 pour cent de la holding, l'autre partie, autour de Jacqueline, Nathalie, Vincent, Bernard et Max H. a acquis les 70 pour cent restant. Hippolyte et Max H. ont été nommés gérants pour la durée de la vie sociale, et représentants de la holding au sein de la société industrielle.
Au cours d'une assemblée générale extraordinaire du 28 décembre 2001 et par divers actes ultérieurs, la société industrielle est devenue à son tour société Financière-VH, a conservé le foncier, tandis que l'activité d'extraction était cédée à une SAS, qui a repris la dénomination 'Carrière de la vallée heureuse' et était à 100 p.100 sous le contrôle de la Financière VH (mécanisme de sous-filialisation).
Puis, courant 2007, le groupe de travaux publics Lafarge, sous la dénomination de 'société Côte d'Opale Granulats', intervenante forcée devant notre cour, a acquis 46 p.100 des parts de cette nouvelle société industrielle. Elle y partage la moitié des pouvoirs sociaux. Un surplus de capital (3,4 p.100) appartient aux cadres, notamment sous forme de stocks-options.
Le résultat économique de l'opération a été de ne laisser au groupe Jacqueline H. et consorts, qu'environ les deux tiers de la moitié de l'activité d'extraction.
Par ailleurs, les gérants commandités ont opéré divers échanges fonciers avec des entreprises tierces du même secteur.
Par acte du 26 février 2002, Jacqueline, Vincent, Bernard et Nathalie H. ont fait assigner la commandite pour voir annuler la délibération du 28 décembre 2001 ayant permis cette opération. Ils ont principalement estimé que le 'pacte' de 1991' avait été violé, par une sorte de sous-filialisation abusive.
En outre, ils ont sollicité la révocation du gérant commandité représentant leur 'groupe' d'actionnaires, à savoir Max H..
Ils ont enfin fait diligenter un référé-expertise pour vérifier le bon équilibre des échanges fonciers susdits. Monsieur F. a été nommé et a déposé son rapport en juillet 2003. Les mêmes que dessus ont alors saisi le TC de Calais en annulation de l'ordonnance de référé comme à celle du rapport d'expertise, principalement pour manquement au principe contradictoire (contacts séparés avec certaines des parties).
Ils ont été déboutés de ces trois demandes, par un jugement du 6 décembre 2005, déféré à notre cour par voie d'appel.
A toutes fins, ils avaient saisi le juge chargé du contrôle des expertises, en remplacement de l'expert. Ils ont été déboutés. L'affaire est à nouveau déférée à la cour après appel et cassation, dans une affaire distincte en droit et en fait.
Devant la Cour, les consorts Jacqueline H. ont repris leurs demandes initiales (écritures récapitulatives du 27 mai 2008) et demandé 15.000 euros pour frais de procédure. VH Holding a d'abord rappelé, s'agissant de la révocation du gérant Max H., le préalable obligatoire de transaction ; a demandé la confirmation du premier jugement pour le surplus ; et a réclamé 15.000 euros pour frais irrépétibles de procédure. La SASU Cote d'Opale Granulats a conclu de même à la confirmation et a réclamé 5.000 euros pour frais de procédure.
Il est renvoyé aux conclusions des parties pour l'exposé de leurs moyens, comme l'autorise l'article 455 du Code de procédure civile.
II-DISCUSSION
1° - Sur la nullité du rapport d'expertise
Attendu qu'il résulte des énonciations de l'expert (§ 'Déroulement de la mission') qu'avant la première réunion des parties devant lui, il s'est rendu seul au siège social de VH pour y consulter des documents comptables ;
Attendu qu'il résulte des mêmes énonciations, que l'expert a consulté un 'traité d'apport' et ses annexes, dont il n'est pas démontré qu'au stade de cette expertise, les consorts Jacqueline H. aient eu connaissance ;
Que le dépôt de ce document au greffe du tribunal de commerce de Calais ne peut tenir lieu d'échange contradictoire d'une pièce dont l'importance ne peut être évaluée par les parties quelqu'elles soient qu'avec le rapport d'expertise lui-même, donc trop tard ;
Qu'il ne revient pas non plus à l'expert lui-même, et au premier juge dans son sillage, d'affirmer que ce traité d'apport et ses annexes ont été de peu d'importance dans le raisonnement, cette appréciation ne relevant que de l'analyse des parties en fonction de leurs intérêts propres, dont elles sont seules juges ;
Attendu enfin que l'expert expose page 31 de son rapport avoir rencontré, comme il l'aurait fait d'un sapiteur, un sieur Leplat, pour se faire expliquer diverses questions techniques (page 31 du pré-rapport) ; que la mission d'expertise ne comportait pas cette faculté ; qu'en outre, Monsieur Le plat semble avoir été le conseil de VH Holding, au point que celle-ci appuie une part de son argumentation sur les dires du susnommé et produit aux débats une note technique établie par lui ;
Que là encore, il n'appartient pas à l'expert, peut-être conscient de la difficulté que soulève cette pratique, d'en minimiser la portée en affirmant que l'opinion de Monsieur Le plat a pas ou peu pesé sur les conclusions de l'expertise ;
Attendu que du tout, il résulte qu'en plusieurs points, l'expertise a manqué au principe contradictoire et doit être annulée ;
2° - Sur la nullité de l'assemblée générale du 28 décembre 2001pour atteinte à l'objet social
Attendu que l'opération de sous filialisation constitue un acte grave dans la plupart des hypothèses ;
Que la jurisprudence considère qu'une telle opération consistant à créer une structure supplémentaire qui éloigne la filiale opérationnelle du pouvoir de contrôle des minoritaires de la société mère peut revêtir un caractère abusif (Com. 24 janvier 1995) ;
Que doit donc être accueillie l'action en nullité d'assemblée de l'actionnaire minoritaire au motif que l'opération réalisée correspondait au but légitime de pérenniser l'entreprise sans rechercher si cette opération n'avait pas plutôt pour objet de favoriser des associés majoritaires qui, s'étant octroyé la qualité d'associés commandités, avaient le pouvoir de décider de la répartition des bénéfices issus de la holding au détriment des minoritaires' ;
Qu'autrement dit, l'interposition d'une filiale n'est pas blâmable en soi mais elle oblige les juges à rechercher la véritable économie de l'opération ;
Attendu qu'une opération qui a pour objet, comme c'est le cas en l'espèce, de transformer une société filiale opérationnelle en holding purement financier est doublement abusive ;
Qu'elle modifie totalement la gestion des intérêts de VH HOLDING, qui deviendrait la société mère d'un sous holding et non plus une société opérationnelle ;
Qu'elle modifie de même manière la gestion des intérêts de la société CARRIÈRES DE LA VALLÉE HEUREUSE devenue FINANCIÈRE VH, qui est transformée en sous holding purement financier au lieu de demeurer une société d'exploitation ;
Que de son côté la bénéficiaire de l'apport, la société S. prend le nom de 'CARRIÈRES DE LA VALLÉE HEUREUSE' et transforme son objet social (précédemment celui de holding) en devenant une société d'exploitation de carrières ;
Attendu que cette opération constitue une modification radicale de l'intérêt social et porte atteinte, du même coup, aux intérêts légitimes des actionnaires de VH HOLDING ;
Qu'en effet, les statuts de VH HOLDING prévoient qu'elle a pour objet exclusif l'achat et la détention majoritaire d'actions de la société CARRIÈRES DE LA VALLÉE HEUREUSE (article 2 des statuts) ;
Qu'à l'origine, la société FINANCIÈRE VH a pour objet social principal : 'toutes opérations commerciales, industrielles et financières que comportent la mise en valeur et l'exploitation de carrières en France et à l'étranger' (article 3 des statuts);
Que cet objet ne correspond pas à la définition de l'objet social d'un holding de participation ;
Que l'objet social de FINANCIÈRE VH tel qu'il est défini, se rattache directement à la mise en valeur et à l'exploitation des carrières ; que les opérations commerciales, industrielles et financières ne sont que l'expression des moyens qui concourent à la réalisation de cet objet. Elles en sont donc l'accessoire et n'ont pas d'existence propre ;
Qu'en faisant de la société FINANCIÈRE VH une société de participation financière qui n'exploite pas de carrières, les dirigeants du Groupe ont directement modifié son objet social et, par voie de ricochet modifié celui de VH HOLDING qui s'entendait nécessairement, au regard de la volonté clairement exprimée par les parties au protocole et dans la voie d'une application loyale du contrat, comme la détention majoritaire des deux tiers d'une société d'exploitation de carrières et non d'un sous-holding ;
Attendu qu'il est inexact de considérer que ces opérations sont conformes à l'objet social de VH HOLDING et de FINANCIÈRE VH et qu'elles ne sont donc pas abusives ;
Qu'il y a atteinte à l'objet social, ce qui excède les pouvoirs des seuls gérants et de l'assemblée ;
Que dans une telle hypothèse, et eu égard à l'importance de l'opération pour la société VALLÉE HEUREUSE, les actionnaires de cette dernière doivent pouvoir bénéficier d'un droit à l'information égal à celui prévu en cas d'apport placé sous le régime des fusions scissions ;
Qu'en l'espèce, l'opération s'est faite comme un simple apport partiel d'actifs sans qu'il soit opté pour le régime des fusions-scissions, les actionnaires de la société apporteuse étant ainsi exclus de tout droit à l'information ;
Que ce régime prévoit, conformément aux dispositions des articles L 236-1 et suivants du code de commerce, que le ou les rapports sont mis à la disposition des actionnaires des sociétés participant à l'opération ;
Que l'article R 236-3 du Code de Commerce prévoit que ses rapports sont mis à la disposition des actionnaires au moins un mois avant la date de l'assemblée ;
Que toutefois, il est fait exception à cette règle si l'apport partiel d'actif envisagé affecte, directement ou indirectement la réalisation de l'objet social de la société apporteuse ;
Qu'en l'espèce, l'opération ne se réduit pas à l'apport d'un actif isolé, mais au transfert de la totalité du fonds de commerce de la société LA VALLÉE HEUREUSE devenue FINANCIÈRE VH ;
Attendu qu'en somme, une opération d'une telle importance et qui affecte l'objet social de la société apporteuse ne pouvait pas faire l'économie d'une information complète et d'une consultation des actionnaires, tant de VH HOLDING que de FINANCIÈRE VH ;
Attendu qu'au sein de la société VH HOLDING, les appelants n'ont reçu aucune information alors qu'il ressort de plusieurs documents disponibles au greffe du tribunal de commerce de CALAIS que les gérants commandités de VH HOLDING, également seuls membres du Directoire de la Vallée Heureuse, c'est à dire Max et Hippolyte H., ont mis en oeuvre plusieurs opérations dont certaines sont d'ores et déjà réalisées et qui sont susceptibles de porter gravement atteinte à l'intérêt social des deux sociétés ;
Que de tels actes de dispositions qui ont pour résultat de modifier l'objet social emportent nécessairement l'obligation de consulter l'Assemblée Générale Extraordinaire des associés de la société VH HOLDING afin de donner des instructions de vote au sein de l'Assemblée Générale Extraordinaire de FINANCIÈRE VH à ses représentants ;
Et attendu qu'au sein de la société FINANCIÈRE VH les appelants exclus du conseil de surveillance de FINANCIÈRE VH n'ont obtenu aucune information, ni de réponse à leurs interrogations, ainsi qu'ils le démontrent ;
Attendu que du tout il résulte que l'Assemblée Générale litigieuse doit être annulée ;
3° - Sur la révocation de Max H.
a) Sur la compétence
Attendu que c'est à bon droit que le tribunal de commerce de CALAIS s'est reconnu compétent pour connaître de cette question et la Cour confirmera la décision entreprise de ce chef ;
Que l'article L 226-2 4ème alinéa du Code de commerce prévoit que 'le gérant est révocable par le tribunal de commerce pour cause légitime, à la demande de tout associé ou de la Société. Toute clause contraire est réputée non écrite' ;
Que les statuts de la société VH HOLDING ne contiennent pour leur part aucune disposition relative à la révocation des gérants commandités (article 19) ;
Attendu que dès lors, la Cour se reconnaît compétente pour statuer sur la demande de révocation de M. Max H. ;
b) Au fond :
Attendu qu'aux termes du protocole d'accord en date du 2 mai 1991, M. Max H. est désigné comme le représentant du Groupe B d'actionnaires de VH HOLDING (consorts Jacqueline H.) ;
Que la révocation de M. Max H. est sollicitée sur le fondement de l'article L 226-2-4ème alinéa du Code de commerce cité plus haut ;
Que les statuts de VH HOLDING ne contiennent aucune disposition relative à la révocation des gérants commandités ;
Que toutefois, l'article 20 des statuts relatifs aux pouvoirs des gérants prévoit que :
' 1- chacun des gérants est investi des pouvoirs les plus étendus pour agir en toute circonstance au nom de la société. Il les exerce dans la limite de l'objet social et sous réserve de ceux expressément attribués par la Loi aux assemblées d'actionnaires....
2- à titre de mesure interne, non opposable aux tiers, il est stipulé que le gérant ou chacun des gérants détient les pouvoirs les plus étendus pour faire tous les actes de gestion dans l'intérêt de la société et que, s'il existe plusieurs gérants, chacun d'eux a la faculté de s'opposer à toute opération envisagée par un autre gérant avant qu'elle ne soit conclue... ' ;
Que ces dispositions sont conformes à celles prévues à l'article L 226-7 du code de commerce ;
Qu'elles prévoient donc expressément que le gérant agit au nom de la société, mais la limite de l'objet social et dans l'intérêt de la société ;
Attendu que les conditions de réalisation de l'opération décidée le 28 décembre 2001 et décrites au paragraphe '2°' qui précède, a pour effet d'affecter de manière substantielle l'objet social de VH HOLDING et de porter atteinte à son intérêt ;
Que par son vote favorable à la résolution présentée à l'Assemblée Générale Extraordinaire de FINANCIÈRE VH du 28 décembre 2001, M. Max H. a agi en dehors des limites de l'objet social de VH HOLDING, entraînant un préjudice au détriment des actionnaires de VH HOLDING, ce qui constitue une cause légitime de révocation ;
4° - Sur les demandes accessoires
Attendu que les intimés supporteront les dépens de première instance et d'appel, ainsi que les frais irrépétibles exposés par leurs adversaires ;
Attendu que le présent arrêt sera déclaré opposable à la SASU Côte d'Opale Granulats ;
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,
Infirme le jugement du tribunal de commerce de CALAIS du 6 décembre 2005 en toutes ses dispositions, excepté en ce qu'il s'est déclaré compétent pour connaître de la demande de révocation.
Statuant à nouveau,
Déclare nul le rapport d'expertise déposé en juillet 2003 par M.F..
Prononce la nullité des délibérations adoptées à l'Assemblée Générale Extraordinaire de la société FINANCIÈRE VH réunie le 28 décembre 2001 et de toutes les décisions qui en sont la conséquence ou la résultante.
Ordonne la publication du présent arrêt en son dispositif dans le journal 'LA VOIX DU NORD' (Rubrique des annonces légales) à la charge de la société FINANCIÈRE VH, sans que les frais puissent excéder DIX MILLE (10.000) €.
Déboute les intimés de leur exception d'incompétence sur l'action en révocation.
Prononce la révocation de M. Max H. de son mandat de gérant commandité de la société VH HOLDING.
Condamne les intimés à payer aux appelants la somme de 15.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Les condamne aux entiers dépens dont distraction au profit des avoués constitués conformément à l'article 699 du code de procédure civile.